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Date : 20140210


Dossier : IMM-1870-13

Référence : 2014 CF 137

Ottawa (Ontario), le 10 février 2014

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

BUANA TSHIMANGA

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   Introduction

 

[1]               Monsieur Buana Tshimanga (monsieur Tshimanga) présente cette demande de révision judiciaire aux termes du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], qui vise la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SI], rendue le 21 février 2013, l’ayant déclaré interdit de territoire aux termes des alinéas 34 (1) b) et f) de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la Cour rejette cette demande de révision judiciaire.

 

II.                Les faits

 

[3]               Monsieur Tshimanga est un citoyen de la République Démocratique du Congo [RDC]. Il est arrivé au Canada en septembre 1999 et y a demandé l’asile. On lui reconnaît son statut de réfugié en décembre 1999 et il devient résident permanent le 15 août 2000.

 

[4]               En décembre 2000, monsieur Tshimanga adhère au Mouvement pour la libération du Congo [MLC], section Canada.

 

[5]               Le 11 juin 2006, monsieur Tshimanga perd son statut de réfugié en application de l’article 108 de la LIPR, car il est retourné dans son pays d’origine à plusieurs reprises et y a occupé des emplois au sein du gouvernement.

 

[6]               Le 25 septembre 2006, monsieur Tshimanga a fait l’objet d’un premier rapport émis aux termes du paragraphe 44 (1) et de l’alinéa 35 (1) a) de la LIPR, voulant qu’il soit interdit de territoire. Ce rapport est retiré le 14 septembre 2007, sans qu’une enquête ne soit tenue (voir la pièce A de l’affidavit de Dominique Toillon) et sans que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [MCI] ait expliqué les motifs de ce retrait (voir le dossier du demandeur à la page 295, para 3.10).

 

[7]               Le 13 mars 2012, un rapport aux termes du paragraphe 44 (1) et de l’alinéa 35 (1) a) de la LIPR est rédigé à l’encontre de monsieur Tshimanga.

 

[8]               Le 15 mars 2012, un autre rapport aux termes du paragraphe 44 (1) et des alinéas 34 (1) f) et 34 (1) b) de la LIPR est également rédigé concernant monsieur Tshimanga.

 

[9]               Le 5 avril 2012, l’Agence des Services Frontaliers du Canada [ASFC] déférait ces deux rapports pour enquête devant la SI. Ces rapports sont à l’origine de la décision de la SI du 21 février 2013 qui fait l’objet de la présente demande de révision judiciaire (la décision).

 

III.             Législation

 

[10]           Les articles de loi applicables en l’instance sont reproduits en annexe au présent jugement.

 

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

 

A.        Questions en litige

 

[11]           Monsieur Tshimanga allègue que sa demande de révision judiciaire soulève les questions suivantes :

1)                  La SI devait-elle sanctionner le non-respect par l’ASFC des principes de justice fondamentale et son abus de procédure à l’égard du demandeur?

2)                  La SI a-t-elle erré en concluant que le demandeur était membre d’une organisation visant le renversement du gouvernement par la force?

3)                  La SI a-t-elle excédé sa juridiction en reprochant au demandeur le fait que le MLC aurait commis des actes de violence et des exactions?

 

[12]           Le défendeur prétend que cette demande de révision judiciaire ne soulève que la question suivante :

1)         La décision de la SI est-elle raisonnable?

 

[13]           La Cour considère que cette demande de révision judiciaire soulève plutôt les deux questions suivantes :

1)                  La SI a-t-elle violé les principes de justice naturelle?

2)                  La décision de la SI est-elle raisonnable?

 

B.        La norme de contrôle

 

[14]           L’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 57 [Dunsmuir] précise qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une nouvelle analyse de la norme de contrôle applicable lorsque celle-ci est déjà établie de manière satisfaisante par la jurisprudence antérieure.

 

[15]           La jurisprudence antérieure a déterminé que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si une personne est « membre » d’une organisation visée par l’alinéa 34 (1) f) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (voir Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 85, aux paras 21 à 24 et Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 623, au para 21 [Gutierrez]). Il en va de même lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que des organisations se sont livrées, se livrent ou se livreront à des actes de terrorisme (voir Gutierrez, précité, au para 21).

 

[16]           Il est aussi clairement établi en jurisprudence que les questions d’équité procédurale doivent être analysées sous la norme de la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au para 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43 et Gutierrez, précité, au para 23).

 

[17]           À l’égard de la norme de preuve applicable à une analyse portant sur l’alinéa 34 (1) f) de la LIPR, l’article 33 de la LIPR prévoit que les faits, actes ou omissions s’apprécient « sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». Cette norme exige davantage qu’un simple soupçon, mais est moins sévère que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile. La croyance doit reposer sur un fondement objectif, s’appuyant sur des renseignements concluants et dignes de foi (voir Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 SCC 40 au para 114 [Mugesera] et Karakachian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 948 au para 32 [Karakachian]). Cette norme de preuve ne s’applique qu’aux questions de faits (voir Mugesera, précité, au para 116).

