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Date : 20140206


Dossier :

T-1856-10

 

Référence : 2014 CF 68

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

RAPISCAN SYSTEMS, INC.

 

demanderesse

Et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement et jugement rendus le 21 janvier 2014)



TABLE DES MATIÈRES

PARAGRAPHE

 

I.                   Introduction ............................................................................................................ 1

 

II.                Exposé des faits ...................................................................................................... 7

A.   ACSTA............................................................................................................. 7

B.   Rivalité entre Rapiscan et Smiths................................................................... 13

C.   Processus d’acquisition de 2009..................................................................... 15

D.   La décision du conseil d’administration en 2009........................................... 21

E.    Politique et procédures en matière d’attribution de marchés de l’ACSTA.... 22

F.    Le Livre blanc................................................................................................. 23

G.   Processus d’acquisition de 2010 – Document sur la stratégie........................ 26

H.   Comité d’examen des marchés....................................................................... 28

I.     Contenu de la DS........................................................................................... 32

J.     Rapiscan invitée à participer........................................................................... 37

K.   Note d’information à l’intention du conseil d’administration........................ 38

L.    Décision du conseil d’administration............................................................. 42

 

III.       Questions à trancher.............................................................................................. 44

 

IV.       Analyse.................................................................................................................. 45

            A.   Norme de contrôle.......................................................................................... 45

            B.   L’affaire est-elle teintée d’un élément public tel, ou a‑t‑elle une saveur publique telle, qu’elle relève du droit public?.................................................................................................... 48

                   (1)    Manquement à une obligation légale...................................................... 55

                   (2)    Nuire à l’intégrité du processus d’acquisition du gouvernement............ 63

                           (a)     Conseil d’administration induit en erreur...................................... 64

                                    (i)         Le défaut de respecter les procédures de passation                             de marchés………..  64

                                    (ii)        Ignorance de la part du conseil que les procédures de passation de marchés n’étaient pas suivies.......................................................................... 69

                                    (iii)       Aucune obligation d’un traitement juste et équitable........ 79

                                    (iv)       Défaut d’énoncer les besoins ou de fournir les critères       d’évaluation……..         81

                                    (v)        Exigences minimales non divulguées................................. 84

                                    (vi)       L’exigence des trois angles de vue n’est pas une                     exigence minimale appropriée            89

                                    (vii)      Mauvaise foi de l’ACSTA................................................. 92

                                    (viii)     Dispense déraisonnable de Smiths de la certification de                     la TSA …………….        95

                                    (ix)       « Technologie la plus performante à l’heure actuelle »...... 98

                          

                           (b)     Une réparation de droit public devrait-elle s’appliquer?.............. 108

                                    (i)         Préserver l’intégrité du processus d’acquisition du           gouvernement……..         109

                                    (ii)        Aucune autre voie de recours appropriée......................... 119

                                    (iii)       Refus de satisfaire à l’obligation d’un traitement juste et équitable du contrat « A »......................................................................................... 122

                                    (iv)       La décision du conseil d’administration respectait-elle les normes de légalité, de rationalité et d’équité qui sont nécessaires pour répondre à l’objectif global de la bonne gouvernance?................................................................... 127

 

V.        Réparation............................................................................................................ 132

 

 

 

 

I.          Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Rapiscan Systems Inc [Rapiscan], en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, RCS 1985, c F-7, de la décision en matière d’acquisition prise par l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien [ACSTA] le 4 octobre 2010 [la procédure de passation de marchés de 2010].

 

[2]               Rapiscan visait initialement à ce que soit annulée et déclarée invalide ou illégale la décision du conseil d’administration de l’ACSTA autorisant l’attribution d’un contrat pour la fourniture d’un appareil de radioscopie à angles de vue multiples et de services connexes [équipement] à Smiths Detection Montreal Inc [Smiths].

 

[3]               Dans ses observations écrites finales, Rapiscan demande une ordonnance i ) déclarant la décision de l’ACSTA illégale et injuste, et ii) enjoignant à cette dernière d’actualiser sa procédure de passation de marchés à l’égard de l’équipement pour les années 2012-2013 et 2014-2015, conformément à ses obligations légales et à ses méthodes de passation des marchés afin de donner à Rapiscan et à d’autres fournisseurs les mêmes chances équitables de fournir l’équipement à l’ACSTA.

 

[4]               La Cour doit, en définitive, déterminer si les questions soulevées au sujet de la bonne gouvernance de l’ACSTA sont suffisamment importantes pour permettre un recours de droit public, alors que la présente affaire repose sur un contrat d’acquisition commercial. Ces questions découlent des circonstances dans lesquelles le Conseil d’administration de l’ACSTA a été induit en erreur par un avis de la direction. Le Conseil d’administration a autorisé l’attribution d’un contrat à l’issue d’une procédure de passation de marchés injuste et non concurrentielle. Il ne connaissait pas ces circonstances. Compte tenu de sa mission et de ses politiques, il paraît peu vraisemblable que le Conseil d’administration de l’ACSTA aurait autorisé le contrat s’il avait été bien informé.

 

[5]               Je conclus que la cour de révision a compétence, d’une part parce que les questions soulevées portent en grande partie sur l’intégrité du processus gouvernemental d’acquisition et, d’autre part, parce que ce processus est conçu de façon à empêcher l’exercice d’autres recours contractuels qui, autrement, seraient normalement ouverts aux demandeurs.

 

[6]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie. Cependant, je ne prononcerai aucune ordonnance définitive pour le moment de sorte que les parties puissent présenter des observations supplémentaires précisant le type de réparation demandé par la demanderesse et que ladite ordonnance ne nuise pas aux exigences de service de l’ACSTA.

 

II.        Exposé des faits

A.        ACSTA

[7]               L’ACSTA a été créée en 2002 par la Loi sur l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, LC 2002, c 9, article 2 [la Loi]. Elle a notamment pour mission de voir au contrôle des passagers ainsi que de leurs bagages de cabine et de leurs bagages enregistrés :

6. (1) L’Administration a pour mission de prendre, soit directement, soit par l’entremise d’un fournisseur de services de contrôle, des mesures en vue de fournir un contrôle efficace des personnes — ainsi que des biens en leur possession ou sous leur contrôle, ou des effets personnels ou des bagages qu’elles confient à une compagnie aérienne en vue de leur transport — qui ont accès, par des points de contrôle, à un aéronef ou à une zone réglementée désignée sous le régime de la Loi sur l’aéronautique dans un aérodrome désigné par règlement ou dans tout autre endroit désigné par le ministre.

 

(2) L’Administration veille à ce que le niveau de contrôle soit uniforme partout au Canada et exécute également les autres fonctions liées à la sûreté du transport aérien que prévoit la présente loi et celles que le ministre, sous réserve des modalités qu’il détermine, lui confère.

 

 

 

 

(3) L’Administration exerce les attributions qui lui sont confiées sous le régime du présent article dans l’intérêt public et en tenant compte des intérêts des voyageurs; ces attributions sont exercées à titre de fonctions administratives.

6. (1) The mandate of the Authority is to take actions, either directly or through a screening contractor, for the effective and efficient screening of persons who access aircraft or restricted areas through screening points, the property in their possession or control and the belongings or baggage that they give to an air carrier for transport. Restricted areas are those established under the Aeronautics Act at an aerodrome designated by the regulations or at any other place that the Minister may designate.

 

 

 

 

(2) The Authority is responsible for ensuring consistency in the delivery of screening across Canada and for any other air transport security function provided for in this Act. It is also responsible for air transport security functions that the Minister may assign to it, subject to any terms and conditions that the Minister may establish.

 

(3) The Authority must carry out its responsibilities under this section in the public interest, having due regard to the interest of the travelling public. Those responsibilities are a governmental function.

 

[8]               Il revient également à l’ACSTA d’autoriser la passation de marchés avec des entreprises offrant des services de contrôle et l’acquisition de l’équipement de contrôle :

 (1) L’Administration peut autoriser l’exploitant d’un aérodrome désigné par règlement à fournir, en son nom, soit directement, soit par l’entremise d’un fournisseur de services de contrôle, les services de contrôle à l’aérodrome qu’il exploite, sous réserve des modalités qu’elle peut fixer.

 

[…]

 

8. (1) L’Administration établit des critères de qualification, de formation et de rendement, applicables aux fournisseurs de services de contrôle et aux agents de contrôle, qui sont au moins aussi sévères que les normes qui sont établies dans les règlements sur la sûreté aérienne pris sous le régime de la Loi sur l’aéronautique.

 

[…]

 

(4) L’Administration peut — mais est tenue de le faire si le ministre le lui ordonne — établir une politique contractuelle qui précise les normes minimales que la personne qui souhaite conclure un contrat de fourniture de services de contrôle doit respecter quant aux salaires et conditions de travail applicables aux agents de contrôle embauchés.

 

(5) L’Administration établit les règles et méthodes à suivre concernant les contrats de fourniture de biens et de services qui garantissent l’importance primordiale de ses besoins opérationnels et qui favorisent la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix.

 

[…]

 

 La fourniture des services de contrôle à un aérodrome est réputée, de façon concluante et à toutes fins, être un service nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité du public.

 

 (1) L’Administration peut conclure des contrats, des ententes ou d’autres accords avec Sa Majesté comme si elle n’en était pas mandataire.

 

[…]

 (1) The Authority may authorize the operator of an aerodrome designated by the regulations to deliver screening on its behalf at that aerodrome, either directly or through a screening contractor, subject to any terms and conditions that the Authority may establish.

 

[…]

 

 

 

8. (1) The Authority must establish criteria respecting the qualifications, training and performance of screening contractors and screening officers, that are as stringent as or more stringent than the standards established in the aviation security regulations made under the Aeronautics Act.

 

[…]

 

(4) The Authority may establish contracting policies specifying minimum requirements respecting wages and terms and conditions of employment that persons must meet in order to be awarded a contract by or on behalf of the Authority for the delivery of screening. The Authority must establish such policies if required to do so by the Minister.

 

(5) The Authority must establish policies and procedures for contracts for services and for procurement that ensure that the Authority’s operational requirements are always met and that promote transparency, openness, fairness and value for money in purchasing.

 

[…]

 

27. The provision of screening at an aerodrome is conclusively deemed for all purposes to be a service that is necessary to prevent immediate and serious danger to the safety of the public.

 

28. (1) The Authority may enter into contracts, agreements or other arrangements with Her Majesty as if it were not an agent of Her Majesty.

 

[…]

 

[9]               Cependant, la Loi prévoit que l’ACSTA n’est pas assujettie à la politique du Conseil du Trésor sur les marchés publics, établie sous le régime du paragraphe 7(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), c F-11 ou du Règlement sur les marchés de l’État, DORS/87- 402 pris en application de la Loi. La Loi dispose : 

3. (3) Les dispositions de la présente loi l’emportent sur les dispositions incompatibles de la partie X de la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

 

 

4. (1) Le ministre est le ministre de tutelle de l’Administration pour l’application de la partie X de la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

(2) Le ministre peut donner des directives écrites à l’Administration sur toute question liée à la sûreté du transport aérien; les directives sont adressées au président du conseil.

 

(3) L’Administration et ses administrateurs, dirigeants et employés sont tenus de se conformer aux directives.

 

 

(4) Toute personne qui se conforme aux directives est réputée agir au mieux des intérêts de l’Administration.

 

(5) Les directives ne sont pas des textes réglementaires pour l’application de la Loi sur les textes réglementaires.

3. (3) In the event of any inconsistency between the provisions of this Act and the provisions of Part X of the Financial Administration Act, the provisions of this Act prevail.

 

4. (1) The Minister is the appropriate minister for the Authority for the purposes of Part X of the Financial Administration Act.

 

 

(2) The Minister may issue a written direction to the Authority, addressed to the Chairperson, on any matter related to air transport security.

 

 

 

(3) The Authority and its directors, officers and employees of the Authority must comply with a direction issued under this section.

 

(4) Compliance with the direction is deemed to be in the best interests of the Authority.

 

(5) A direction is not a statutory instrument for the purposes of the Statutory Instruments Act.

 

[10]           La Loi prévoit la constitution du conseil d’administration de l’ACSTA, composé d’un président et de dix autres administrateurs, et la nomination d’un premier dirigeant. Le conseil a le pouvoir d’embaucher le personnel et de constituer des comités; il est aussi chargé de la gestion des activités de l’ACSTA et de la prise de règlements concernant la formulation de la politique contractuelle.

 (1) Est constitué le conseil d’administration de l’Administration composé de onze administrateurs, dont son président, nommés par le gouverneur en conseil sur la recommandation du ministre.

 

[…]

 

 Le président du conseil en dirige les réunions et exerce les autres attributions que lui confèrent les règlements administratifs de l’Administration.

 

 Le premier dirigeant de l’Administration est nommé à titre amovible par le gouverneur en conseil pour le mandat que celui-ci estime indiqué.

 

[…]

 

 

 

 Le conseil est chargé de la gestion des activités de l’Administration.

 Le conseil peut prendre des règlements administratifs sur la gestion des activités de l’Administration et l’exercice des attributions que la présente loi confère au conseil, notamment en ce qui concerne:

 

 

a) l’établissement d’un code de déontologie pour les administrateurs, les dirigeants et les employés de l’Administration;

 

b) la constitution de ses comités, y compris un comité des ressources humaines et un comité de vérification;

 

c) la formulation de la politique contractuelle de l’Administration.

 L’Administration peut engager le personnel et les mandataires et retenir les services des conseillers professionnels et techniques qu’elle estime nécessaires à l’exercice de ses activités et peut fixer les conditions d’emploi.

 (1) There shall be a board of directors of the Authority consisting of eleven directors, including the Chairperson, appointed by the Governor in Council on the recommendation of the Minister.

 

[…]

 

 The Chairperson must preside at meetings of the board and exercise any powers and perform any duties and functions that are assigned by the by-laws of the Authority.

 

 The chief executive officer of the Authority is to be appointed by the Governor in Council to hold office during pleasure for any term that the Governor in Council considers appropriate.

 

[…]

 

 The board is responsible for the management of the activities and affairs of the Authority.

 The board may make by-laws respecting the management and conduct of the activities and affairs of the Authority and the carrying out of the duties and functions of the board, including by-laws establishing

 

(a) a code of ethics for the directors, officers and employees of the Authority;

 

 

 

(b) committees of the board, including a human resources committee and an audit committee; and

 

(c) contracting policies for the Authority.

