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Date : 20140204


Dossier :

IMM-2847-13

 

Référence : 2014 CF 124

Ottawa (Ontario), le 4 février 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

JACINTO YAU WAN

 

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

 

Partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [le Tribunal], de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 11 mars 2013 [la décision] refusant la demande d’asile du demandeur. Le demandeur cherche à infirmer la décision et la renvoyer devant un panel différemment constitué.

 

II.        Contexte

[2]               Le demandeur, citoyen du Panama d’origine Chinoise, est né en Chine d’un père métissé Chinois/Panaméen et il a immigré au Panama vers l’âge de trente ans, où il s’est marié et a eu quatre (4) filles avec sa femme. Il a acheté et opéré un commerce de quincaillerie qui se spécialisait dans les outils électriques coûteux dans un quartier défavorisé à dix (10) kilomètres de la capitale. Entre 2003 et 2009, son commerce aurait été cambriolé à huit (8) reprises par les gangs criminalisés panaméens et la mafia chinoise. Il aurait porté plainte à la police, en vain.

 

[3]               En février 2009, lors d’un cambriolage au cours duquel il aurait été battu et sa fille séquestrée, le demandeur aurait signé une reconnaissance de dette pour la somme de 50 000 $ dollars américains, payables en juin 2009.

 

[4]               En mars 2009, le demandeur et sa fille ont voyagé aux États-Unis où ils ont demandé et obtenu un visa canadien pour six (6) mois. En mai 2009, ils sont arrivés au Canada, à Toronto. En juin 2009, ils sont allés à Montréal, où les trois (3) autres filles du demandeur et sa femme les ont rejoints. Ils ont demandé l’asile, alléguant craindre les gangs criminels panaméens et la mafia chinoise qui voulaient extorquer du demandeur de l’argent provenant de son commerce.

 

 

 

III.       Décision en litige

[5]               Le Tribunal a décidé que le demandeur n’a pas été visé à cause de ses origines chinoises, mais plutôt parce qu’il est vu en tant que commerçant comme une source d’enrichissement illicite et rapide. Selon le Tribunal, la race et les origines ethniques chinoises du demandeur ne sont pas en cause dans les nombreux cambriolages dont il a été l’objet, surtout vu que l’un des auteurs du préjudice identifié, la mafia chinoise, était de la même origine ethnique que le demandeur et sa famille. Le Tribunal a constaté que le demandeur n’a pas fait la preuve que sa crainte alléguée, soit celle d’être retrouvé par la mafia chinoise, car il avait signé une reconnaissance de dette de 50 000 $ dollars et qu’il soit assassiné, car il n’a pas acquitté cette dette, ait un lien avec l’un des cinq (5) motifs de la Convention et avec l’article 96 de la LIPR.

 

[6]               En faisant une analyse en vertu de l’article 97 de la LIPR, le Tribunal a constaté que le demandeur a livré un témoignage sans contradiction et sans exagération, et qu’il est apparu crédible. En ce qui concerne l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, le Tribunal a conclu que bien que le demandeur soit personnellement exposé à un risque à cause de la reconnaissance de dette qu’il a signée, son risque ne serait pas différent de celui qu’encourent les autres commerçants qui sont victimes en grand nombre de la cupidité des gangs criminels au Panama. Cela fait que la crainte du demandeur est la même qu’un large sous-groupe de la population, soit les commerçants. Cette crainte à laquelle le demandeur serait exposé est donc un risque généralisé, le même auquel est exposée la population ou du moins ceux qui sont perçus comme pouvant procurer aux criminels une source rapide d’enrichissement illicite en les extorquant.

 

[7]               Par contre, le Tribunal a déterminé que la crainte des jeunes filles du demandeur se différencie de celle de leur père, en ce qu’elles sont d’origine chinoise, et leurs noms, tout comme leur apparence physique, les caractérisent et les identifient facilement comme faisant partie de la communauté chinoise. La preuve au dossier démontre que des gangs criminels au Panama se spécialisent dans l’enlèvement d’enfants d’hommes d’affaires asiatiques que l’on peut par la suite retrouver assassiné. Leur crainte est donc en lien avec deux (2) des cinq (5) motifs de la Convention, soit celui de la race et celui de l’appartenance à un groupe social particulier, la famille. De plus, leur crainte alléguée, soit d’être victime de kidnapping et de meurtre, constitue de la persécution.

