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Date: 20140219


Dossier :

IMM‑12346‑12

 

Référence : 2014 CF 154

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 février 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

ABDIQANI MOHAMED HASHI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et visant la décision par laquelle un agent du Haut‑commissariat du Canada à Nairobi (le HCC) a refusé de délivrer le visa de résident permanent demandé par Abdiqani Mohamed Hashi au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières, ou de la catégorie précisée des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières.

 

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Somalie. Le HCC à Nairobi lui a fait passer deux entrevues, l’une le 8 août 2011 et l’autre le 24 novembre 2011.

 

[3]               On a examiné la demande de visa faite par le demandeur en tenant compte des renseignements communiqués par sa sœur, Mme Sudi Mohamed Hashi (Mme Sudi), et par une parente, Mme Faduma Yassin Omar (Mme Omar), lors d’entrevues avec elles et dans le cadre des demandes de visa qu’elles avaient elles‑mêmes présentées. Bien que les notes prises lors des entrevues de Mmes Sudi et Omar ne fassent pas partie intégrante de la décision, Mme Sudi les a produites dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire visant le rejet de sa propre demande de visa, et elles font ainsi partie du dossier dans la présente affaire.

 

[4]               Lors de sa première entrevue, le 8 août 2011, le demandeur a déclaré qu’en août 2007 il s’était rendu à Nairobi avec Mme Sudi et une autre sœur, Mme Istahil Mohamed Hashi (Mme Istahil), après l’assassinat par balle de leur père par des membres du mouvement Al Shabab. À des fins d’identification, le demandeur a produit un laissez‑passer pour demandeur d’asile daté du 27 juillet 2011, et délivré par le service des réfugiés (le SR) du gouvernement kenyan, qui faisait état de son arrivée au Kenya le 29 août 2007. Le demandeur n’était muni d’aucune autre pièce d’identité ni d’aucun document attestant son voyage de la Somalie au Kenya.

 

[5]               L’agent qui a interrogé le demandeur le 8 août 2011 a passé en revue les notes prises lors d’une entrevue antérieure avec Mme Sudi, et a trouvé préoccupantes certaines contradictions relevées dans leurs récits. Le demandeur avait ainsi déclaré dans sa demande qu’il avait un frère et trois sœurs, tandis qu’à son entrevue il avait plutôt fait état de trois demi‑frères et de quatre sœurs. Mme Sudi avait déclaré de son côté à son entrevue qu’elle avait douze frères et sœurs, alors qu’elle avait plutôt fait mention de seulement quatre frères et sœurs dans sa demande. Mme Sudi avait aussi déclaré que, hormis le demandeur, tous ses frères et sœurs vivaient en Somalie. En outre, elle n’avait aucunement fait allusion à Mme Istahil dans sa demande. Ne sachant pas non plus vraiment si le frère et la sœur demandeurs s’étaient inscrits auprès du HCR à leur arrivée à Nairobi, l’agent a recommandé qu’on les rappelle pour de nouvelles entrevues.

 

[6]               À la deuxième entrevue, le 24 novembre 2011, le demandeur a déclaré qu’il ne s’était pas inscrit auprès du HCR parce que leurs locaux étaient situés trop loin du domicile des amis chez qui il demeurait. Quand on a demandé au demandeur ce qu’il en était de sa sœur, Mme Istahil, il a répondu qu’elle était restée en Somalie. Il a ajouté qu’il avait fui la Somalie avec Mme Sudi cinq jours après l’assassinat de leur père, le 10 août 2007, alors qu’on avait lancé [traduction] « une grosse bombe » dans le marché où celui‑ci travaillait. Des membres d’Al Shabab avaient proféré des menaces à l’endroit du père du demandeur puis l’avaient tué, parce qu’il avait refusé de joindre leurs rangs avec ses enfants. Le demandeur a rectifié la déclaration faite lors de la première entrevue, selon laquelle il avait voyagé avec deux de ses sœurs. Il a affirmé qu’il n’avait pas été lui‑même été victime d’Al Shabab, mais que tous étaient en danger en Somalie. Interrogé au sujet de la déclaration incompatible qu’il avait faite dans sa demande, le demandeur a dit que, comme il l’avait affirmé dans la demande, il avait bien été personnellement victime d’Al Shabab. Le demandeur n’a pas réussi à expliquer non plus comment il avait pu, sans pièces d’identité, demeurer pendant quatre ans au Kenya.