 The Authority may employ any officers, employees or agents and retain the services of any technical or professional advisers that it considers necessary for the proper conduct of its activities and affairs and may fix the terms and conditions of their engagement.

 

[11]        Pour le moment, le site Internet du conseil indique que ce dernier est appuyé par quatre comités (voir ACSTA, Conseil d’administration, (30 septembre 2013), en ligne : http://www.catsa-acsta.gc.ca/Page.aspx?ID=30&pname=BoardDirectors_ConseilAdministration&lang=fr) : un Comité d’audit, un Comité de gouvernance et des ressources humaines, un Comité de stratégie et un Comité du régime de retraite. L’ACSTA mentionne ce qui suit sur son site Internet (http://www.catsa-acsta.gc.ca/Page.aspx?ID=30&pname=BoardDirectors_ConseilAdministration&lang=fr) :

Le Conseil d’administration est responsable de l’intendance générale de l’ACSTA et, à ce titre, il a le mandat de protéger les intérêts à long terme de l’Administration, de protéger son actif et de faire preuve de diligence raisonnable dans les décisions qu’il prend. Les principales fonctions et responsabilités du Conseil d’administration sont de fournir une orientation stratégique, une supervision financière, une surveillance de l’organisation et une bonne gouvernance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[12]           En ce qui concerne les processus d’acquisition de l’Administration, le paragraphe 8(5) de la Loi exige que l’ACSTA établisse des règles et des méthodes qui favorisent la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix :

8. (5) L’Administration établit les règles et méthodes à suivre concernant les contrats de fourniture de biens et de services qui garantissent l’importance primordiale de ses besoins opérationnels et qui favorisent la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix.

 

[Je souligne]

8. (5) The Authority must establish policies and procedures for contracts for services and for procurement that ensure that the Authority’s operational requirements are always met and that promote transparency, openness, fairness and value for money in purchasing.

 

[Emphasis added]

 

B.        Rivalité entre Rapiscan et Smiths

[13]           L’ACSTA connaît bien les fabricants d’appareils de radioscopie, dont Rapiscan. Les produits de Rapiscan servent à l’inspection des bagages, du fret, des véhicules et d’autres objets – pour détecter la présence d’armes, d’explosifs, de drogues et d’autres produits de contrebande, et au contrôle des personnes. Sur le marché mondial, Rapiscan est, bon an mal an, le principal fournisseur ou le deuxième plus grand fournisseur d’appareils de radioscopie (Smiths étant son principal concurrent).

 

[14]           Depuis sa création en 2002, l’ACSTA a acheté exclusivement de Smiths l’équipement de contrôle des bagages. Rapiscan affirme que le Canada est le seul pays important à avoir un seul fournisseur d’appareil de radioscopie d’aéroport. Le 15 décembre 2006, un Rapport d’examen spécial sur l’ACSTA du Bureau du vérificateur général critiquait les contrats à fournisseur unique et l’attribution de contrats avant que les procédures de sélection soient mises en place. Néanmoins, le 2 juin 2009, l’ACSTA a demandé l’autorisation d’attribuer à Smiths un contrat d’équipement de contrôle à fournisseur unique. Le 18 juin 2009, un contrat à fournisseur unique a été dûment passé avec Smiths. Selon le témoignage de M. Corrigan, en septembre 2009, on aurait demandé une approbation du financement en vue du processus d’approvisionnement habituel pour l’année 2010. En novembre 2009, Smiths a annoncé publiquement le contrat à fournisseur unique et l’équipement a été livré. Le 22 décembre 2009, l’ACSTA a mis en place de nouvelles procédures de passation des marchés. Selon le témoignage de M. Corrigan, en mai ou en juin 2010, le financement aurait été approuvé pour les procédures d’achat de 2010.

 

C.        Processus d’acquisition de 2009

[15]            En 2009, l’ACSTA a pris des mesures pour remplacer l’équipement de Smiths de première génération par un appareil de radioscopie à angles de vue multiples de haute technologie. La note d’information que la direction a transmise au conseil d’administration décrit ainsi le contexte du processus : 

[traduction]

La TSA [US Transportation Safety Authority] ainsi que l’Union européenne (UE) ont adopté des mesures en 2007 pour remplacer les appareils de radioscopie à angle de vue unique actuels par des appareils à angles de vue multiples. La technologie à angles de vue multiples accroît à plusieurs égards la capacité de détection d’armes, de couteaux et d’explosifs et fournit pour l’avenir les moyens de détecter les liquides et les gels.

 

En 2007, la TSA a procédé à des essais de l’équipement à angles de vue multiples de trois fournisseurs d’appareils de radioscopie et en a approuvé deux : Rapiscan et Smiths. Ce qui a donné le feu vert à l’acquisition ultérieure de 700 unités réparties entre les deux entreprises. De même, le ministère des transports du Royaume-Uni a approuvé les appareils de radioscopie à angles de vue multiples de Rapiscan et de Smiths, de sorte que le BAA a autorisé l’achat des appareils à angles de vue multiples de Smiths et la Manchester Airport Authority, l’achat des appareils à angles de vue multiples de Rapiscan.

           

[Non souligné dans l’original]

 

[16]           Il convient de noter que l’expression [traduction] « angles de vue » est source de confusion dans la documentation. L’équipement de contrôle est doté d’un ou de plusieurs générateurs d’angles de vue et permet à l’agent de contrôle de capter un ou plusieurs angles de vue. L’appareil de radioscopie à angles de vue multiples fait référence aux systèmes qui créent et procurent plus d’un angle de vue et non à ceux qui sont dotés de plus d’un générateur d’angles de vue. Par exemple, l’appareil de radioscopie (7555 aTIX) de Smiths utilisé au point de contrôle pour les bagages de cabine et désigné dans les processus d’acquisition est doté de quatre générateurs qui permettent aux agents de contrôle de capter quatre angles de vue. Cependant, l’appareil ne procure que deux angles de vue, parce qu’au-delà de ce nombre d’angles, l’efficacité du processus de contrôle effectué par le personnel diminue (ainsi qu’il est signalé dans une étude interne de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, Relation of X-ray screening performance to number of views, NTA report 07072010 (7 juillet 2010) [le Livre blanc]). L’équipement de Rapiscan (620 DV) évoqué dans la présente instance dispose de deux générateurs et procure aussi aux agents deux angles de vue. Par conséquent, dans la plupart des cas, lors de la comparaison de l’équipement de Rapiscan et de Smiths, l’emploi des termes [traduction] « angles de vue » fait référence au nombre de générateurs d’angles de vue, plutôt qu’aux angles de vue réels aux fins de contrôle physique.

 

[17]           Une autre caractéristique de la procédure de passation de marchés de l’ACSTA est que Transports Canada, responsable de la sécurité du système de transport canadien, exige que l’équipement utilisé au Canada soit certifié par la US Transportation Security Agency. Au nombre des responsabilités assumées par Transports Canada figurent celles consistant à établir des normes de performance des appareils et à tenir une liste des systèmes et des appareils ayant démontré qu’ils répondent aux normes de performance aux fins de contrôle, de façon à assurer une harmonisation avec les normes internationales.

 

[18]           L’ACSTA a attribué à Smiths le contrat initial de 30 millions de dollars en 2009 pour le remplacement des appareils à angle de vue unique par un équipement de haute technologie (« HT ») à angles de vue multiples. À cette fin, elle a eu recours à un processus fermé et non concurrentiel (à fournisseur unique). Rapiscan n’a pas été invitée à fournir de l’information sur son équipement, et elle affirme qu’elle n’a été mise au courant des détails relatifs au processus de 2009 que lorsqu’elle a obtenu le dossier certifié dans le cadre de la présente instance.

 

[19]            Malgré la tenue d’un processus non concurrentiel fermé, la direction de l’ACSTA a procédé à une analyse comparative de l’appareil de radioscopie utilisé au point de contrôle, le Smiths 7555 aTIX, et du modèle Rapiscan 620 DV. La principale différence entre l’équipement des deux fabricants est que celui de Smiths est doté de quatre générateurs d’angles de vue, tandis que celui de Rapiscan n’en a que deux. L’appareil de Rapiscan est nettement moins coûteux que celui de Smiths. Ces entreprises ont présenté les deux mêmes modèles d’appareil dans le cadre du processus d’acquisition subséquent de 2010.

 

[20]           Le processus d’achat auprès d’un fournisseur unique de 2009 est important pour celui de 2010, parce que, en 2009, une exigence minimale a été établie, à savoir que l’équipement permet de capter trois angles de vue ou plus. Le même principe de [traduction] « l’exigence minimale » s’appliquerait pour ne pas retenir la candidature de Rapiscan aux fins du processus d’acquisition de 2010.

 

D.        La décision du conseil d’administration en 2009

[21]           Le 18 juin 2009, le conseil d’administration a attribué, dans les termes suivants, le contrat à fournisseur unique à Smiths malgré le coût plus élevé de son produit, étant donné qu’il est possible de mettre à niveau l’équipement pour accroître sa capacité en matière de détection :

[traduction]

ET CONSIDÉRANT QUE le coût du produit de Smiths est supérieur à celui du produit de Rapiscan, mais que seul le produit de Smiths intègre la technologie qui peut être mise à niveau pour accroître la capacité de détection, notamment des liquides et des gels interdits, et peut, par conséquent, améliorer l’efficacité future au chapitre de la sécurité et réduire les coûts supportés par l’ACSTA;

 

ET CONSIDÉRANT QU’il semble que le coût marginal du produit de Smiths assure une optimisation des ressources, étant donné qu’il est possible de pouvoir améliorer la capacité et la rentabilité de ce produit.

 

[Non souligné dans l’original]

 

E.         Politique et procédures en matière d’attribution de marchés de l’ACSTA

[22]           Quelques jours plus tard, soit le 1er juillet 2009, l’ACSTA a mis en œuvre une politique de passation des marchés, conformément au paragraphe 8(5) de la Loi. Le 22 décembre 2009, l’ACSTA a adopté des procédures détaillées et obligatoires en matière d’attribution de marchés pour mettre en œuvre la politique. Au nombre des dispositions pertinentes des procédures d’attribution de marchés figurent les définitions et les dispositions suivantes (non souligné dans l’original) :

                        [traduction]

1.1       Ces procédures s’appliquent à l’ensemble des activités de passation de marché exercées par l’ACSTA, y compris aux contrats qui en découlent. Elles sont établies afin de mener à bien la politique en matière d’attribution de marchés de l’ACSTA, qui a été approuvée par le conseil d’administration.

 

[…]

 

2.1              Définitions

 

[…]

 

« Critères d'évaluation » Spécifications et autres paramètres qui ont été établis par l’ACSTA préalablement à un processus d’acquisition ouvert et qui servent à évaluer les prix proposés, les soumissions et les propositions présentées par des entrepreneurs potentiels à la suite d’un processus d’acquisition ouvert.

 

[…]

 

« Contrat attribué sans processus concurrentiel » Contrat qui est ou qui sera établi en vertu de l’une des exceptions de la section 5.6 (Exceptions à être approuvées par d’autres autorités responsables) et qui ne sera pas ou n’a pas été précédé d’un processus d’acquisition ouvert.

 

[…]

 

« Processus d’acquisition ouvert » Processus de passation de marchés comportant une demande d’information, une demande de prix, une demande de propositions, une demande d’offre à commandes, une soumission, une offre à commandes d’un tiers ou un processus de passation de marchés dans lequel un préavis d’adjudication de contrat (PAC) a été utilisé et n’a pas été contesté de façon valable.

 

[…]

 

« Demande d’information » et « DI » Processus d’acquisition ouvert dans le cadre duquel l’ACSTA demande de l’information sur le marché, conformément aux procédures.

 

[…]

 

« Demande d’offre à commandes » et « DOC » Processus d’acquisition ouvert dans le cadre duquel l’ACSTA demande la présentation d’une offre qui constituera le fondement d’une offre à commandes.

 

[…]

 

5.1     Transparence dans le processus de passation de marchés

 

L’ACSTA a recours aux processus d’acquisition ouverts afin de promouvoir la transparence et l’équité, de favoriser l’optimisation des ressources et de démontrer qu’elle optimise ses ressources dans le cadre de ses contrats d’approvisionnement. Les processus d’acquisition ouverts doivent être utilisés, sauf exception, conformément aux présentes procédures.

 

5.2       Processus d’acquisition ouverts

 

[…]

 

5.2.1    Les demandes d’information peuvent être utilisées avant d’amorcer un processus d’acquisition pour connaître :

 

5.2.1.1             le nombre de fournisseurs de biens ou de services éventuels ou probables;

 

5.2.1.2             la disponibilité des biens ou des services en vue de répondre aux besoins de l’ACSTA.

 

[…]

 

5.2.3    Les demandes d’offre à commandes peuvent être utilisées lorsque l’ACSTA prévoit l’achat d’une grande quantité de biens et de services à plusieurs reprises sur une période de temps, mais que la quantité probable ne peut être déterminée au moment de la date d’effet du contrat.

 

[…]

 

5.3 Critères d’évaluation dans les processus d’acquisition ouverts

 

Les critères d’évaluation applicables dans tout processus de passation de marchés doivent être établis avant de demander l’autorisation requise de procéder à un achat, et les résultats de cette évaluation doivent être mis à la disposition de l’autorité d’approbation concernée dans le cadre d’une demande d’approbation. Les critères d’évaluation ne peuvent avoir pour effet voulu d’accorder, d’une manière déraisonnable, une préférence à de potentiels soumissionnaires. Les critères d’évaluation ne doivent pas de façon générale être limités uniquement au prix, mais doivent être établis de sorte qu’il soit possible d’apprécier l’optimisation générale des ressources et la capacité de l’ACSTA à atteindre ses objectifs opérationnels.

 

[…]

 

5.6              Exceptions approuvées par d’autres autorités compétentes

 

[…]

 

5.6.1    Intérêt public. La nature du travail ou les circonstances liées à l’exigence sont telles qu’il peut être contraire à l’intérêt public ou à la sécurité nationale de lancer des invitations ouvertes à soumissionner. Cette exception s’applique surtout aux cas qui touchent la sécurité ou d’autres facteurs pouvant nuire aux passagers.

