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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20140204

 

Dossier : IMM-4020-13

 

Référence : 2014 CF 110

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

 

SANDOR ANDRAS RADICS,

ANDREA KUNYU, LASZLONE RADICS,

ET JAZMIN RADICS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

         MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

[1]               La Cour est saisie d'une demande judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d'une décision par laquelle M. Harry Dortelus, de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], a conclu que Sandor Andras Radics [le demandeur principal], Andrea Kunyu, Laszlone Radics et Jazmin Radics [les demandeurs] n'avaient ni la qualité de réfugiés au sens de l'article 96 de la LIPR ni celle de personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

II.        Les faits

[2]               Les demandeurs sont tous les quatre des citoyens de la Hongrie. Ils ont demandé l'asile et le statut de personnes à protéger en invoquant leurs origines ethniques romes et en affirmant que leurs origines les auraient exposés à de la discrimination, du racisme et un harcèlement constants.

 

[3]               Le demandeur principal et son épouse, Andrea Kunyu, ont une fille, Jazmin Radics. Laszlone Radics est la mère du demandeur principal.

 

[4]               Au cours des dernières années, les demandeurs se seraient vu refuser des emplois et auraient été victimes de plusieurs incidents racistes en raison de leurs origines romes. En particulier, les demandeurs affirment qu'ils ont été interceptés et condamnés à des amendes par la police, qu'ils ont été blessés par un voisin, qu'on leur a interdit l'accès à bord d'un autobus, qu'ils ont été agressés par une bande de voyous alors qu'ils voyageaient à bord d'un autobus et qu'une bombe fumigène a été lancée à l’intérieur de la maison familiale en novembre 2011.

 

[5]               Les demandeurs ont quitté la Hongrie pour le Canada en mai 2012 et ils ont demandé l’asile.

 

III.       Décision à l'examen

[6]               La SPR s'est dite convaincue quant à l'identité des quatre demandeurs.

 

[7]               Le demandeur principal agissait en qualité de représentant désigné de sa fille, Jazmin Radics.

 

[8]               La SPR a rejeté la demande d'asile au motif que les demandeurs n'avaient pas soumis d'éléments de preuve crédibles et qu’ils n'avaient pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l'État dans leur pays d'origine. La SPR s'est également dite d'avis que les demandeurs pouvaient se prévaloir d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Budapest.

 

[9]               La SPR a conclu que la version des faits des demandeurs n'était pas crédible parce qu'ils n'avaient pas soumis d'éléments de preuve corroborants au sujet des incidents de discrimination dont ils affirmaient avoir été victimes en Hongrie. La SPR a également conclu que les demandeurs n'avaient pas fait les efforts nécessaires pour obtenir ces éléments de preuve.

 

[10]           Le demandeur principal, son épouse et Mme Laszlone Radics, la mère du demandeur principal, ont témoigné au sujet des incidents qu'ils avaient respectivement vécus. Le demandeur principal et son épouse ont affirmé qu’ils avaient signalé les incidents à la police. Interrogés sur le sujet par la SPR, ils ont tous les deux déclaré qu'ils avaient tenté d'obtenir leur rapport respectif – c'est‑à‑dire des rapports de police ou des dossiers d'hospitalisation – et qu'aucun de ces documents ne leur avait été communiqué parce que les autorités ne voulaient pas produire de documents qui révéleraient les difficultés avec lesquelles la population rome est aux prises. La SPR a rejeté cette explication en se fondant sur d'autres cas mettant en cause des demandeurs d'asile hongrois, ajoutant que si les incidents en question avaient été graves, des documents auraient été disponibles en Hongrie, étant donné qu'il s'agit d'un pays démocratique qui fait partie de l'Union européenne. Dans le même ordre d'idées, la SPR a conclu que les demandeurs n'avaient soumis aucun élément de preuve concernant l'incident de novembre 2011 au cours duquel une bombe fumigène aurait été projetée à l’intérieur de leur domicile. Là encore, interrogé au sujet de l'existence d'un rapport de police, le demandeur principal a répondu qu'il avait fait un signalement, mais qu'il n'avait pas réussi à obtenir le rapport de la police.