 

 

 

 

V.                Prétention des parties

 

A.        Prétentions de monsieur Tshimanga

 

Violations des principes de justice naturelle

[18]           Monsieur Tshimanga soutient qu’aux termes de l’article 6 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229 [RSI], le MCI devait d’abord demander par écrit à la SI de rétablir son enquête avant de référer à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié les deux rapports, soit celui du 13 mars 2012 et celui du 15 mars 2012, puisqu’il avait retiré sa première demande de procéder à une enquête. Il fait valoir que les mêmes faits ont fait l’objet du premier rapport et des deux rapports subséquents des 13 et 15 mars 2012. Monsieur Tshimanga prétend que cette erreur procédurale du MCI l’a privé de la possibilité de faire valoir ses arguments devant la SI et de contester les déférés.

 

[19]           Dans son mémoire supplémentaire déposé le 12 novembre 2013, monsieur Tshimanga affirme que les deux rapports de mars 2012 constituaient « des procédures successives fondées sur les mêmes faits que le premier rapport du 25 septembre 2006 » quoiqu’ils soulèvent un motif différent d’interdiction de territoire.

 

[20]           Selon monsieur Tshimanga, la SI devenait donc saisie d’une enquête que le ministre avait demandée cinq (5) ans plus tôt puis retirée le 14 septembre 2007, après que des éléments de preuve au fond aient été acceptés par le tribunal. Monsieur Tshimanga rappelle que les paragraphes 6 (1) et (2) des RSI visent à empêcher qu’une personne fasse l’objet de plus d’un rapport fondé sur les mêmes faits.

 

[21]           Monsieur Tshimanga prétend que la SI aurait dû s’assurer que le représentant du ministre respecte la procédure prévue aux paragraphes 6(1) et 6(2) avant d’accepter de procéder à l’enquête et de rétablir la demande du ministre. Selon les représentations de monsieur Tshimanga, le défaut de la SI d’observer la procédure prescrite par la règle 6 des RSI constitue un manquement aux principes de justice naturelle. Dans son mémoire supplémentaire, monsieur Tshimanga fait valoir que la SI ne pouvait refuser d’exercer sa compétence et aurait dû se prononcer sur son argument voulant qu’il y ait un abus de procédure en l’instance.

 

[22]           Se fondant sur l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, monsieur Tshimanga prétend que la notion d’abus de procédure peut s’appliquer en l’instance.

 

[23]           Monsieur Tshimanga qualifie la procédure entreprise par le ministre contre lui d’oppressive et de vexatoire. À ses yeux, elle constitue un abus de procédure qui mérite d’être sanctionnée par l’arrêt des procédures, ce que la SI aurait dû faire en l’instance.

 

[24]           Dans son mémoire supplémentaire, monsieur Tshimanga affirme également que la procédure engagée sous l’alinéa 34 (1) f) intervient tardivement, soit plus de dix années après que les autorités canadiennes l’aient appuyé dans ses démarches pour participer au Dialogue inter-congolais.

 

[25]           Monsieur Tshimanga soutient également que les délais entre la connaissance des faits qui lui sont reprochés et le début des procédures entamées contre lui sont injustifiés au point d’être oppressifs. Il s’appuie sur l’arrêt Beltran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 516, où la Cour concluait que la continuation d’une enquête en interdiction de territoire pouvait constituer un abus de procédure. Dans cette affaire, l’appartenance du demandeur à l’organisme visé était connue par les autorités canadiennes depuis plus de vingt ans.

 

[26]           Monsieur Tshimanga souligne que dans son cas, tous les faits étaient connus depuis plus de dix ans et qu’il n’a pas contribué à ce retard par des procédures dilatoires ou autrement. Conséquemment, il soutient qu’il ne doit pas être victime de l’indolence de l’administration. Il réfère à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Parekh, 2010 CF 692 et aux commentaires de la juge Tremblay-Lamer qui déclarait, au paragraphe 56, que :

«56. Dans les présentes circonstances, je conclus que les délais qui ont entaché la présente instance sont démesurés et vraiment inconsidérés. Rien dans les circonstances de l’espèce ne les justifiait. Ces délais ne découlent pas de la complexité de l’affaire ou de manœuvres dilatoires employées par les défendeurs, mais plutôt de l’indolence bureaucratique et de l’incapacité à donner à l’affaire l’attention qu’elle méritait compte tenu des droits et des intérêts en jeu ».

 

[27]           Il ajoute avoir toujours agi de bonne foi et n’avoir jamais rien caché aux autorités canadiennes qui connaissaient tous les faits depuis longtemps.

 

[28]           Monsieur Tshimanga prétend également avoir été piégé par le gouvernement canadien, qui, selon lui, l’aurait encouragé à devenir membre du MLC, pour ensuite l’interdire de territoire à cause de son appartenance à cette même organisation. Il fait valoir également que le gouvernement canadien encourageait la démarche pour le rétablissement de la démocratie en RDC à laquelle participait le MLC. D’ailleurs, il rappelle que le gouvernement canadien lui a délivré un document de voyage pour réfugiés afin qu’il puisse assister et participer au Dialogue inter-congolais tout en sachant qu’il avait adhéré au MLC-Canada. En somme, il plaide que le Canada lui reproche ses efforts pour l’atteinte des mêmes objectifs que le gouvernement canadien poursuivait soit, de rétablir la démocratie en République Démocratique du Congo.

 

[29]           Monsieur Tshimanga prétend aussi que la SI a également violé l’équité procédurale en fondant sa décision sur des éléments de preuve qui ne se rapportaient pas à l’objet de l’enquête et ce, malgré que le Commissaire ait assuré son avocat du contraire suite aux objections soulevées par ce dernier à ce sujet au cours de l’audition.

