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Date : 20140129


Dossier :

IMM‑1755‑13

 

Référence : 2014 CF 102

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2014

En présence de madame la juge Kane

 

ENTRE :

LOPEZ, WILMER

RECINOS AMAYA, KELVIN

 

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les demandeurs sollicitent, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a, le 15 janvier 2013, refusé de leur reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention au sens de l’article 96 ou celle de personnes à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Contexte

[3]               Les demandeurs, Wilmer Lopez (Wilmer) et Kelvin Recinos Amaya (Kelvin), sont des demi‑frères de citoyenneté salvadorienne qui affirment avoir été persécutés par les membres d’un groupe criminalisé, les « Maras ». La Commission a rejeté leur demande d’asile pour manque de crédibilité et parce qu’ils n’avaient pas de crainte suggestive de persécution.

 

[4]               Wilmer alléguait qu’il avait été accosté à plusieurs reprises par des membres du gang 13 des Maras qui contrôlait son quartier et qu’il avait fait l’objet de menaces après qu’il eut refusé d’y adhérer. Sa demande reposait sur des faits précis relatés dans son formulaire de renseignements personnels (FPR), et notamment sur un incident remontant à décembre 2004 au cours duquel « El Snarf » l’avait menacé au couteau, sur un autre incident survenu plus tard en décembre 2004 au cours duquel quatre membres du gang, dont El Snarf, l’avaient menacé et, enfin sur un incident remontant au mois d’août 2005 au cours duquel « El Gato » lui avait demandé de l’argent en le menaçant de sévices corporels en cas de refus. En septembre 2005, Wilmer s’est enfui aux États‑Unis, où il est demeuré pendant environ quatre ans et demi. Il est arrivé au Canada en compagnie de son père et de Kelvin en 2010.

 

[5]               Kelvin a expliqué qu’il habitait un quartier contrôlé par la gang 18 des Maras et qu’il avait été victime de harcèlement et d’extorsion de la part des membres de ce gang. Il a mentionné des incidents précis dans son FRP. En 2004, il a été agressé et a fait l’objet de menaces de mort de la part de membres de ce gang, dont « El Seco », parce qu’il avait refusé de devenir membre des Maras. En mars 2004, alors qu’il roulait à bicyclette, il a refusé de s’arrêter pour obéir à l’ordre d’un des membres du gang. On lui a lancé un caillou et on lui a proféré des menaces. En 2005, après avoir changé d’école pour éviter les membres du gang, il a été agressé par quatre membres du gang; deux mois plus tard, El Seco lui a expliqué qu’il avait été agressé parce qu’il avait refusé de devenir membre du gang, ajoutant qu’il devait également rompre avec sa petite amie, parce qu’El Seco s’intéressait à elle. En 2006, il a été agressé, puis menacé, avec sa petite amie, pour avoir éraflé accidentellement la voiture d’un des membres du gang. Environ un mois plus tard, il a été de nouveau agressé par les membres du gang pour avoir invité à danser des filles dont il ignorait qu’elles étaient leurs petites amies.

 

[6]               Le 5 avril 2007, plusieurs de ses amis ont été assassinés par des membres des Maras alors qu’ils participaient aux festivités pascales.

 

[7]               Le 23 avril 2007, il a quitté le Salvador pour les États‑Unis, où il est demeuré pendant plus de trois ans. Il est arrivé au Canada en compagnie de son père et de Wilmer en 2010.

 

[8]               Aucun des demandeurs n’a présenté de demande d’asile aux États‑Unis.

 

Décision à l’examen

[9]               La Commission a rendu une seule décision comportant deux volets, l’un concernant Wilmer et l’autre, Kelvin.

 

[10]           La Commission a estimé que la crédibilité de Wilmer était minée par des contradictions et omissions majeures entre son FRP et son témoignage et que ces contradictions et omissions touchaient au cœur même de sa demande d’asile.

 

[11]           La Commission a fait observer que Wilmer avait omis de relater dans son récit circonstancié le fait qu’en plus de le menacer, El Snarf lui avait également demandé de l’argent. La Commission a fait observer qu’à l’audience, Wilmer avait expliqué qu’il avait été abordé et menacé en décembre 2004 par trois membres des Maras, ce qui contredisait son exposé circonstancié dans lequel il déclarait qu’il avait été accosté et menacé par quatre individus, dont deux qu’il connaissait et avait reconnus. La Commission a fait observer que, confronté à cette contradiction, Wilmer s’était de nouveau contredit en affirmant qu’il avait voulu dire qu’il avait reconnu trois des individus en question.