 

[11]           La SPR a ensuite examiné la notion de persécution en rapport avec les incidents allégués au soutien de la demande d'asile, mais elle a finalement conclu que, bien qu'il existe en Hongrie de graves problèmes de racisme et de discrimination contre la population rome, elle n'était pas en mesure, à défaut d'autres éléments de preuve, de déterminer si les incidents en question équivalaient à de la persécution.

 

[12]           La SPR a conclu que les demandeurs avaient une vie stable et qu'ils vivaient dans un milieu socialement stable, étant donné que le demandeur principal a habité toute sa vie chez sa mère, qu'il a huit années de scolarité et qu'il avait pu travailler pendant une dizaine d'années avant de perdre son emploi en 2002. L'épouse du demandeur principal a 12 années de scolarité et avait pu travailler à l'occasion. Elle affirme qu'il était trop difficile pour elle de travailler, mais elle n'a soumis aucun élément de preuve pour démontrer qu'elle était inapte au travail en raison de la discrimination dont elle faisait l'objet du fait de ses origines romes.

 

[13]           Enfin, la SPR s’est penchée sur la question de la protection de l'État et a examiné divers éléments de preuve concernant l'efficacité du système judiciaire en Hongrie. La SPR a finalement conclu que les demandeurs n'avaient invoqué aucun motif sérieux justifiant leur crainte d'être persécutés ou torturés ou de voir leur vie menacée ou de subir des traitements ou des peines cruels et inusités s'ils devaient retourner en Hongrie puisque, faute de preuves suffisantes, ils n'avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l'État ne serait pas en mesure de les protéger.

 

IV.       Prétentions et moyens des demandeurs

[14]           Les demandeurs soutiennent que la décision par laquelle la SPR a rejeté leur demande d'asile est déraisonnable parce que la SPR a mal interprété la preuve et a commis une erreur en concluant à l'existence d'une protection de l'État en Hongrie.

[15]           Les demandeurs affirment tout d’abord que la SPR a commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborants. Les demandeurs affirment que des conclusions défavorables ne peuvent être tirées du seul fait qu'ils n'ont pas réussi à obtenir des éléments de preuve corroborants et que la SPR ne pouvait rejeter leurs explications sans mentionner la preuve documentaire. En fait, la SPR n'a invoqué aucun autre motif pour expliquer pourquoi elle mettait en doute la crédibilité des demandeurs et, en l'espèce, la preuve documentaire et le témoignage des demandeurs confirmaient bien leurs explications en ce qui a trait à l’impossibilité pour eux d’obtenir les rapports de police.

[16]           Les demandeurs affirment également que la SPR a commis une erreur parce qu'elle n'a pas tenu compte des éléments de preuve concernant la persécution dont avaient été victimes des personnes se trouvant dans une situation semblable à la leur. En fait, les demandeurs n'avaient pas à prouver qu'ils avaient déjà été personnellement victimes de persécution, étant donné que l'analyse doit être axée sur l'avenir. En concluant que l'absence d'éléments de preuve corroborants lui permettait de conclure que la persécution était impossible, la SPR n'a pas examiné la question de savoir si les éléments de preuve concernant la population rome en Hongrie confirmaient la justesse de la crainte de persécution des demandeurs, en tenant notamment compte du fait que la SPR venait d’accueillir la demande d'asile présentée par le frère du demandeur principal sur le fondement de faits semblables. Le témoignage et la preuve documentaire des demandeurs confirment en réalité que la population rome de Hongrie est exposée à des agressions, à de la discrimination et à du harcèlement, mais aucun des éléments de preuve en question ne figure dans l'analyse effectuée par la SPR au sujet du bien-fondé de la crainte de persécution.

[17]           Les demandeurs affirment aussi que la SPR a mal interprété la preuve en concluant que les demandeurs avaient été en mesure de travailler pendant une longue période de temps. Le demandeur n'a pas travaillé depuis plus de 10 ans, son épouse n'a pratiquement jamais travaillé et la mère du demandeur principal ne travaille plus depuis plus de 30 ans. Les demandeurs sont prestataires d'aide sociale, mais ils devaient travailler à des projets de travaux publics pour conserver leurs prestations d'aide sociale et affirment que ce n’est pas parce qu’ils avaient accès à une aide financière de l'État qu’ils n’étaient pas pour autant victimes de discrimination au travail. De plus, les projets de travaux publics en question sont eux‑mêmes discriminatoires à l'égard des Roms. Les demandeurs ont expliqué qu'ils n'avaient pas été en mesure de se trouver du travail en raison de leurs origines romes, ajoutant que la preuve documentaire soumise appuyait cette affirmation.

