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Date : 20131210

Dossier : T-2275-12

Référence : 2013 CF 1239

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE

EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

 

COMTOIS INTERNATIONAL EXPORT INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LIVESTOCK EXPRESS BV

 

 

et

 

 

HORIZON SHIP MANAGEMENT COMPANY

 

 

et

 

 

ZIRAAT FINANSAL KIRALAMA AS

 

 

et

 

 

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES

PERSONNES INTÉRESSÉES DANS LE NAVIRE ORIENT I

 

 

et

 

 

LE NAVIRE ORIENT I

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une requête de la défenderesse Livestock Express BV (Livestock Express) en vue d’obtenir essentiellement de cette Cour en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7, une ordonnance suspendant l’action en dommages entreprise par la demanderesse Comtois International Export Inc. (Comtois) le 14 décembre 2012, et ce, en faveur d’un arbitrage en Angleterre en raison de la présence d’une clause d’arbitrage à une note de réservation (la Booking Note) conclue entre les parties, via leur courtier respectif, le 18 septembre 2012.

 

[2]               Les questions centrales qui divisent les parties sous la présente requête consistent dans un premier temps à déterminer si l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, ch 6 (la Loi) permet à Comtois d’intenter, comme elle l’a fait, son action au Canada, et ce, malgré la clause d’arbitrage présente à la Booking Note.

 

[3]               Si l’article 46 de la Loi, tel qu’interprété par la Cour d’appel fédérale, ne s’applique pas en l’espèce et qu’ainsi la clause d’arbitrage, elle, trouverait application en principe, Comtois soutient néanmoins, de façon subsidiaire, que la suspension des procédures demandée par Livestock Express ne devrait pas être accordée en raison de l’existence de motifs sérieux justifiant le maintien au Canada du recours intenté ainsi que du risque important de déni de justice que représenterait l’impossibilité pour Comtois de poursuivre son action au Canada.

 

Le contexte factuel

[4]               Pour les fins de la présente requête on peut tenir que le contexte factuel principal permettant de saisir l’analyse qui suit se trouve correctement résumé par Livestock Express aux paragraphes c) à o) de l’avis de requête de cette partie :

c)             The Defendant, Livestock Express, is a ship charterer which, at the material time, operated the M/V Orient I, a specialized livestock carrier;

d)            The Plaintiff, Comtois International Export Inc. (“Comtois”), was a trader and exporter of cattle;

e)             Comtois chartered the M/V Orient I to perform a voyage between either Becancour, Québec or St‑John, New Brunswick and Novorossiysk , Russia, carrying a cargo of livestock;

f)             On September 18, 2012, a Booking Note was issued in Zeebrugge, Belgium setting out the terms of the carriage of the cargo of livestock;

g)            The parties had agreed on an ice clause which formed part of the Booking Note and gave the carrier the option of loading the cargo in St. John, New Brunswick if Becancour was not in an “ice-free condition”;

h)            The Booking Note incorporated an arbitration provision by which the parties agreed that any disputes arising out of the contract or the carriage of the cargo would be governed by English law and would be referred to arbitration in England;

i)              The vessel approached Canadian waters in early December 2012, and, based on forecasted ice conditions at the Port of Becancour, Livestock Express opted on December 12, 2012 to proceed to the alternative load Port of St. John, New Brunswick and informed Comtois accordingly;

j)              Comtois took exception with the decision of the carrier to load the cargo in St‑John, New Brunswick rather than Becancour, Quebec;

k)            A dispute arose between the parties regarding the election by Livestock Express to use St-John as the alternative load port and more precisely the applicability of the “ice clause” in the Booking Note on the circumstances of the case;

l)              On December 14, 2012, a Statement of Claim was issued by Comtois along with a warrant for the arrest of the vessel, naming Livestock Express along with the owners and ship managers of the M/V Orient I as in personam defendants and the M/V Orient I as in rem defendant;

m)          On December 18, 2012, the vessel anchored at the Port of St‑John where the cargo of livestock was loaded between December 19‑21, 2012. The vessel sailed to Novorossiysk on December 22, 2012;

n)            Comtois claimed $250,000 as damages, representing the additional costs of shipping the livestock to the Port of St‑John;

o)            The present action arises out of the contract for the charter of the M/V Orient I evidenced by the Booking Note ...