 

[12]           La Commission a fait observer que, lorsqu’on l’avait interrogé pour savoir s’il avait été harcelé par les Maras entre décembre 2004 et août 2005, William avait commencé par répondre par la négative pour ensuite affirmer qu’il avait reçu de nombreuses insultes. La Commission a signalé que les incidents en question n’étaient pas mentionnés dans l’exposé circonstancié du demandeur et elle a refusé d’accepter l’explication de Wilmer suivant laquelle il avait omis ces incidents parce qu’ils n’étaient pas suffisamment importants pour qu’il les rapporte. La Commission a également mentionné d’autres erreurs commises par Wilmer au cours de l’audience, notamment en ce qui concerne l’année au cours de laquelle s’était produit l’incident qui l’avait incité à quitter le Salvador. La Commission a fait observer que les explications fournies par Wilmer pour justifier les omissions et contradictions en question ― en l’occurrence, qu’il était nerveux et ne se souvenait pas ― n’étaient pas convaincantes parce que Wilmer avait confirmé qu’il connaissait et comprenait la teneur de son FPR, qu’il y avait plusieurs contradictions et omissions et, enfin, que Wilmer aurait pu revoir son FRP à tête reposée avant de se présenter à l’audience.

 

[13]           La Commission a fait observer que Wilmer était demeuré illégalement aux États‑Unis pendant plus de quatre ans sans demander l’asile et qu’au cours de cette période, il risquait d’être expulsé en tout temps. La Commission a conclu que ces agissements n’étaient pas compatibles avec ceux d’une personne craignant véritablement d’être persécutée si elle devait être refoulée vers son pays d’origine. La Commission n’était pas convaincue par les explications de Wilmer suivant lesquelles ses proches lui avaient conseillé de ne pas demander l’asile aux États‑Unis et suivant lesquelles il n’avait pas d’argent pour consulter un avocat.

 

[14]           La Commission a également conclu que la crédibilité de Kelvin était entachée par plusieurs omissions importantes qui touchaient au cœur même de sa demande d’asile.

 

[15]           La Commission a fait observer que Kelvin avait omis de préciser, dans son exposé circonstancié, que l’incident de mars 2004, au cours duquel il avait été renversé de sa bicyclette par des membres des Maras, et les intimidations dont il avait constamment fait l’objet de la part des Maras entre mai 2006 et avril 2007, faisaient suite à son refus d’adhérer au gang.

[16]           La Commission a également fait observer que Kelvin n’avait pas été en mesure de fournir de dates précises pour la plupart des faits allégués. La Commission a conclu que, dans certains cas, Kelvin ne se souvenait ni de la date, ni du mois ni de l’année de l’incident, alors que dans d’autres cas, son récit était vague.

 

[17]           La Commission n’a accordé aucune valeur probante à un document du 21 septembre 2011 produit par Kelvin dans lequel il était allégué que la mère de Kelvin avait fait l’objet de menaces et d’extorsion de la part des Maras et avait porté plainte auprès de la police au Salvador. La Commission a conclu que ce document était un document intéressé qui n’avait été produit que pour étayer sa demande d’asile. La Commission a estimé que les explications données par Kelvin pour justifier le fait qu’il n’avait produit le document à la Commission que trois jours avant l’audience étaient invraisemblables et tirées par les cheveux. Kelvin a déclaré qu’il avait simplement oublié jusqu’au moment où il avait reçu un avis de convocation à l’audience. La Commission a également tiré une inférence négative au sujet de la crédibilité de Kelvin en raison du fait qu’il avait oublié d’apporter à l’audience une copie du rapport de police mentionné dans la lettre, prétextant qu’il avait dû courir pour prendre l’autobus.

 

[18]           La Commission a également conclu que les agissements de Kelvin étaient incompatibles avec sa présumée crainte. La Commission a fait observer qu’interrogé par l’avocat quant à la raison pour laquelle il ne pouvait vivre ailleurs au Salvador, Kelvin n’avait mentionné que des raisons financières et professionnelles sans alléguer qu’il craignait que les Maras puissent le retrouver.

 

[19]           La Commission a par ailleurs fait observer que Kelvin était demeuré illégalement aux États‑Unis pendant trois ans sans demander l’asile. Au cours de cette période, il risquait d’être expulsé en tout temps. La Commission a conclu que ce comportement n’était pas compatible avec celui d’une personne qui craindrait véritablement d’être persécutée si elle devait retourner dans son pays d’origine. La Commission a estimé que les explications données par Kelvin pour justifier le fait qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis n’étaient pas convaincantes.

