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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date: 20140204

Dossier : IMM-2440-13

Référence : 2014 CF 109

Ottawa (Ontario), le 4 février 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

ENTRE :

 

TELMA ELIA MARTINEZ ET

LAURA ORISTELA RAMIREZ MARTINEZ

 

 

 

Partie

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Partie

défenderesse

 

         MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 7 mars 2013 par une agente d’immigration de l’Ambassade du Canada au Guatemala dans laquelle on refusait la demande de résidence permanente [DRP] de Laura Oristela Ramirez Martinez [Laura] à titre de membre de la famille d’une personne protégée, en l’occurrence sa mère, Telma Elia Martinez [Telma] [ensemble, les demanderesses].

II.        Faits

[2]               Telma a quitté le Honduras le 25 juillet 2008, craignant son ancien conjoint. Sa fille, Laura, est restée avec son fils, Erick Ramon. Laura est née le 5 mai 1987 et elle présente des problèmes de surdité. Le 29 septembre 2010, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accordé à Telma la désignation de « personne protégée ».

 

[3]               Le 17 février 2011, Telma a déposé une DRP dans la catégorie des personnes protégées conformément à l’article 175 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], dans laquelle elle affirme être la mère de Laura.

 

[4]               Le 15 décembre 2011, le bureau des visas a été informé de traiter Laura comme une personne à charge, et celle-ci a été incluse dans la DRP comme membre de la famille. Les 9 et 12 mars 2012, les formulaires concernant Laura ont été transmis au bureau des visas.

 

[5]               Le 24 août 2012, l’agente d’immigration chargée du dossier a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment de preuve pour vérifier où vivait Laura et si elle était dépendante financièrement de sa mère. À trois reprises entre le 27 août 2012 et le 22 novembre 2012, l’agente d’immigration a envoyé une lettre aux demanderesses les informant qu’elles devaient fournir plus de renseignements à l’appui de leurs prétentions. Les demanderesses ont transmis des documents en réponse à chaque lettre envoyée par l’agente d’immigration.

 

[6]               Toujours insatisfaite de la preuve au dossier, l’agente d’immigration a finalement rejeté la DRP de Laura le 7 mars 2013.

[7]               Dans une lettre datée du 18 mars 2013, les demanderesses ont présenté une demande en vue du réexamen de la décision contestée; le 22 mai 2013, une autre agente a refusé de revoir la décision, confirmant ainsi la décision du 7 mars 2013.

 

III.       Décision contestée

[8]               Dans sa brève décision, après avoir rappelé le cadre législatif applicable à la DRP de Laura, l’agente d’immigration a rejeté la DRP de Laura à titre de membre de la famille d’une personne protégée puisque Laura ne satisfait ni à la définition d’« enfant à charge » au sens du sous-alinéa 2b)(iii) du RIPR ni à celle de « membre de la famille » de l’alinéa 1(3)b) du RIPR. Par conséquent, Laura n’est pas un membre de la famille pour l’application de l’article 176 du RIPR. En effet, l’agente d’immigration a conclu que la demanderesse avait plus de 22 ans au moment où sa mère a présenté sa demande, qu’elle n’était pas aux études à temps plein, et qu’elle n’a pas prouvé qu’elle dépendait financièrement de sa mère avant d’avoir 22 ans. En outre, l’agente a précisé avoir examiné de possibles considérations d’ordre humanitaire, mais ne pas être convaincue de l’existence de tels motifs.

 

IV.       Arguments des demanderesses

[9]               Les demanderesses soutiennent que la décision de l’agente d’immigration est déraisonnable, notamment parce que celle-ci a omis de prendre en considération d’importants éléments de preuve, dont un affidavit produit par Telma dans lequel elle explique sa relation avec sa fille, ainsi que des reçus attestant que la mère a transféré de l’argent à sa fille. Les demanderesses ajoutent que l’agente d’immigration avait le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision, mais qu’elle ne l’a pas fait. Enfin, elles affirment qu’en raison des circonstances particulières de leur demande l’agente d’immigration aurait dû tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est-à-dire de Laura, même si cette dernière était majeure au moment du dépôt de la demande.