 

Analyse

[5]               Aucune partie ne remet en cause ici le fait que la clause d’arbitrage à la Booking Note soit une clause valide, opérationnelle et susceptible d’être exécutée. De plus, il n’apparaît point faire de doute que le litige présent soulevé par l’action de Comtois soit un différend qui découle de la Booking Note. Somme toute, une « dispute » au sens de la clause 31(b) de la Booking Note qui dispose :

All disputes arising out of this contract and the carriage of the Cargo shall be referred to arbitration in England, one arbitrator being appointed by each of the parties and a third by the two so appointed. For disputes where the total amount claimed by either party does not exceed US $50,000, the arbitration shall be conducted in accordance with the Small Claims Procedure of the London Maritime Arbitrators’ Association.

 

[Je souligne.]

 

La Booking Note est-elle couverte par l’article 46 de la Loi?

[6]               Voilà véritablement la première pièce d’achoppement entre les parties.

 

[7]               Cet article 46 se lit dans sa partie pertinente comme suit :

 

46. (1) Lorsqu’un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l’arbitrage en un lieu situé à l’étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l’une ou l’autre des conditions suivantes existe :

 

a) le port de chargement ou de déchargement — prévu au contrat ou effectif — est situé au Canada;

 

 

b) l’autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

 

 

c) le contrat a été conclu au Canada.

 

[...]

 

46. (1) If a contract for the carriage of goods by water to which the Hamburg Rules do not apply provides for the adjudication or arbitration of claims arising under the contract in a place other than Canada, a claimant may institute judicial or arbitral proceedings in a court or arbitral tribunal in Canada that would be competent to determine the claim if the contract had referred the claim to Canada, where

 

 

 

(a) the actual port of loading or discharge, or the intended port of loading or discharge under the contract, is in Canada;

 

(b) the person against whom the claim is made resides or has a place of business, branch or agency in Canada; or

 

(c) the contract was made in Canada.

 

[8]               Dans sa décision du 8 novembre 2013, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada Moon Shipping Co. Ltd. v Companhia Siderurgica Paulista-Cosipa, 2012 CFA 284 (Le Federal EMS), en est venue comme suit à la conclusion que les chartes-parties n’étaient pas couvertes par l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’article 46 de la Loi:

 

[77] Au paragraphe 72 de ses motifs, le juge a reconnu qu'en fonction de son sens ordinaire (ou plus précisément du sens donné par les dictionnaires), l'expression « contrat de transport de marchandises par eau » pourrait comprendre les chartes-parties puisqu'en dernière analyse, ces contrats sont tous conclus en vue de « transporter des marchandises » par eau.

 

[78] Cela dit, je suis toutefois convaincue que, s'agissant de dispositions légales qui traitent des droits et obligations des transporteurs généraux et qui mettent en œuvre des règles internationales, cette expression n'inclut pas et ne doit pas être interprétée comme incluant les chartes-parties.

 

[79] Cette conclusion de droit est conforme à la réalité commerciale. Les chartes-parties sont des contrats conclus par des personnes morales commerciales directement entre elles et dont l'exécution, forcée ou non, constitue pour les cocontractants une affaire privée. Aucune raison de principe ne justifie que ces parties ne soient pas tenues de respecter leurs engagements.

 

[80] Je le répète, compte tenu de l'objet général de la partie 5 et de la situation que l'article 46 visait à réformer (c'est-à-dire les clauses de compétence et d'arbitrage types dictées par les transporteurs au détriment des importateurs et exportateurs canadiens devenus parties aux contrats en cause), et compte tenu de la réalité commerciale particulière qui conduit à la conclusion de chartes-parties, le juge a eu raison de conclure que la charte-partie au voyage en cause n'était pas visée par le paragraphe 46(1).

 

[Je souligne.]

 

[77] As acknowledged by the Judge at paragraph 72 of his reasons, the ordinary (more accurately, the dictionary meaning) of “carriage of goods by water” could include charter-parties because all such contracts are ultimately entered into in order “to convey goods” by water.

 

 

 

 

[78] That said, in the context of legislation dealing with the rights and obligations of common carriers and which implements international rules, I am satisfied that this expression would not and should not be understood to include charter-parties.

 

 

 

[79] This legal conclusion is consistent with commercial reality. Charter-parties are contracts between commercial entities dealing directly with each other, whose execution and enforcement are the private concern of the contracting parties. There is no policy reason why such actors should not be held to their bargains.

 

 

 

[80] To reiterate, considering the general purpose of part V and the mischief that section 46 was meant to cure (that is, boilerplate jurisdiction and arbitration clauses dictated by carriers to the detriment of Canadian importers or exporters who became parties to such contracts), and the different commercial reality that lead to the conclusion of charter-parties, the Judge’s conclusion that the voyage charter-party under review is not covered by subsection 46(1) is correct.