 

[8]               La preuve au dossier démontre que la protection au Panama ne serait pas adéquate étant donné l’inertie de la police lorsque le demandeur a porté plainte, et ce, en lien avec ses origines chinoises, et le traitement réservé aux personnes chinoises et à leurs enfants par les autorités et la population. D’ailleurs, le risque qu’encourent les filles du demandeur serait le même sur tout le territoire du Panama, vu qu’il n’y a pas d’endroit au Panama où les filles du demandeur pourraient se réfugier sans possibilité de faire face à une possibilité sérieuse de persécution.

 

[9]               Le Tribunal a donc conclu que les filles du demandeur sont des réfugiées au sens de la Convention.

 

IV.             Question en litige

Est-ce que la décision du Tribunal que le demandeur n’est pas exposé à un risque personnalisé en vertu de l’article 97 de la LIPR est raisonnable?

 

V.        Norme de contrôle

[10]           Une décision du Tribunal à l’égard de la question de savoir si la perception de richesse constitue un risque particulier au sens de l’article 97 est une question mixte de fait et de droit qui est contrôlable selon la norme de la raisonnabilité (voir par exemple Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213 au para 9, [2009] ACF no 270 (QL); Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 493 au para 5, [2012] ACF no 520 (QL) [Pineda]).

 

VI.       Prétentions des parties

            Le demandeur

[11]           Le demandeur se réfère au paragraphe 15 de l’arrêt Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 365 [2007] ACF no 501, pour la notion qu’« On ne peut accepter, du moins tacitement, le fait que le demandeur ait été menacé par un gang bien organisé et qui sème la terreur sur tout le territoire, d’après la preuve documentaire, et opiner du même souffle que ce même demandeur ne serait pas exposé à un risque personnel s’il retournait [à son pays d’origine]. » Dans le cas en espèce, le fait que le demandeur a signé une reconnaissance de dette veut dire qu’il est exposé à un risque personnel. Le demandeur soutient, puisque le Panama est un très petit pays, qu’il serait très facile pour la mafia chinoise de le retracer.

 

            Le défendeur

[12]           Le défendeur soutient que les victimes de criminalité ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention, se basant sur l’arrêt Rizkallah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 156 NR 1 (CAF).

[13]           En ce qui concerne la notion de risque généralisé versus le risque personnalisé, le défendeur se réfère à la décision Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] ACF no 415 (QL), rendue par la juge Tremblay-Lamer, laquelle la décision a été confirmée par la Cour d’appel, pour le principe que la Cour peut se trouver en présence d’un individu qui peut être exposé à un risque personnalisé, mais un risque partagé avec de nombreux autres individus, et que dans une telle situation, le risque est général, bien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés par un tel risque.

 

[14]           Le demandeur allègue qu’il fait face à un risque personnalisé à cause du fait qu’il a signé une reconnaissance de dette. Le défendeur soutient que le simple fait que le demandeur ait été personnellement victime de criminalité au Panama ne fait pas en sorte qu’il a droit à la protection de l’article 97 de la LIPR. Il incombe au demandeur de démontrer que d’autres individus qui se trouvent dans une situation semblable ne sont généralement pas exposés au même risque. Dans ce cas-ci, il s’agit d’un risque généralisé auquel d’autres personnes dans le même quartier sont exposées. Le fait que le demandeur a signé une reconnaissance de dette ne fait pas que sa situation diffère de celle des autres citoyens du Panama.

 

[15]           Le fait que le demandeur a été victime d’un problème répandu au Panama et puisqu’il n’a pas démontré avoir été ciblé à titre personnel, c’est-à-dire pour des raisons autres pécuniaires, veut dire que le Tribunal était en droit de conclure que son risque était généralisé.