 

V.        Arguments du défendeur

[10]           Le défendeur soumet que la décision est raisonnable. Contrairement à ce que prétendent les demanderesses, l’agente d’immigration a bien examiné la preuve dont elle était saisie, et la décision reflète bien l’ensemble de la preuve. Les demanderesses avaient le fardeau de présenter toute la preuve nécessaire pour établir que Laura dépendait financièrement de sa mère avant d’avoir 22 ans et qu’elle continue à ce jour de dépendre d’elle, ce qu’elles n’ont pas fait. Néanmoins, allant au-delà de ce dont il était attendu d’elle, l’agente d’immigration a invité les demanderesses, à trois reprises, à compléter leur dossier en soumettant d’autres éléments de preuve. L’agente a appuyé sa décision sur la preuve dont elle disposait alors, et les demanderesses invoquent des éléments de preuve nouvelle – explications et preuve documentaire –, qui doivent être écartés du processus de contrôle judiciaire. Le défendeur ajoute que même si l’on tenait compte des éléments de preuve nouvelle présentés par les demanderesses, ceux-ci ne font que prouver que Laura dépendait de son frère et non de sa mère.

 

[11]           Pour ce qui est de la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant, le défendeur fait valoir que Laura est une adulte qui ne peut être considérée comme une enfant. Une personne susceptible d’être visée par la définition d’« enfant à charge » ne profite pas nécessairement d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. De même, le fait pour une personne d’être atteint d’une vulnérabilité physique et intellectuelle qui peut s’apparenter à celle d’un enfant ne permet pas de la considérer comme une enfant. Qui plus est, l’agente d’immigration a examiné les considérations d’ordre humanitaires qui pourraient profiter à Laura, mais a raisonnablement conclu qu’aucun motif de la sorte n’existait en l’espèce.

 

VI.       Réplique des demanderesses

[12]           Dans leur réplique, les demanderesses font valoir que, contrairement à ce que peut croire le défendeur, il ne s’agit pas d’une demande de réunification familiale, mais bien d’une demande de parrainage. Elles ajoutent qu’il est très difficile pour Telma, reconnue à titre de réfugiée, de fournir de la documentation prouvant qu’elle a subvenu aux besoins de sa fille. Les demanderesses affirment également que la jurisprudence sur laquelle s’appuie le défendeur n’est pas applicable en l’espèce puisqu’il s’agit de décisions rendues dans des circonstances autres; le contexte, en l’espèce, est différent. Elles font également valoir que certains des éléments de preuve qui, à leur avis, ont indûment échappé à l’analyse de l’agente d’immigration ne constituent pas de la preuve nouvelle et doivent être examinés dans le cadre du présent contrôle. Les demanderesses terminent leur réplique en rappelant au Canada qu’il doit viser à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution et qu’il se doit de se conformer à ses obligations internationales en matière de droits de la personne et des réfugiés.

 

VII.     Questions en litiges

[13]           La présente demande soulève deux questions en litige :

 

1.      L’agente d’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant que le dossier ne renfermait pas suffisamment de preuve pour établir que Laura est une enfant à charge?

 

2.      L’agente d’immigration a-t-elle commis une erreur en ne considérant pas l’intérêt supérieur de l’enfant, Laura, même si cette dernière était majeure au dépôt de la demande?

 

VIII.    Norme de contrôle

[14]           La première question en litige, qui se rapporte à l’appréciation de la preuve par l’agente d’immigration, doit être contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12). La jurisprudence a établi que la deuxième question doit, elle aussi, faire l’objet d’un examen au regard de la norme de la décision raisonnable (voir Leobrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 587 au para 28, [2010] ACF no 692).

 

[15]           La Cour devra donc faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de l’agente d’immigration et se gardera d’intervenir à moins que les principes de justification, de transparences et d’intelligibilité ne sont pas respectés, c’est-à-dire si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

IX.       Analyse

            Cadre législatif

[16]           Avant d’entreprendre l’analyse des questions en litige, il conviendrait d’établir le cadre législatif de la DRP faisant l’objet du présent contrôle judiciaire. Les dispositions législatives pertinentes en l’espèce sont reproduites en annexes, question de faciliter la lecture des présentes.

