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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date: 20140204

Dossier : IMM-2256-13

Référence : 2014 CF 116

Ottawa (Ontario), le 4 février 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

 

ANTONIO DAVID CESSA MANCILLAS, JUAN MARIO CESSA CAMACHO ET

MARIA DE LOURDE CESSA MANCILLAS

 

 

 

Partie

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Partie

défenderesse

 

         MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre de la décision rendue le 4 mars 2013 par une commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR], de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR], dans laquelle on concluait que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention pour l’application de l’article 96 de la LIPR, ni des personnes à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

II.        Faits

[2]               Juan Mario Cessa Camacho [demandeur principal], son fils Antonio David Cessa Mancillas et sa fille Maria De Lourde Cessa Mancillas [ensemble, les demandeurs] sont citoyens du Mexique.

 

[3]               En février 2008, le demandeur principal a commencé à recevoir des appels de la part d’un groupe d’individus du groupe criminel « Los Zetas » qui le menaçaient et lui extorquaient de l’argent. Le demandeur principal a d’abord ignoré ces appels, mais ceux-ci ont repris en juin 2008. Le demandeur principal a alors commencé à verser, tous les mois, les sommes réclamées.

 

[4]               À court de fonds, il a dû interrompre les versements en septembre 2008. Son chauffeur a par la suite été attaqué et il s’est fait voler sa voiture. En décembre 2008, le demandeur principal a informé Los Zetas qu’il était en faillite et, le 25 décembre 2008, la fille du demandeur principal a été enlevée et une rançon était exigée (3 000 000 de pesos). Le demandeur principal a vendu l’un de ses commerces et emprunté de l’argent afin de payer la rançon exigée pour la libération de sa fille, ce qui a eu lieu le 1er janvier 2009.

 

[5]               Confrontés à d’autres menaces téléphoniques, les demandeurs ont quitté leur ville d’origine, en s’installant d’abord ailleurs au pays et, par la suite, en fuyant à l’international. Le demandeur principal et sa fille sont arrivés au Canada le 18 janvier 2009, tandis que son fils est arrivé un mois plus tard. L’épouse du demandeur principal ainsi qu’un autre de leurs fils sont restés au Mexique. Le demandeur principal a présenté sa demande d’asile le 26 mai 2009, tandis que sa fille et son fils l’ont fait respectivement le 14 janvier 2010 et le 21 janvier 2010.

 

III.       Décision contestée

[6]               La commissaire de la SPR s’est dite satisfaite quant à l’identité des demandeurs.

 

[7]               La commissaire a indiqué qu’à son avis les demandeurs ont livré des témoignages crédibles en ce qui concerne les événements qu’ils ont vécus au Mexique. Par conséquent, elle a considéré ces événements comme avérés. Elle a néanmoins conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés ni des personnes à protéger en raison de problèmes liés à la crédibilité des demandeurs et parce que ces derniers ne sont pas exposés à un risque prospectif, mais plutôt à un risque généralisé.

 

[8]               D’une part, selon la SPR, les demandeurs ne sont pas des réfugiés parce qu’ils n’ont pas été en mesure d’établir un lien entre leur crainte et l’un des motifs de la Convention puisque le fait d’avoir été victimes d’actes criminels ne constitue pas un motif pour l’application de l’article 96 de la LIPR.

 

[9]               D’autre part, la commissaire a établi que les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger puisqu’ils n’ont pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un risque prospectif. En effet, le demandeur principal a admis n’avoir aucune crainte d’être poursuivi et emprisonné pour des prêts non remboursés puisque la plupart des prêts ont bel et bien été remboursés. De plus, la SPR n’a pas cru que Los Zetas continueraient à pourchasser les demandeurs, quatre ans après leur départ du Mexique, d’autant plus que le demandeur principal n’a plus rien à leur offrir de ce qu’il avait dans le passé. La situation financière enviable des demandeurs les exposait peut-être à un risque plus important à une certaine époque, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. En outre, plusieurs membres de la famille des demandeurs sont demeurés au Mexique depuis, donc pendant toutes ces années, sans jamais être menacés. De l’avis de la SPR, si Los Zetas en voulait réellement aux demandeurs, le groupe s’en serait déjà pris aux autres membres de leur famille. Ainsi, les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils seraient exposés personnellement à un risque de torture ou à une menace à leur vie ou au risque de traitement ou peines cruels et inusités advenant leur retour au Mexique.