 

[…]

 

5.7              Transparence, équité et achat au meilleur prix ne font pas l’objet d’exceptions

 

Sous réserve de la section 5.6.1, les exceptions à un processus d’acquisition ouvert ne doivent pas restreindre les obligations légales et stratégiques de l’ACSTA en matière de transparence, d’équité ou d’achat au meilleur prix […]

 

[…]

 

6.2              Offre à commandes

 

Une offre à commandes est un contrat par lequel un entrepreneur s’engage à fournir des biens, des services ou les deux, aux prix fixés dans le contrat et sous réserve d’autres conditions énoncées dans l’offre à commandes [...] L’OC est en règle générale établie à l’aide d’une demande d’offre à commandes […]

 

[…]

 

7.1              Procédures transparentes en matière de passation de marchés

 

[…] Le processus d’acquisition ouvert peut être établi de deux façons :

 

[…]

 

7.1.2    Marché concurrentiel traditionnel […] lorsque les participants au marché pour le bien ou le service applicable sont connus de l’ACSTA, cette dernière peut lancer un processus d’acquisition ouvert à l’intention d’un nombre limité d’entrepreneurs [...] En général, la liste doit contenir un nombre minimal de trois (3) entrepreneurs potentiels.

 

7.2 Processus d’acquisition ouvert

 

Le processus d’acquisition ouvert de l’ACSTA suivra les pratiques généralement acceptées qui sont expliquées ci-dessous :

 

7.2.1    Préparation de la documentation – Le service des approvisionnements et de la passation de marchés collaborera avec le chargé de projet en vue de préparer l’énoncé de travail/le cadre de référence et les critères d’évaluation applicables […]

 

[Non souligné dans l’original]

 

F.         Le Livre blanc

 

[23]           Le 7 juillet 2010, le groupe interne de la Technologie de l’ACSTA a produit un « Livre blanc » intitulé « Relation of X-ray Screening Performance to Number of Views ». La conclusion du document qui nous intéresse est la suivante :

                        [traduction]

Appareils captant plus de deux angles de vue

           

Les appareils qui captent trois à quatre angles de vue pourront augmenter la précision des mesures de densité de 2,25 fois et de 4 fois, respectivement, comme l’illustre la figure 3. Cela facilitera la détection automatisée d’explosifs qui repose sur des mesures uniques de densité et la variable Zeff [ ... ] Ainsi, l’exactitude potentielle d’un scanner à trois ou quatre angles de vue est supérieure à celle d’un scanner à double angles de vue, et les avantages augmentent rapidement puisque tout dépend du carré du nombre d’angles de vue.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[24]            Il convient de noter que la page de couverture du Livre blanc se lit comme suit :

[traduction]

Il appert que la précision d’un système à angles de vue multiples augmente avec le nombre d’angles de vue, qui pour sa part améliore la performance du logiciel de détection automatisée d’explosifs et de liquides.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[25]           À propos des scanners de bagages à angles de vue multiples, le rapport indique que : [traduction] « Les algorithmes de traitement de l’image dans ces systèmes sont essentiels pour maximiser la capacité des systèmes. »

 

G.        Processus d’acquisition de 2010 – Document sur la stratégie

[26]           Le 14 juillet 2010, l’ACSTA a préparé un document sur la stratégie d’achat d’autres appareils de radioscopie à angles de vue multiples pour le contrôle du préembarquement et le contrôle des bagages enregistrés, contrat dont la valeur approximative était de 40 508 829 $. La durée du contrat était présentée comme suit : [traduction] « une offre à commandes de cinq ans avec options de renouvellement pouvant aller jusqu’à cinq autres années » [Non souligné dans l’original]. Le document indiquait en outre que le but était d’établir des offres à commandes avec un ou plusieurs fournisseurs d’appareils de radioscopie à angles de vue multiples pour ce qui concerne l’équipement, les pièces de rechange, etc. Aucune exception au processus non concurrentiel n’a été mentionnée.

 

[27]           Le document sur la stratégie d’achat indiquait que la Direction générale de la Technologie avait réalisé une enquête informelle sur les compétences des trois participants au marché (Rapiscan, Smiths et L-3 Communications Security and Detection Systems, Inc [L-3]) au regard des produits à angles de vue multiples disponibles à l’époque. Il indiquait en outre que l’ACSTA s’appuierait sur l’information qui lui avait été communiquée par la U.S. TSA.

 

H.        Comité d’examen des marchés

[28]           Le 14 juillet 2010, le Comité d’examen des marchés s’est réuni pour examiner le processus d’achat de l’équipement supplémentaire. Le procès-verbal comprenait l’extrait suivant relativement à une décision de ne pas suivre les [traduction] « pratiques généralement acceptées » mentionnées au paragraphe 7.2.1 des procédures de passation de marchés décrites ci-dessus, qui exigeaient un processus d’acquisition ouvert fondé sur un énoncé de travail ou des besoins préalablement définis et des critères d’évaluation pondérés :

[traduction]

Une discussion a eu lieu au sujet de la stratégie d’achat proposée selon laquelle l’ACSTA ne publie pas les exigences cotées, mais explique plutôt que l’évaluation serait effectuée en fonction des paramètres indiqués, sans pondération. Un des membres du Comité a fait observer qu’en pareil cas, il serait très important que l’ACSTA documente et mette au point ses pratiques d’évaluation pour démontrer que le Comité a fait son examen en toute impartialité.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[29]           Le procès-verbal contient aussi l’observation suivante : [traduction] « Le Comité d’examen des marchés a consenti à ce qu’une DI (qui est plus ou moins comparable à une DP) soit affichée sur MERX pour ce projet » [Non souligné dans l’original]. Les procédures de passation de marchés indiquent qu’il est possible de recourir à une DI avant le lancement d’un processus d’acquisition de façon à connaître la disponibilité des biens et des services et à répondre aux besoins de l’ACSTA.

 

[30]           Le 16 août 2010, une [traduction] « demande de soumissions » (DS) a été lancée. La DS invitait les fournisseurs à communiquer l’information relative aux capacités techniques et aux prix de leur équipement et des services connexes. Fondée sur une série de questions et d’exigences en matière d’information, la DS devait servir à déterminer si les fournisseurs participants pouvaient [traduction] « respecter, voire dépasser, les exigences ». Ces exigences n’étaient pas précisées.

 

[31]           Monsieur Martin Corrigan, directeur des Technologies de contrôle à l’ACSTA, a participé à la réunion de 2010 lors de laquelle le conseil d’administration a autorisé l’attribution du contrat à Smiths. Il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit dans le cadre de la requête en injonction interlocutoire présentée par Rapiscan, sans succès. Il a déclaré qu’il ignorait comment la proposition avait pu être considérée comme une DS ou ce que l’on entendait par cette appellation. L’avocat de la demanderesse avait alors laissé entendre que le document devait être une demande d’offre à commandes (DOC).

 

I.          Contenu de la DS

[32]           La DS contenait la clause d’exemption suivante dans le corps du contrat et dans les dispositions sur la renonciation :

[traduction]

La présente DS ne constitue pas une offre par l’ACSTA et ne donne pas lieu à quelque obligation juridiquement contraignante (parfois qualifiée de contrat « A » en vertu du droit canadien) de la part de l’ACSTA. Il ne s’agit pas d’une soumission, d’un appel d’offres ou d’une demande de propositions.

           

[Non souligné dans l’original]

 

[33]           La DS décrit ensuite ainsi la phase I du processus :

[traduction]

Au cours de la phase I du processus [...] à la suite d’un examen des soumissions [...], si l’ACSTA détermine qu’un (1) ou plusieurs fournisseurs sont en mesure de fournir l’équipement requis et les biens et services connexes à un prix qui offre le meilleur rapport qualité-prix à l’ACSTA, à la seule discrétion de cette dernière, alors l’ACSTA peut dresser une courte liste des fournisseurs avec lesquels elle peut discuter davantage de la soumission ou négocier une offre à commandes.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[34]           Il était prévu dans la DS que l’ACSTA se réservait en outre le droit de ne pas lancer d’appel d’offres à l’égard de l’attribution du contrat :

[traduction]

L’ACSTA se réserve le droit de ne pas lancer d’appel d’offres ou toute autre forme de processus de sélection, et peut choisir un (1) ou plusieurs fournisseurs avec qui établir une convention d’offre à commandes (selon la forme établie à l’annexe « C » qui peut être négociée ou non avec un fournisseur) en fonction de leur soumission respective, d’autres éléments d’information fournis par le fournisseur en vertu de la présente DS et d’autres éléments d’information recueillis par l’ACSTA auprès de tiers, notamment d’autres organismes.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[35]           Même si le contrat ne formulait aucune exigence, la DS renfermait une autre exception ne l’obligeant pas à se conformer aux exigences, qui était formulée comme suit :

[traduction]

3.5 MODALITÉS. Nonobstant toute disposition à l’effet contraire dans la présente DS, l’ACSTA se réserve le droit, à sa seule et entière discrétion et sans que sa responsabilité soit engagée à l’égard d’un fournisseur :

(i)         d’accepter les soumissions qui ne respectent pas de quelque façon que ce soit les exigences de la DS; […]

 

[Non souligné dans l’original]

 

[36]           L’énoncé des besoins figurant à l’annexe « A » jointe à la DS comprenait une série de demandes d’information sur les produits de radioscopie à angles de vue multiples de haute technologie, qui étaient disponibles, y compris l’information technique sur les produits et l’information sur les accessoires, l’entretien, la formation et la documentation. L’ACSTA ne formulait aucune exigence, obligatoire ou non, à laquelle devait répondre la DS. L’énoncé ne contenait pas non plus de critères de sélection, pondérés ou non.

 

J.          Rapiscan invitée à participer

[37]           Après avoir affiché un résumé de la DS sur le service électronique d’appel d’offres (MERX), Ron McAdam, gestionnaire principal des Nouvelles technologies à l’ACSTA, a remarqué que Rapiscan ne figurait pas sur la liste des fournisseurs publiée sur MERX. À la suite d’une réunion interne, l’ACSTA a décidé de communiquer avec Rapiscan et de lui faire part de la DS. L’ACSTA a donc communiqué avec Rapiscan et attiré son attention sur la DS de 2010, et l’a ensuite invitée à participer au processus d’acquisition. Rapiscan a par la suite répondu à la DS, de même que Smiths, L-3 Communications et Reveal. Rapiscan était la seule partie à présenter une offre qui n’était pas déjà fournisseur de l’ACSTA.

 

K.        Note d’information à l’intention du conseil d’administration

[38]           Peu de temps après, soit le 1er octobre 2010, une demande d’approbation de contrat, accompagnée d’une note d’information, a été présentée au conseil d’administration de l’ACSTA; on y recommandait d’attribuer une offre à commandes à Smiths. La note avait apparemment pour but de décrire le processus utilisé par l’ACSTA pour que le choix de Smiths [traduction] « respecte les principes de compétitivité, d’ouverture, d’équité, de transparence et d’achat au meilleur prix ».

 

[39]           La note d’information de 2010 faisait référence à l’achat de l’appareil de radioscopie à angles de vue multiples et était formulée ainsi :

[traduction]

[…] Il s’est avéré également que l’ACSTA préférait investir dans l’équipement de radioscopie à angles de vue multiples qui intégrait une technologie pouvant être mise à niveau afin d’améliorer la capacité de détection. Pour satisfaire à cette exigence, les appareils de radioscopie à angles de vue multiples devaient capter trois angles de vue ou plus : il s’agit d’un autre facteur qui intervient dans l’évaluation de cette année.

 

En juin 2009, seul l’appareil de radioscopie à angles de vue multiples de Smiths répondait à ces critères et il a été estimé que les avantages qu’offrait l’investissement dans l’appareil de radioscopie de Smith valaient le coût marginal supporté par l’ACSTA par rapport au deuxième meilleur appareil. Bien que l’approche adoptée en 2009 fût nécessaire pour respecter les délais imposés par les Jeux olympiques, la direction a rassuré le conseil d’administration en lui disant qu’il s’agissait d’une exception et que les futurs achats seraient effectués dans le cadre d’un processus d’acquisition ouvert.

 

Exigence d’approvisionnement et processus de sélection des fournisseurs d’appareils de radioscopie à angles de vue multiples

 

Pour répondre aux besoins actuels et futurs en appareils de radioscopie à angles de vue multiples (compte tenu du plan quinquennal présenté dans la demande d’approbation de contrat), l’ACSTA a récemment lancé un processus ouvert et, afin que le choix d’un appareil de radioscopie à angles de vue multiples respecte les principes de compétitivité, d’ouverture, d’équité, de transparence et d’achat au meilleur prix, elle a publié une demande de soumissions sur MERX sollicitant des renseignements techniques et opérationnels et de l’information sur les prix.

 

[40]           Selon la note d’information, Rapiscan ne répondait pas aux exigences relatives à un appareil pouvant capter trois angles de vue ou à un tunnel de grande taille, même si le produit avait été certifié par la TSA et offrait une bonne fiabilité et un bon débit. La note mentionnait en outre ce qui suit :  

                        [traduction]

           Seul l’appareil de radioscopie à angles de vue multiples de Smiths répondait à tous les critères ci-dessus et cette dernière se classait première dans chaque catégorie;

 

           Sur les quatre fournisseurs, seuls les appareils de Smiths et de L3 offraient trois angles de vue et avaient été homologués par la TSA, l’homologation étant, selon l’ACSTA, une condition préalable pour que le produit puisse être utilisé au Canada.

 

[…]

 

[41]           La note expliquait ensuite que, comme la candidature de Rapiscan avait été éliminée parce que cette dernière ne satisfaisait pas à l’exigence minimale des angles de vue, sa politique de prix n’a pas été soumise à l’examen du conseil d’administration. La candidature de Reveal a aussi été éliminée parce que son équipement n’avait pas été certifié par la TSA.

[traduction]

La politique de prix de toutes les soumissions des fournisseurs a été analysée. La [1] comparaison des prix, qui figure à l’annexe « B », ne traite que des [2] politiques de prix de L-3 et de Smiths, puisque seuls ces fournisseurs répondaient aux [3] exigences minimales [4] énoncées dans les exigences de l’ACSTA ([5] trois angles de vues, [6] certification de la TSA).