 

Questions en litige

[20]           Les demandeurs affirment que la décision de la Commission est déraisonnable, et ce, pour les quatre raisons suivantes : la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs en interprétant mal leur témoignage et en exagérant certaines incohérences et omissions mineures; la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte suggestive; la Commission a commis une erreur en ne procédant pas une analyse distincte en vertu de l’article 97 de la Loi et, enfin, la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs (l’Entente sur les tiers pays sûrs).

 

Norme de contrôle

[21]           Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Il ressort de la jurisprudence que, lorsque la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour consiste à déterminer si la décision de la Commission « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). La Cour ne soupèsera pas de nouveau la preuve et elle ne rendra pas une nouvelle décision.

 

[22]           Il est de jurisprudence constante que les commissions et les tribunaux administratifs se trouvent dans une situation idéale pour évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CAF)), et que les conclusions que la Commission tire au sujet de la crédibilité devraient bénéficier d’une retenue appréciable compte tenu du rôle qu’elle joue en tant qu’arbitre des faits (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82).

 

[23]           Ainsi que le juge Martineau l’explique au paragraphe 7 du jugement Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 FTR 43 :

    L’évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l’essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, au paragraphe 38 (QL) (1re inst.); Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 14.

 

Les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

[24]           Bien que les demandeurs fassent valoir que les contradictions et les omissions relevées par la Commission étaient mineures ou exagérées et que les incohérences doivent être véritables et importantes, les contradictions et omissions en question concernaient la plupart des incidents sur lesquels Wilmer se fondait pour établir le bien‑fondé de sa demande.

 

[25]           Je suis d’accord pour dire qu’il serait possible de concilier le récit initial dans lequel Wilmer affirmait avoir rencontré quatre membres des Maras, ajoutant qu’il connaissait et avait reconnu deux d’entre eux, avec la réponse qu’il avait donnée plus tard et suivant laquelle il avait reconnu trois de ces individus. La Commission s’est toutefois penchée sur cette contradiction et a donné à Wilmer la possibilité de s’expliquer. De même, l’erreur que Wilmer a commise en mentionnant août 2005 au lieu d’août 2004 comme date à laquelle étaient survenues les menaces au couteau qui l’avaient incité à s’enfuir aux États‑Unis ne constituait peut‑être rien de plus qu’une simple distraction. La Commission a reconnu que, prise isolément, une contradiction ou une omission peut être attribuée à la nervosité. La conclusion négative que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité était toutefois fondée sur la nature cumulative des diverses contradictions et omissions relevées dans l’exposé circonstancié de Wilmer.

 

[26]           La Commission a fait observer que Wilmer n’avait pas mentionné qu’il craignait les Maras s’il devait retourner au Salvador et qu’il avait plutôt évoqué des difficultés d’ordre financier. Cela n’est pas tout à fait exact. Wilmer a expliqué qu’il n’avait pas d’argent pour aller s’installer ailleurs au Salvador et qu’il craignait d’être tué par les Maras s’il devait rendre visite à des membres de sa famille.

 

[27]           Pour ce qui est de Kelvin, celui‑ci a expliqué que la Commission n’aurait pas dû lui faire subir un test de mémoire et que son omission de donner des dates précises était moins importante que le fait qu’il avait relaté les incidents au cours desquels des menaces avaient été proférées. Par exemple, il affirmait ne pouvoir se souvenir des dates de ses courtes fréquentations avec sa petite amie parce qu’il s’agissait de fréquentations entre adolescents qui remontaient à plusieurs années.

 

[28]           Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer ses conclusions au sujet de la crédibilité de Kelvin. La Commission ne cherchait pas à vérifier la fiabilité de la mémoire de Kelvin; elle a cependant fait observer que Kelvin n’était pas en mesure de citer des dates précises dans le cas d’un grand nombre des faits clés allégués dans sa demande. Toutefois, dans son FPR, Kelvin avait fourni des dates plus précises sur d’autres faits importants, y compris sa date d’anniversaire et l’incident survenu à Pâques.

 

[29]           De plus, le fait que Kelvin prétendait avoir oublié d’apporter un document clé à l’audience, alors que la tenue de celle‑ci était prévue depuis plusieurs mois, a amené raisonnablement la Commission à tirer une conclusion négative sur sa crédibilité.

