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Date : 20140213


Dossier :

IMM-4956-13

 

Référence : 2014 CF 123

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ABOUBACAR DIARRA

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               La Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ayant conclu que le document principal était frauduleux et en l’absence de preuve corroborante étayant par ailleurs l’authenticité des autres documents, n’a pas été déraisonnable en concluant que les autres documents avaient peu de poids pour établir l’identité du demandeur.
II. Introduction

[2]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 13 juin 2013, par laquelle la SPR a déterminé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur affirme s’appeler Aboubacar Diarra, être citoyen de la Côte d’Ivoire et être né en 1995.

 

[4]               Le demandeur soutient que son père, un homme d’affaires très en vue à Abobo, en Côte d’Ivoire, était membre du Front populaire ivoirien et qu’il était un ardent partisan de l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo.

 

[5]               Selon le demandeur, en mars 2010, pendant les élections nationales, son père a participé à des manifestations et a été arrêté par les hommes du nouveau président. Le demandeur n’a pas eu de nouvelles de son père depuis.

 

[6]               Le demandeur soutient qu’après l’arrestation de son père, sa famille et lui ont reçu des menaces de mort et ont dû quitter le foyer familial pour aller vivre avec sa belle‑mère. Peu de temps après, le demandeur, avec l’aide d’un ami de la famille, a quitté le pays pour venir au Canada.

 

[7]               Le demandeur est arrivé au Canada le 18 mars 2012, ayant sur lui trois pièces d’identité : un certificat de nationalité ivoirienne, une attestation d’identité et un extrait du registre des actes de l’état civil pour l’année 1995 (Dossier du demandeur, vol. 1, aux pages 348 à 351).

 

[8]               Le 15 avril 2012, le demandeur a présenté une demande d’asile.

 

[9]               La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur le 13 juin 2013. Il s’agit de la demande sous‑jacente dont est saisie la Cour.

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           Dans sa décision, la SPR a déterminé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, étant donné qu’il n’était pas en mesure de prouver son identité.

 

[11]           Après examen de la preuve documentaire, y compris un rapport d’expertise documentaire fourni par l’Agence des services frontaliers du Canada [le Rapport], la SPR a conclu que le seul document principal du répondant, soit l’attestation d’identité, ne présentait pas les caractéristiques que l’on trouve dans les documents de ce type lorsqu’ils sont authentiques. Comme l’authenticité du document soulevait de sérieux doutes, celui‑ci a été considéré comme étant frauduleux.

 

[12]           En outre, la SPR a conclu que les autres éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur étaient tertiaires et qu’ils n’étaient pas suffisants pour établir l’identité du demandeur.

 

[13]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas expliqué de façon convaincante la façon dont il avait obtenu les documents tertiaires, ni les étapes qui avaient mené à l’obtention des documents d’identité qui lui manquaient.

 

[14]           Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

V. Question en litige

[15]           La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas réussi à établir son identité est‑elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[16]           L’article suivant de la LIPR est pertinent :

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

[17]           Les Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256) prévoient également ce qui suit :

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

VII. Norme de contrôle

[18]           Les conclusions de fait de la SPR eu égard à l’identité commandent l’application de la norme de la décision raisonnable (Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 377; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 969; Najam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 425).

 

[19]           Par conséquent, la Cour doit s’intéresser « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et se demander si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

VIII. Analyse

[20]           Le demandeur fait valoir que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire qu’il a présentée pour établir son identité et en concluant que, parce qu’un document était frauduleux, les autres pièces d’identité devaient être rejetées.

 

[21]           Dans un cas comme dans l’autre, la Cour n’est pas d’avis que la SPR a commis une erreur.

 

[22]           La Cour a déterminé à de multiples reprises que la question de l’identité se situait au cœur de l’expertise de la SPR; par conséquent, la Cour doit se garder de simplement reconsidérer l’avis de la SPR. Comme l’affirme la juge Mary Gleason dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319 :

[48]      […] Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. [Non souligné dans l’original.]

 

[23]           En ce qui a trait au certificat de nationalité du demandeur, la SPR a conclu que le document présentait différentes caractéristiques que l’on trouve généralement dans les documents contrefaits. Par exemple, le demandeur a présenté le document même si les empreintes digitales y figurant n’étaient pas les siennes. En outre, le document était de mauvaise qualité en général, et plusieurs éléments donnaient à penser qu’il avait été falsifié. La Cour est d’avis qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’accorder peu de poids à ce document pour établir l’identité du demandeur.