 

[Non souligné dans l’original et crochets ajoutés]

 

L.         Décision du conseil d’administration

[42]           Le 4 octobre 2010, le conseil d’administration a tenu une réunion par conférence téléphonique. Il a adopté une résolution autorisant la direction à attribuer une offre à commandes à Smiths pour l’achat d’appareils de radioscopie ainsi que de l’équipement et des services connexes pour une période initiale de cinq ans, avec une option de renouvellement d’un maximum de cinq autres années. Voici l’intégralité du raisonnement du conseil à l’appui de sa décision :

[traduction]

En réponse aux questions des membres du conseil, le chef de la direction a affirmé que la technologie Smiths était actuellement la seule qui était en mesure de répondre aux besoins actuels. Il a fait observer qu’il s’agissait de la technologie la plus performante à l’heure actuelle, qui présentait le potentiel d’amélioration le plus élevé.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[43]           Le dossier certifié produit par le procureur général comprenait un document émanant de la Commission européenne de l’aviation civile [« CEAC »], qui portait une date postérieure à la décision du conseil d’administration. Le défendeur l’aurait apparemment ajouté au dossier pour démontrer que Smiths avait pris part au processus d’évaluation commun relatif à l’équipement de sécurité dont ne faisait pas partie l’équipement de Rapiscan, et que Smiths avait respecté la norme de performance de la CEAC pour le contrôle des contenants de LAG [liquides, aérosols et gels] retirés des bagages à main.

 

III.       Questions à trancher

[44]           Voici les questions à examiner en l’espèce :

a)         L’affaire est-elle teintée d’un élément public tel, ou a-t-elle une saveur publique telle, qu’elle relève du droit public et est, de ce fait, susceptible de contrôle par la Cour au motif :

(i) qu’elle constitue un manquement à une obligation prévue par la loi, ou

(ii) qu’elle porte atteinte à l’intégrité des processus d’acquisition du gouvernement?

b)         Si l’affaire est susceptible de contrôle, quelle norme de contrôle faut-il appliquer?

c)         Dans les circonstances, la décision du conseil respectait-elle les normes de légalité, de rationalité et d’équité qui sont nécessaires à une bonne gouvernance?

 

IV.       Analyse

A.        Norme de contrôle

[45]           J’arrive à la conclusion que la présente affaire est susceptible de contrôle; j’expose donc ici l’analyse relative à la norme de contrôle

 

[46]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 26, la Cour suprême a observé que le contrôle judiciaire peut porter sur le fond de la décision ou sur le processus décisionnel. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], la Cour suprême a affirmé ce qui suit :

28    À mon avis, le sens de l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales doit être suffisamment élastique pour s’appliquer aux décisions de centaines de « types » différents de décideurs administratifs, du ministre au fonctionnaire le moins expérimenté, exerçant dans des contextes décisionnels variés les pouvoirs distincts qui leur sont conférés par des lois particulières. Certaines de ces attributions de pouvoir par le législateur comportent des clauses privatives, d’autres non. Certaines prévoient un droit d’appel auprès des tribunaux judiciaires, d’autres non. Le législateur ne peut avoir eu l’intention de créer, par l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, une norme de contrôle unique et rigide, à l’image du lit de Procuste, qui s’appliquerait sans égard au contexte à tous les « offices fédéraux », c’est‑à‑dire à tous les décideurs administratifs fédéraux en général, selon la définition de cette expression qui figure à l’art. 2. Une application souple et contextuelle de l’art. 18.1. épargne au législateur la nécessité d’établir des normes de contrôle sur mesure pour chacun des décideurs fédéraux.

 

[…]

 

33     Le recours au droit général en matière de contrôle judiciaire est d’autant plus essentiel dans le cas d’une disposition comme l’art. 18.8 de la Loi sur les Cours fédérales qui, contrairement à l’art. 672 du Code criminel, ne se limite pas à des questions particulières soumises à un tribunal administratif précis, mais vise toute la pléiade des décideurs fédéraux. L’article 18.1 doit conserver la souplesse qui en permet l’application dans une immense variété de circonstances.

 

[…]

 

36     Selon moi, l’art. 18.1 énonce en termes généraux les motifs qui autorisent la Cour à prendre une mesure, sans lui en imposer l’obligation. La question de savoir si la cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation dépendra de son appréciation des rôles respectifs des cours de justice et des organismes administratifs ainsi que des « circonstances de chaque cas » : voir Harelkin c. Université de Regina,[1979] 2 R.C.S. 561, p. 575. De plus, [TRADUCTION] « [e]n un sens, des considérations relatives à la prépondérance des inconvénients jouent chaque fois que la cour exerce son pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder réparation » (D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 3‑99). Ce pouvoir discrétionnaire doit bien sûr être exercé judiciairement, mais les principes généraux de contrôle judiciaire traités dans Dunsmuir fournissent des éléments du fondement judiciaire approprié de l’exercice de ce pouvoir.

 

[47]           Dans les affaires de passation de marchés, il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, sauf en ce qui concerne les questions de compétence; la norme de contrôle appropriée est donc celle de la décision raisonnable. Dans l’affaire Corporation Développement GDC Gatineau c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2009 CF 1295 [Développement GDC Gatineau], le juge Barnes, saisi d’un cas semblable, explique pourquoi, aux paragraphes 23 et 24 de sa décision :

23     ll est essentiel de comprendre que la présente instance n’a pas été introduite par voie d’action en violation de contrat. Cependant, GDC soutient que l’obligation d’équité qu’elle invoque est contractuelle quoiqu’implicite. Il est bien entendu qu’une soumission irrévocable conforme peut imposer aux deux parties des obligations contractuelles, y compris l’obligation d’équité, dont la violation pourrait étayer une demande de dommages-intérêts : voir Martel Building Ltd. c. Canada, 2000 CSC 60, [2000] 2 R.C.S. 860, aux par. 83 et 88. En revanche, une demande de contrôle judiciaire impose à la Cour certaines limites de compétence, lesquelles ont été décrites par le juge Robert Décary dans Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux du Canada), 1995, [1995] 2 C.F. 694, [1995] A.C.F. n° 735 (QL) (C.A.F.), aux par. 17 et 20 :  

 

17        Je ne cache pas la réticence que j’aurais eue à déclarer de façon catégorique qu’en aucune circonstance la Cour fédérale ne pourrait, par demande de contrôle judiciaire, vérifier la légalité d’un processus d’appel d’offres. Car c’est de cela, au fond, qu’il est question, quand on prétend que la Cour n’aurait pas compétence. C’est une chose, en effet, que de dire qu’un recours est plus ou moins approprié selon les circonstances. C’en est une autre que de dire qu’un recours est systématiquement prohibé en toutes circonstances. Les intimés, me semble-t-il, confondent ces deux notions. Il se peut que dans la réalité des choses ils aient plus souvent qu’autrement raison, en ce que les tribunaux auront cherché en vain l’illégalité qui, seule, peut justifier une intervention. Il n’en reste pas moins qu’en termes de compétence de la Cour, le Parlement a permis que ces décisions soient attaquées et le fait qu’en pratique elles puissent rarement l’être avec succès ne signifie pas que la Cour ait été sans compétence à leur égard.

 

[...]

 

20        Le contrôle judiciaire visant par définition la légalité des actes de l’Administration fédérale, et le processus de demande de soumissions n’étant assujetti à aucune exigence de forme ou de fond législative ou réglementaire, il ne sera pas facile, là où les documents de soumission n’imposent pas de restrictions sévères à l’exercice par le ministre de sa liberté de choix, de démontrer à quelle illégalité s’adonne le ministre lorsque, dans le cours normal des choses, il compare les offres reçues, détermine si une soumission est conforme ou non aux documents ou retient une soumission plutôt qu’une autre.

 

Il faut donc prendre soin d’éviter le risque de transformer une demande portant sur la légalité d’une décision sur une procédure d’appel d’offres en une action en violation de contrat.

 

24     Malgré ses limites évidentes, il est clair que le contrôle judiciaire permet d’évaluer la légalité de la décision de lancer un appel d’offres comme celle qui a été prise en l’espèce et, en particulier, d’une décision de rejeter une offre. Il faut faire preuve de retenue envers de telles décisions et je suis d’accord avec la norme énoncée par le juge Paul Rouleau dans Halifax Shipyard Ltd. c. Canada (ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), (1996), 113 F.T.R. 58, 63 A.C.W.S. (3d) 627 (C.F. 1ère inst.). Le juge Rouleau a conclu que la partie requérante devait faire la preuve que l’administration adjudicative a agi d’une manière injuste, déraisonnable et arbitraire, qu’elle a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes, ou qu’elle a agi de mauvaise foi.

 

B.        L’affaire est-elle teintée d’un élément public tel, ou a-t-elle une saveur publique telle, qu’elle relève du droit public?

 

[48]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans la première phrase de l’arrêt Irving Shipbuilding Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 RCF 488 [Irving Shipbuilding], au paragraphe 1, « Les marchés publics se situent à la frontière entre le droit public et le droit privé ». Il est communément admis qu’un marché d’acquisition, étant de nature commerciale, ne permet pas normalement de recours fondés sur le droit administratif. Irving Shipbuilding, au paragraphe 46 :

46     Le contexte du présent litige est essentiellement de nature commerciale, même si le gouvernement est l’acheteur. TPSGC a établi un contrat conformément à un pouvoir conféré par la loi et les biens et services acquis sont liés à la défense nationale. Selon moi, il serait en règle générale inapproprié d’incorporer une obligation provenant du droit public conçue dans le contexte de l’exécution des fonctions gouvernementales conformément à des pouvoirs conférés uniquement par la loi dans une relation de nature principalement commerciale, régie par un contrat.

 

 

[49]           Dans l’arrêt Irving Shipbuilding, la Cour d’appel est allée plus loin dans ses observations, aux paragraphes 61 et 62, concernant les exceptions qui permettent à un sous-traitant d’invoquer une obligation de droit public. La Cour d’appel a limité les exceptions à la règle aux situations où l’intégrité du processus d’acquisition était menacée, ce qui, à tout le moins selon les exemples mentionnés, ne se produirait que dans les cas d’infractions criminelles.

 

[50]           J’examinerai plus loin si le critère exigeant sur lequel reposent les exceptions devait s’appliquer uniquement aux sous-traitants, à qui le droit d’exercer un recours de droit public a été refusé pour un certain nombre de raisons liées à diverses autres restrictions à leur droit de poursuivre pour rupture de contrat et négligence. La Cour d’appel a également cité avec approbation l’ouvrage de Paul Emanuelli, Government Procurement, 2e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008), qui (à la page 698) formule un critère plus général pour déterminer si le contrôle judiciaire est autorisé dans un contexte contractuel : 

24     Cette interprétation de la compétence de la Cour est conforme à celle qui est généralement adoptée par les autres tribunaux au Canada : voir Paul Emanuelli, Government Procurement, 2e éd. (Markham, Ontario : LEXISNEXIS, 2008) aux pages 697 à 706, où l’auteur tire la conclusion suivante (page 698) :

 

[traduction] En règle générale, plus le lien entre un processus d’acquisition et l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi est étroit, plus la probabilité que cette activité soit susceptible de contrôle judiciaire est grande. En revanche, lorsqu’une acquisition ne relève pas du champ d’application d’un pouvoir conféré par la loi et relève de l’exercice d’un pouvoir exécutif résiduel du gouvernement, il est moins probable que l’acquisition soit susceptible de contrôle judiciaire

 

La jurisprudence anglaise en matière de contrats publics et de contrôle judiciaire est examinée dans l’ouvrage de Harry Woolf, Jeffrey Jowell et Andrew Le Sueur, De Smith’s Judicial Review, 6e éd. (London : Sweet & Maxwell Ltd., 2007), aux pages 138 à 145. On précise que les tribunaux exigent généralement un [traduction] « élément public additionnel » avant de conclure que l’exercice du pouvoir contractuel d’une autorité publique est susceptible de contrôle judiciaire, même si le pouvoir est prévu par la loi.

 

[51]           La Cour d’appel fédérale a élargi le sens d’« élément public additionnel » dans son récent arrêt Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347 [Administration portuaire de Toronto]. Le juge Stratas a résumé la jurisprudence sur laquelle s’appuient généralement les tribunaux pour déterminer si « une question est associée à une caractéristique, à un élément ou à un contexte suffisamment public pour qu’elle relève du droit public », au paragraphe 60 ci-après :

[60]           Pour trancher la question de la nature publique ou privée d’une mesure, il convient d’apprécier l’ensemble des circonstances : Cairns c. Farm Credit Corp., [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.); Jackson c. Canada (Procureur général) (1997), 141 F.T.R. 1 (1re inst.). Il existe un certain nombre de facteurs qu’il convient de prendre en compte pour décider si une question est associée à une caractéristique, à un élément ou à un contexte suffisamment public pour qu’elle relève du droit public. La question de savoir si tel facteur ou tel ensemble de facteurs particuliers fait pencher la balance d’un côté et rend une question « publique » dépend des faits de l’affaire et de l’impression d’ensemble donnée à la Cour. Voici un certain nombre de facteurs pertinents qui ressortent de ces décisions :

 

●         La nature de la question visée par la demande de contrôle. Est‑ce une question privée, commerciale ou de portée plus vaste intéressant les membres du public? Voir la décision DRL c. Administration portuaire d’Halifax, précitée; Peace Hills Trust Co. c. Moccasin, 2005 CF 1364, au paragraphe 61, 281 F.T.R. 201 (1re inst.) (« […] il faut s’abstenir d’appliquer les principes du droit administratif au règlement de ce qui est au fond une question de droit commercial […] »).

 

●          La nature du décideur et ses attributions. S’agit‑il d’un décideur public, comme un mandataire de la Couronne ou un organisme administratif reconnu par la loi et à qui des attributions de nature publique ont été confiées? La question en cause est‑elle étroitement liée à ces attributions?