 

Raisonnabilité de la décision

[30]           Dans un premier temps, monsieur Tshimanga apporte une précision sur l’affirmation contenue au paragraphe 18 de la décision de la SI. Il affirme que la SI a déclaré qu’il aurait dit ne pas savoir que le MLC visait, dès sa création, le renversement du gouvernement par les armes. Au contraire, monsieur Tshimanga soutient qu’il aurait affirmé avoir accepté d’adhérer au MLC-Canada uniquement parce que le MLC renonçait à renverser le gouvernement en place, par les armes, en signant l’Accord de Lusaka [l’Accord], en juillet 1999.

 

[31]           Monsieur Tshimanga estime que la SI était saisie d’éléments de preuve clairs et documentés établissant ce changement radical dans la politique du MLC. Il réfère la Cour aux statuts du MLC alors que cette organisation s’est transformée en parti politique en décembre 2005 et plus précisément au document I-21 rédigé par le MLC-Canada, lequel reflète l’attachement du MLC au respect des droits fondamentaux de l’homme et des libertés individuelles (voir le dossier du demandeur, page 59). Dans son mémoire supplémentaire, monsieur Tshimanga souligne que la SI a omis de tenir compte du changement de politique du MLC, qui avait renoncé de renverser le gouvernement congolais par la force. Cette omission constitue une erreur de droit révisable par la Cour, selon monsieur Tshimanga.

 

[32]           Il reproche également à la SI de ne pas avoir défini les termes « renversement par la force » mentionnés à l’alinéa 34 (1) b) de la LIPR et soutient que la décision de la SI ne contient aucune définition, ni analyse de cet alinéa (voir le mémoire supplémentaire du demandeur au para 5.4).

 

[33]           Monsieur Tshimanga prétend aussi que la SI a refusé d’appliquer le principe énoncé dans l’affaire Karakachian précitée, voulant que l’écoulement du temps soit pertinent dans l’application de l’alinéa 34 (1) f) lorsqu’une organisation a renoncé formellement à l’objectif qui lui était reproché. Il soutient que ce refus de la SI constitue une erreur. Monsieur Tshimanga avance que la signature de l’Accord démontre que le MLC avait renoncé à son objectif de renverser le gouvernement congolais par la force. Il prétend que la SI n’aurait pas dû s’attarder aux possibles actes de violations du droit humanitaire commis par le MLC durant la période de 2000 à 2003. Il allègue qu’en application de l’arrêt Karakachian, la SI aurait dû limiter son analyse à déterminer si le MLC avait renoncé ou pas à son objectif de renversement du gouvernement, car selon lui, la seule allégation formulée contre lui était d’avoir appartenu à une organisation qui visait le renversement d’un gouvernement par la force.

 

[34]           En se fondant sur les faits allégués précédemment, monsieur Tshimanga fait valoir que le commissaire a excédé sa compétence en retenant les éléments de preuve voulant que le MLC ait commis des exactions, dont des violations des droits humanitaires, alors que le ministre n’a jamais soulevé ces faits. Monsieur Tshimanga soutient que ces allégations relèvent du motif d’interdiction de territoire prévu à l’alinéa 35 (1) a) de la LIPR.

 

[35]           Monsieur Tshimanga remet en cause la mention de « nombreuses exactions commises par l’aile armée du MLC » qui se retrouve dans la décision, parce que la SI ne s’est pas posé la question de savoir si celles-ci avaient été commises dans le but, ou avec l’intention de renverser le gouvernement de la RDC. Il allègue que les actes et les combats impliquant le MLC visaient un territoire qui n’était pas sous le contrôle du gouvernement de la RDC et où les forces de l’armée gouvernementale congolaise étaient absentes.

 

[36]           Il affirme aussi que l’Accord prévoyait un échéancier pour la formation de la nouvelle armée congolaise qui serait constituée, entre autres, des forces armées du MLC. Aux dires de monsieur Tshimanga, la continuation des combats armés n’affectait en rien la renonciation à l’objectif de renversement du gouvernement congolais par la force et qu’il était donc nécessaire de distinguer cette renonciation avec la renonciation explicite à toute violence (voir le mémoire supplémentaire du demandeur au para 5.9).

 

[37]           Monsieur Tshimanga reproche à la SI son défaut de s’être penchée sur la seule question pertinente en l’espèce, le MLC avait-il renoncé ou pas à son intention de renverser le gouvernement congolais par la force au cours de la période visée. Il souligne qu’au paragraphe 26 de la décision, le commissaire affirme que la question d’intention n’est pas pertinente aux fins de l’alinéa 34 (1) f). Le demandeur prétend que cet énoncé constitue une erreur alors que cet alinéa ne peut être lu isolément et doit être associé à l’alinéa 34 (1) b) qui nécessite une preuve d’intention.

 

[38]           Monsieur Tshimanga souligne que la SI n’a pas tenu compte des éléments de preuve qu’il a présentés pour établir l’appui du gouvernement canadien à la participation du MLC au Dialogue inter-congolais et réfère à l’arrêt Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, en soulignant que cet élément va au cœur même de sa position.