 

[30]           S’agissant de la crédibilité, la Commission peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la logique à la lumière de l’exposé circonstancié du demandeur et elle peut rejeter un témoignage qui ne concorde pas avec les probabilités. Comme le juge Shore le fait observer dans le jugement Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62, au paragraphe 1, [2007] ACF no 97 :

[1]        La Cour est d’avis que la Commission peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité, et peut rejeter un témoignage s’il ne concorde pas avec les probabilités de l’ensemble de l’affaire. (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); Alizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (QL); Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (QL)).

 

[31]           Il est de jurisprudence constante que les contradictions internes relevées dans la version des faits du demandeur ainsi que les incohérences entre la version des faits du demandeur et d’autres éléments de preuve peuvent servir de fondement à une conclusion négative de la Commission en matière de crédibilité (Nadarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1204, aux paragraphes 11 à 14, [2006] ACF no 1516).

 

[32]           Compte tenu du fait que la Commission a eu l’avantage d’entendre et d’analyser le témoignage des demandeurs et du fait qu’il y a lieu de faire preuve de beaucoup de retenue en ce qui concerne les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité, il était loisible à la Commission de tirer des conclusions négatives au sujet de la crédibilité, vu l’ensemble de la preuve produite par les demandeurs qui révélait des contradictions et des omissions sur de nombreuses allégations clés.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective?

 

[33]           Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en concluant que leur séjour prolongé aux États‑Unis sans y demander l’asile démontrait qu’ils n’avaient pas de crainte suggestive de persécution au Salvador étant donné qu’ils avaient tous les deux fourni des explications raisonnables. Les demandeurs font observer qu’à leur arrivée aux États‑Unis, ils étaient des adolescents, que leur père leur avait conseillé de ne pas demander l’asile et qu’ils ne disposaient pas des ressources nécessaires pour pouvoir consulter un avocat.

 

[34]           Le défendeur affirme que le retard à demander l’asile et l’omission de demander l’asile aux États‑Unis sont des faits qui sont susceptibles de miner la crédibilité du demandeur (Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 851 aux paragraphes 14‑15, [2011] ACF no 1062 [Mejia]).

 

[35]           Bien que le défaut de demander l’asile dans un autre pays ne soit pas déterminant en ce qui concerne l’existence d’une crainte suggestive, il s’agit d’un facteur pertinent qui a également une incidence sur la crédibilité (Gavryushenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 FTR 161, [2000] ACF no 1209, au paragraphe 11).

 

[36]           Dans le jugement Mejia, précité, aux paragraphes 14 et 15, le juge Mosley aborde la question et fait observer ce qui suit :

[14]    La Cour a statué que le retard dans la présentation d’une demande d’asile est un facteur important qui doit être pris en compte dans le cadre de l’examen de cette demande : Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 330 (C.A.F.) (QL); Gamassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000), 194 F.T.R. 178. Un retard révèle une absence de crainte subjective de persécution ou de crainte fondée de persécution, car une personne ayant une crainte véritable demanderait l’asile à la première occasion : Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 16.

 

[15]           La Cour a récemment conclu, dans Jeune c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 835, au paragraphe 15, que le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile à la première occasion avait miné davantage sa crédibilité. On peut en dire autant en l’espèce. La demanderesse principale est demeurée aux États‑Unis durant sept ans. Pendant cinq de ces sept ans, elle avait un visa de touriste. Après l’expiration de celui‑ci, elle n’a rien fait pour demander l’asile aux États‑Unis. Il était raisonnable pour la Commission de s’attendre à ce que la demanderesse, si elle « craignait réellement » d’être expulsée, se renseigne au sujet de la présentation d’une demande d’asile dès que possible. Aucun motif raisonnable n’a été donné pour expliquer pourquoi elle ne l’a pas fait, outre ses efforts pour conclure un mariage de convenance.

 

[37]           Dans le cas qui nous occupe, la Commission a offert aux demandeurs la possibilité d’expliquer la raison pour laquelle ils n’avaient pas demandé l’asile aux États‑Unis, mais a jugé non convaincantes les explications qu’ils ont fournies – en l’occurrence qu’on ne leur avait pas parlé de risque d’expulsion et qu’ils n’avaient pas les moyens de se payer un avocat – compte tenu de la durée de leur séjour aux États‑Unis. La Commission a également fondé sa conclusion sur le fait que, interrogé quant à savoir pourquoi ils ne pourraient s’installer ailleurs au Salvador, Kelvin n’avait pas mentionné sa crainte des Maras et que Wilmer n’avait mentionné ce risque qu’advenant le cas où il rendrait visite aux membres de sa famille, alors que des problèmes de logement, de travail et d’argent avaient d’abord été évoqués.