[18]           Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en concluant à l'existence d'une protection de l'État en Hongrie. Dans sa décision, la SPR a relevé plusieurs problèmes sérieux en ce qui a trait à la capacité de la Hongrie de protéger ses citoyens roms, mais elle a néanmoins conclu que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l'État, sans motiver sa conclusion. De plus, dans son analyse de la protection de l'État, la SPR aurait dû se concentrer sur l'efficacité opérationnelle de la protection en question. Toutefois, suivant la preuve documentaire, il est évident que le gouvernement hongrois n'a pas réussi à protéger ses citoyens roms, et la SPR ne pouvait ignorer des éléments de preuve aussi cruciaux.

 

V.        Prétentions et moyens du défendeur

[19]           Le défendeur affirme que la décision de la SPR était raisonnable et que, même si les demandeurs sont de toute évidence en désaccord avec les conclusions tirées par la SPR, ils n'ont pas précisé en quoi la décision de la SPR était déraisonnable.

 

[20]           Premièrement, il incombait aux demandeurs de présenter des éléments de preuve crédibles pour justifier leur demande. Or, les demandeurs n'ont fourni aucun élément de preuve corroborant ― en l'occurrence, des documents d'hospitalisation ― pour établir l'élément central de leur demande, de sorte qu'il était loisible à la SPR de tenir compte de cette omission et des explications données lorsqu’elle appréciait la demande d’asile. Dans ces conditions, la SPR avait le droit de tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité des demandeurs. La SPR a rejeté les explications données par les demandeurs pour justifier leur omission de produire des éléments de preuve corroborants parce que, selon ses connaissances spécialisées, la SPR estimait qu’on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ces éléments de preuve soient disponibles, surtout compte tenu de la gravité du présumé incident. De plus, le demandeur principal s'était montré réticent à répondre aux questions relatives à l'incident de la bombe fumigène et il y avait lieu de faire preuve d'un degré élevé de retenue judiciaire avant de sanctionner les conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité en rapport avec les observations formulées à l'audience, étant donné qu'il est de jurisprudence constante que, comme elle a vu et entendu les demandeurs, la SPR est mieux placée pour en apprécier la crédibilité.

 

[21]           Deuxièmement, le défendeur affirme que les demandeurs n'ont pas été victimes de discrimination équivalant à de la persécution. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que, bien que la situation en Hongrie ne soit pas parfaite, le traitement dont les citoyens roms font l'objet ne constitue pas de la persécution, parce que des mesures ont été adoptées par le gouvernement pour s'attaquer au problème. Les conclusions de la SPR visaient le fondement objectif de la demande d'asile des demandeurs et elles étaient par conséquent raisonnables, étant donné qu'elles reposaient essentiellement sur les faits. En outre, la preuve soumise était insuffisante pour démontrer que l’incapacité alléguée des demandeurs de se trouver du travail équivalait à de la persécution. La SPR n'est pas non plus liée par les décisions rendues par d'autres commissaires, puisque chaque cas est un cas d'espèce.

 

[22]           Troisièmement, les demandeurs n'ont pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l'État en Hongrie. La Hongrie est une démocratie fonctionnelle et non un État qui connaît un effondrement complet. Elle est donc présumée être en mesure de protéger ses citoyens. La situation en Hongrie n'est pas parfaite, mais des mesures ont été prises pour mieux protéger les citoyens roms. Par conséquent, les demandeurs devaient présenter des éléments de preuve pertinents, fiables et très convaincants, ce qu'ils n'ont pas fait. De fait, suivant la preuve, ils ont obtenu de l'aide chaque fois qu'ils en ont demandé. Malheureusement pour eux, les demandeurs n'ont pas fourni aux autorités des renseignements suffisants pour justifier la poursuite des enquêtes. Il est de jurisprudence constante que l'on ne doit pas appliquer une norme trop exigeante en matière de protection de l'État, car il serait déraisonnable et irréaliste de s'attendre à ce que les autorités soient en mesure d'empêcher tout acte raciste commis au hasard.