 

[39]           Il prétend également, dans son mémoire supplémentaire, que la SI a outrepassé sa compétence en fondant sa décision sur des éléments de preuve qui ne portent pas sur l’allégation visée par les alinéas 34 (1) b) et 34 (1) f). Il allègue que ces éléments de preuve ne comprennent que des allégations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui auraient été commis par le MLC en 2002-2003 et n’ont aucun lien avec l’allégation de subversion par l’utilisation de la force.

 

[40]           Monsieur Tshimanga soutient par ailleurs avoir été piégé puisque la SI a tenu compte de certains documents pour appuyer sa décision, malgré ses assurances à l’effet contraire. L’avocat du demandeur a soulevé des objections à l’encontre de l’introduction de ces éléments de preuve au cours de l’audience.

 

[41]           Enfin, monsieur Tshimanga fait valoir que la SI a commis une erreur en s’appuyant sur l’arrêt Ishaku c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 44 [Ishaku], car cette affaire traitait de la complicité à des crimes contre l’humanité commis par le MLC et non sur la question de déterminer si cette organisation avait renoncé au renversement du gouvernement par la force ou pas au cours des années 2000 à 2003.

 

B.        Prétentions du défendeur

 

Violations des principes de justice naturelle

[42]           Le défendeur réfute la prétention de monsieur Tshimanga voulant que l’émission d’un second rapport constitue un abus de procédure et que la SI devait conséquemment ordonner un arrêt des procédures afin de sanctionner cet abus. Il allègue, dans un premier temps, que monsieur Tshimanga n’a pas soulevé cet argument devant la SI, ni demandé que soit ordonné l’arrêt des procédures. Il réfère la Cour au procès-verbal de l’audience au soutien de cet argument. Le défendeur souligne également que monsieur Tshimanga est maintenant forclos de soulever cet argument vu son défaut de ce faire en temps opportun.

 

[43]           Dans un deuxième temps, le défendeur fait valoir que les deux rapports rédigés en mars 2012 ne reposent pas sur les mêmes faits. Le premier rapport de 2006 portait sur la participation du demandeur aux crimes contre l’humanité commis par le MLC entre 2000 et 2003. Le second rapport, du 13 mars 2012, s’attache plutôt à la participation du demandeur aux crimes contre l’humanité commis par le gouvernement de la RDC en raison des postes importants qu’il a occupés au sein de ce gouvernement entre juillet 2003 et la fin de 2006. Le défendeur fait valoir que les rapports décrivent des faits distincts et couvrent des années différentes. Par conséquent, le ministre n’avait aucune obligation de demander le rétablissement de sa demande initiale avant de demander le déféré de son deuxième rapport d’enquête.

 

[44]           Le défendeur réfère à l’arrêt Sheremetov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 373 dans lequel la Cour s’est penchée sur la portée des règles 5 et 6 des RSI. Il précise que le second rapport n’a pas fait l’objet d’une enquête devant le tribunal, car à l’audience, le représentant du ministre a reconnu qu’il ne pouvait pas satisfaire son fardeau de preuve. Monsieur Tshimanga n’a donc subi aucun préjudice, puisque l’enquête n’a jamais porté sur son interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 35 (1) a) de la LIPR.

 

[45]           Le défendeur réfute l’argument de monsieur Tshimanga voulant qu’il se soit écoulé un laps de temps déraisonnable avant le dépôt du second rapport du 13 mars 2012. Il allègue que l’existence d’un délai déraisonnable n’est pas pertinente puisque l’enquête n’a pas porté sur le rapport du 13 mars 2012, mais bien sur le rapport du 15 mars 2012. Par contre, le défendeur ne présente aucun argument pour contrer la prétention de monsieur Tshimanga voulant que le délai encouru avant l’émission du troisième rapport daté du 15 mars 2012, sur lequel portait l’enquête, soit déraisonnable puisque tous les faits étaient connus depuis plus de dix ans (voir le mémoire supplémentaire du demandeur au para 12).

 

[46]           Le défendeur rappelle à la Cour que la SI s’est penchée et a rejeté l’argument de monsieur Tshimanga affirmant qu’il ait été piégé par le gouvernement canadien. La SI a conclu que cet argument pourrait être soulevé devant le ministre dans le cadre d’une demande déposée aux termes du paragraphe 34 (2) de la LIPR. De plus, le défendeur fait valoir que les éléments de preuve déposés par monsieur Tshimanga ne permettent pas de conclure que le gouvernement canadien l’aurait piégé en lui suggérant d’adhérer au MLC. Au contraire, l’adhésion de monsieur Tshimanga était volontaire et consciente et le gouvernement canadien n’est nullement intervenu pour influer sur son choix de militer ou pas au sein du MLC.

 

[47]           Le défendeur rejette l’allégation de monsieur Tshimanga voulant que la SI ait excédé sa compétence. Il souligne que la SI a tranché ces objections et rappelle qu’elle a proposé à l’avocat de monsieur Tshimanga de faire des représentations à ce sujet un peu plus tard durant l’audience, mais ce dernier n’a fourni aucun argument ou objection portant sur la recevabilité de ces éléments de preuve dans ses observations. Le défendeur plaide que monsieur Tshimanga est donc forclos de présenter cet argument, ne l’ayant pas soulevé en temps opportun.