 

[10]           Qui plus est, les demandeurs sont plutôt exposés à un risque généralisé pour l’application du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR puisqu’il s’agit d’un risque auquel sont exposés tous les autres habitants du Mexique, un pays aux prises avec une importante criminalité. En effet, l’appartenance des demandeurs à un sous-groupe de la population, à savoir le sous-groupe des personnes fortunées, n’enlève rien à la réalité que le risque d’extorsion est généralisé au Mexique.

 

IV.       Arguments des demandeurs

[11]           Les demandeurs font valoir que la décision est déraisonnable puisque la commissaire s’est contredite au sujet de la crédibilité des demandeurs, qu’elle n’a pas évalué adéquatement le risque prospectif auquel ils sont exposés et qu’elle a commis une erreur en concluant à l’existence d’un risque généralisé.

 

[12]           Au sujet de la crédibilité, la commissaire a affirmé expressément dans les premières lignes de la décision être convaincue que les demandeurs ont été des témoins crédibles. Comment peut-elle, d’une part, affirmer une telle chose et, d’autre part, remettre leur crédibilité en doute?

 

[13]           Relativement au risque prospectif, la commissaire n’a jamais expliqué les raisons pour lesquelles le groupe criminel Los Zetas ne pourchasserait plus les demandeurs; elle a certainement dû appuyer son raisonnement sur sa propre interprétation du comportement du groupe. Aussi, étant donné que la commissaire a déclaré que les demandeurs ont livré un témoignage crédible, elle ne peut pas affirmer qu’il est « invraisemblable » que Los Zetas continuent à proférer des menaces téléphoniques à l’endroit du demandeur principal. Il s’agit de conclusions contradictoires.

 

[14]           En ce qui concerne le risque généralisé, la commissaire n’a pas averti les demandeurs en début d’audience qu’il s’agissait d’un enjeu déterminant et elle ne les a pas questionnés à ce sujet. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas eu la possibilité de s’exprimer sur la notion de risque généralisé.

 

V.        Arguments du défendeur

[15]           Le défendeur affirme que la décision de la commissaire de la SPR est raisonnable.

 

[16]           Premièrement, au sujet de l’absence de risque prospectif, le demandeur fait valoir que la SPR se devait de procéder à une évaluation objective des risques afin d’établir s’il existe des risques actuels ou futurs. En l’espèce, la SPR a reconnu la crédibilité des demandeurs pour ce qui est des incidents qu’ils ont vécus dans le passé, mais rien n’indique qu’ils seraient toujours menacés par le groupe criminel quatre ans après avoir quitté le Mexique. Comme l’a énoncé la SPR, les demandeurs n’ont plus rien qui est susceptible d’intéresser Los Zetas et, au surplus, de nombreuses personnes liées aux demandeurs se trouvent toujours au Mexique et n’ont jamais été menacées par ce groupe. Par ailleurs, le demandeur a lui-même confirmé qu’il ne craignait plus d’être emprisonné pour des dettes non payées.

 

[17]           Deuxièmement, quant à l’absence de risques personnalisés, le défendeur rappelle que le fait d’être victime d’actes criminels ne constitue pas un motif pour l’application de l’article 96 de la LIPR et affirme que les demandeurs n’ont pas prouvé qu’ils sont dans une situation différente de celle du reste de la population mexicaine aux fins du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. Ainsi, la commissaire a tenu compte du fait que les demandeurs ont été personnellement victimes d’extorsion par le passé, mais cela ne prouve pas qu’ils demeurent exposés aujourd’hui à un risque personnalisé. Le demandeur principal a lui-même avoué avoir été ciblé en raison de sa réussite financière. Or, cela n’a pas pour effet de personnaliser leur risque.