 

[38]           La Commission a conclu de façon raisonnable que le défaut des demandeurs de demander l’asile aux États‑Unis malgré leur long séjour dans ce pays n’était pas compatible avec une crainte suggestive des Maras.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse fondée sur l’article 97?

 

[39]           Les demandeurs affirment qu’une conclusion négative en matière de crédibilité qui peut sceller le sort d’une demande d’asile présentée en vertu de l’article 96 de la Loi ne détermine pas nécessairement celle d’une demande présentée en vertu du paragraphe 97(1) lorsque, comme en l’espèce, des éléments de preuve indépendants et objectifs permettent de penser que les jeunes Salvadoriens de sexe masculin vivant dans des quartiers contrôlés par les Maras sont exposés à des risques de violence de la part de gangs. Les demandeurs font observer que, même s’ils ne sont pas entièrement crédibles, il est acquis aux débats qu’ils sont de jeunes Salvadoriens de sexe masculin vivant dans un quartier contrôlé par les Maras.

 

[40]           La thèse du défendeur est que, lorsque la Commission tire une conclusion négative en ce qui concerne la crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, tant en vertu de l’article 96 que de l’article 97, à moins qu’il n’existe des éléments de preuve objectifs confirmant l’existence d’un risque (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3, [2008] ACF no 1685 [Sellan]). Le défendeur estime mal fondé l’argument des demandeurs suivant lequel leur profil de jeunes hommes vivant dans un quartier contrôlé par les Maras justifie une analyse distincte en vertu de l’article 97; l’analyse du risque effectué en vertu de l’article 97 doit être faite en fonction de la situation personnelle de l’intéressé et non en fonction de la situation générale.

 

[41]           La Commission n’a pas commis d’erreur en ne procédant pas à une analyse distincte en vertu de l’article 97. Ainsi que la Cour d’appel l’a expliqué dans l’arrêt Sellan, précité, au paragraphe 3, une conclusion négative en matière de crédibilité suffit pour rejeter la demande, tant en vertu de l’article 96 que de l’article 97, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une conclusion favorable au demandeur et de faire droit à sa demande d’asile.

 

[42]           Les demandeurs se fondent sur des éléments de preuve documentaire suivant lesquels les jeunes Salvadoriens de sexe masculin vivant dans des quartiers contrôlés par les Maras sont exposés à des risques de violence de la part de gangs. Ces documents visent à démontrer le risque généralisé auquel sont exposés l’ensemble des jeunes Salvadoriens de sexe masculin dans les quartiers contrôlés par les Maras. Toutefois, c’est le risque personnalisé et non le risque généralisé qu’il convient d’analyser pour satisfaire aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi.

 

[43]           Notre Cour a examiné l’application de l’article 97 dans de nombreuses affaires et a expliqué comment procéder à une analyse fondée sur l’article 97 en fonction des différences qui existent entre un risque personnalisé et un risque généralisé. Dans le jugement Arenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 344 au paragraphe 9, [2013] ACF no 377, la juge Gleason cite sa décision antérieure dans l’affaire Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678, 409 FTR 290 [Portillo], dans laquelle elle avait analysé une longue série de décisions :

[9]      Comme je l’ai soutenu dans la décision Portillo, une analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR doit être effectuée. Premièrement, la SPR doit décrire correctement la nature du risque auquel est exposé l’intéressé. Cela exige de la Commission qu’elle considère s’il y a un risque permanent éventuel et, dans l’affirmative, si le risque équivaut à un traitement ou une peine cruel ou inusité. Surtout, la Commission doit déterminer ce qu’est précisément le risque. Une fois cela fait, la SPR doit ensuite comparer le risque auquel est exposé l’intéressé à celui auquel est exposé un groupe significatif de personnes originaires du même pays pour déterminer si les risques sont de même nature et du même degré.