 

●         La mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée. Lorsqu’une décision particulière est autorisée directement par une source de droit public comme une loi, un règlement ou une ordonnance, ou découle directement d’une telle source, le tribunal aura davantage tendance à considérer que la question est de nature publique : arrêt Mavi, précité; Scheerer c. Waldbillig, (2006), 208 O.A.C. 29, 265 D.L.R. (4th) 749 (C. div.); Aeric, Inc. c. Société canadienne des postes, Reflex, [1985] 1 C.F. 127 (1re inst.). Il sera d’autant plus enclin à le faire si la source de droit public fournit le critère en fonction duquel la décision est prise : décision Scheerer c. Waldbillig, précitée, au paragraphe 19; arrêt R. c. Hampshire Farmer’s Markets Ltd., [2004] 1 W.L.R. 233, à la page 240 (C.A.), cité avec approbation dans MacDonald c. Anishinabek Police Service, (2006), CanLII 37598 (ON SCDC), (2006), 83 O.R. (3d) 132 (C. div.). Les mesures prises en vertu d’un pouvoir découlant d’une source autre qu’une loi, comme le droit contractuel général ou des considérations commerciales, sont plus fréquemment considérées comme non susceptibles de contrôle judiciaire : arrêt Irving Shipbuilding Inc, précité; Devil’s Gap Cottager (1982) Ltd. c. Bande de Rat Portage No. 38B, 2008 CF 812 (CanLII), 2008 CF 812, aux paragraphes 45 et 46, 2008 CF 812 (CanLII), [2009] 2 R.C.F. 276.

 

●         Les rapports entre l’organisme en cause et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement. Si l’organisme est intégré à un réseau gouvernemental et exerce un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau, les actes qu’il pose seront plus fréquemment qualifiés d’actes de nature publique : Onuschuk c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135 (CanLII), 2009 CF 1135, au paragraphe 23, 357 F.T.R. 22; Certified General Accountants Association of Canada c. Canadian Public Accountability Board, 2008, CanLII 1536, (ON SCDC), (2008), 233 O.A.C. 129 (C. div.); R. c. Panel on Take‑overs and Mergers; Ex Parte Datafin plc., [1987] Q.B. 815 (C.A.); Volker Stevin N.W.T. (‘92) Ltd. c. Territoires du Nord‑Ouest (Commissaire), 1994, CanLII 5246 (NWT CA), [1994] N.W.T.R. 97, 22 Admin. L.R. (2d) 251 (C.A.); R. c. Disciplinary Committee of the Jockey Club, ex parte Aga Khan, [1993] 2 All E.R. 853, à la page 874 (C.A.); arrêt R. c. Hampshire Farmer’s Markets Ltd., précité, à la page 240 (C.A.). Le seul fait que l’organisme en question soit mentionné dans une loi n’est pas toujours suffisant : Ripley c. Pommier, Reflex, (1990), 99 N.S.R. (2d) 338, [1990] N.S.J. No. 295 (C.S.).

 

●         La mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique. Par exemple, les personnes privées embauchées par le gouvernement pour effectuer une enquête au sujet d’une allégation d’inconduite visant un fonctionnaire public peuvent être considérées comme exerçant un pouvoir de nature publique : Masters c. Ontario, (1993), 16 O.R. (3d) 439, [1993] O.J. No. 3091 (C. div.). L’obligation de faire approuver ou contrôler par le gouvernement les politiques, règlements administratifs ou autres questions peut être un élément pertinent : décision Aeric, précitée; Canadian Centre for Ethics in Sport c. Russell, [2007] O.J. No. 2234 (C. sup. de J.).

 

●         Le caractère approprié des recours de droit public. Si la nature de la mesure est telle qu’il serait utile d’accorder dans ce cas un recours de droit public, les tribunaux sont davantage enclins à considérer qu’il s’agit là d’une question de nature publique : arrêt Dunsmuir, précité; arrêt Irving Shipbuilding, précité, aux paragraphes 51 à 54.

 

●         L’existence d’un pouvoir de contrainte. L’existence d’un pouvoir de contrainte sur le public en général ou sur un groupe défini, comme une profession, peut être un indice de la nature publique. Il y a lieu de différencier cette situation avec celle où les parties acceptent volontairement de relever d’un organisme. Voir Chyz c. Appraisal Institute of Canada, Reflex, (1984), 36 Sask. R. 266 (B.R.); arrêt Volker Stevin, précité; arrêt Datafin, précité.

 

●         Une catégorie d’affaires « exceptionnelles » dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante. Lorsqu’une mesure a des conséquences exceptionnelles et très graves sur les droits d’un large secteur de la population, elle est susceptible de contrôle : arrêt Aga Khan, précité, aux pages 867 et 873; voir également Paul Craig, « Public Law and Control Over Private Power » dans Michael Taggart, éd., The Province of Administrative Law (Oxford, Hart Publishing, 1997) 196. Cela peut comprendre les cas où la fraude, les pots‑de‑vin, la corruption ou l’atteinte aux droits de la personne ont pour effet de transformer une question qui était de nature privée au départ en une question de nature publique : arrêt Irving Shipbuilding, précité, aux paragraphes 61 et 62.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[52]            La plupart de ces facteurs s’appliquent et confèrent à la présente affaire un élément public. L’achat de l’équipement de contrôle des aéroports à l’échelle du Canada est manifestement une question d’importance générale (ou de portée plus vaste) pour les membres du public. Le décideur est un organisme fédéral à qui des attributions de nature publique ont été confiées. La décision a été prise en fonction de contraintes réglementaires aux politiques de passation de contrats de l’ACSTA. Cette dernière est considérée comme exerçant ses pouvoirs en tant qu’élément et mandataire du gouvernement fédéral. Enfin, dans ces circonstances particulières, un recours de droit public serait utile.

 

[53]           Je conclus que les arguments de Rapiscan qui permettent le mieux d’établir son droit d’exercer un recours administratif sont de deux ordres. Premièrement, la demanderesse soutient que l’[traduction] «  élément public » nécessaire découle d’une obligation légale, qui découlerait elle‑même du paragraphe 8(5) de la Loi, lequel oblige l’ACSTA à mener ses processus d’acquisition d’une manière qui favorise la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix.

 

[54]           Deuxièmement, Rapiscan soutient que le personnel de l’ACSTA a nettement induit en erreur le conseil d’administration, qui a ainsi donné par erreur son aval à l’attribution inéquitable et non concurrentielle d’un contrat, en plus d’éliminer tout recours contractuel fondé sur le droit à un traitement juste et équitable. Rapiscan fait valoir que seul un recours de droit administratif peut remédier à telle conduite et que, dans le cas contraire, l’intégrité du processus d’acquisition du gouvernement serait compromise.

 

(1)        Manquement à une obligation légale

[55]           Dans l’arrêt Irving Shipbuilding, la Cour d’appel a également eu l’occasion de formuler des observations sur un argument semblable à celui de Rapiscan, à savoir que l’article 40.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11 [LGFP] imposait une obligation légale au regard du processus d’acquisition. En rejetant cet argument, la Cour d’appel a formulé les observations suivantes aux paragraphes 42 et 43 :

[42]     Au cours des plaidoiries, l’avocat des appelantes a fait valoir que la loi leur accorde le droit à l’équité procédurale. Il s’est appuyé sur la disposition suivante :

 

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 [art. 40.1 (édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 310)]

 

40.1   Le gouvernement fédéral s’engage à prendre les mesures indiquées pour favoriser l’équité, l’ouverture et la transparence du processus d’appel d’offres en vue de la passation avec Sa Majesté de marchés de fournitures, de marchés de services ou de marchés de travaux.

 

[Je souligne]

40.1   The Government of Canada is committed to taking appropriate measures to promote fairness, openness and transparency in the bidding process for contracts with Her Majesty for the performance of work, the supply of goods or the rendering of services.

 

 

 

[Emphasis added]

 

[43]     La loi peut bien évidemment imposer une obligation d’équité à TPSGC dans sa façon de mener le processus d’acquisition, et en préciser le contenu. Cependant, je ne suis pas convaincu que la disposition ci-dessus est utile aux appelantes. La phrase « [l]e gouvernement fédéral s’engage à prendre les mesures indiquées pour favoriser l’équité […] du processus d’appel d’offres » n’est pas suffisamment précise pour imposer instantanément une obligation d’équité procédurale pouvant être mise à exécution par un soumissionnaire et, à plus forte raison, par un sous-traitant. Cette phrase signifie plutôt que le gouvernement s’engage à prendre des mesures éventuelles non précisées pour s’assurer de l’équité du processus d’acquisition.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[56]           La demanderesse tente d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Irving Shipbuilding en se fondant sur le libellé plus impératif du paragraphe 8(5) de la Loi, reproduit ci-dessous par souci de commodité :

8. (5) L’Administration établit les règles et méthodes à suivre concernant les contrats de fourniture de biens et de services qui garantissent l’importance primordiale de ses besoins opérationnels et qui favorisent la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix.

 

[Je souligne]

8. (5) The Authority must establish policies and procedures for contracts for services and for procurement that ensure that the Authority’s operational requirements are always met and that promote transparency, openness, fairness and value for money in purchasing.

 

[Emphasis added]

 

[57]           La demanderesse fait valoir que cette disposition satisfait à l’exigence de l’arrêt Irving Shipbuilding, de sorte qu’elle impose immédiatement une obligation légale : [traduction] « Ainsi, ce [paragraphe 8(5)] ne constitue pas un engagement pour l’avenir à faire quelque chose; il s’agit plutôt d’un engagement imposé à l’ACSTA, et pris par elle, de respecter la loi ».

 

[58]           J’aimerais ajouter à l’argument de Rapiscan que les procédures d’attribution de marchés de l’ACSTA, figurant à la section 5.7 intitulée [traduction] « Transparence, équité et achat au meilleur prix ne font pas l’objet d’exceptions », tendent à indiquer que l’ACSTA estime que le paragraphe 8(5) est impératif. Il est en effet mentionné que [traduction] « [ ...] sous réserve de la section 5.6.1, les exceptions à un processus d’acquisition ouvert ne doivent pas restreindre les obligations légales et stratégiques de l’ACSTA en matière de transparence, d’équité ou d’achat au meilleur prix ». [Non souligné dans l’original]

 

[59]           Néanmoins, je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse. Même si selon le paragraphe 8(5), il existe une obligation immédiate d’adopter des politiques et des procédures régissant les marchés d’acquisition, la disposition est au mieux de nature directive, de la même manière que l’article 40.1 de la LGFP. L’ACSTA est seulement tenue de prendre des mesures « qui favorisent la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix ». L’inclusion du terme « favorisent » au paragraphe 8(5) a un effet comparable à celui de l’article 40.1 de la LGFP, sur lequel, à mon avis, repose la décision de la Cour d’appel.

 

[60]           En outre, le terme « favorisent » employé au paragraphe 8(5) de la Loi s’oppose diamétralement à l’obligation légale très ferme imposée à l’ACSTA dans la même phrase de garantir « l’importance primordiale de ses besoins opérationnels ». La différence des termes employés dans la même disposition indique clairement que les deux termes n’ont pas le même sens. Voir par exemple, Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 2éd. (Toronto : Irwin Law, 2007), à la page 185, sous le titre « Same Words, Same Meaning – Different Words, Different Meaning », et les observations du juge Zinn dans la décision Hernandez c Canada ( Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1417, au paragraphe 59 :

 

59     [. . .] mais une règle d’interprétation législative veut encore que des mots différents apparaissant dans la même loi ont des sens différents : voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5éd., (Toronto, LexisNexis Canada, 2008) [Construction de Sullivan], aux pages 216 à 218. Le juge Malone a exprimé ce principe dans l’arrêt Peach Hill Management Ltd c Canada, [2000] ACF no 894 (CA), au paragraphe 12, comme suit :  

 

Lorsqu’une loi emploie des mots différents pour traiter du même sujet, ce choix du législateur doit être considéré comme délibéré et être tenu pour une indication de changement de sens ou de différence de sens.

 

[61]           Si l’ACSTA avait été tenue de garantir la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix par ses règles et ses méthodes, je conviens qu’il existerait une obligation légale ouvrant droit à un recours de droit public. Or, favoriser l’atteinte d’un objectif n’est pas la même chose que garantir l’atteinte d’un objectif.

 

[62]           L’argument reposant sur le fait que l’ACSTA s’est acquittée de l’obligation que lui impose la loi d’établir des règles et des méthodes qui favorisent la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix, et les a ensuite qualifiées d’[traduction] « obligations [ ...] légales » dans ses procédures de passation de marchés ne saurait non plus être retenu. Les mesures administratives ne changent pas et ne peuvent aider à l’interprétation d’une disposition législative. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 2éd. (Toronto : Irwin Law, 2007), à la page 301 :

[traduction]

La règle de base régissant l’utilisation judicieuse des documents administratifs a été formulée par le juge Dickson dans R c Nowegijick : « Les politiques et l’interprétation administratives ne sont pas déterminantes, mais elles ont une certaine valeur et, en cas de doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un « facteur important ». En d’autres termes, ces documents sont admissibles pour dissiper des doutes dans l’interprétation, mais leur poids dépend des circonstances [. . .] Toutefois, comme le souligne le juge LeBel dans Cie pétrolière Impériale ltée c Canada, « Si une interprétation est erronée, elle ne s’applique pas ».

 

(2)        Nuire à l’intégrité du processus d’acquisition du gouvernement

[63]           L’analyse de cette question doit être effectuée en deux étapes. Il faut commencer par déterminer si le conseil d’administration a été induit en erreur sur des questions importantes; puis, il faut se demander si les circonstances confèrent à l’affaire l’élément public nécessaire pour qu’elle puisse être examinée dans le cadre d’un recours de droit public.

 

 

(a)        Conseil d’administration induit en erreur

(i)         Le défaut de respecter les procédures de passation de marchés

[64]           Là où la direction a surtout manqué, c’est en n’informant pas le conseil d’administration qu’elle avait dérogé radicalement aux procédures de passation de marchés au cours du processus d’acquisition. En ce qui a trait aux résultats, elle s’est écartée à deux égards importants des procédures de passation de marché; d’une part, elle a élaboré une procédure relative aux « DS » qui n’était pas équitable et concurrentielle et, d’autre part, elle a dissimulé les exigences minimales et des normes de performance, ce qui a eu pour résultat de favoriser injustement Smiths.

 

[65]           La DS n’était pas conforme, dès le début, aux processus d’acquisition autorisés en vertu des procédures de passation de marchés. La « DS » ne figurait pas parmi les différents processus d’acquisition sur la liste des processus d’acquisition ouverts. Il s’agissait, comme l’a expliqué la demanderesse, d’un processus « ponctuel » ou concocté auquel l’étiquette trompeuse de DS avait été accolée. Le dossier certifié ne fournit aucune raison expliquant pourquoi la direction a décidé d’élaborer son propre processus qui n’a aucun rapport avec l’un de ceux qui sont autorisés par les procédures de passation de marchés. Le défendeur fait valoir que le processus en question était en tout temps conforme aux procédures.