 

[7]               Mme Sudi a affirmé à sa première entrevue qu’elle avait quitté la Somalie après qu’on eut tiré sur son père dans son magasin le 10 août 2007, mais qu’Al Shabab ne l’avait elle‑même jamais inquiétée. Elle a dit avoir voyagé avec le demandeur, Mme Omar, une cousine, ainsi que d’autres personnes. À la deuxième entrevue, Mme Sudi a plutôt déclaré qu’une bombe était tombée sur le magasin de son père et l’avait détruit, le jour même de l’assassinat de son père par des membres d’Al Shabab. Des membres d’Al Shabab avaient menacé la famille et ils avaient dit à Mme Sudi qu’elle ne pourrait avoir le magasin que si elle se joignait à eux. Mme Sudi ayant refusé de le faire, le magasin avait été détruit. À sa deuxième entrevue, Mme Sudi a aussi affirmé qu’elle avait voyagé seule avec le demandeur et avait ensuite rencontré Mme Omar à Nairobi. Mme Omar, toutefois, a déclaré que le père du demandeur et de Mme Sudi était décédé bien avant 2007, lorsqu’elle‑même était encore une enfant. En outre, elle était arrivée seule au Kenya, en 2006. Le seul motif pour lequel elle avait quitté la Somalie pour se rendre au Kenya était que sa tante vivant au Canada lui avait dit qu’elle allait la parrainer. Mme Omar n’avait connaissance d’aucun problème auquel Mme Sudi pouvait être confrontée en Somalie, et elle‑même ne craignait pas d’y retourner.

 

[8]               Tandis que le demandeur a dit que Mme Omar était une cousine, Mme Sudi a plutôt déclaré qu’il s’agissait d’une lointaine parente. Pour sa part, Mme Omar a affirmé que le demandeur et Mme Sudi étaient son oncle et sa tante, et que leur père était son grand‑père.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[9]               La demande de visa du demandeur a été rejetée par lettre datée du 16 décembre 2011, l’agent des visas ayant conclu que le demandeur n’appartenait ni à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. La question déterminante était celle de la crédibilité, la lettre fournissant les précisions suivantes :

[traduction]

Lorsqu’on vous a fait passer l’entrevue, vous avez donné des réponses vagues et avez contredit des renseignements fournis précédemment dans votre demande concernant votre persécution et votre fuite hors de la Somalie. Par conséquent, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, votre témoignage n’est pas crédible.

 

[10]           Les motifs de la décision sont également énoncés dans les notes de l’agent versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI). D’après ces notes, l’agent des visas est arrivé à sa conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de détails insuffisants sur les menaces prétendument proférées par Al Shabab contre le demandeur, d’incohérences entre les déclarations de ce dernier lors de ses entrevues et celles faites par sa sœur et Mme Omar, ainsi que de renseignements confus fournis au sujet de la composition de la famille, de la date d’arrivée et de la date du décès du père du demandeur. En outre, bien que le demandeur ait déclaré avoir fréquemment été victime de harcèlement à Nairobi parce qu’il n’avait pas de papiers, il n’était pas allé s’inscrire auprès du HCR. La date de délivrance du laissez‑passer du gouvernement kenyan faisait également douter de la durée réelle du séjour des demandeurs au Kenya. L’agent des visas a conclu, compte tenu de tous ces facteurs, que le récit du demandeur n’était pas crédible.

 

[11]           L’agent a conclu qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. L’agent a mentionné qu’il avait aussi considéré l’appartenance du demandeur aux catégories des personnes de pays d’accueil et des personnes de pays source, mais avait conclu que celui‑ci ne satisfait aux exigences ni de l’une ni de l’autre.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[12]           Le demandeur concède qu’il y avait des incohérences entre les renseignements figurant dans sa demande et ceux fournis dans sa première et sa deuxième entrevues. Il fait cependant valoir que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui communiquant pas la teneur de l’entrevue de Mme Omar, ce qui lui aurait permis de répliquer, à sa deuxième entrevue, aux propos contradictoires et hautement préjudiciables de celle‑ci. Le demandeur n’a été informé de ces propos qu’au moment où sa sœur, Mme Sudi, en a fait état dans la demande de contrôle judiciaire visant le rejet de sa propre demande de visa (dossier IMM‑5725‑12). Le défendeur reconnaît que l’agent n’a pas communiqué les déclarations de Mme Omar, mais, soutient‑il, cette non‑communication n’a pas eu d’incidence importante sur l’issue de l’affaire.