 

[44]           Dans le jugement Portillo, précité, au paragraphe 41, la juge Gleason a expliqué les étapes que comportait l’analyse prévue à l’article 97 :

[41]           L’étape suivante à franchir dans le cadre de l’analyse prévue à l’article 97 de la LIPR, une fois que le risque a été correctement qualifié, consiste à comparer le risque qui a été correctement décrit et auquel le demandeur d’asile est exposé, avec celui auquel est exposée une partie importante de la population de son pays pour déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité. Si le risque qu’il court est différent, le demandeur d’asile a alors le droit de se réclamer de la protection de l’article 97 de la LIPR. Plusieurs des décisions récentes de notre Cour – s’inscrivant dans le premier courant jurisprudentiel susmentionné – ont retenu cette approche.

 

[45]           Les demandeurs reconnaissent que le résultat de l’analyse prévue à l’article 97 n’est pas garanti : même si l’analyse a eu lieu, la Commission peut conclure que le risque est un risque généralisé. Toutefois, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en ne tenant aucunement compte des risques prévus à l’article 97.

 

[46]           Je répète que je ne suis pas d’accord pour dire que la Commission a commis une erreur. Comme je l’ai déjà signalé, les conclusions négatives tirées au sujet de la crédibilité sont suffisantes pour se passer d’une analyse fondée sur l’article 97 à moins qu’il n’existe des éléments de preuve indépendants et objectifs permettant de conclure que le demandeur serait exposé à un risque personnalisé. La preuve documentaire n’abordait que le risque auquel étaient exposés certains jeunes hommes au Salvador. Les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve objectifs et crédibles démontrant le risque auquel ils étaient exposés, ce qui est le point de départ de toute analyse prévue à l’article 97. La Commission a jugé que la preuve présentée par les demandeurs n’était pas crédible.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’Entente sur les tiers pays sûrs?

 

[47]           Les demandeurs affirment que la Commission aurait dû tenir compte de l’Entente sur les tiers pays sûrs avant de tirer des conclusions défavorables de leur défaut de demander l’asile aux États‑Unis parce qu’ils sont par la suite venus au Canada pour se rapprocher de leur famille.

 

[48]           Le demandeur affirme également que la réunification des familles est un des principes consacrés par la Loi.

 

[49]           À mon avis, l’Entente sur les tiers pays sûrs ne n’applique pas aux faits de la présente affaire dans le contexte des demandes d’asile présentées par les demandeurs. Les demandeurs ont été admis au Canada malgré le fait qu’ils avaient séjourné aux États‑Unis pendant trois ans et quatre ans et demi respectivement. L’Entente sur les tiers pays sûrs permettait leur admission au Canada ainsi que l’examen de leur demande d’asile parce qu’ils avaient affirmé au point d’entrée qu’ils avaient de la famille au Canada.

 

[50]           La Commission n’avait pas l’obligation de tenir compte de l’Entente sur les tiers pays sûrs avant de conclure que le séjour prolongé des demandeurs aux États‑Unis minait leur crédibilité et leur crainte suggestive des Maras.

 

[51]           Les dispositions de la Loi habilitant le gouverneur en conseil à conclure l’Entente sur les tiers pays sûrs visent à traiter du partage de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile avec des pays signataires qui se conforment aux articles applicables des Conventions et qui ont des antécédents acceptables en matière de respect des droits de la personne (Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2008 CAF 229, au paragraphe 75, 73 Imm LR (3d) 159). L’alinéa 101(1)e) de la Loi atteint cet objectif en prévoyant qu’une demande d’asile est irrecevable devant la Section de la protection des réfugiés lorsque le demandeur provient d’un « pays désigné ». Or, les États‑Unis sont un pays désigné au titre de l’article 159.3 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’Entente sur les tiers pays sûrs prévoit quatre exceptions à l’application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi : l’exception relative aux membres de la famille; l’exception concernant les mineurs non accompagnés; les exceptions applicables aux titulaires de documents et, enfin, les exceptions fondées sur l’intérêt public.

 

[52]           Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs n’étaient pas irrecevables à faire examiner leur demande d’asile par la Commission. La Commission a finalement examiné leur demande, mais a conclu qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

Conclusion

[53]           La Commission a conclu de façon raisonnable que les demandeurs manquaient de crédibilité et que leur décision de ne pas demander l’asile aux États‑Unis pendant leur séjour prolongé dans ce pays minait leur crainte subjective. La décision de la Commission était justifiée, transparente et intelligible. Elle appartient donc aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM‑1755‑13

 

INTITULÉ :

LOPEZ, WILMER ET RECINOS AMAYA, KELVIN c

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 20 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 29 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Laura Setzer

 

POUR LES demandeurS

 

Peter Nostbakken

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laura Setzer

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES demandeurS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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