 

[23]           Le défendeur termine en reconnaissant que la décision de la SPR aurait pu être plus claire et plus détaillée, mais ajoute qu'elle appartient quand même aux issues possibles acceptables.

 

VI.       Réplique des demandeurs

[24]           Dans leur réplique, les demandeurs affirment également que la SPR a commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborants, alors qu'elle ne s’était même pas livrée à quelque analyse que ce soit des éléments de preuve pertinents. La SPR n'a pas pris acte des éléments de preuve qui contredisaient ses propres conclusions, et les motifs qu’elle a exposés sont par conséquent insuffisants. De plus, les demandeurs réaffirment que, suivant la jurisprudence, la SPR commet une erreur justifiant l'infirmation de sa décision lorsqu'elle omet de tenir compte d'éléments de preuve portant sur des personnes se trouvant dans une situation semblable. Les demandeurs ajoutent qu'ils ont soumis des témoignages fouillés à ce sujet. S'agissant de la discrimination, les demandeurs affirment qu'ils ont été victimes de discrimination en matière d'emploi, et ils ajoutent que la SPR aurait dû tenir compte des obstacles à leur capacité de gagner leur vie. Enfin, en ce qui concerne la conclusion relative à la protection de l'État, les demandeurs avancent que la SPR n'a pas indiqué en quoi ils n'avaient pas réfuté la présomption de la protection de l'État.

 

VII.     Question en litige

[25]           La décision de la SPR de refuser les demandes d'asile des demandeurs était‑elle raisonnable? Cette question implique l'examen des deux sous‑questions suivantes :

1.      La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs ou de la preuve?

 

2.      La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l'État en Hongrie?

 

VIII.    Norme de contrôle

[26]           Les deux parties s'entendent pour dire que la décision de la SPR est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Comme elles portent sur des questions de fait, les conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité et son appréciation de la preuve doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), 160 NR 315, au paragraphe 4, voir également Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir], et Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 FC 1147, [2010] ACF no 1418, au paragraphe 25). Les conclusions tirées par la SPR au sujet de la protection de l'État sont également assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; voir également Paradi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 996, [2013] ACF no 1095, au paragraphe 40).

 

[27]           Par conséquent, la Cour doit faire preuve d'un degré élevé de retenue à l’égard de la décision de la SPR et elle ne doit intervenir que si les conclusions tirées par la SPR sont déraisonnables ou n'appartiennent pas « aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit » [Dunsmuir, précité, au paragraphe 47].

 

IX.       Analyse

[28]           La décision de la SPR est raisonnable pour les motifs suivants et l'intervention de notre Cour n'est pas justifiée.

A.     La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs ou de la preuve?

[29]           La Cour conclut que la SPR n'a pas commis d'erreur dans les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité des demandeurs et qu'elle n'a pas commis d'erreur dans son appréciation de la preuve.

 

[30]           Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur justifiant l'infirmation de sa décision en concluant que les demandeurs n'étaient pas crédibles. D'ailleurs, la SPR a mis en doute la véracité de la version des faits des demandeurs parce qu'elle avait tiré une importante conclusion défavorable du fait qu'ils n'avaient présenté aucun élément de preuve corroborant au sujet des incidents de persécution qu'ils affirmaient avoir vécus en Hongrie. Comme les demandeurs le font observer à juste titre dans leur mémoire, [traduction] « le défaut de fournir des documents corroborants ne constitue un facteur dont la [SPR] peut tenir compte que lorsqu'il existe des raisons sérieuses de mettre en doute la crédibilité du demandeur d'asile ou lorsque [la SPR] n'accepte pas les explications fournies par le demandeur pour justifier son omission de produire les éléments de preuve dont on se serait raisonnablement attendu à ce qu'ils soient disponibles » [non souligné dans l'original]. Bien que cette affirmation – qui ne fait que reprendre le paragraphe 10 du jugement Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, [2004] ACF no 62) [Amarapala] – soit vraie, la question en l'espèce semble toutefois découler du passage souligné de l’extrait précité : les demandeurs affirment que leur témoignage et la preuve documentaire qu'ils ont présentés expliquaient de façon raisonnable la raison pour laquelle ils n'avaient pas été en mesure de se procurer les divers rapports qu'ils avaient demandés aux autorités, tandis que le défendeur affirme que les demandeurs n'ont tout simplement pas fait d'effort raisonnable pour obtenir ces documents.