 

 

 

VII.     Analyse

[16]           La constatation des faits et conclusions du Tribunal quant au degré de risque personnalisé en vertu du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR ont été résumés aux paragraphes 13 et 17 de sa décision comme suit :

[13] À la lumière du témoignage du demandeur se dégagent les éléments suivants : le demandeur craint les gangs criminels chinois et panaméens car ceux-ci le ciblent pour son argent dans le but de le lui soutirer. Il est perçu, tout comme les autres commerçants, comme une source d’enrichissement illicite et rapide. Sa race et ses origines ethniques chinoises ne sont pas en cause dans les nombreux cambriolages dont le demandeur et sa famille ont été l’objet, l’un des auteurs du préjudice identifié, la mafia chinoise, étant par ailleurs de la même origine ethnique que le demandeur et sa famille. Le demandeur n’a pas témoigné qu’il craignait en lien avec ses origines chinoises.

 

[…]

 

[17] Après étude de la preuve tant documentaire que testimoniale, le tribunal, ayant fait une analyse en vertu de l’article 97(1)b) de la LIPR, est d’avis que le demandeur ferait face à un risque généralisé advenant un retour au Panama, n’ayant pas établi, malgré ses circonstances personnelles, que son risque soit différent de celui des autres commerçants, toute origine confondue, qui sont également à risque face aux gangs criminalisés.

 

[17]           Bien que le demandeur et sa famille ont été gravement menacés, je trouve que la décision du Tribunal appartient aux issues raisonnables et acceptables en concluant que le risque auquel le demandeur ferait face n’est pas suffisant pour le distinguer des autres commerçants faisant l’objet d’extorsion par des gangs en vertu de l’exclusion décrite au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

 

[18]           Comme commentaire général sur cette question, je ne pense pas que la méthode utilisée pour extorquer de l’argent, soit obligeant le demandeur de signer un billet à ordre, devrait faire l’objet de l’analyse dans de tels cas. L’extorsion par des menaces de violence ne diffère pas vraiment de l’application de la force par tous les moyens lorsqu’un bien ou de l’argent est volé illégalement ou sera volé.

 

[19]           Il faut se rappeler aussi que la plupart des crimes sont personnalisés par leur nature même. Le crime d’extorsion qui est soulevé dans le contexte des demandes d’asile est basé sur des menaces personnalisées de violence sévère ou de traitement cruel ou inusité, afin d’inciter le paiement de la victime en créant en elle une peur telle qu’elle craigne pour sa vie. Dans un pays tel que le Panama où l’extorsion est endémique, la question est donc de savoir si les menaces personnalisées soulèvent un risque suffisant pour distinguer la situation du demandeur de celle de la population générale.

 

[20]           Car les crimes d’extorsion basés sur de la violence ou des menaces de violence sont toujours « personnalisés», l’utilisation de ce terme pour décrire le risque exceptionnel décrit au sous-alinéa 97(1)b)(i) peut créer la confusion. Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) parle d’un risque qui doit être supérieur à ceux subis généralement par les autres personnes qui font partie du même groupe que le demandeur. Dans le cas en espèce, le groupe auquel le demandeur appartient est les commerçants au Panama.

 

[21]           La question que le Tribunal a abordée dans cette affaire était de savoir si le demandeur avait fourni de la preuve suffisante pour rencontrer son fardeau de démontrer que le crime d’extorsion auquel il faisait face présentait une menace à sa vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités suffisants pour le différencier du risque que subissaient les autres propriétaires d’entreprises dans le pays, qui sont également soumis à l’extorsion par des gangs.

 

[22]           Ainsi, l’élément essentiel dans de tels cas impliquant des menaces ou des dangers futurs est l’évaluation du risque par rapport à celle subie par la population générale, qui est victime de la même infraction.

 

[23]           L’arrêt Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1093, [2011] ACF no 1601 (QL), est un cas particulièrement approprié qui démontre le processus d’évaluation du risque dans de telles circonstances. Plus particulièrement, le fait que M. Gomez avait signé un billet à ordre de 50,000 $ pour ses agresseurs, car ils ont menacé de kidnapper sa femme et ses filles, veut dire que l’affaire est pertinente dans la mesure où elle ressemble aux circonstances du cas en espèce. Je cite les paragraphes 34 à 38:

[34]  Les demandeurs affirment aussi que, lorsque la population tout entière est exposée à un risque, ce risque n’est plus généralisé si une personne est individuellement ciblée (Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365). Pareillement, un demandeur d’asile qui a été ciblé personnellement par un adversaire connu de lui cesse d’être une victime de menaces ou d’actes d’extorsion « aléatoires » (Munoz c. Canada (Citoyenneté et Immigration),2010 CF 238).