 

VI.       Questions en litige

[18]           La présente demande soulève deux questions en litige :

 

1.    La commissaire de la SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence d’un risque prospectif?

 

2.    La commissaire de la SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence d’un risque personnalisé?

 

VII.     Norme de contrôle

[19]           La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux deux questions en litige puisque celles-ci relèvent de l’application du droit aux faits par la commissaire (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] ACS no 9), tant la question du risque prospectif (voir Bondar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 972 aux paras 7-8, [2010] ACF no 1214) que celle du risque personnalisé (voir Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029 au para 24, [2009] ACF no 1275).

 

VIII.    Analyse

A. La commissaire de la SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence d’un      risque prospectif?

[20]           La conclusion de la SPR concernant l’absence de risque prospectif est raisonnable. Comme l’a soulevé le défendeur, les demandeurs devaient établir, pour que leur demande soit accordée, que leur retour au Mexique les exposait à un risque objectif, présent ou futur (Bondar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 972 au para 7, [2010] ACF no 1214; Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 au para 47, 103 DLR (4th) 1;  Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99 au para 15, [2007] ACF no 336).

 

[21]           À plusieurs reprises dans leur mémoire, les demandeurs insistent sur le fait que la commissaire de la SPR, dans sa décision, a reconnu leur crédibilité en tant que témoins et qu’il est de ce fait déraisonnable pour elle de conclure plus loin qu’ils n’étaient pas crédibles. Or, à la lecture de la décision, force est de constater que la commissaire a bel et bien reconnu la crédibilité des demandeurs, mais elle a précisé la teneur de cette reconnaissance : « le tribunal tient à dire qu’il considère que les requérants ont été des témoins crédibles et dignes de foi quant aux événements qu’ils ont vécus au Mexique dans le passé. [Non souligné dans l’original.] » Ces trois derniers mots sont fort importants dans la phrase puisqu’ils viennent circonscrire la crédibilité accordée aux demandeurs aux événements qu’ils ont déjà vécus. De plus, la décision de la SPR ne remet en question aucun des événements passés, qu’elle traite d’ailleurs comme avérés. Il est donc erroné de prétendre que la SPR se contredit dans sa décision au sujet de la crédibilité des demandeurs.

 

[22]           Ainsi, la SPR, qui a reconnu les difficultés passées des demandeurs, devait être également convaincue que le retour de ces derniers au Mexique représenterait pour eux un risque objectif, qu’il soit actuel ou futur. Les demandeurs ne se sont toutefois pas acquittés de leur fardeau. Les demandeurs affirment, dans leur mémoire des faits et du droit, que la commissaire ne détenait aucune preuve permettant d’établir que le groupe criminel Los Zetas les pourchassait. C’est peut-être le cas, mais elle ne possédait pas non plus de preuve étayant la thèse selon laquelle le groupe pourchasse toujours les demandeurs, et c’est ce point qu’il leur fallait prouver. En effet, compte tenu de la preuve au dossier, il était raisonnable pour la SPR de conclure que si Los Zetas avaient voulu se venger, il se serait passé quelque chose au cours des quatre dernières années. Cependant, les membres de la famille des demandeurs qui sont demeurés au Mexique n’ont jamais eu de problème à cet égard. De plus, la détermination dans la décision au sujet de l’invraisemblance des menaces de Los Zetas à l’égard de la famille est, dans les circonstances, raisonnable, et elle appuie la conclusion selon laquelle le risque futur mis de l’avant par le demandeur est invraisemblable. De plus, comme le demandeur principal était victime d’extorsion, il était raisonnable de croire que, faute de preuve contraire, il ne serait plus une victime intéressante pour le groupe criminel puisqu’il n’a plus rien à lui offrir. Qui plus est, le demandeur principal a lui-même reconnu s’être acquitté des dettes qu’il avait contractées pour payer la rançon. Il était donc raisonnable de croire que cet élément du retour au Mexique ne représentait pas un risque objectif, actuel ou futur.