 

[66]           La DS comportait deux étapes distinctes et la première était une DI. L’objet d’une DI, énoncé dans les procédures de passation de marchés, était de recueillir des éléments d’information susceptibles d’être utilisés avant le lancement du processus d’acquisition. Une DI de l’ACSTA suppose donc le lancement d’un processus d’acquisition aux fins de l’attribution d’un marché d’acquisition. Elle ne suppose pas que le contrat sera attribué en fonction des éléments d’information fournis en réponse.

 

[67]           La deuxième étape de la procédure relative à une DS était un processus non documenté visant à évaluer l’information et à attribuer le contrat. Étant donné le caractère arbitraire de la procédure, la DS contenait de nombreuses clauses de non‑responsabilité visant à autoriser sa tenue. Il s’agissait notamment de préciser qu’aucun contrat A ne découlerait de la présentation d’une soumission dans le cadre de la DS, que l’ACSTA pouvait ne pas tenir compte des besoins énoncés dans la DS (en fait, il n’y en avait aucun) et que l’ACSTA ne devait pas être soumise à des restrictions qui l’empêcheraient d’exécuter la deuxième étape, soit celle des processus de sélection non concurrentiels, y compris l’obtention d’information auprès de tierces parties qui ne sont pas nommées. Il s’agissait donc manifestement d’un processus arbitraire et sans contrainte où l’ACSTA pouvait choisir le fournisseur en fonction de besoins et de critères d’évaluation connus seulement de ses dirigeants.

 

[68]           L’issue finale du deuxième processus était l’attribution d’une offre à commandes, dont une copie a été jointe à la DS. Les procédures de passation de marchés comportent un processus d’acquisition appelé Demande d’offre à commandes (DOC) qui est défini comme un processus d’acquisition ouvert. Une DOC est un processus qui est assujetti à des critères de transparence, d’équité et d’optimisation des ressources, ainsi qu’à l’obligation de suivre les pratiques généralement acceptées qui sont énoncées dans les procédures relatives aux processus d’acquisition ouverts.

 

(ii)        Ignorance de la part du conseil que les procédures de passation de marchés n’étaient pas suivies

[69]           Le seul élément de preuve qui décrit les éléments d’information sur lesquels s’est appuyé le conseil d’administration pour prendre sa décision consiste en une note d’information de la direction, datée du 4 octobre 2010. L’ACSTA n’était pas tenue de déposer un affidavit décrivant les documents présentés au conseil et les discussions qui ont eu lieu lors de la réunion par conférence téléphonique et elle ne l’a pas fait, de sorte que la Cour est limitée dans son examen des renseignements sur lesquels a reposé la décision contestée.

 

[70]           À un certain moment, le défendeur a tenté de soutenir que tous les documents versés au dossier certifié avaient été soumis au conseil d’administration. Je ne partage pas cet avis. Tout d’abord, cela contredit une déclaration faite dans la lettre de l’avocat, datée du 22 juillet 2011, qui accompagnait le dossier certifié modifié, selon laquelle les documents ont été distribués plus particulièrement aux membres du conseil. Voici cette déclaration :

[traduction]

Enfin, M. Monaghan vous informe que les seuls documents distribués plus particulièrement aux membres du Conseil, afin que ces derniers puissent se pencher sur la demande d’approbation du contrat relative à la DS en cause, étaient les documents figurant aux pages 3-9/10 et à la page 23 du dossier certifié [la demande d’approbation du contrat et la note d’information, la résolution du conseil d’administration et le tableau de comparaison des coûts de Smiths et de L3t]. M. Monaghan précise que les autres documents du dossier certifié étaient ceux qui avaient été communiqués au conseil relativement à l’acquisition en 2009 d’un appareil à angles de vue multiples et prévoyait que le conseil pourrait vouloir les consulter pour appuyer la recommandation formulée relativement à l’approbation de contrat.

 

[71]           En outre, le dossier certifié contient un document qui était inexistant au moment de la réunion du conseil; ce document visait à démontrer que l’équipement de Smiths avait des capacités de détection supérieures à celles de l’équipement de Rapiscan. Il n’aurait évidemment pas dû être versé au dossier certifié, et je conclus qu’il ne pouvait pas servir à ce à quoi il était destiné pour un certain nombre de raisons.

 

[72]           Les renseignements fournis à la Cour et sur lesquels repose la décision du conseil d’administration se limitent donc à la note d’information de la direction, aux observations faites par M. Martin Corrigan (qui a participé à la réunion du conseil) au cours du contre-interrogatoire concernant son affidavit dans le cadre de la procédure d’injonction interlocutoire, ainsi qu’à la décision écrite et à la résolution ayant émané de la réunion du conseil. Dans la mesure où les renseignements communiqués au conseil étaient erronés ou que les renseignements n’ont pas été communiqués au conseil, de telles erreurs ou lacunes sont attribuables à la décision du conseil.

 

[73]           Le défendeur affirme que le conseil d’administration savait manifestement que le processus d’acquisition ne respectait pas les procédures décrites dans la politique contractuelle, étant donné que la direction avait mentionné dans sa note qu’une DS faisait partie du processus d’acquisition. J’estime que rien ne permet de tirer une telle conclusion qui reposerait simplement sur le fait que le terme DS figurait dans la note d’information. Aucun autre commentaire explicatif n’a été formulé qui aurait pu susciter des questions semblables à celles qui étaient posées dans le procès-verbal du Comité d’examen des marchés, dans lequel il était mentionné que le Comité [traduction] « avait autorisé une DI (qui est plus ou moins comparable à une DP) ». En outre, dans le document sur la stratégie d’achat, le processus était présenté comme étant une demande d’information. L’approbation d’une DI par le Comité d’examen des marchés a été confirmée dans une résolution officielle adoptée le même jour.

 

[74]           Le contre-interrogatoire de M. Corrigan concernant son affidavit, aux pages 218 à 224 de la transcription de la procédure d’injonction interlocutoire, illustre la confusion qui régnait quant au mode de passation de marchés réellement associé à la DS. Non seulement M. Corrigan ne savait pas comment la DI avait pu être remplacée une DS, mais l’avocate du défendeur est intervenue pour laisser entendre que le processus était une DOC et a souligné que la DS comportait une offre à commandes. Tout en reconnaissant que la DS ne faisait pas partie des procédures de passation de marchés obligatoires et documentées de l’ACSTA, M. Corrigan a déclaré que le groupe des acquisitions n’avait pas examiné l’ensemble des règles et des méthodes, et ne les avait pas mises à jour sur une base annuelle.

 

[75]           Fait plus important encore, relativement à ce qui avait été communiqué au conseil d’administration, M. Corrigan a indiqué qu’il ignorait de quelle façon le processus en est venu à porter l’étiquette de DS, ni de quelle façon un contrat relatif à une offre à commandes en est venu à y être intégré. Je suis convaincu que rien de cela n’a été porté à l’attention du conseil, notamment parce que les procédures de passation de marchés exigeaient une dérogation expresse si elles n’étaient pas suivies.

 

[76]           Rien n’indique que le conseil d’administration savait que la direction avait mené un processus d’acquisition qui ne répondait pas à la définition de processus d’acquisition ouvert ou qui était loin de reproduire les procédures détaillées s’appliquant à un processus d’acquisition ouvert, transparent, concurrentiel et équitable, qui sont décrites dans les procédures de passation de marchés. De même, rien n’indique que le conseil était au courant que le processus n’avait donné lieu à aucun énoncé des besoins ou des critères d’appréciation des facteurs d’attribution du contrat; ou encore, que la DS contenait des dispositions exemptant l’ACSTA de toute obligation d’un traitement juste et équitable des fournisseurs et que celle‑ci avait avisé les fournisseurs qu’elle n’était pas tenue de suivre un processus concurrentiel et que le contrat pouvait être attribué en fonction de tout critère, sans restriction quant à sa collecte de renseignements auprès de sources non divulguées.

 

[77]           Ne disposant d’aucun de ces renseignements, le conseil d’administration n’était pas en mesure d’exercer sa fonction de surveillance. Il a été ainsi placé dans une situation où, sans le savoir, il a omis de prendre en compte des facteurs pertinents relatifs au processus d’acquisition. Je conclus que le conseil d’administration qui était chargé de mettre en œuvre des politiques et des procédures sur la passation de marchés, une fois ces facteurs pris en compte, n’aurait pas autorisé l’attribution du contrat à Smiths sans que la direction ait lancé un processus respectant les procédures de passation de marchés.

 

[78]           J’expose dans le détail le défaut de la direction de respecter les procédures de passation de marchés.

 

(iii)       Aucune obligation d’un traitement juste et équitable

[79]           J’ai déjà mentionné que la DS contenait une exemption indiquant qu’aucun contrat A ne naîtrait de la présentation d’une soumission dans le cadre de la DS. Cette exemption aurait pour effet d’éliminer toute obligation d’un traitement juste et équitable des fournisseurs ayant répondu à la DS.

 

[80]           L’élimination de toute obligation d’équité envers les fournisseurs qui présentent des soumissions dans le cadre de la DS témoigne de l’intention de l’ACSTA de ne pas lancer un processus véritablement concurrentiel. Par définition, le processus concurrentiel est un processus qui est mené de façon équitable, c’est‑à‑dire qu’un processus inéquitable n’est pas concurrentiel. En exemptant l’ACSTA de toute obligation d’équité et de l’exigence de lancer un appel d’offres, la direction a enfreint ses obligations légales et stratégiques de favoriser l’équité et la compétitivité dans les marchés d’acquisition de l’ACSTA.

 

(iv)       Défaut d’énoncer les besoins ou de fournir les critères d’évaluation

[81]           D’une manière générale, en ce qui a trait au défaut de mener un processus concurrentiel équitable et transparent, il ressort que la principale lacune de la DS était que celle-ci ne faisait pas état des besoins et des critères de sélection de sorte que les fournisseurs auraient su à propos de quoi ils présentaient des soumissions ou de quelle façon ils seraient évalués.

 

[82]           Le paragraphe 7.2 du processus d’acquisition ouvert exige l’adoption de [traduction] « pratiques généralement acceptées ». Au nombre de ces pratiques, mentionnons l’élaboration d’un énoncé des travaux [besoins] et des critères d’évaluation. Le paragraphe 5.3 exige également que des critères d’évaluation soient établis préalablement à la demande d’approbation du contrat applicable. À cet égard, les commentaires du membre non identifié du Comité d’examen des marchés, lors d’une réunion tenue le 14 juillet 2010, étaient prémonitoires. Il a mentionné en effet que, si le Comité ne publiait pas les exigences cotées, il devrait prouver hors de tout doute que le processus a été exécuté de façon équitable.

 

[83]           D’importants manquements aux règles d’équité habituelles en matière de passation de marchés résultent du défaut d’inclure les besoins ou les critères d’évaluation, de même que de l’application d’exigences minimales non divulguées et de normes de performance non déclarées pour l’équipement. Ces manquements sont présentés ci-dessous.

 

(v)        Exigences minimales non divulguées

[84]           La direction a admis qu’elle avait appliqué des exigences minimales afin d’éliminer des parties soumissionnaires. En témoigne l’extrait déjà cité de la note d’information que je présente de nouveau ci-dessus aux fins d’analyse :

[traduction]

La politique de prix de toutes les soumissions des fournisseurs a été analysée. La comparaison des prix, qui figure à l’annexe « B », ne traite que des politiques de prix de L-3 et de Smiths, puisque seuls ces fournisseurs répondaient aux exigences minimales énoncées dans les exigences de l’ACSTA (trois angles de vues, certification de la TSA).

 

[Non souligné dans l’original]

 

[85]           Pour commencer, je conclus que la direction a induit en erreur le conseil d’administration lorsqu’elle a affirmé que les exigences minimales étaient « énoncées » dans les exigences de l’ACSTA. Ainsi qu’il a déjà été signalé, aucune exigence n’a été mentionnée dans la DS et certainement pas les exigences minimales relatives aux trois angles de vue.

 

[86]           Le défendeur a tenté de faire valoir qu’aucune exigence minimale n’a été établie dans le processus d’acquisition. Chose certaine, aucune exigence n’a été formulée dans la DS, mais il ressort clairement de la note d’information précitée que des exigences minimales ont été appliquées pour écarter la candidature de certains fournisseurs. Reveal a été éliminée parce que son équipement n’était pas certifié par la TSA. Rapiscan a été éliminée parce que son équipement ne captait pas les trois angles de vue minimum requis.

 

[87]           Je conclus aussi que l’exigence minimale des trois angles de vue a été établie en 2009. Selon la note d’information à l’intention du conseil qui avait trait au processus d’acquisition : [traduction] « L’équipement de radioscopie de Smiths satisfait à l’exigence minimale d’au moins trois angles de vue […] ». L’avocate du défendeur l’a également reconnu pendant le contre‑interrogatoire de M. Corrigan, où les parties ont convenu que Rapiscan pouvait invoquer la note d’information de 2009. Quoi qu’il en soit, comme la direction avait demandé et reçu le Livre blanc juste avant le début du processus d’acquisition et que ce document confirmait dans l’esprit de l’ACSTA que plusieurs angles de vue offraient un potentiel accru d’une plus grande capacité de détection, il est évident que l’exigence minimale des trois angles de vue avait été établie avant la publication de la DS.

 

[88]           Il ressort également que la direction savait que Rapiscan soumissionnerait pour son modèle 620DV-AT à deux angles de vue lors du processus d’acquisition de 2010. Lors du processus d’acquisition fermé de 2009, la direction avait choisi l’appareil 620DV de Rapiscan, qu’elle avait comparé à l’équipement aTIX de Smiths. Donc, sans même que Rapiscan soit au courant que son équipement avait été comparé à celui de Smiths, l’ACSTA s’attendait vraiment à ce que Rapiscan offre de fournir le même 620DV que sa direction avait utilisé pour la comparaison cachée un an plus tôt. En outre, M. Corrigan a admis que l’ACSTA avait une idée de l’équipement offert par un nombre limité de fournisseurs qui fabriquaient les appareils de contrôle pré-embarquement.