 

[35]  Le juge Paul Crampton examinait récemment l’analyse à faire pour les demandes d’asile de cette nature (Guifarro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 182). Dans ce précédent, le demandeur d’asile avait été la cible d’extorsion de la part du gang Mara-18 au Honduras. Après qu’il eut cessé de se plier aux exigences du gang, des membres du gang l’avaient agressé.

 

[36]  Selon le juge Crampton, la Commission ne commet pas d’erreur quand elle rejette une demande de protection au titre de l’article 97 après avoir conclu que le risque prétendu est partagé par un sous-groupe de la population qui est suffisamment important pour que le risque puisse raisonnablement être qualifié de risque répandu ou courant dans ce pays. Cette conclusion est valide même lorsque ce sous-groupe de personnes peut être spécifiquement ciblé, par exemple le sous-groupe des personnes considérées comme riches.

 

[37]  Pareillement, le juge Michael Kelen faisait observer, dans la décision Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1029, au paragraphe 34 (la décision Perez 2), que, lorsqu’un demandeur d’asile est d’abord harcelé par un gang de criminels parce qu’il est propriétaire d’un commerce, puis qu’il reçoit des menaces pour avoir refusé de payer la somme exigée par le gang, il s’agit là simplement d’une prolongation de l’extorsion, et non d’un risque personnel.

 

[38]  À mon avis, les circonstances de la présente cause se rapprochent davantage des affaires Pineda et Munoz que des affaires Guifarro et Perez 2. Les demandeurs avaient d’abord reçu des menaces, qui sont répandues et fréquentes en El Salvador. Cependant, les événements ultérieurs ont montré que les demandeurs avaient été spécifiquement ciblés après avoir défié le gang. Le gang menaçait d’enlever l’épouse et la fille de M. Tobias Gomez et il semblait résolu à percevoir la « dette » de 40 000 $ des demandeurs. Le risque couru par les demandeurs allait dès lors au-delà des menaces et agressions de nature générale. Le gang les a ciblés personnellement.

 

[24]           Comme déjà mentionné ci-haut, je ne crois pas qu’il est utile de parler d’un seuil de risque qui est atteint où la vie d’un demandeur est ciblé « personnellement » à cause de la confusion créée par cette norme. À mon avis, la tâche du Tribunal est de déterminer s’il existe de la preuve suffisante pour conclure que les agresseurs vont donner suite aux menaces d’une façon qui différencie la situation du demandeur de celle généralement confrontée par les autres personnes qui subissent des menaces de violence moins concrètes.

 

[25]           Cependant, il n’est pas à cause du libellé du seuil de risque que je choisis de ne pas appliquer l’arrêt Gomez, précité, à cette affaire, mais plutôt pour deux (2) autres raisons. Tout d’abord, je voudrais distinguer les faits de Gomez, précité, qui sembleraient avoir présagé d’un plus grand risque pour le demandeur que dans le cas en espèce. Je reproduis les faits de Gomez, précité, afin de les comparer aux faits du cas en espèce :

[8]  En août 2008, un membre du gang Mara-18 a menacé d’enlever sa fille, Daniela. M. Tobias Gomez affirme que, le mois suivant, il a reçu un appel téléphonique l’informant que le chef du gang voulait 50 000 $, sans quoi le gang enlèverait son épouse et ses filles. Des membres du gang se sont plus tard présentés au magasin pour lui rappeler qu’il devait payer les 50 000 $.