 

 

[13]           Il s’agit donc de décider dans le cadre de la présente demande, selon moi, si le défaut de divulguer la teneur de l’entrevue de Mme Omar au demandeur et de lui permettre d’y répliquer constituait un manquement à l’équité procédurale justifiant l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire pour nouvel examen.

 

ANALYSE

            Norme de contrôle

 

[14]           Lorsqu’est soulevée une question d’équité procédurale, la Cour doit déterminer si le processus suivi par le décideur respectait le degré d’équité requis en toutes circonstances. La déférence n’est pas de mise envers le décideur à l’égard de telles questions (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 204, au paragraphe 23). Cela correspond à la norme généralement dite de la décision correcte; il ne s’agit pas de savoir si la décision est « correcte », toutefois, mais bien si la procédure suivie était équitable (Ontario (Commissioner Provincial Police) c MacDonald, 2009 ONCA 805, 3 Admin LR (5th) 278, au paragraphe 37; Bowater Mersey Paper Co. c Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 141, 2010 NSCA 19, 3 Admin LR (5th) 261, aux paragraphes 30 à 32). Lorsqu’elles fixent le contenu du devoir d’équité, les cours doivent se garder d’imposer un niveau de formalité procédurale qui puisse nuire indûment à une bonne administration (Khan c Canada (MCI), [2002] 2 CF 413 (CAF)).

 

[15]           Un manquement à l’équité procédurale rendra une décision invalide si, dans le contexte, il porte atteinte à une exigence essentielle du devoir d’équité (Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, aux paragraphes 23 et 24; Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 949 (CAF), au paragraphe 9; Uniboard Surfaces Inc. c Kronotex Fussboden GmbH and Co., 2006 CAF 398 [Uniboard Surfaces], au paragraphe 13). Un manquement à la justice naturelle ne justifiera pas d’annuler la décision du tribunal administratif si malgré la correction de l’erreur l’issue de la cause restait la même. La cour de révision peut faire abstraction d’une atteinte à l’équité procédurale « lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » (W. Wade, Administrative Law (6e éd. 1988), à la page 535, cité dans Mobil Oil Canada Ltd. et al. c Office‑Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, à la page 228, [1994] ACS no 14 (QL) [Mobil Oil]). Il s’agit d’une telle situation par exemple, selon l’arrêt Mobil Oil (à la page 228), lorsque les circonstances de l’affaire soulèvent une question de droit pour laquelle il existe une réponse inéluctable. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

A‑t‑on manqué à l’équité procédurale à l’endroit du demandeur?

 

[16]           Il semble que dans la présente affaire l’agent se soit inquiété du fait que le demandeur, tout comme Mme Omar, s’était rendu depuis peu au Kenya, alors qu’il résidait dans un lieu relativement sûr en Somalie, en raison d’une procédure de parrainage en cours au Canada, et qu’il avait consigné dans la demande de visa des événements qu’il n’avait pas véritablement vécus.

 

[17]           Le demandeur soutient que la présente affaire ressemble à celles qui mettent en cause la « lettre de dénonciation » d’un tiers. Or, la Cour a statué, ajoute le demandeur, qu’il faut divulguer la teneur de telles lettres aux demandeurs pour qu’ils aient ainsi l’occasion d’y répondre (Mozumder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 327, aux paragraphes 2, 6 et 7; Zhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1636, aux paragraphes 14, 15, 29 et 30; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1389, aux paragraphes 29 à 32). Le demandeur fait aussi valoir que l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, pose comme principe (aux paragraphes 59 et 60) que l’information divulguée doit être précise, complète et objective.