 

(vi)       L’exigence des trois angles de vue n’est pas une exigence minimale appropriée

 

[89]           Une exigence minimale ne peut être une exigence pondérée. Par définition, l’exigence dont l’application doit être déterminée en fonction d’un autre critère ne saurait être une exigence du type « réussite ou échec » servant à soustraire une partie soumissionnaire à une évaluation plus approfondie de sa proposition.

 

[90]           La preuve indique que l’exigence des trois angles de vue était une exigence pondérée et non une exigence minimale. La seule façon de déterminer si cette exigence s’appliquait était de comparer les économies qui pourraient être obtenues de la mise à niveau de l’équipement de Smiths à celles qui seraient réalisées par l’utilisation de l’équipement moins coûteux de Rapiscan. C’est ce qui ressort de la position adoptée par le conseil d’administration pour justifier l’achat de l’équipement plus coûteux de Smiths en 2009 :

[traduction]

ET CONSIDÉRANT QUE le coût du produit de Smiths est supérieur à celui du produit de Rapiscan, mais que seul le produit de Smiths intègre la technologie qui peut être mise à niveau pour accroître la capacité de détection, notamment des liquides et des gels interdits, et peut, par conséquent, améliorer l’efficacité future au chapitre de la sécurité et réduire les coûts supportés par l’ACSTA;

 

[91]           Ainsi, non seulement la direction ignorait que l’exigence minimale avait été dissimulée à Rapiscan, mais elle ignorait également que ce n’était pas une véritable exigence minimale et que celle-ci avait été utilisée à mauvais escient pour écarter l’offre financière moins élevée de Rapiscan. En conséquence, la décision du conseil était déraisonnable, parce que le conseil n’a pas pu déterminer si l’attribution à Smiths du contrat relatif à l’équipement de contrôle aurait permis d’optimiser les ressources, et qu’il a ainsi contrevenu ainsi à l’orientation de la mission que lui confère le paragraphe 8(5), laquelle est reprise dans les politiques et les procédures sur la passation de marchés, de favoriser l’optimisation des ressources dans la passation de marchés.

 

 

(vii)      Mauvaise foi de l’ACSTA

[92]           J’accepte l’observation de Rapiscan selon laquelle celle‑ci ne pouvait soumissionner en sachant à l’avance qu’elle ne pourrait satisfaire à une exigence. En dissimulant l’exigence minimale des trois angles de vue, tout en invitant Rapiscan à participer au processus alors même qu’elle savait qu’elle ferait une soumission portant sur le même produit qui avait été comparé à l’équipement de Smiths un an plus tôt, sans avertir Rapiscan que son équipement ne répondrait pas aux exigences, l’ACSTA a sciemment incité Rapiscan à participer à un processus dans le cadre duquel sa soumission n’avait aucune chance d’être prise en considération. Ainsi, le processus laissait croire que tous les chefs de file de l’industrie avaient participé à un processus d’achat concurrentiel, alors que la direction savait à l’avance que la candidature de Rapiscan serait éliminée. J’estime que, ce faisant, l’ACSTA a agi de mauvaise foi.

 

[93]           Deuxièmement, Rapiscan fait valoir que, parce que sa candidature a été éliminée à l’étape de l’exigence minimale, le conseil d’administration n’a pas eu l’occasion de prendre en considération les avantages financiers de sa soumission. Si le conseil avait connu l’écart de prix, il aurait pu sérieusement considérer les avantages financiers immédiats par rapport à l’argument de la direction quant aux éventuelles économies à réaliser. Il en aurait résulté un examen diligent des éléments de preuve à l’appui de l’argument selon lequel Smiths affichait la meilleure performance et de la probabilité ou non que Smiths puisse réussir ultérieurement à améliorer son équipement.

 

[94]           Dans les circonstances et en tenant compte des antécédents de l’ACSTA en matière d’appel d’offres, il apparaît raisonnable de conclure que l’exigence minimale a été adoptée pour empêcher le conseil d’administration de procéder à une évaluation équitable et adéquate en limitant son accès à l’information relative aux avantages financiers importants qu’offrait l'équipement de Rapiscan. Quelle qu’ait été l’intention, c’est le résultat qui comptait.

 

(viii)     Dispense déraisonnable de Smiths de la certification de la TSA

[95]           Selon la grille d’évaluation interne utilisée par les bureaux de l’ACSTA, qui résume les résultats de la DS, l’équipement surdimensionné de Smiths (tunnel de grande taille) n’avait pas obtenu la certification de la TSA et le conseil d’administration n’en avait pas été informé. En outre, le tableau des exigences de la note d’information indiquait « oui » dans la colonne relative à la certification de l’équipement de Smiths par la TSA. La note d’information mentionnait en outre que : [traduction] « Seuls les appareils de radioscopie à angles de vue multiples de Smiths remplissaient tous les critères ci-dessus, et Smiths s’est classée première dans chaque catégorie ». Ce n’était évidemment pas vrai puisque l’équipement de Smiths avec un tunnel de grande taille n’avait pas reçu la certification de la TSA.

 

[96]           En outre, aucune explication ne figurait au dossier certifié quant à la raison pour laquelle la candidature de Reveal avait été éliminée parce que son équipement n’avait pas été certifié par la TSA et que, néanmoins, celui de Smiths avait été accepté. Par conséquent, à première vue, la décision d’attribuer le contrat à Smiths est déraisonnable en raison du manque de justification et du traitement de faveur évident dont cette dernière a été l’objet en étant exemptée de l’exigence minimale appliquée pour éliminer l’autre fournisseur. Il semblerait qu’aucun soumissionnaire n’a satisfait à l’exigence minimale relative aux appareils dotés d’un tunnel de grande taille.

 

[97]           En outre, Rapiscan se plaint à juste titre du fait qu’elle n’avait aucune idée du nombre d’appareils de différents types achetés, en particulier du nombre d’appareils dotés d’un tunnel de grande taille. Il s’est avéré que ces derniers constituaient une partie appréciable de la DS.

 

(ix)       « Technologie la plus performante à l’heure actuelle »

[98]           Le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration tenue le 4 octobre 2010 explique la raison de l’attribution du contrat à Smiths dans le paragraphe suivant :

[traduction]

En réponse aux questions des membres du conseil, le chef de la direction a affirmé que la technologie Smiths était actuellement la seule qui était en mesure de répondre aux besoins actuels. Il a fait observer qu’il s’agissait de la technologie la plus performante à l’heure actuelle, qui présentait le potentiel d’amélioration le plus élevé.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[99]           La DS ne fixait aucune exigence à l’égard d’une quelconque performance et ne demandait aucun renseignement sur les performances maximales, mis à part la rapidité et la fiabilité, qui ont été évaluées comme étant « bonnes » dans les cas de Rapiscan et de Smiths. S’agissant de la capacité de détection ou d’autres capacités, l’équipement de contrôle des deux fournisseurs n’avait pas été certifié par la TSA. Comme je l’ai mentionné, les appareils de radioscopie dotés d’un tunnel de grande taille n’avaient pas reçu la certification de la TSA, ce qui, selon moi, signifie que l’équipement ne satisfaisait pas aux exigences en matière de performance.

 

[100]       Le dossier certifié, y compris la DS, ne contient aucun élément de preuve indiquant à quelle [traduction] « technologie la plus performante à l’heure actuelle » il est fait référence. On peut seulement présumer qu’il est fait référence à la détection des menaces. Toutefois, si c’est le cas, le dossier certifié ne contient aucun élément de preuve qui appuie cette conclusion. La note d’information de 2010 ne reprenait pas les affirmations non fondées contenues dans la note d’information de 2009 au conseil d’administration, selon lesquelles [traduction] « des représentants techniques de la TSA et du ministère des transports du Royaume-Uni ont confirmé que le nombre minimum d’angles de vue requis pour obtenir des niveaux élevés de détection tout en maintenant un faible taux de fausses alarmes est de trois » [je souligne], ce qui semble très peu probable étant donné que l’appareil à deux angles de vue de Rapiscan avait été certifié par la TSA. Le contrat de 2009 a été en tout état de cause attribué en fonction uniquement d’une mise à niveau éventuelle.

 

[101]       La direction a affirmé, dans la note d’information de 2010, que [traduction] « Smiths s’était classée première dans chaque catégorie » des cinq catégories susmentionnées. Aucune des cinq catégories en question n’a trait à la détection des menaces, à moins qu’il ne soit fait référence à la certification de la TSA, auquel cas, au regard de l’équipement au point de contrôle, trois des quatre soumissionnaires satisfaisaient à cette exigence. De plus, cet équipement n’a pas été évalué sur une échelle d’ordre croissant, on l’a plutôt évalué en fonction de la réponse donnée « oui » ou « non ».

 

[102]       Ainsi qu’il est mentionné précédemment, le défendeur a tenté d’inclure dans le dossier certifié un document produit après la décision, qui présentait les résultats d’un processus d’essai européen auquel avaient été soumis les appareils des deux fournisseurs; ce document, distribué aux États membres le 13 octobre 2010, visait à appuyer ses conclusions selon lesquelles l’équipement de Smiths avait une capacité de détection supérieure à celle de Rapiscan. Je déplore le fait que le défendeur ait versé le document au dossier certifié. Cela tend à confirmer l’argument de la demanderesse, à savoir que le défendeur ne disposait, au moment où la décision d’attribuer le contrat a été prise, d’aucun élément de preuve attestant que l’équipement de Smiths était la technologie la plus performante de l’heure, et qu’il tente de façon inconsidérée de donner du poids à ses arguments.

 

[103]       La seule autre source relative à l’allégation selon laquelle la technologie Smiths était la plus performante de l’heure semble être une affirmation qui figurait sur la page couverture du Livre blanc interne datée du 7 juillet 2010. Le passage concerné se lit comme suit :

[traduction]

Il apparaît que la précision d’un système à angles de vue multiples augmente avec le nombre d’angles de vue, qui pour sa part améliore la performance du logiciel de détection automatisée d’explosifs et de liquides.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[104]       Cette affirmation ne reflète pas fidèlement, cependant, les conclusions du rapport sur les avantages des appareils captant trois et quatre points de vue parce qu’elle omet le terme « potentiel » sur lequel portait entièrement l’analyse du rapport. L’avocate du défendeur a cité correctement la conclusion du rapport dans son mémoire. La voici :

[traduction]

Les appareils qui captent trois à quatre angles de vue pourront augmenter la précision des mesures de densité de 2,25 fois et de 4 fois, respectivement … Cela facilite la détection automatisée d’explosifs qui repose sur des mesures uniques … Donc, l’exactitude potentielle d’un appareil à trois ou quatre angles de vue est supérieure à celle d’un appareil à double angle de vue, et les avantages augmentent rapidement puisque tout dépend du carré du nombre d’angles de vue.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[105]       Le rapport reconnaissait que des algorithmes devaient être élaborés pour réaliser ce potentiel. Cela explique pourquoi il ne pouvait être question que de l’augmentation éventuelle du degré de précision.

 

[106]       Les conclusions du rapport reposent sur des calculs mathématiques. Aucune évaluation des performances réelles de l’équipement de contrôle n’a été effectuée ou décrite dans le rapport. Même si Rapiscan conteste le rapport pour un certain nombre de motifs, la validité du rapport ne peut faire l’objet d’un examen ici. Par conséquent, il y a suffisamment d’arguments qui appuient l’affirmation de l’ACSTA selon laquelle l’équipement de Smiths présente le plus grand potentiel d’amélioration. Cependant, le dossier certifié ne contient aucune information permettant d’appuyer l’avis donné au conseil d’administration, à savoir que la technologie de Smith était la [traduction] « technologie la plus performante à l’heure actuelle ».

 

[107]       Cette conclusion est importante parce que la décision du conseil d’administration était justifiée par les deux très brèves déclarations de fait de la direction concernant la performance supérieure actuelle et future de l’équipement de Smiths. J’estime que la justification relative à la performance potentielle est raisonnable, mais que rien dans la DS ou les documents sur lesquels repose la décision ne saurait étayer la conclusion selon laquelle la technologie de Smiths était la technologie la plus performante au moment de la décision du conseil. Je conclus donc que le conseil d’administration a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée que l’administration a tirée de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

 

(b)        Une réparation de droit public devrait-elle s’appliquer?

[108]       Je suis d’avis que, en l’espèce, il existe trois facteurs importants qui, pour reprendre les termes de juge Stratas dans l’arrêt Administration portuaire de Toronto, précité, au paragraphe 60, donnent une impression d’ensemble à la Cour et l’incitent à considérer que la présente affaire est d’intérêt public. Les voici dans l’ordre : premièrement, la nécessité de protéger l’intégrité du processus d’acquisition de l’ACSTA; deuxièmement, il semble que seul un recours de droit public permette de parvenir à cette fin; troisièmement, le fait que la DS a éliminé ou gravement compromis le droit de Rapiscan à un traitement juste et équitable devant un tribunal compétent en matière contractuelle.

 

(i)         Préserver l’intégrité du processus d’acquisition du gouvernement

[109]       Je crois qu’il est dans l’intérêt public de savoir si un organe décisionnel du gouvernement est induit en erreur ou mal informé par son personnel relativement à un facteur important ou à un groupe de facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur le résultat d’un processus d’acquisition. Agir ainsi compromet l’intégrité du processus d’appel d’offres du gouvernement. Plus particulièrement en l’espèce, la fonction de surveillance du conseil d’administration de l’ACSTA a été affaiblie et rendue inopérante. Le conseil a ainsi pris une décision qui, à mon avis, contrevenait à ses procédures obligatoires en matière de passation de marchés tout en commettant une injustice flagrante envers les parties soumissionnaires.

 

[110]       Tout comme la préservation de l’intégrité du processus d’acquisition a amené les tribunaux canadiens à créer des mesures de réparation relevant du droit des contrats au moyen de la fiction juridique du contrat « A », une réparation de droit public peut être nécessaire pour protéger l’intérêt public et assurer une bonne gouvernance.