 

 

[Emphasis added.]

 

 

[9]               En l’espèce, Comtois ne remet pas en question la conclusion de Livestock Express, que la Cour partage, à l’effet que le contrat qui gouverne les parties est la Booking Note et que ce document constitue une charte-partie.

 

[10]           Toutefois, Comtois soutient que l’arrêt Le Federal EMS n’est pas déterminant puisque dans cet arrêt la Cour d’appel fédérale aurait écarté la charte-partie en cause de l’application de l’article 46 de la Loi en raison non pas de la nature du contrat mais bien en raison du fait que les intéressées étaient des parties sophistiquées traitant à force égale et rompues à la mise en place de ce type de contrat.

 

[11]           Suivant le paragraphe 8 des représentations écrites de Comtois :

... En présence de telles parties, la CAF était davantage justifiée d’écarter l’application de l’article 46 [de la Loi]. Toutefois, la même analyse aurait probablement mené à un résultat totalement différent dans un scénario où la charte-partie aurait, comme en l’espèce, été négociée entre des parties de forces inégales. Dans de telles circonstances, la réalité commerciale justifie une protection accrue de l’exportateur et de l’importateur canadien ayant recours aux services d’un transporteur averti, soit le but précis de l’article 46 [de la Loi].

 

[12]           Même en retenant que la Cour dans Le Federal EMS traitait avec des parties à force égale, je ne puis considérer que la Cour d’appel fédérale dans cet arrêt ait implicitement, encore moins expressément, laissé la porte ouverte à ce qu’une inégalité de force entre des parties puisse permettre à une charte-partie d’être couverte par l’application de l’article 46 de la Loi.

 

[13]           Il m’apparaît que la Cour d’appel fédérale a rendu alors une décision de principe qui vise à couvrir toutes les chartes-parties et non seulement celle qui a amené le débat devant elle. À cet égard on doit constater que la Cour tire les conclusions précédemment citées en toute connaissance de la situation particulière que l’article 46 de la Loi vise à réformer (voir paragraphe 80 de la décision) sans toutefois ouvrir la porte à ce que le résultat soit différent en présence d’une inégalité sur le terrain.

 

[14]           À tout hasard, bien que Comtois cherche à établir qu’elle soit inexpérimentée face à un contrat tel la Booking Note et que Livestock Express soit dans une situation toute contraire, il n’en demeure qu’ici la Booking Note a été négociée, même si ce n’est pas exhaustivement, par et entre les courtiers des deux parties, soit pour le compte de Comtois, M. Geoff Robinson chez Sea Air, et, pour Livestock Express, M. David Allaert chez Dens Ocean Transport & Shipping N.V.

 

[15]           Rien dans la preuve ne permet à la Cour de conclure qu’alors les deux parties, par les services de ces agents spécialisés, ne transigeaient pas sur un pied d’égalité relatif. Dans cet ordre d’idées, le fait que M. Robinson chez Sea Air ait requis et obtenu certains ajouts ou modifications le 18 septembre 2012 à la Booking Note à être entérinée est là une indication que l’on ne peut voir la Booking Note, tel que le suggère Comtois, comme un contrat d’adhésion non discutable, à prendre ou à laisser, même si cette Booking Note se devait d’être agréée, au final, le jour même du 18 septembre 2012.

 

[16]           Ainsi, il y a lieu de conclure que la Booking Note n’est pas couverte par l’article 46 de la Loi.

 

[17]           Reste donc toutefois à évaluer la position subsidiaire de Comtois à l’effet que la suspension des procédures demandée par Livestock Express ne devrait pas être accordée en raison de l’existence de motifs sérieux justifiant le maintien au Canada du recours intenté ainsi que du risque important de déni de justice que représenterait l’impossibilité pour Comtois de poursuivre son action au Canada.

 

Y-a-t-il des motifs sérieux de refuser la suspension des procédures?