 

[18]           Le demandeur affirme qu’il n’a pas à démontrer que le manquement a entraîné une injustice. Il incombe plutôt au défendeur d’établir qu’il n’y a ni préjudice, ni possibilité ou probabilité de préjudice (Kane c Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 RCS 1105, à la page 1116; Uniboard Surfaces, précité, au paragraphe 22). La Cour, ajoute le demandeur, n’est pas en mesure de déterminer si le manquement à l’équité procédurale a pu le désavantager. L’obligation se rapporte à la procédure, non au résultat. Le caractère raisonnable du résultat ne remédie pas à un manquement, qui ne doit pas non plus échapper à tout contrôle du seul fait qu’on n’en admet pas explicitement l’existence dans les motifs.

 

[19]           Le défendeur soutient que l’agent a jugé le demandeur non crédible pour les trois raisons suivantes :

1.         Le demandeur n’a pas expliqué sa crainte de persécution avec suffisamment de détails;

2.         Il y avait d’importantes incohérences entre les déclarations faites par le demandeur, et celles de Mme Sudi et de Mme Omar;

3.         Ne disposant pas de papiers, le demandeur n’est pas allé s’inscrire auprès du HCR dès son arrivée au Kenya.

 

[20]           Le défendeur soutient que, sur le seul fondement de la première et de la troisième raisons, la conclusion relative à la crédibilité était raisonnable et qu’elle doit être maintenue. Le défendeur concède qu’on n’a pas fait part au demandeur des renseignements incompatibles fournis par Mme Omar à son entrevue quant à la date du décès de son père. On a toutefois interrogé le demandeur plusieurs fois au sujet du moment et des circonstances de la mort de son père. Le défendeur reconnaît aussi qu’il aurait mieux valu que l’agent des visas se montre plus précis sur cette question, mais il affirme que cela n’invalide pas la décision parce qu’il ne s’agissait que d’un élément parmi une série de préoccupations concernant le témoignage du demandeur.

 

[21]           Le défendeur cite la décision Musse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 883 [Musse], pour faire valoir que, puisque les incohérences entre les témoignages de Mme Omar et du demandeur n’étaient qu’un élément parmi une série de préoccupations concernant le témoignage de ce dernier, il convient de maintenir la décision. Je ferai toutefois remarquer que, dans la décision Musse, l’agente avait réuni tous les demandeurs, après les avoir interrogés chacun séparément, pour leur demander de répondre à ses préoccupations quant aux incohérences relevées dans leurs divers comptes rendus. Elle ne leur avait cependant pas précisé en quoi consistaient ces incohérences. Tout en concluant qu’il aurait été préférable que l’agente fournisse cette précision, la Cour a estimé que ses préoccupations au sujet de l’identité et des divers récits des événements vécus pendant quatre ans à Addis‑Abeba concernaient tous les demandeurs et qu’elle leur avait donné la chance d’atténuer ces préoccupations. En définitive, le juge O’Reilly n’a pu conclure qu’on avait traité les demandeurs de manière inéquitable.

 

[22]           Dans une affaire semblable qui concernait des demandeurs somaliens apparentés et portait sur des versions des faits incohérentes, le juge O’Keefe a écarté la décision Musse au motif qu’on ne pouvait dire de l’incohérence en cause dans l’affaire dont il était saisi que ce n’était « qu’un élément parmi une série de préoccupations » au sujet de la crédibilité du demandeur. Tant les notes de l’agent que la lettre de rejet mettaient en avant, comme motif principal du rejet de la demande, les contradictions relevées dans la preuve (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 205, au paragraphe 29).

 

[23]           Dans l’affaire découlant du rejet de la demande de visa présentée par la sœur du demandeur en l’espèce, Mme Sudi, le juge Russell a analysé comme suit l’obligation de l’agent des visas de communiquer les renseignements extrinsèques sur lesquels il entend fonder sa décision :

L’argument de la demanderesse repose en fait sur l’allégation que l’agent a omis de communiquer une preuve extrinsèque, définie par le juge Rothstein dans la décision Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 720 [Dasent], au paragraphe 23, comme s’agissant « d’éléments de preuve dont la partie requérante ignore l’existence et que l’agent d’immigration a l’intention d’invoquer pour en arriver à une décision touchant cette partie ». Il est bien établi qu’un agent d’immigration doit communiquer les renseignements extrinsèques sur lesquels il entend fonder sa décision (Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205 (CAF); Haghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 407 (CAF)), y compris les renseignements recueillis lors d’entrevues menées séparément avec des personnes liées à la demande (Dasent, précitée). Cependant, il n’existe aucune obligation de communiquer des renseignements qui ne servent pas d’assise à la décision : Pan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 838, au paragraphe 40; Bavili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 945, au paragraphe 47; voir également Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 FC 1193, aux paragraphes 22 à 26 [Adams].