 

[48]           Le défendeur soutient par ailleurs que tous les éléments de preuve présentés étaient recevables et devaient être considérés par la SI puisqu’ils contenaient un portrait général de la RDC et du MLC au cours des années mentionnées dans les rapports d’interdictions. Le défendeur souligne que les pièces jugées inadmissibles par monsieur Tshimanga le demeurent néanmoins, car elles établissent la perpétration de crimes contre l’humanité et l’usage de la force par le MLC, malgré sa signature de l’Accord par lequel il renonçait à l’utilisation de la force.

 

Raisonnabilité de la décision

[49]           Le défendeur estime que la décision de la SI est raisonnable, motivée et intelligible puisqu’il existe des motifs raisonnables de croire que monsieur Tshimanga était membre d’une organisation (le MLC) qui avait l’intention de renverser le gouvernement de la RDC par la force.

 

[50]           Le défendeur fait valoir que l’expression « par la force » contenue à l’alinéa 34 (1) b) de la LIPR comprend la coercition ou la contrainte par des moyens violents, la coercition ou la contrainte par des menaces d’user de moyens violents et la perception raisonnable du risque qu’on exerce une coercition par des moyens violents (voir Oremade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1077 au para 27 [Oremade]). Le terme « renversement », selon le défendeur, a été défini par la jurisprudence comme signifiant « […] l’introduction d’un changement par des moyens illicites ou à des fins détournées se rapportant à une organisation » et il réfère aux arrêts Qu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 399 au para 12 et Suleyman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 780 au para 63). Le défendeur souligne que la SI n’avait pas d’obligation de définir les termes « renversement par la force » mentionnés à l’alinéa 34 (1) b) puisque la jurisprudence existante en a déjà précisé le sens.

 

[51]           Le défendeur réfère à l’article 3 des statuts du MLC et souligne qu’au moment où monsieur Tshimanga en est devenu membre en décembre 2000, l’organisation se définissait comme un « mouvement politico-militaire qui vise le renversement du régime dictatorial ». Le mouvement indiquait vouloir « éradiquer la dictature sous toutes ses formes » (article 6) et que les moyens établis comprenaient la lutte armée, le MLC disposant d’une branche armée (article7) (voir le dossier du défendeur, page 9, para 33 et la pièce B de l’affidavit de Dominique Toillon).

 

[52]           Le défendeur rappelle également les propos tenus par M. Jean-Pierre Bemba, le cofondateur et leader du MLC, lors d’une entrevue radiophonique qu’il accordait en octobre 2002, alors qu’il aurait parlé de combat, de lutte armée pour une bonne cause, de libération de leur pays et le fait d’avoir marché sur plusieurs villes depuis sa fondation en juin 1999 (voir pièce C de l’affidavit de Dominique Toillon).

 

[53]           Le défendeur réfute l’allégation de monsieur Tshimanga voulant que le MLC ait renoncé à renverser le gouvernement de la RDC par les armes en adhérant à l’Accord. Dans l’affaire Ishaku, précitée, la Cour a conclu que le MLC a commis plusieurs actes violents et illicites pour renverser la dictature du président Kabila entre 2000 et 2003 (voir les paras 65 à 67 de la décision). Le défendeur allègue également que l’alinéa 34 (1) f) de la LIPR n’exige pas la contemporanéité de l’appartenance à l’organisation et de la période durant laquelle des actes violents ou illicites peuvent être attribués à ce groupe. Il réfère à l’affaire Gebreab c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1213 [Gebreab] au soutien de cette prétention. Il devenait donc raisonnable pour la SI de conclure que le MLC est une organisation dont il y a des motifs de croire qu’elle est, a été ou sera l’instigatrice ou l’auteure d’actes visant le renversement d’un gouvernement par la force.

 

[54]           Le défendeur fait valoir que la SI n’avait pas à considérer l’intention du MLC de changer sa mission par la signature de l’Accord, mais bien de déterminer si dans les faits cette organisation visait toujours le renversement du gouvernement par la force en dépit de son adhésion à l’Accord. Il soutient que contrairement aux prétentions de monsieur Tshimanga, aucun élément de preuve ne démontre une renonciation explicite du MLC à l’usage de la force pour arriver à ses fins.

 

[55]           Le défendeur en vient donc à la conclusion que la décision de la SI est raisonnable et demande à la Cour de rejeter cette demande de révision judiciaire.

 

VI.                   Analyse

 

1.         La SI a-t-elle violé les règles de justice naturelle?

 

[56]           La Cour conclut qu’il n’y a pas eu de violation des règles de justice naturelle en l’instance, pour les raisons suivantes :

 

[57]           Monsieur Tshimanga allègue que l’article 6 des RSI, obligeait le MCI à demander par écrit à la SI de rétablir sa demande de procéder à une enquête, puisqu’il avait retiré une première demande antérieurement. Cet article se lit comme suit :

« 6. (1) Le ministre peut demander par écrit à la Section de rétablir la demande de procéder à une enquête qu’il a faite et ensuite retirée.

 

Éléments à considérer

 

(2) La Section accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire ».

 

[58]           La Cour rejette cette prétention de monsieur Tshimanga et partage plutôt l’avis du défendeur voulant que le MCI n’avait pas à demander d’autorisation écrite avant de déférer ses rapports des 12 et 15 mars 2012, et ce, pour deux raisons.