[17]           Une personne qui souhaite obtenir la résidence permanente doit satisfaire à diverses exigences énoncées dans la LIPR et le RIPR. Le paragraphe 176(1) du RIPR, qui prévoit la possibilité de présenter une DRP à titre de « membre de la famille », doit s’interpréter à la lumière d’autres dispositions du RIPR. Le paragraphe 1(3) du RIPR, qui définit la notion de « membre de famille » pour l’application du paragraphe 176(1) du RIPR, prévoit que ce terme s’entend notamment d’un enfant qui est à la charge de la personne qui présente la demande. La définition de « enfant à charge » se trouve, pour sa part, à l’article 2 du RIPR et, plus précisément, la définition applicable en l’espèce est celle du sous-alinéa 2b)(iii), reproduit ci-dessous à des fins de commodité :

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« enfant à charge »

 

L’enfant qui :

 

 

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

 

 

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

 

 

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

 

 

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

 

 

[…]

 

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

 

[Non souligné dans l’original.]

Immigration and Refugee Protection Regulations,

SOR/2002-227

 

2. The definitions in this section apply in these Regulations.

 

 

[…]

 

“dependent child”

 

“dependent child”, in respect of a parent, means a child who

 

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

 

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

 

(ii) is the adopted child of the parent; and

 

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

 

[…]

 

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.

 

 

[Emphasis mine.]

 

[18]           Cela dit, pour des raisons qui seront étayées ci-dessous, la décision de l’agente d’immigration est raisonnable puisqu’elle est fondée sur la preuve dont celle-ci disposait à ce moment et parce qu’il était raisonnable de ne pas prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cas de Laura.

 

A.    L’agente d’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant que le dossier ne renfermait pas suffisamment de preuve pour établir que Laura est une enfant à charge?

[19]           Étant donné la preuve formant le dossier au moment de la décision, il était raisonnable pour l’agente d’immigration de conclure à une insuffisance de preuve. En effet, compte tenu du cadre législatif énoncé ci-dessus, pour que la demande soit accordée, les demanderesses devaient prouver que Laura dépendait de sa mère avant d’avoir 22 ans – donc avant le 5 mai 2009 –, qu’elle dépend toujours de sa mère aujourd’hui, et qu’elle ne peut subvenir à ses besoins en raison de son état de santé. Et, en outre, faut-il rappeler qu’il incombe à un demandeur de fournir au décideur l’ensemble des renseignements et des documents pertinents dans le cadre d’une demande qui permettraient d’établir que la DRP est conforme aux exigences prévues (voir, par exemple, Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 442 au para 9, [2010] ACF no 587)?

 

[20]           En l’espèce, les demanderesses estiment que la décision fait fi de certains éléments de preuve importants, soit un affidavit sur la relation entre la mère et la fille ainsi que des reçus témoignant de transferts d’argent. Or, comme l’a très justement soulevé le défendeur, une bonne partie, voire la totalité de la preuve sur laquelle les demanderesses fondent leur demande forme de la preuve nouvelle qui ne peut être admise dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[21]           La décision visée par la présente demande, à savoir celle du 7 mars 2013, doit évidemment être examinée à la lumière de la preuve formant le dossier du tribunal au moment où la décision a été prise. Par conséquent, il serait difficile pour la Cour de tenir compte d’éléments de preuve déposés au dossier par la demanderesse après la décision, notamment de ceux accompagnant la demande de réexamen du 18 mars 2013. Le dossier du tribunal et les notes prises par l’agente d’immigration dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI] apportent des précisions à ce propos. Il appert de ces notes que les demanderesses n’ont pratiquement soumis aucun élément de preuve à l’appui de leurs prétentions. Confrontée à un dossier presque vide, l’agente d’immigration a, de son propre gré, sollicité des renseignements additionnels aux demanderesses, et ce, à trois reprises, qui permettraient d’établir, entre autres, la dépendance financière de Laura à l’égard de sa mère. En réponse à ces demandes de renseignements supplémentaires, les demanderesses ont transmis des lettres et des rapports médicaux. Ce n’est qu’après avoir accordé trois fois aux demanderesses l’occasion de compléter leur dossier que l’agente a tranché, rejetant ainsi la demande.