[18]           L’établissement de tels motifs constitue le critère d’appréciation qu’il revient à Comtois d’établir et qui constitue le fondement du pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser d’accorder, ici une suspension, et ce, de par les propos suivants énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Z.I. Pompey Industrie v ECU‑Line N.V., [2003] 1 RCS 450, page 473, paragraphe 39 (l’arrêt Pompey) :

... j’estime que le critère d’appréciation d’une demande de suspension des procédures fondée sur l’art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale et présentée en vue de donner effet à la clause d’élection de for incluse dans un connaissement demeure celui énoncé dans The « Eleftheria », que je reformule de la manière suivante. Une fois convaincue qu’un connaissement valablement conclu lie par ailleurs les parties, la cour doit faire droit à la demande de suspension, à moins que le demandeur ne fasse valoir des motifs assez sérieux pour lui permettre de conclure qu’il ne serait pas raisonnable ou juste, dans les circonstances, d’exiger que le demandeur se conforme à cette clause. Pour exercer son pouvoir discrétionnaire, la cour doit prendre en considération toutes les circonstances de l’espèce. Voir The « Eleftheria », p. 242; Amchem, p. 915‑922; Holt Cargo, par. 91. [...]

 

[Je souligne.]

 

[19]           Plus tôt au paragraphe 19 de sa décision, la Cour suprême du Canada cite le texte même de l’arrêt The « Eleftheria » pour un énoncé non exhaustif des facteurs ou circonstances à prendre en considération pour conclure, ou non, à la présence de motifs sérieux. Voici l’extrait pertinent (les facteurs de l’affaire The « Eleftheria ») :

... Le pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension des procédures devrait être exercé à moins qu’on ne démontre qu’il existe des motifs sérieux pour ne pas le faire. (3) La charge de la preuve en ce qui concerne ces motifs sérieux incombe aux demandeurs. (4) En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le tribunal devrait prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire en cause. (5) Notamment, mais sans préjudice du point (4), les questions suivantes, s’il y a lieu, devraient être examinées : a) Dans quel pays peut-on trouver, ou se procurer facilement la preuve relative aux questions de fait, et quelles conséquences peut-on en tirer sur les avantages et les coûts comparés du procès devant les tribunaux anglais et les tribunaux étrangers? b) Le droit du tribunal étranger est-il applicable et, si c’est le cas, diffère-t-il du droit anglais sur des points importants? c) Avec quel pays chaque partie a-t-elle des liens, et de quelle nature sont-ils? d) Les défendeurs souhaitent-ils vraiment porter le litige devant un tribunal étranger ou cherchent-ils seulement à bénéficier d’un avantage procédural? e) Les demandeurs subiraient-ils un préjudice s’ils devaient intenter une action devant un tribunal étranger (i) parce qu’ils seraient privés de garantie à l’égard de leur réclamation; (ii) parce qu’ils seraient incapables de faire exécuter le jugement obtenu; (iii) parce qu’ils seraient soumis à un délai de prescription non applicable en Angleterre; ou (iv) parce que, pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres, ils ne seraient pas en mesure d’obtenir un jugement équitable?

 

[Je souligne.]

 

[20]           Avant d’aborder l’étude proprement dite de ces facteurs, il y a lieu auparavant d’écarter la thèse soulevée par Livestock Express à l’effet que le test de l’arrêt Pompey et les facteurs de l’affaire The « Eleftheria » ne soient pas applicables puisque le texte de l’article 8 du Code d’arbitrage commercial (le Code) figurant en annexe à la Loi sur l’arbitrage commercial, SRC 1985, ch 17 (2e suppl.) dispose qu’une Cour en présence d’une clause d’arbitrage, telle la présente, se doit de renvoyer l’affaire en arbitrage. Cet article 8 dans sa partie pertinente se lit comme suit :

 

Article 8

 

Convention d’arbitrage et actions intentées quant au fond devant un tribunal

 

1. Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

 

...

 

Article 8

 

Arbitration Agreement and Substantive Claim before Court

 

(1) A court before which an action is brought in a matter which is the subject of an arbitration agreement shall, if a party so requests not later than when submitting his first statement on the substance of the dispute, refer the parties to arbitration unless it finds that the agreement is null and void, inoperative or incapable of being performed.

 

[...]

 

 

[21]           Suivant Livestock Express, il y a lieu de distinguer entre une clause d’arbitrage, telle celle en présence ici, et une clause juridictionnelle qui renvoie une affaire aux tribunaux d’une autre juridiction. Suivant Livestock Express, vu l’article 8 du Code et son caractère mandatoire face à une clause d’arbitrage, seule une clause juridictionnelle permet l’analyse des facteurs de l’arrêt The « Eleftheria ».

 

[22]           Je ne suis pas d’accord.