 

[24]           Le demandeur fait valoir qu’en dépit des préoccupations que soulevait l’attestation, la SPR n’aurait pas dû tenir compte des conclusions du Rapport, car les résultats qui y figurent ont été jugés « peu concluants ». Cet argument n’est pas valable. À la lumière de Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 743, « L’analyse judiciaire d’un document qui mène à un résultat “peu concluant” (en particulier lorsque des problèmes précis sont relevés relativement au document) n’établit pas son authenticité » (au paragraphe 12) [Souligné dans l’original.]. Dans le cas qui nous intéresse, le Rapport établit clairement que le document comporte des lacunes importantes, et bien que les résultats relatifs à l’authenticité du document soient peu concluants, il n’en demeure pas moins que celui‑ci est [traduction] « considéré comme ayant été falsifié, et donc comme étant frauduleux » (rapport d’expertise documentaire, Dossier certifié du Tribunal [DCT], à la page 327). Lorsque la preuve révèle qu’un document a été falsifié, la SPR a le droit de ne lui accorder aucune valeur (Saleem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 389, au paragraphe 37).

 

[25]           En ce qui a trait aux autres documents d’identité du demandeur, soit le certificat de nationalité et l’acte de naissance, la Cour conclut également que les conclusions de la SPR étaient raisonnables.

 

[26]           La SPR, ayant conclu que le document principal était frauduleux et en l’absence de preuve corroborante étayant par ailleurs l’authenticité des autres documents, n’a pas été déraisonnable en concluant que les autres documents avaient peu de poids pour établir l’identité du demandeur.

 

[27]           Comme le défendeur le souligne avec justesse, la SPR n’a pas rejeté ces documents pour le seul motif que l’attestation était considérée comme un document frauduleux. Les deux documents semblaient pouvoir avoir été falsifiés et, donc, ils étaient susceptibles d’être frauduleux. Par exemple, ils étaient anormalement abîmés et ils étaient de piètre qualité. La SPR avait des doutes sérieux quant à la crédibilité du demandeur en général. Ces doutes, combinés au dilemme important soulevé par la question de l’identité, faisaient en sorte qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que ces documents étaient insuffisants pour établir l’identité du demandeur.

 

[28]           En dernier lieu, le Cour n’est pas d’accord avec le demandeur pour dire que la SPR n’a pas tenu compte de son certificat d’études ni de l’acte de décès de sa mère.

 

[29]           Dans ses motifs, la SPR a expressément déclaré que le certificat d’études était un document tertiaire ne pouvant être associé hors de tout doute au demandeur (au paragraphe 12). Le document ne présentait pas les caractéristiques qui auraient permis de l’associer au demandeur et il ne permettait aucunement de valider sa nationalité.

 

[30]           La Cour convient que la SPR n’a pas fait expressément mention de l’acte de décès de la mère du demandeur dans ses motifs; cela dit, cette omission de mentionner un document tertiaire ne rend pas déraisonnable la décision de la SPR en soi. Il ressort clairement de la jurisprudence que la SPR n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve, particulièrement si elle a conclu que la demande sous‑jacente du demandeur est peu crédible (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux paragraphes 14 à 17). Il est manifeste en l’espèce que la SPR a tenu compte de la valeur probante du document avant de rendre sa décision (transcription de l’audience, DCT, aux pages 410 à 412).

 

[31]           La Cour conclut que la SPR a fondé sa décision sur l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Compte tenu de l’absence de documents d’identité valables, elle avait le loisir de rejeter les explications du demandeur et de mettre en doute sa crédibilité au motif qu’il n’avait pas fourni ces documents.

 

[32]           Il est bien établi en droit que dans les situations où le demandeur n’a pas établi son identité, une conclusion défavorable eu égard à la crédibilité sera presque inévitablement tirée et pourra en soi être déterminante (Uwitonze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 61, 403 FTR 217, au paragraphe 32; Morka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 315, au paragraphe 10; Rahman v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1495, aux paragraphes 22 et 23).

 

[33]           En l’espèce, les documents d’identité du demandeur comportaient un certain nombre de lacunes qui ont été clairement établies. Celles‑ci ont eu une incidence importante sur la conclusion générale de la SPR concernant la crédibilité, et elles ont en fin de compte porté un coup fatal à la demande du demandeur. La décision de la SPR appartient aux issues possibles acceptables.

 

IX. Conclusion

[34]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-4956-13

 

INTITULÉ :

ABOUBACAR DIARRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 29 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

            LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 13 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Warren Puddicombe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

François Paradis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Droit de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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