 

[22]           Toujours selon les notes du STIDI et le dossier du tribunal, les documents invoqués par les demanderesses – affidavits et reçus – ont été déposés à l’appui de la demande de réexamen, c’est-à-dire le 22 mars 2013. Par conséquent, l’affidavit du 14 janvier 2013 (nonobstant la date de signature, encore faut-il que la décideuse en eût été saisie) ainsi que les reçus ne faisaient pas partie du dossier du tribunal au moment de la prise de décision et doivent être écartés de la présente procédure.

 

[23]           Ainsi, pour vérifier si l’agente d’immigration a omis de prendre en compte des éléments de preuve, il convient de vérifier ce dont elle était réellement saisie lorsqu’elle a pris sa décision. Le dossier était composé de divers rapports médicaux et deux lettres, qui n’établissent d’aucune façon la relation de dépendance financière entre la fille et sa mère. Le procureur des demanderesses demande à ce que la nouvelle preuve soit prise en considération dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Ce serait injuste à l’égard de l’agente d’immigration de le faire. Cette dernière a demandé à trois reprises que la preuve de dépendance soit soumise. Les demanderesses ont soumis peu de documents. Elle a donc pris sa décision en fonction de ce dont elle était saisie.

 

[24]           C’est pourquoi, étant donné le peu de preuve au dossier, il était tout à fait raisonnable de la part de l’agente d’immigration de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour établir que Laura dépendait financièrement de sa mère, condition essentielle à la délivrance de la DRP.

B.  L’agente d’immigration a-t-elle commis une erreur en ne considérant pas l’intérêt supérieur de l’enfant, Laura, même si cette dernière était majeure au dépôt de la demande?

[25]           La présente Cour conclut qu’il était raisonnable pour l’agente d’immigration de ne pas examiner l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[26]           Les demanderesses, qui prétendent le contraire, estiment que Laura, même si elle était majeure au moment du dépôt de la demande, aurait dû bénéficier de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elles s’appuient d’ailleurs sur la décision Naredo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1250, 187 FTR 47 [Naredo], qui reconnaissait le droit des enfants d’âge adulte à un examen de « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le raisonnement privilégié dans Naredo, précitée a bel et bien été suivi dans quelques décisions subséquentes, mais je constate le développement d’un nouveau courant jurisprudentiel à cet égard.

 

[27]           Plus récemment, le juge de Montigny, de cette Cour, est venu limiter la portée de ce droit dans Ramsawak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 636 aux paras 17-20, [2009] ACF no 1387 :

 

17     Tous les arguments présentés par le défendeur ont récemment été examinés par mon collègue le juge Mandamin dans l’affaire Yoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 343. Soulignant que le juge Gibson avait déjà conclu, dans Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1250, au droit pour les enfants d’âge adulte de bénéficier de l’analyse de l’"intérêt supérieur de l’enfant", le juge Mandamin s’est senti tenu d’appliquer le même raisonnement, par courtoisie judiciaire. Par souci d’exhaustivité, j’ajouterais également que le juge MacKay a appliqué la décision Naredo dans Swartz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 268, [2002] A.C.F. no 340.

 

18     Malgré mes réserves à l’égard de ces décisions, j’estime qu’il serait mal venu de rendre le droit incertain. À l’exception d’une décision contraire invoquée par le défendeur, laquelle avait elle-même été rendue dans le cadre d’une requête visant l’obtention d’un sursis à une mesure de renvoi (Hunte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3538-03), la jurisprudence ne semble pas contradictoire sur cette question. On ne saurait affirmer non plus que les dispositions législatives pertinentes ou la jurisprudence ayant force obligatoire ont été négligé par l’agent qui a tiré la conclusion. Je suis donc disposé à admettre que le simple fait qu’un "enfant" soit âgé de plus de 18 ans ne devrait pas automatiquement dispenser un agent de prendre en compte son "intérêt supérieur", selon la ligne de conduite proposée dans Baker.

 

19     Ceci étant dit, l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants doit prendre en compte les faits pertinents dans chacun des cas. Ainsi, l’intérêt supérieur d’un enfant âgée de deux ans, par exemple, ne sera certainement pas identique à celui d’un jeune adulte de 21 ans. À titre d’exemple, la lecture de la décision de la juge L’Heureux-Dubé dans Baker montre clairement qu’elle avait à l’esprit l’intérêt des enfants (voir, par exemple, les par. 71 et 73, où elle renvoie à la Convention relative aux droits des enfants de l’ONU ainsi qu’à l’importance et à l’attention qu’il convient de porter aux enfants et à l’"enfance").