 

[59]           D’abord, il faut retenir que les rapports se fondent sur des faits distincts et couvrent des années différentes, ainsi la SI n’était pas saisie d’une demande de rétablissement d’une enquête antérieure, mais bien de nouvelles enquêtes. De plus, la Cour tient à souligner que le deuxième rapport déposé aux termes de l’alinéa 35 (1) a) n’a pas fait l’objet d’une enquête antérieure devant la SI.

 

[60]           Monsieur Tshimanga allègue également que la SI aurait dû se prononcer sur son argument voulant qu’il y ait un abus de procédure. La Cour souscrit à l’opinion du défendeur selon laquelle monsieur Tshimanga n’a pas soulevé cet argument devant la SI ni demandé que soit ordonné l’arrêt des procédures.

 

[61]           Monsieur Tshimanga prétend que la SI n’a pas tenu compte de plusieurs éléments de preuve, qu’il qualifie d’encouragements du gouvernement canadien à soutenir la démarche à laquelle participait le MLC. Il allègue que le gouvernement canadien lui reproche ses efforts pour participer à l’atteinte d’objectifs qu’ils ont partagés, soit de rétablir la démocratie en RDC. La Cour considère que cet argument est sans fondement, car même si le Canada soutenait la conclusion d’un accord, monsieur Tshimanga ne peut prétendre que le Canada acceptait pour autant d’ignorer les moyens illicites employés par le MLC pour rétablir la démocratie en République du Congo.

 

[62]           La Cour rejette également l’argument voulant que le délai écoulé entre la commission des actes reprochés et le dépôt des rapports soit abusif. Certes, il s’est écoulé près de 10 ans entre le dépôt du second rapport et la commission des faits reprochés au demandeur, soit sa participation dans un mouvement qui prônait le renversement d’un gouvernement par l’usage de la force. La Cour considère que ce délai n’est pas déraisonnable en l’instance pour les raisons suivantes. Ayant révisé chacun des documents déposés devant la SI pour établir que le MLC a commis des actes de violence, la Cour constate que certains des éléments de preuve documentaire datent de 2008. Ces documents n’étaient donc pas disponibles au moment du dépôt de la première demande qui fut retirée avant enquête, en 2007. De plus, monsieur Tshimanga n’a pas déposé d’éléments de preuve qui nous permettent de conclure que le délai encouru soit attribuable à de la négligence de la part du défendeur, comme dans l’affaire Parekh, sur laquelle il s’appuie. Enfin, il faut également prendre en considération les critères énoncés dans l’affaire Blencoe, précitée, pour déterminer qu’un délai devient déraisonnable. Au paragraphe 115, la Cour précise :  

« Ainsi, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il n’y a aucune atteinte à l’équité de l’audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. Il doit s’agir d’un délai qui, dans les circonstances de l’affaire, déconsidérerait le régime de protection des droits de la personne ».

 

[63]           Puisqu’en l’espèce il appert que l’équité de l’audience n’a pas été compromise, monsieur Tshimanga devait apporter des éléments de preuve pour établir le préjudice qu’il subit personnellement de ce délai. Or, il ne s’est pas déchargé de ce fardeau.

 

[64]           Finalement, en ce qui a trait à l’argument de monsieur Tshimanga selon lequel la SI a violé l’équité procédurale, en se fondant sur des éléments de preuve qui ne se rapportaient pas à l’objet de l’enquête, malgré que le Commissaire ait assuré son avocat du contraire, nous traitons de ce point au paragraphe 75 du présent jugement.

 

[65]           La Cour est d’avis qu’il n’y a eu aucun manquement aux principes de justice naturelle.

 

2.         La décision de la SI est-elle raisonnable?

 

[66]           La Cour est d’avis que la décision de la SI est raisonnable pour les motifs qui suivent.

 

[67]           Le juge De Montigny, dans la décision Karakachian, précitée, au para 33, rappelle le rôle de notre Cour en l’instance:

« 33. […] le rôle de cette Cour n'est pas de déterminer si l'ARF est ou a été une organisation terroriste, ni même de savoir s'il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est visé par l'alinéa 34(1)f), ou encore si, selon la prépondérance de la preuve, il est également visé par le paragraphe 16(1) de la Loi. La seule question que doit trancher la Cour est plutôt celle de savoir si l’agente pouvait raisonnablement en arriver à la conclusion à laquelle elle en est arrivée, sur la base de la preuve qui était devant elle : Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 122, paras. 32-33; Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité Publique et de la Protection Civile), 2007 FC 934, para. 25 ».

 

[68]           La Cour doit donc se demander si la décision possède les attributs de la raisonnabilité qui tiennent à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Elle doit déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir, précité, au para 47).

 

[69]           La Cour ne peut accepter l’argument de monsieur Tshimanga voulant que la décision soit déraisonnable au motif que la SI n’a pas défini le sens des expressions se trouvant à l’alinéa 34 (1) b). Cette omission n’a pas pour effet d’entacher la décision car la définition est déjà établie en jurisprudence et le Commissaire l’applique correctement.

 

[70]           Monsieur Tshimanga prétend avoir déposé des éléments de preuve clairs et documentés  du changement radical de la politique du MLC. Selon lui, cette organisation avait explicitement rompu avec ses anciens objectifs politiques et avait de ce fait renoncé au renversement du gouvernement de la RDC par la force, au moment où il y a adhéré. Il se fonde sur les nouveaux statuts adoptés par le MLC en 2005 et sur un document de MLC-Canada qui invoque l’attachement du MLC au respect des droits fondamentaux.