 

[31]           À cet égard, la Cour est d'avis que la SPR n'a pas commis d'erreur en concluant que l'absence d'éléments de preuve corroborants minait la crédibilité des demandeurs. D'une part, il ressort d'une simple lecture de la décision contestée que la SPR ne s’est pas contentée de reprocher aux demandeurs de ne pas avoir produit les divers rapports demandés. En fait, la SPR a conclu que le demandeur principal s'était montré [traduction] « très réticent » dans son témoignage au sujet des événements qu'il affirmait avoir vécus, allant même jusqu'à préciser, dans ses motifs, qu'il avait fallu poser la même question trois fois avant que le demandeur principal ne donne une réponse, réponse que la SPR a finalement jugée non crédible. En ce qui concerne cette conclusion tirée au sujet de la crédibilité, la SPR, qui a vu et entendu les demandeurs, est incontestablement mieux placée que la Cour pour apprécier la crédibilité des demandeurs (Navaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 856, [2011] ACF no 1066, au paragraphe 22 [Navaratnam]), de sorte que notre Cour doit faire preuve d'un degré élevé de retenue judiciaire (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 551, 240 NR 376). J'ai lu à quelques reprises l'extrait pertinent de la transcription dans le présent dossier et, bien que l'on ne puisse trancher la question avec autant de certitude que la SPR, la conclusion de la SPR reposait sur les faits. En pareil cas, la juridiction de révision doit s'abstenir d'intervenir pour se prononcer sur la façon dont un témoignage s'est déroulé. Par ailleurs, vu cette conclusion, on ne saurait dire que la SPR a tiré ses conclusions au sujet de la crédibilité « uniquement » en se fondant sur le défaut des demandeurs de produire des documents, étant donné que ses conclusions reposaient aussi sur des témoignages. Qui plus est, le juge Rennie, de notre Cour, a réitéré récemment le principe invoqué par les demandeurs que l'on trouve dans le jugement Amarapala. Voici ce que le juge Rennie a déclaré :

 

6          Des conclusions négatives ne peuvent être tirées du seul fait que le demandeur n’a pas produit de documents corroborants : Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12. Il est possible que la Commission ait cherché à effectuer son analyse de façon à ce que l’exception à ce principe s’applique, à savoir que le défaut de produire des documents corroborants doit être pris en compte lorsqu’elle rejette les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’a pas produit cette preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse. Si c’est le cas, elle aurait dû préciser la nature des documents qu’elle s’attendait à recevoir et tirer une conclusion à cet effet.

(Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 849, [2011] ACF no 1048, au paragraphe 6 [Rojas]).

 

[32]           En l'espèce, même si la SPR a fondé ses conclusions au sujet de la crédibilité sur « l'exception à ce principe » susmentionné, il n'en demeure pas moins qu'elle a rejeté l'explication fournie par les demandeurs pour justifier leur défaut de produire des éléments de preuve dont on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'ils soient disponibles. La SPR a conclu que les demandeurs n'avaient pas produit de documents corroborants sur un aspect crucial de leur demande d'asile, en l'occurrence les dossiers établis à la suite de l’hospitalisation alléguée de Mme Kunyu. De plus, la SPR a conclu qu'à la lumière de sa vaste expérience en matière de demandes d'asiles présentées par des Hongrois, on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ces documents soient disponibles. En ce qui concerne les dossiers médicaux, la SPR a précisé que, dans de nombreuses autres affaires portant sur des demandeurs d'asile hongrois, elle avait reçu des documents que les hôpitaux hongrois fournissaient volontiers aux demandeurs d'asile, de sorte qu'au moins une partie des documents en question aurait dû être disponible, compte tenu en particulier de la gravité de l’incident allégué. Le demandeur ne conteste pas les conclusions relatives aux dossiers hospitaliers. Ces conclusions ont également une incidence sur la crédibilité du demandeur principal. Sa version des faits à cet égard a été jugée non crédible (dossier certifié du Tribunal, aux pages 368 et 369).