 

20     De façon similaire, s’il faillait tenir compte des difficultés qu’une décision défavorable imposerait aux enfants de l’auteur d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’autonomie de ces enfants, ou à l’inverse, leur état de dépendance à l’égard de leurs parents, doit constituer un facteur pertinent. À cet égard, il est intéressant de souligner la conclusion du juge MacKay selon laquelle l’enfant de 19 ans du demandeur était encore un "enfant" pour les besoins de l’analyse fondée sur l’arrêt Baker, parce qu’il était toujours dépendant et qu’il n’était pas autorisé à travailler ou à continuer ses études au Canada. De même, le juge Mandamin a estimé que les fils du demandeur avait droit à une analyse fondée sur l’intérêt supérieur en raison du fait qu’ils étaient financièrement dépendants de leur père car ils poursuivaient leurs études. [Non souligné dans l’original.]

 

[28]           Par conséquent, suivant les propos du juge de Montigny ci-dessus, un enfant d’âge adulte pourrait bénéficier d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il dépend de son parent. Or, puisque la Cour a conclu, au terme de la première question en litige, que les demanderesses n’ont pas été en mesure d’établir la dépendance financière de Laura à l’égard de sa mère par manque de preuve, comment pourrait-elle conclure que Laura a droit à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant? D’autant plus que, comme elle l’indique dans sa décision et l’étoffe dans ses notes du STIDI, l’agente d’immigration a tout de même analysé les considérations d’ordre humanitaire susceptibles de s’appliquer au dossier de la demanderesse avant de conclure qu’elles ne suffisaient pas pour pallier le fait que Laura ne répondait pas aux critères d’enfant à charge.

 

[29]           Par conséquent, puisque les demanderesses n’ont pas réussi à prouver l’existence d’un lien de dépendance entre elles, il était raisonnable de la part de l’agente d’immigration de ne pas procéder à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[30]           Les parties ont été invitées à présenter une question à des fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 


ANNEXE A – DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Définitions

 

1. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.

 

[…]

 

Définition de « membre de la famille »

 

(3) Pour l’application de la Loi — exception faite de l’article 12 et de l’alinéa 38(2)d) — et du présent règlement — exception faite des articles 159.1 et 159.5 —, « membre de la famille », à l’égard d’une personne, s’entend de :

 

a) son époux ou conjoint de fait;

 

b) tout enfant qui est à sa charge ou à la charge de son époux ou conjoint de fait;

 

c) l’enfant à charge d’un enfant à charge visé à l’alinéa b).

 

 

[…]

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« enfant à charge »

 

L’enfant qui :

 

 

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

 

 

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

 

 

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

 

 

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

 

 

[…]

 

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

 

[…]

 

Membre de la famille

 

176. (1) La demande de séjour au Canada à titre de résident permanent peut viser, outre le demandeur, tout membre de sa famille.

Immigration and Refugee Protection Regulations,

SOR/2002-227

 

Definitions

 

1. (1) The definitions in this subsection apply in the Act and in these Regulations.

 

[…]

 

Definition of “family member”

 

 

(3) For the purposes of the Act, other than section 12 and paragraph 38(2)(d), and for the purposes of these Regulations, other than sections 159.1 and 159.5, “family member” in respect of a person means

 

 

 

(a) the spouse or common-law partner of the person;

 

(b) a dependent child of the person or of the person’s spouse or common-law partner; and

 

(c) a dependent child of a dependent child referred to in paragraph (b).

 

[…]

 

2. The definitions in this section apply in these Regulations.

 

 

[…]

 

“dependent child”

 

“dependent child”, in respect of a parent, means a child who

 

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

 

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

 

(ii) is the adopted child of the parent; and

 

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

 

[…]

 

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.

 

 

[…]

 

Family members

 

176. (1) An applicant may include in their application to remain in Canada as a permanent resident any of their family members.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2440-13

 

INTITULÉ :                                      MARTINEZ ET AL c LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 janvier 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 février 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Manuel Centurion

POUR LA PARTIE

 DEMANDERESSE

 

Me Sonia Bédard

Me Yael Levy

POUR LA PARTIE

DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Manuel Centurion

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE

 DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE

DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

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