 

[71]           Malheureusement, force nous est de constater que nonobstant sa signature et son adhésion à l’Accord qui prévoyait le dépôt des armes, le MLC a participé à de nombreux combats sur le terrain après la signature dudit Accord. En effet, la SI a retenu que l’aile armée du MLC a commis plusieurs actes de violence après la signature de l’Accord (voir le dossier du demandeur, page 16, para 23). Ainsi, même si le MLC a fait miroiter son intention de renoncer à l’utilisation de la force et de la violence, il n’a pas respecté son engagement. Monsieur Tshimanga ne peut donc pas soutenir que le MLC avait « explicitement renoncé à toute forme de violence » (voir Karakachian, précitée, au para 48). Il en va de même pour le document de MLC-Canada qui invoque le prétendu attachement du MLC au respect des droits fondamentaux. Or, les actes sont plus éloquents que les discours. La Cour tient également à souligner que la modification des statuts du MLC, en 2005, survient bien après l’adhésion du demandeur et surtout après la commission des actes de violence au cours de la période visée par les rapports.

 

[72]           La Cour note également que contrairement aux prétentions de monsieur Tshimanga, la décision Ishaku, précitée, traite de l’objectif du MLC de renverser le gouvernement de la RDC par la force. En effet, la décision précise, au paragraphe 65, que le MLC avait, de 2000 à la fin de 2003, comme objectif principal de renverser la dictature du président Kabila, de prendre le pouvoir et que des actes de violence ont été posés pour atteindre ce but.

 

[73]           Monsieur Tshimanga soutient que la SI n’aurait pas dû s’attarder aux possibles actes de violations du droit humanitaire commis par le MLC durant la période de 2000 à 2003 puisque le reproche formulé contre lui se limitait à son appartenance à une organisation qui visait le renversement d’un gouvernement par la force. La Cour est d’avis qu’il serait plus exact d’exprimer ainsi le reproche formulé à l’encontre de monsieur Tshimanga, soit d’être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteure d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force, comme le précise l’alinéa 34 (1) f) de la LIPR.

 

[74]           Monsieur Tshimanga reconnaît avoir été membre du MLC et ne nie pas non plus que des actes de violations du droit humanitaire ont pu être commis par le MLC entre 2000 et 2003 alors qu’il en était membre. Les actes de violence en question ne doivent pas être considérés exclusivement aux fins de l’analyse aux termes du paragraphe 35 (1) de la LIPR, comme le prétend monsieur Tshimanga. Au contraire, la Cour considère qu’il était raisonnable pour la SI de tenir compte de cet élément de preuve, aux termes de son analyse sous les alinéas 34 (1) b) et f). La preuve établit que l’aile armée du MLC a commis des actes répréhensibles, alors que ses statuts prévoyaient encore d’«éradiquer la dictature sous toutes ses formes », tout en ne refusant pas le recours à la lutte armée.

 

[75]           La Cour ne peut accepter l’argument de monsieur Tshimanga voulant que la SI ait excédé sa compétence en retenant les éléments de preuve établissant la perpétration de ces actes malgré les objections formulées en ce sens par l’avocat de monsieur Tshimanga, et ce, pour la raison suivante. À la lecture de la transcription de l’audience, on ne peut conclure, comme le prétend monsieur Tshimanga, qu’il ait été piégé. En effet, à la page 1041, il est clair que l’avocat de monsieur Tshimanga s’est objecté, mais il est aussi clair que le Commissaire en a tenu compte puisqu’il précise, en réponse, à la page 1043 :

« Je pense pas, puis on verra si elle va dans ses soumissions sur ce que vous craignez qu’elle va par la bande, ça sera jugé en fonction de l’allégation que j’ai devant moi puis des périodes qui ont été données effectivement dans leur, dans leur descriptif qui vous a permis de vous préparer, quoique le descriptif, c’est pas ça qui fait foi de tout là, c’est la preuve qui va découler des té …. du témoignage puis de la preuve qui est là. L’allégation, elle reste précise effectivement, pour ce qui est de renverser un gouvernement par la force. Il y a pas d’allégation de violations des droits de la personne pour cette période-là, pour cette allégation-là, je suis d’accord avec vous mais je pense que pour, je le dis, je le répète, pour savoir l’état d’esprit dans lequel Monsieur a choisi le MLC, c’est important de savoir ce qu’il savait puis à quel moment il l’a appris ».  

 

[76]           Il faut rappeler que sous l’alinéa 34 (1) f), le fardeau du MCI se limitait à établir que monsieur Tshimanga a été membre d’une organisation, en l’espèce le MLC, qui visait à renverser le gouvernement par la force, sans plus.

 

[77]           La Cour souscrit à l’analyse de la juge Snider dans l’arrêt Gebreab précité, alors qu’elle énonce, au paragraphe 27, que :

« Si elle avait conclu que le EPRP n'était pas une "organisation" parce que, au moment de l'appartenance de M. Gebreab, elle ne se livrait pas à des actes de terrorisme ou visant à renverser un gouvernement, la Commission aurait, en fait, éliminé les mots "sont survenus" de l'article 33, et les mots "a été [...] l'auteur" de l'alinéa 34(1)f) ».