 

[23]           Livestock Express n’a pas été en mesure de présenter à la Cour un arrêt qui établisse entre les types de clauses une telle distinction. Bien que la Cour ait été référée à l’arrêt Thyssen Canada Ltd. c Mariana (Le), [2000] 3 CF 398 (l’arrêt Le Mariana), les commentaires de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 23 de cet arrêt n’éclairent pas le débat quant à toute distinction entre une clause d’arbitrage et une clause juridictionnelle.

 

[24]           Il appert à la Cour que la recherche d’une telle distinction pour les fins de la discrétion de la Cour sous l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, supra, s’avère un débat non pertinent.

 

[25]           En effet, les arrêts qui suivent ne tirent aucune distinction entre les différents types de clauses. Dans l’arrêt Le « Seapearl » c Seven Seas Corp., [1983] 2 CF 161, la Cour, en page 176, tient les propos suivants :

Les engagements conventionnels par lesquels les parties conviennent de soumettre leur litige à une juridiction étrangère ou à l’arbitrage n’ont pas pour effet de priver la Cour fédérale de sa compétence à ce sujet. Toutefois, lorsqu’une instance est engagée contrairement à un tel engagement, la Court détient le pouvoir discrétionnaire d’ordonner de surseoir à la procédure. L’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre une instance lorsque «il est dans l’intérêt de la justice de suspendre les procédures»...

 

[Je souligne.]

 

[26]           De plus, si l’on retourne au paragraphe [80] précité (voir paragraphe [8], ci-avant) de l’arrêt Le Federal EMS, la Cour semble très au fait de l’existence des deux types de clauses et pourtant elle ne tire à cet endroit ou ailleurs dans l’arrêt aucune distinction pour les fins de son raisonnement.

 

[27]           Ceci dit, Comtois a-t-elle ici rempli le lourd fardeau qu’il lui revenait d’établir la présence de motifs sérieux permettant de conclure qu’il ne serait pas raisonnable ou juste, dans les circonstances, d’exiger qu’elle se conforme à la clause d’arbitrage se retrouvant à la Booking Note?

 

[28]           Pour les motifs qui suivent, je pense que oui.

 

[29]           En faveur de soutenir la clause d’arbitrage et la tenue donc du litige en Angleterre, Livestock Express a fait référence particulièrement à l’arrêt Pompey et à l’affaire The « Eleftheria » pour soutenir que dans chaque cas les tribunaux avaient accepté au terme de l’analyse des facteurs pertinents de respecter la clause d’arbitrage et donc de suspendre le recours devant eux en faveur de l’arbitrage en for étranger, et ce, même si les liens ou facteurs avec ce for étranger n’étaient pas nombreux.

 

[30]           Dans l’arrêt Pompey, la Cour suprême retiendra en bout de course l’analyse de mon ancien collègue Hargrave où ce dernier (voir page 457 dans l’arrêt Pompey) après avoir soupesé divers éléments qui militaient soit en faveur du Canada, soit en faveur de la Belgique, lieu prévu à la clause d’arbitrage, a dans sa discrétion estimé que les éléments en faveur du Canada ne constituaient pas des motifs sérieux.

 

[31]           Dans l’affaire The « Eleftheria », il en va de même. Après avoir soupesé divers éléments, le juge Brandon en vient à la conclusion que la demanderesse n’a pas rempli son fardeau de preuve puisque des points positifs se retrouvent de part et d’autre pour donner au final, sous son analyse des facteurs, un match nul. Voici comment il s’exprime :

[A]s to my conclusion, I have started by giving full weight to the prima facie case for a stay, and I have gone on to weigh on the one hand the factors tending to rebut that prima facie case, and on the other hand the factors tending to reinforce it. With regard to these, it appears to me that there are considerations of substantial weight on either side, which more or less balance each other out, leaving the prima facie case for a stay largely, if not entirely, intact. On this basis I have reached the clear conclusion that the plaintiffs, on whom the burden lies, have not, on the whole of the matter, established good cause why they should not be held to their agreement. The question whether to grant a stay or not, and if so on what terms, is one for the discretion of the Court. Having arrived at the clear conclusion which I have stated, I shall exercise my discretion by granting a stay, subject to appropriate terms as regards security.

[Je souligne.]

 

[32]           Toutefois, l’on voit de ces deux arrêts que certains éléments à tout le moins avaient un lien avec le for étranger prévu à la clause d’arbitrage. Il en est de même si l’on s’en rapporte à l’appréciation de la Cour dans l’arrêt Nestlé Canada Inc. c « Viljandi (The) », 2002 CFPI 987.