 

[33]           Il est également de jurisprudence constante qu'il incombe au demandeur de produire des éléments de preuve à l'appui de sa demande (El Jarjouhi c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF no 466, 48 ACWS (3d) 790, au paragraphe 7). De plus, l'article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, précise que les demandeurs d'asile qui ne fournissent pas de documents acceptables doivent expliquer pourquoi ils ne l'ont pas fait et expliquer les démarches qu'ils ont entreprises pour les obtenir. De plus, compte tenu du fait que les demandeurs n'ont soumis aucun élément de preuve personnel malgré le fait qu'ils avaient l'obligation de le faire, il était certainement loisible à la SPR de conclure, compte tenu de cette omission et des explications fournies, que la version des faits des demandeurs n'était pas crédible (voir, par exemple, Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 393, [2010] ACF no 437, au paragraphe 18).

 

[34]           Les demandeurs affirment également que la SPR aurait dû tenir compte de la situation de personnes se trouvant dans une situation analogue à la leur pour déterminer si les événements qu'ils avaient vécus équivalaient à de la persécution. La Cour conclut que le simple fait que certaines personnes soient d'origine ethnique rome ne signifie pas pour autant qu'elles sont automatiquement exposées aux mêmes risques que les personnes se trouvant dans une situation semblable à la leur ou que leur situation donne systématiquement lieu à une conclusion de persécution (Sathivadivel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 863, [2010] ACF no 1070, aux paragraphes 20 à 28), voir également Navaratnam, précité, au paragraphe 25). Comme nous l'avons déjà mentionné dans la présente décision, les demandeurs n'ont soumis aucun élément de preuve tendant à démontrent qu'ils avaient été victimes de persécution ou qu'ils seraient vraisemblablement persécutés. Ils s'en sont plutôt tenus à des affirmations générales et à des éléments de preuve documentaires portant sur la situation générale des citoyens roms en Hongrie. Les demandeurs n'ont toutefois pas établi qu’ils seraient personnellement exposés à un risque, et compte tenu de l'insuffisance de la preuve qu'ils ont présentée, ils n'ont tout simplement pas établi l'existence d'un tel risque.

 

[35]           De façon plus générale, s'agissant de la question de savoir si la discrimination équivaut à de la persécution dans le cas qui nous occupe, la Cour conclut que la SPR a reconnu les difficultés éprouvées par les demandeurs et qu'elle s’est livrée à une analyse valable des éléments de preuve mixtes – provenant de sources documentaires ainsi que de témoignages – et en a tenu compte dans ses motifs. D'ailleurs, la SPR a reconnu qu'il existait de graves problèmes de racisme et de discrimination en ce qui concerne la population rome en Hongrie, mais elle a également mentionné les efforts déployés par le gouvernement pour protéger les citoyens roms contre la persécution. Cela dit, comme les demandeurs n'avaient présenté aucun élément de preuve établissant un lien entre les incidents de discrimination et leur situation personnelle, la SPR a estimé que ce fait entraînait le rejet de leur demande d'asile. Cette conclusion était essentiellement axée sur les faits et relevait de la compétence de la SPR. On peut en dire autant de l’incapacité alléguée des demandeurs de se trouver du travail : ils n'ont pas soumis suffisamment d'éléments de preuve à ce sujet. La SPR a commis une erreur de fait en concluant que le demandeur principal avait été en mesure de travailler de façon stable pendant une période de dix ans alors que la preuve démontrait qu'il n'avait travaillé que pendant sept ans. Bien qu'erronée, cette conclusion n'est pas suffisamment grave pour avoir une incidence sur les autres conclusions de la SPR. Il était donc raisonnable de la part de la SPR de conclure que les incidents qu’auraient vécus les demandeurs n'équivalaient pas à de la persécution.

B.     La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l'État en Hongrie?

[36]           La conclusion tirée par la SPR à cet égard ne justifie pas l'intervention de notre Cour, étant donné qu'il était raisonnable de sa part de conclure que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l'État en Hongrie.