 

[78]           Ainsi, indépendamment d’un changement ou pas dans les moyens entrepris pour atteindre l’objectif du MLC, des actes visant à renverser le gouvernement de la RDC par la force ont bien été perpétrés par le MLC et c’est là le nœud de l’affaire.

 

[79]           Finalement, la Cour doit également rejeter l’argument de monsieur Tshimanga voulant que la SI, au paragraphe 26 de la décision, ait déclaré que la question d’intention n’est pas pertinente aux termes de l’alinéa 34 (1) f), parce que cette phrase est prise hors contexte. À la lecture de la décision, on constate que la SI référait à la nécessité ou non de prouver l’intention de monsieur Tshimanga de renverser le gouvernement congolais (voir le paragraphe 19 de la décision). La référence à l’intention sous l’alinéa 34 (1) b) vise plutôt l’intention du MLC de renverser le gouvernement.

 

[80]           La Cour est d’avis que la SI pouvait raisonnablement conclure, sur la base des éléments de preuve présentés devant elle, que monsieur Tshimanga était interdit de territoire, puisqu’ils établissent des motifs raisonnables de croire que des actes visant le renversement du gouvernement par la force « sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » (voir l’article 33 de la LIPR). La croyance de la SI reposait sur un fondement objectif, soit des renseignements concluants et dignes de foi, tout comme dans l’affaire Karakachian, précitée, au paragraphe 32. Mais à la différence de l’affaire Karakachian, en l’espèce la Cour ne peut apporter la nuance souhaitée par monsieur Tshimanga car les éléments de preuve présentés devant le Commissaire établissaient clairement le rôle et les exactions commises par le MLC, lesquels satisfont parfaitement les critères jurisprudentiels énoncés par cette Cour quant à l’application de l’alinéa 34 (1) f).

 

[81]           Compte tenu des motifs qui précèdent, la Cour est d’avis que monsieur Tshimanga n’a pas établi d’éléments qui nous permettent d’intervenir afin d’annuler la décision rendue par la SI.

 


JUGEMENT

LA COUR

            1.         Rejette cette demande de révision judiciaire; et

            2.         Constate qu’il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

SECTION 4

INTERDICTIONS DE TERRITOIRE

 

Interprétation

 

33. Les faits - actes ou omissions - mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

DIVISION 4

INADMISSIBILITY

 

Rules of interpretation

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

Sécurité

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l'auteur d'actes d'espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada;

 

b) être l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada;

 

f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

 

Exception

 

(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

 

 

Security

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

Exception

 

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

 

Règles de la Section de l'immigration, DORS/2002-229

 

Retrait de la demande du ministre de procéder à une enquête

 

Abus de procédure

 

5. (1) Il y a abus de procédure si le retrait de la demande du ministre de procéder à une enquête aurait vraisemblablement un effet néfaste sur l’intégrité de la Section. Il n’y a pas abus de procédure si aucun élément de preuve de fond n’a été accepté dans le cadre de l’affaire.

 

Retrait dans le cas où aucun élément de preuve de fond n’a été accepté

 

(2) Dans le cas où aucun élément de preuve de fond n’a été accepté dans le cadre de l’affaire, le ministre peut retirer sa demande en avisant la Section soit oralement lors d’une procédure, soit par écrit. S’il le fait par écrit, il transmet une copie de l’avis à l’autre partie.

 

 

 

 

 

 

Retrait dans le cas où des éléments de preuve de fond ont été acceptés

 

(3) Dans le cas où des éléments de preuve de fond ont été acceptés dans le cadre de l’affaire, le ministre, pour retirer sa demande, en fait la demande par écrit à la Section.

 

 

Withdrawing a Request by the Minister for an Admissibility Hearing

 

Abuse of process

 

5. (1) Withdrawal of a request for an admissibility hearing is an abuse of process if withdrawal would likely have a negative effect on the integrity of the Division. If no substantive evidence has been accepted in the proceedings, withdrawal of a request is not an abuse of process.

 

Withdrawal if no evidence has been accepted

 

 

(2) If no substantive evidence has been accepted in the proceedings, the Minister may withdraw a request by notifying the Division orally at a proceeding or in writing. If the Minister notifies in writing, the Minister must provide a copy of the notice to the other party.

 

 

 

 

 

Withdrawal if evidence has been accepted

 

 

(3) If substantive evidence has been accepted in the proceedings, the Minister must make a written application to the Division in order to withdraw a request.

 

Rétablissement de la demande du ministre de procéder à une enquête

 

Demande de rétablissement d’une demande d’enquête retirée

 

6. (1) Le ministre peut demander par écrit à la Section de rétablir la demande de procéder à une enquête qu’il a faite et ensuite retirée.

 

 

Éléments à considérer

 

(2) La Section accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire.

 

Reinstating a Request by the Minister for an Admissibility Hearing

 

Application for reinstatement of withdrawn request

 

6. (1) The Minister may make a written application to the Division to reinstate a request for an admissibility hearing that was withdrawn.

 

Factors

 

(2) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or if it is otherwise in the interests of justice to allow the application.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-1870-13

 

INTITULÉ :

BUANA TSHIMANGA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 11 décembre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE SCOTT

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 10 février 2014

COMPARUTIONS:

Me Jacques Beauchemin

 

Pour le demandeur

 

Me Émilie Tremblay

Me Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BEAUCHEMIN, BRISSON

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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