 

[9]  Luis affirme lui aussi que le gang l’a menacé. En 2008, il a été approché par un membre du gang qui lui a dit qu’il savait où il vivait et quelle école il fréquentait. Luis prétend que des membres du gang le suivaient lorsqu’il retournait chez lui, exigeaient qu’il se joigne au gang et le menaçaient de mort s’il refusait. Quand il résistait, ils lui donnaient des coups de poing. Luis a aussi affirmé avoir été enlevé à la pointe du fusil et menacé de mort s’il ne se joignait pas au gang Mara-18 dans un délai de 24 heures. Luis s’est tenu caché jusqu’en septembre 2008, et c’est alors qu’il s’est enfui aux États-Unis.

 

[10]  Ce même mois, les autres demandeurs ont quitté l’El Salvador pour les États-Unis. Une fois dans ce pays, ils ont appris que des membres du gang avaient visité le père de M. Tobias Gomez et exigé de lui qu’il paie la « dette » de 50 000 $. Il a retiré 10 000 $ de son compte d’épargne, puis a été battu.

 

[26]           Deuxièmement, je suis d’avis qu’il faut faire preuve de déférence lorsque la Cour prend la décision de remplacer la décision du Tribunal par la sienne, en particulier quand on aborde la question du degré de risque parcouru par le demandeur. Il est difficile d’évaluer la nature de la violence et le degré de risque personnel du demandeur par rapport aux autres victimes de ce type de crime.

 

[27]           Du coup, il s’agit d’une évaluation sur laquelle les opinions peuvent varier considérablement, même quand elle est basée sur des faits reconnus. Il s’agit aussi d’une tâche et d’un sujet qui tombent directement dans le champ d’expertise du Tribunal, par exemple en ce qui concerne les conditions au pays et l’expérience du Tribunal dans ce domaine tirés d’autres cas. (for example, as it relates to country conditions and the experience of the Board in these matters from other cases.)

[28]           Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême de Canada a déclaré la norme de contrôle et son fondement dans les termes suivants:

[47]  La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[48]  L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut-être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif. Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Mossop [Canada (Procureur général) c. Mossop, 1993 CanLII 164 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 554], p. 596, la juge L’Heureux-Dubé, dissidente. Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [TRADUCTION] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [TRADUCTION] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker, par. 65; Ryan, par. 49).

 

[49]  La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur. Comme l’explique Mullan, le principe de la déférence [TRADUCTION] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » : D. J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity?» (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93. La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.

 

[29]           Pour les fins de comparaison, il y a des cas où le degré de violence perpétré par les gangs est tel que la victime de l’extorsion est assujettie à un degré de risque de perte de vie ou de traitements cruels et inusités au point où la Cour peut conclure que l’évaluation du Tribunal est suffisamment déraisonnable qu’il ne fait pas parti des différentes solutions rationnelles acceptables.

 

[30]           Par exemple, dans l’arrêt Lovato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 143, [2012] ACF no 149 (QL), le juge Rennie a annulé la décision du Tribunal où l’un des oncles du demandeur avaient été tué, et par la suite les mêmes agresseurs ont menacé le demandeur de mort si jamais il ne faisait pas les paiements d’extorsion. De même, dans l’arrêt Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210, [2011] ACF no 1477 (QL), la grand-mère du demandeur a été tuée devant ses yeux, et puis les mêmes agresseurs lui ont fait des menaces. Dans ce cas-là, le juge Zinn a infirmé la décision du Tribunal, indiquant au paragraphe 34 que « lorsqu’une personne risque expressément et personnellement d’être tuée par un gang dans des circonstances où d'autres personnes ne sont généralement pas exposées à ce risque, elle a droit à la protection de l’article 97 de la Loi si les autres exigences légales sont remplies » [Je souligne].

 

[31]           Dans les circonstances en espèce, à cause de la déférence due au Tribunal, qui est spécialisé dans l’analyse du risque, je ne trouve pas que la situation personnelle du demandeur est telle que je peux annuler la décision du Tribunal comme n’appartenant pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[32]           En conséquence, la demande est rejetée.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

 

“Peter Annis”

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-2847-13

 

INTITULÉ :

JACINTO YAU WAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 13 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 4 février 2014

COMPARUTIONS :

Claudette Menghile

 

Pour la PARTIE demanderesse

 

Simone Truong

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

La firme d’avocat de Me Menghile

 

 

Pour la PARTIE demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

 

 

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