 

Hasi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1115, au paragraphe 49.

 

 

[24]           Le juge Russell a conclu que Mme Sudi n’avait pas expliqué quelle incidence le défaut de lui divulguer la teneur des entrevues menées avec Mme Omar et avec le demandeur aux présentes avait pu avoir sur les incohérences dans son propre témoignage dont on lui avait fait part à sa deuxième entrevue. Il a conclu que les préoccupations de l’agent au sujet de la crédibilité ne découlaient pas de l’ensemble des propos de Mme Omar, mais bien des incohérences auxquelles on avait confronté la demanderesse, qui n’avait pu en donner aucune explication. Le juge Russell a conclu, par conséquent, qu’aucun aspect de la décision n’était déraisonnable ou inéquitable sur le plan de la procédure.

 

[25]           En l’espèce, les notes versées au STIDI de l’agent font état des motifs de décision suivants :

[traduction]

a)         Le demandeur principal n’a pas donné assez de détails ou de précisions au sujet des menaces portées contre lui; il a souvent fallu pousser le DP à fournir plus d’informations, et celui‑ci a formulé des réponses vagues. Il est déclaré dans la demande que des insurgés d’Al Shabab ont tué le père parce qu’il ne voulait pas joindre leurs rangs. On y ajoute qu’on a demandé à ses enfants d’effectuer des missions comme bombes humaines et qu’on a cherché à enrôler le DP dans Al Shabab. À son entrevue, le DP a déclaré à tour de rôle qu’Al Shabab avait tenté de recruter son père, ses frères et lui‑même, puis que cette organisation ne lui avait jamais causé de problèmes.

 

b)         Il y a d’importantes incohérences entre les déclarations faites par le DP, sa demi‑sœur et Faduma en entrevue. Faduma a dit que le père du DP était mort alors qu’elle était encore enfant, des années avant 2007. Le DP déclare que son père est décédé en 2007. Le DP a dit à sa première entrevue qu’il était venu avec sa sœur Sudi et Istahil. Le DP déclare aujourd’hui qu’il est venu avec Sudi et qu’Istahil est en Somalie. Les incohérences entre les témoignages dans les trois affaires liées rendent peu clairs des éléments comme la composition de la famille, les dates d’arrivée et la date de décès du père.

 

c)         Le DP déclare qu’il a fait fréquemment l’objet de harcèlement à Nairobi parce qu’il n’avait pas de papiers; pourtant, même s’il y est depuis quatre ans, il ne s’est pas inscrit auprès du HCR, qui reconnaît pourtant le statut de réfugié présumé des Somaliens. Cela soulève des doutes quant à la durée de son séjour au Kenya.

 

[Caractères gras ajoutés.]

 

[26]           Il est manifeste que l’agent s’est fondé sur les contradictions existant entre les renseignements sur le décès du père fournis par le demandeur et Mme Omar dans leurs témoignages. Lors de son entrevue, Mme Omar a répondu avec une étonnante franchise aux questions posées sur ses motifs pour demander un visa et sur l’histoire de la famille en Somalie, et une bonne part de ses réponses contredisaient les témoignages du demandeur et de sa sœur. Mme Omar a notamment déclaré que le père du demandeur, son propre grand‑père, était décédé alors que Siad Barre était au pouvoir, ce qui voudrait dire avant 1991. De plus, la famille vivait à Galkacyo, située dans une région relativement calme, et non à Mogadiscio comme le prétendait le demandeur. Mme Omar ne savait rien de l’allégation contenue dans sa demande, selon laquelle elle cherchait à obtenir un visa en raison d’un attentat perpétré par Al Shabab en 2007. Elle ne croyait pas non plus que sa tante, Mme Sudi, avait eu des problèmes en Somalie, parce que dans ce cas elle en aurait entendu parler.