 

[33]           Ici, dans le cas qui nous occupe, et tel que nous le verrons ci-dessous en revoyant la position de Comtois, aucun élément ne rattache l’affaire à l’Angleterre.

 

[34]           À cet égard, bien que dans l’arrêt Le Mariana, supra, la Cour d’appel fédérale ait renvoyé l’affaire en arbitrage à Londres, soit le for étranger prévu à une clause d’arbitrage, et ce, sans qu’aucun élément pertinent ne rattache l’affaire à Londres, aucune analyse des facteurs de l’affaire The « Eleftheria » ne semble avoir pris place devant la Cour. Je ne peux donc me diriger en fonction de cet arrêt.

 

[35]           Quant à Comtois et à sa position en les présentes, cette dernière fait valoir plusieurs motifs qui se rattachent aux facteurs 5a), c) d) et e) de l’affaire The « Eleftheria » pour le maintien de son action au Canada.

 

[36]           À l’égard du facteur 5a), Comtois aux paragraphes 26 et suivants de ses représentations écrites établit à la satisfaction de la Cour que les preuves factuelles et la très vaste majorité des témoins factuels et experts des parties se trouvent au Canada et, à tout le moins, pas en Angleterre.

 

[37]           À l’égard du facteur 5c), soit les pays avec lesquels chacune des parties a des liens de rattachement ainsi que la nature de ces liens, les motifs que Comtois fait ressortir comme suit aux paragraphes 24 et 25 de ses représentations écrites établissent clairement ce facteur en faveur du Canada :

24.    En l’espèce, non seulement aucune des parties au litige ne possède un lien quelconque avec l’Angleterre, mais aucun lien avec cette juridiction ne peut être établi à l’égard de l’ensemble du litige à l’exception de la clause d’arbitrage contenue au Booking Note. En effet, Comtois a son siège social au Canada et y effectue l’ensemble de ses activités alors que les parties défenderesses ont respectivement des liens avec le Panama, la Turquie, Singapour, les Pays-Bas, la Belgique et l’Australie, mais ne se réclament d’aucun lien avec l’Angleterre et ce dernier pays n’est en aucun temps concerné par le voyage effectué.

 

25.    Plus précisément, Livestock a son siège social au Pays-Bas et son agent commercial opère en Belgique, ou a d’ailleurs été émis le Booking Note. C’est donc seulement avec ces deux pays que Livestock pourrait potentiellement prétendre avoir un lien de rattachement.

 

[Notes en base de page omises.]

 

[38]           Enfin, Comtois fait ressortir à juste titre ‑ et cela embrasse en partie les facteurs 5a), d) et e) ‑ que la tenue de l’arbitrage en Angleterre entraînerait des coûts prohibitifs pour Comtois ce qui aurait, somme toute, comme conséquence de la décourager de poursuivre en Angleterre. Il est difficile ici de ne pas convenir avec Comtois que tel serait le résultat à l’égard d’une petite corporation d’à peine six (6) employés et où le président même aurait à se déplacer pour témoigner en Angleterre.

 

[39]           Si le déséquilibre des forces en présence n’était pas un facteur pertinent dans l’analyse de l’application de l’article 46 de la Loi, il le devient ici dans une certaine mesure pour s’ajouter aux autres facteurs retenus en faveur de Comtois.

 

[40]           Partant, la Cour conclut que Comtois a rempli son lourd fardeau de preuve et a établi la présence de motifs sérieux qui amènent cette Cour à conclure qu’il ne serait pas raisonnable ou juste ici d’exiger qu’elle se conforme à la clause d’arbitrage se retrouvant à la Booking Note.

 

[41]           En conséquence, la Cour se doit de rejeter la requête de Livestock Express en suspension, le tout avec dépens à hauteur de 2 340,00$, soit le montant suggéré par les deux parties nonobstant le résultat de la requête.

 

[42]           Par ailleurs, Livestock Express devra signifier et déposer sa défense le ou avant le 27 janvier 2014.

 

 

 

« Richard Morneau »

Protonotaire

 

Montréal, Québec

Le 10 décembre 2013

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :

T-2275-12

 

INTITULÉ :

COMTOIS INTERNATIONAL EXPORT INC. c LIVESTOCK EXPRESS BV ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 27 novembre 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

                                                            LE PROTONOTAIRE MORNEAU

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 10 décembre 2013

COMPARUTIONS :

Hugo Babos-Marchand

Pour la demanderesse

 

Jean-Marie Fontaine

Pour les défendeurs

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Borden Ladner Gervais

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

 

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