 

[111]       Le juge Binnie a très justement énoncé ces principes dans l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585, au paragraphe 24 :

[24]       Le procureur général souligne avec raison [TRADUCTION] « les différences substantielles entre les principes de droit public et les principes de droit privé » (mémoire, par. 6). Le contrôle judiciaire s’intéresse à la légalité, à la raisonnabilité et à l’équité du processus suivi et des mesures prises par l’administration publique. Il est conçu pour assurer la primauté du droit et le respect de la Constitution. Son but premier est le bon gouvernement. Ces objectifs publics se distinguent fondamentalement de ceux qui sous-tendent les instances en matière contractuelle et délictuelle ou les causes d’action régies par le Code civil du Québec, L.R.Q. c. C-199, et les recours qui leur sont associés, lesquels visent principalement à redresser un tort privé au moyen d’une indemnité ou d’une autre réparation.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[112]       Une bonne gouvernance passe par des mesures réparatrices qui font en sorte que les agents publics qui conseillent et informent les décideurs (conseils et renseignements sur lesquels sont prises les décisions autorisant l’adjudication des marchés publics) communiquent des renseignements exacts et complets afin que les processus qu’ils lancent soient justes, ouverts et transparents, tout en assurant l’optimisation des ressources conformément aux objectifs de maintien de pratiques exemplaires en matière de passation de marchés publics.

 

[113]       Je ne comprends pas qu’il n’aille pas de soi que l’atteinte à l’intégrité des processus d’acquisition du gouvernement puisse comporter, selon les circonstances, un élément public donnant ouverture aux recours de droit public. Dans l’arrêt Irving Shipbuilding, précité, au paragraphe 61, la Cour d’appel a prévu une exception permettant de recourir au droit public afin « de maintenir l’intégrité du processus d’acquisition du [gouvernement] ».

 

[114]       Toutefois, la Cour d’appel a, compte tenu des faits de l’affaire, qui mettait en cause des sous-traitants qui cherchaient à obtenir une réparation de droit public, limité cette exception aux cas d’inconduite « accablante » de la part des autorités gouvernementales. La Cour d’appel a donné des exemples de ce genre d’inconduite, qu’elle a assimilé à des activités criminelles ou quasi-criminelles, soit « la fraude, la subornation, la corruption ou d’autres genres d’inconduites graves » (Irving Shipbuilding, au paragraphe 62).

 

[115]       Puisque tout comportement ayant pour effet de compromettre de façon importante l’intégrité du processus d’acquisition devrait normalement ouvrir droit aux recours de droit public, lorsqu’il est nécessaire de régler le problème, je conclus que le niveau très élevé d’inconduite évoqué dans l’arrêt Irving Shipbuilding devait viser le cas particulier des droits des sous-traitants. Je dis cela, non seulement parce que l’importance de préserver l’intégrité du processus est un principe primordial de bonne gouvernance, mais aussi à cause des autres raisons de principe mentionnées par la Cour d’appel pour refuser aux sous-traitants la possibilité de se prévaloir des recours de droit public à l’encontre des institutions publiques.

 

[116]       Parmi ces raisons, mentionnons fait que la reconnaissance des droits indépendants des entrepreneurs aurait des effets néfastes sur le processus de passation de marchés comme tel, cela pourrait : porter atteinte aux droits des soumissionnaires à un contrat d’achat; donner lieu à un déferlement alarmant de poursuites de la part de titulaires de droits procéduraux éventuels; décourager les soumissionnaires à répondre aux appels d’offres; compromettre l’efficacité du processus d’acquisition, et déjouer les attentes des parties.

 

[117]       Introduire une réparation de droit public dans le cas de Rapiscan n’aurait pas les effets négatifs sur le processus d’attribution des contrats que décrit l’arrêt Irving Shipbuilding. En effet, la réparation de droit public sert à compléter ces processus lorsque les réparations contractuelles ne permettent pas de préserver l’intégrité du processus d’acquisition du gouvernement.

 

[118]       En outre, la Cour suprême a précisé que, lorsque ces deux types de réparations sont possibles, cela ne devait pas empêcher le demandeur de choisir la procédure qui convient le mieux à ses besoins. Voir Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585 [TeleZone Inc], au paragraphe 19 :

[19]      Le demandeur qui veut obtenir l’annulation d’une décision de l’administration fédérale doit procéder par voie de contrôle judiciaire, comme le précise l’arrêt Grenier. Par contre, s’il ne s’oppose pas à ce que la décision continue de s’appliquer, mais cherche plutôt à se faire indemniser des pertes qu’il dit avoir subies (comme en l’espèce), il n’existe aucune raison logique de lui imposer l’étape supplémentaire d’un détour devant la Cour fédérale pour le contrôle judiciaire de la décision (entreprise pouvant parfois se révéler coûteuse en soi), alors que ce n’est pas le recours qui lui convient. L’accès à la justice exige que le demandeur puisse exercer directement le recours qu’il a choisi et, autant que possible, sans détours procéduraux.

 

(ii)        Aucune autre voie de recours appropriée

[119]       Le deuxième facteur qui justifie une réparation de droit public en l’espèce est que les réparations contractuelles ne parviennent pas à décourager les comportements inappropriés qui mènent à une prise de décision irrégulière, ou ne sont pas aussi efficaces à cet égard. Règle générale, les recours contractuels ne permettent pas d’apporter aux processus internes le degré de transparence et d’obligation redditionnelle qui fait en sorte que les décideurs prennent des décisions éclairées. C’est énoncer une évidence que de dire que les recours contractuels s’attachent aux conditions contractuelles qui, pour leur part, déterminent la pertinence des questions dont est saisi le tribunal compétent. Cela signifie que la légalité et la légitimité du processus décisionnel, qui sont au centre des recours de droit public, sont généralement des préoccupations secondaires. Les tribunaux traitant de questions contractuelles ne sont en général pas intéressés par les manœuvres internes, telles que les circonstances ayant donné lieu aux conditions d’exemption imposées à Rapiscan par la demande de l’ACSTA, même si je ne dis pas que cette information ne pourrait pas être soulevée dans le cadre d’un recours contractuel.

 

[120]       En mettant l’accent sur le processus décisionnel interne, la transparence et l’analyse éclairée nécessaires peuvent servir à prévenir des irrégularités, comme celles où la direction induit en erreur le conseil d’administration tant sur la nature du processus d’acquisition que sur ses résultats. Il n’y a en matière contractuelle aucun autre recours permettant de trancher une question portant essentiellement sur la gouvernance et le comportement des fonctionnaires.

 

[121]       De plus, le processus normalement rapide du contrôle judiciaire répond aux besoins du demandeur qui cherche non pas à obtenir des dommages-intérêts, mais plutôt, comme c’est le cas en l’espèce, à faire établir pour l’avenir les conditions d’un processus équitable. En ce sens, je suis d’avis que l’arrêt TeleZone Inc. ajoute un autre facteur à ceux qui sont énoncés dans l’arrêt Administration portuaire de Toronto quant à savoir si les différents recours dont dispose le demandeur répondent à ses besoins.

 

(iii)       Refus de satisfaire à l’obligation d’un traitement juste et équitable du contrat « A »

[122]       L’un des aspects particuliers de la présente affaire, qui porte sur l’absence d’un autre recours, est que l’inconduite des fonctionnaires a eu pour conséquence d’éliminer ou de remettre inutilement en question un recours contractuel fondé sur l’équité. Je parle ici de la DS qui précise qu’aucun contrat A ne découle du processus d'appel d'offres et qui nie, de ce fait, l’existence d’une obligation de traitement juste et équitable à l’égard des soumissionnaires. En acceptant sans le savoir une décision ayant pour effet d’écarter l’obligation d’un traitement juste et équitable dans l’administration de ses contrats, le conseil d’administration a contrevenu à l’une des règles fondamentales de l’ACSTA et du gouvernement canadien concernant les processus d’acquisition, soit celle de traiter équitablement et également ceux auprès de qui ils achètent des biens et des services.

 

[123]       La principale raison avancée au fil des ans pour exclure les recours de droit public dans les affaires de contrats d’acquisition commerciaux est qu’il existe une autre mesure de réparation contractuelle quant à l’obligation d’équité de droit public, laquelle figure dans les conditions implicites du contrat A. C’est ce qui ressort d’un examen de la jurisprudence figurant sous le titre « The Adequate Alternative Remedy Bar », dans l’ouvrage de Anne C. McNeely, Canadian Law of Competitive Bidding and Procurement, (Aurora, Ontario : Canada Law Book, 2010), aux pages 83 et suivantes. L’auteure aborde le sujet en faisant observer ce qui suit : [traduction] « Parmi les diverses raisons pour refuser un recours ou une réparation de [droit public], l’argument voulant que le demandeur qui sollicite le contrôle judiciaire puisse exercer un autre recours approprié est celui qui est le plus souvent contesté ».

 

[124]       Étant donné que la direction a induit en erreur le conseil d’administration en lui faisant croire que l’équité était un élément de la DS, Rapiscan se trouve coincée dans une situation d’iniquité. Si elle s’adresse aux tribunaux sur le fondement du contrat, à ses arguments fondés sur un manquement à l’obligation d’un traitement juste et équitable, il lui sera fait observer que, en répondant à une DS, Rapiscan a reconnu que cette obligation n’existait pas. Inversement, lorsque Rapiscan demande le contrôle judiciaire des actions de l’ACSTA, on lui dit qu’elle doit exercer ses recours contractuels en raison de la nature commerciale du contrat d’acquisition.

 

[125]       Je conclus que, si la Cour estime que la direction a nettement induit en erreur le conseil d’administration, et que, de ce fait, celui-ci a pris sans le savoir des décisions qui ont nui à l’intégrité du processus d’acquisition de l’ACSTA et qui contrevenaient à sa mission, alors qu’aucune réparation satisfaisante ne peut être obtenue, sinon difficilement, sous le régime du droit des contrats, l’affaire prend une teinte suffisamment publique pour relever du droit public.

 

[126]       Bien que ce ne soit pas nécessaire, j’estime en outre que, même si le droit des contrats offrait à la demanderesse une réparation satisfaisante, l’élément public existe dès lors qu’un décideur est nettement induit en erreur par ceux qui sont chargés de le conseiller, et qu’il en résulte de la subornation et un décalage entre la décision et le mandat et les objectifs de l’institution.

 

(iv)       La décision du conseil d’administration respectait-elle les normes de légalité, de rationalité et d’équité qui sont nécessaires pour répondre à l’objectif global de la bonne gouvernance?

[127]       Après avoir reconnu que la demanderesse pouvait se prévaloir des recours de droit public, de sorte que la Cour peut se prononcer sur la présente affaire, j’estime, comme je l’ai déjà mentionné, que la norme applicable est semblable à celle qui est énoncée dans Corporation Dévelopment GDC Gatineau c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2009 CF 1295, au paragraphe 24 : le demandeur doit démontrer que « l’administration adjudicative a agi d’une manière injuste, déraisonnable et arbitraire, qu’elle a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes, ou qu’elle a agi de mauvaise foi ».

 

[128]       Compte tenu de l’examen qui précède quant au processus décisionnel du conseil d’administration, je conclus que la décision de ce dernier était injuste et déraisonnable, qu’elle a été prise sans tenir compte de facteurs pertinents et qu’elle est entachée de mauvaise foi. Je signale que la prise en compte de facteurs non pertinents s’entend aussi de la situation inverse où le décideur ne tient pas compte des facteurs pertinents. Voir, par exemple, Donald JM Brown et John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 2009 - ), aux pp. 15 à 27 : [traduction] « L’omission de tenir compte d’un élément important constitue une erreur au même titre que la prise en considération inappropriée d’un facteur étranger à la question ».

 

[129]       Ma conclusion comporte, cependant, plusieurs niveaux. La conclusion selon laquelle la décision du conseil d’administration était injuste, déraisonnable, arbitraire ou entachée de mauvaise foi dépend de la conclusion principale selon laquelle la direction n’a pas fourni au conseil des renseignements exacts sur lesquels il pouvait fonder sa décision. C’est pourquoi le conseil n’a pas tenu compte de facteurs pertinents, et qu’il a, du coup, rendu une décision qui était injuste, déraisonnable, arbitraire et, à l'égard de Rapiscan, entachée de mauvaise foi, cette dernière ayant été invitée à participer au processus de DS.

 

[130]       L’omission de tenir compte de facteurs pertinents demeure, cependant, le fondement essentiel de la présente ordonnance. Cette omission est liée au défaut de la direction de bien conseiller le conseil d’administration, ce qui confère à la présente espèce l’élément public essentiel qui, à mon avis, donne compétence à la cour de révision malgré la nature commerciale du processus d’acquisition. Bien que les procédures de passation de marchés n’établissent pas le contexte législatif de l’espèce, elles constituent un élément de preuve en raison de leur caractère obligatoire, c’est‑à‑dire que le défaut de porter à l’attention du conseil des facteurs pertinents était une situation qui aurait dû modifier le résultat de la décision.

 

[131]       Dans la mesure où le comportement de la direction est intégré dans la décision du conseil d’administration, celle‑ci peut être considérée comme injuste, déraisonnable, arbitraire et entachée de mauvaise foi. Je crois que c’est le cas, parce que la direction doit rendre des comptes en dernier ressort au conseil. Sinon, la décision du conseil est illégale sur le plan de la procédure parce que celui‑ci n’a pas tenu compte, pour une raison ou une autre, intentionnellement ou non, de facteurs pertinents. Par conséquent, la décision doit être annulée ou déclarée illégale, selon le cas.

 

V.        Réparation

[132]       Avant de rendre mon ordonnance en l’espèce, et pour que ma décision ne compromette pas les besoins opérationnels de l’ACSTA, et eu égard à la réparation limitée demandée par la demanderesse dans ses arguments finaux, je donnerai aux parties l’occasion de présenter d’autres observations sur la réparation appropriée.

 

[133]       À cet égard, les parties sont invitées à proposer une mesure de réparation appropriée et à préparer un projet d’ordonnance afin d’aider la Cour à clore la présente affaire.  

 

[134]       Les parties sont également invitées à présenter des observations sur les dépens. Compte tenu de l’issue, la demanderesse peut déposer des observations écrites ne devant pas excéder sept pages, plus un nombre limité de pièces jointes pertinentes, le cas échéant, dans les 20 jours suivant le prononcé des présents motifs préliminaires; l’intimé doit déposer ses observations dans les 20 jours qui suivent et la demanderesse aura alors le droit de répliquer dans les 10 jours suivants.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DoSSIER :

                                                            T-1856-10

 

INTITULÉ :

RAPISCAN SYSTEMS, INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 26 JUILLET 2013

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 6 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Riyaz Dattu

Patrick Welsh

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jacqueline Dais-Visca

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler Hoskin & Harcourt, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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