 

[37]           Il est de jurisprudence constante que l'État est présumé être en mesure d'accorder une protection à ses citoyens sauf en cas d'effondrement complet de l'appareil étatique (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 20 Imm LR (2d) 85, à la page 709 [Ward]), et que, pour réfuter cette présomption, le demandeur d'asile doit « produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante » (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399, au paragraphe 30). De plus, la protection étatique n'a pas à être parfaite, mais elle doit être adéquate (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c Villafranca (1992), 18 Imm LR (2d) 130, 99 DLR (4th) 334 (CAF)). La charge de la preuve dont les demandeurs d'asile doivent s'acquitter est plus exigeante lorsqu'ils proviennent d'un pays démocratique (Hinzman, précité, au paragraphe 57), comme c’est le cas en l'espèce.

 

[38]           Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs affirment qu'après avoir reconnu les lacunes graves des autorités de l'État en ce qui concerne la protection de la population en Hongrie, la SPR ne pouvait raisonnablement en arriver à la conclusion que le demandeur aurait dû demander la protection de ces autorités. Ils ajoutent que la SPR aurait dû se concentrer sur la question de savoir si cette protection était concrètement suffisante et non sur la volonté des autorités de s'attaquer au problème. En particulier, les demandeurs affirment que la SPR a ignoré des éléments de preuve critiques démontrant que l'État n'accordait pas une protection suffisante à ses citoyens roms. Ils ajoutent que cet aspect emporte l’annulation de la décision de la SPR.

 

[39]           Toutefois, notre Cour conclut, ainsi que le défendeur le souligne avec raison, que la preuve peu abondante soumise par les demandeurs indiquait que, lorsqu'ils l'avaient demandée, la protection leur avait été accordée. Par exemple, le demandeur principal a expliqué qu'il avait été agressé alors qu'il voyageait à bord d'un train avec sa fille, ajoutant qu'il avait signalé l'incident à la police, qui n’avait rien pu faire parce qu'il n'avait pas été en mesure de donner le signalement de son agresseur. De plus, une des plaintes formulées par les demandeurs avait même été examinée par un tribunal judiciaire, qui avait classé le dossier. Dans chacun des trois incidents relatés par les demandeurs, la preuve démontrait que l'on avait demandé à la police d'intervenir et que la police était effectivement intervenue. Il s’agit là de la preuve des demandeurs. La Cour ne peut guère conclure à l'absence de la protection de l'État alors que cette protection ne leur a jamais été refusée chaque fois qu’elle a été demandée. De plus, en ce qui concerne la protection de l'État, la SPR a mentionné des éléments de preuve mixtes concernant les mesures prises par le gouvernement hongrois pour protéger ses citoyens roms, et la SPR a reconnu que ces éléments de preuve démontraient le peu d'empressement de la police à intervenir dans les dossiers relatifs aux citoyens roms hongrois. Bien qu'elle semble négligeable, cette mention est plus que suffisante compte tenu du fait que les demandeurs n'ont produit aucun élément de preuve personnel qui démontrerait, selon la prépondérance des probabilités, que l'État hongrois ne serait pas en mesure de les protéger. Il était donc raisonnable de la part de la SPR de conclure que les demandeurs n'avaient pas réfuté la présomption de la protection de l'État.

 

[40]           Enfin, je tiens à formuler un simple commentaire au sujet de la décision telle qu'elle est libellée. Il s'agit d'une décision raisonnable au sens de l'arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Ainsi que le défendeur l'a signalé, la décision aurait été meilleure si la SPR avait examiné de façon plus explicite les problèmes de crédibilité, l'absence de rapports de police corroborants et le fait que la SPR était elle‑même au courant qu'il n'était pas facile d'obtenir ces documents ([traduction] « la police est parfois assez désinvolte » (dossier certifié du tribunal, à la page 369)), ainsi que le fait que les demandeurs étaient en mesure de mener une vie normale au quotidien en Hongrie et également que la SPR aurait pu offrir une meilleure analyse de la question de la protection de l'État. Cela dit, il s'agit quand même d'une décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[41]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, mais aucune n'a été proposée.


ORDONNANCE

 

            LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n'est certifiée.

 

                                                                                                                 « Simon Noël »

                                                                                                ___________________________

                                                                                                                        Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4020-13

 

INTITULÉ :                                      RADICS et autres c MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 27 janvier 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 février 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kathleen Hadekel

POUR LES DEMANDEURS

 

Soury Phommachakr

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kathleen Hadekel

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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