 

[23]           L’absence de preuve concernant un risque actuel ou futur était suffisante pour rejeter la demande et la conclusion de la SPR à ce propos est raisonnable.

 

B. La commissaire de la SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence d’un risque personnalisé?

[24]           La réponse à la première question étant déterminante pour confirmer la décision rendue par la SPR – puisque l’absence de risques prospectifs suffit pour rejeter une demande de statut de réfugié –, la présente Cour ne serait pas tenue de répondre à la seconde question en litige. Toutefois, pour des raisons d’exhaustivité et de clarté, je tiens à ajouter les précisions ci-dessous.

 

[25]           Comme l’a soulevé le défendeur, même si les défendeurs avaient pu prouver que leur éventuel retour au Mexique représentait un risque, le risque qu’ils invoquent dans le cadre des présentes procédures ne ferait pas d’eux des réfugiés ou des personnes à protéger. En effet, les demandeurs affirment être victimes d’extorsion et reconnaissent même avoir été visés par les criminels en raison de leur situation financière aisée. Or, la jurisprudence a déjà établi que le fait d’être victime de criminalité ne constitue pas un motif de persécution pour l’application de l’article 96 de la LIPR (voir par exemple, ML c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 770 au para 15, [2009] ACF no 931). De plus, la juge Gagné a récemment affirmé ce qui suit au sujet des victimes plus fortunées, dans Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 426 au para 16, [2013] ACF no 483 :

 

16. […] rien dans la preuve ne m’indique que la SPR aurait dû conclure que le risque prospectif auquel les demandeurs feraient face, en retournant dans leur pays, serait différent de celui auquel tous les citoyens fortunés font face. En d’autres termes, le simple fait que le risque se soit matérialisé dans le passé, de façon relativement aléatoire, n’en fait pas un risque prospectif personnalisé.

 

La même chose peut être dite en l’espèce puisque la preuve au dossier révèle bel et bien que l’extorsion est une pratique assez courante au Mexique qui ne vise personne en particulier. Toute la population mexicaine peut en être victime. Aussi, pour l’application du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, les demandeurs devaient prouver qu’ils sont personnellement exposés à un risque et que d’autres personnes dans le pays ne sont pas généralement exposées à ce risque, ce qu’ils n’ont pas fait en l’espèce.

 

[26]           J’ajoute que le fait que la SPR n’a pas indiqué au début de l’audience que le risque généralisé faisait partie des sujets à être abordés n’est pas fatal aux fins de la décision. Celle-ci révèle que le risque généralisé fut discuté bien qu’il n’était pas nécessaire de le faire. En effet, la détermination quant à l’insuffisance de preuve d’un risque actuel ou futur était déterminante.

 

[27]           En somme, même si la SPR avait été convaincue que les demandeurs étaient exposés à un risque prospectif, le risque invoqué par ceux-ci n’aurait pas été, à la lumière du dossier, un risque personnalisé. C’est pourquoi la conclusion de la SPR concernant l’absence de risque personnalisé dans le présent dossier est raisonnable.

 

[28]           Par conséquent, la décision rendue par la commissaire de la SPR en l’espèce est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de la présente Cour.

 

[29]           Les parties ont été invitées à présenter une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                              « Simon Noël »

                                                                                    ________________________

                                                                                                       Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2256-13

 

INTITULÉ :                                      MANCILLAS ET AL c LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 janvier 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 février 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claudette Menghile

Suzanne Ramirez, stagaire

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Guillaume Bigaouette

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Claudette Menghile

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE  DÉFENDERESSE

 

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