 

[27]           Le décès du père était une composante importante du récit du demandeur, qui a dit avoir fui la Somalie peu après ce décès – précédé de menaces à l’endroit de sa famille – aux mains de membres d’Al Shabab à Mogadiscio, en 2007. Comme l’incohérence flagrante à ce sujet entre les témoignages du demandeur et de Mme Omar se rapportait à la question au cœur même de la demande d’asile, soit la persécution par Al Shabab, le défaut de communiquer la preuve extrinsèque et de fournir l’occasion d’y réagir ne constituait pas une omission mineure. L’agent aurait dû faire part de cette incohérence au demandeur s’il comptait y fonder sa décision. Cette incohérence n’était pas le seul motif invoqué par l’agent dans sa décision. Les notes du STIDI font état d’autres préoccupations quant à la crédibilité du demandeur qu’on n’a pas atténuées de manière satisfaisante. Les déclarations sur le décès du père du demandeur ont toutefois donné lieu à l’incohérence la plus flagrante.

 

[28]           Il se peut qu’en l’espèce l’agent des visas ait estimé ne pas pouvoir communiquer les renseignements obtenus de Mmes Sudi et Omar au demandeur en raison des restrictions à la divulgation des renseignements personnels prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21 [La LPRP]. On précise dans Survol de l’échange de renseignements, le guide opérationnel IN 1 de CIC, que les renseignements concernant une personne contenus dans les dossiers d’immigration sont des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la LPRP. Or, selon l’article 8 de cette loi, les renseignements personnels ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement écrit de l’individu qu’ils concernent, que pour certaines fins précises autorisées par une loi ou un règlement fédéral. Bien que la LIPR et son règlement d’application autorisent l’échange de renseignements sans consentement écrit dans certaines circonstances, il ne semble pas que les circonstances en l’espèce le permettent.

 

[29]           L’agent ne pouvait tout simplement faire abstraction des contradictions flagrantes existant entre les témoignages des trois demandeurs liés. En l’occurrence, il aurait mieux valu que l’agent des visas réunisse les trois demandeurs pour discuter avec eux des incohérences, comme on l’avait fait dans l’affaire Musse. Je note que l’agent ayant procédé à la première entrevue du demandeur a recommandé qu’on leur fasse passer une nouvelle entrevue, à lui et à Mme Sudi, le même jour. Cela ne semble pas avoir été fait. Quoi qu’il en soit, les plus graves incohérences étaient celles entre les témoignages du demandeur et de Mme Omar. Je reconnais qu’il aurait pu s’avérer difficile de faire part de ces incohérences au demandeur sans lui divulguer des renseignements personnels concernant Mme Omar, mais on aurait pu lui faire connaître l’essentiel de la préoccupation sans en révéler la source. Cela semble être ce que, selon le juge Blanchard, on aurait pu faire dans l’affaire Zhong (précitée, au paragraphe 29), sans divulguer l’auteur de la lettre de dénonciation.

 

[30]           Tel que l’affirme le demandeur, la présente affaire ne soulève pas une question de droit pour laquelle il existe réponse inéluctable, comme dans Mobil Oil, précité, et l’agent des visas ne serait pas tenu en droit de rejeter la demande lors d’un nouvel examen. Le demandeur maintenant au fait des renseignements incompatibles et de leur source sera peut‑être en mesure de fournir une explication crédible. Pour ce motif, j’accueillerai la demande.

 

Question certifiée

[31]           Le demandeur a proposé la certification de la question suivante :

[traduction]

Lorsque l’agent des visas manque à l’obligation d’équité envers un demandeur, alors qu’il est saisi d’une demande fondée sur l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières, ou à la catégorie précisée des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières,

a) faut‑il annuler la décision rendue même quand ce redressement est apparemment futile, dans la mesure où l’agent des visas n’est pas tenu en droit de rejeter la demande lors d’un nouvel examen? ou

b) la décision peut‑elle être maintenue dans la mesure où le manquement à l’obligation d’équité n’a pas une incidence importante sur la décision et où celle‑ci dans l’ensemble, mis à part tout élément touché par le manquement, est raisonnable?

 

[32]           Le défendeur s’oppose à la certification de la question proposée, soutenant qu’il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale. Tout manquement à l’équité procédurale ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle, et la réponse à la question du demandeur dépend des faits de chaque affaire. Je suis d’accord.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et l’affaire renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM‑12346‑12

 

INTITULÉ :

ABDIQANI MOHAMED HASHI

 

c

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 22 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 19 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

David Matas

POUR LE DEMANDEUR

 

Aliyah Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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