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Date : 20140203


Dossier :

IMM-1799-13

 

Référence : 2014 CF 121

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2014

En présence de madame la juge Kane

 

ENTRE :

EDMOND TOMA

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 29 janvier 2013, selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Contexte

[3]               Le demandeur, Edmond Toma, est un citoyen de l’Albanie qui prétend craindre la persécution à cause d’une vendetta entre sa famille et la famille Dodaj. La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que celui-ci n’était pas crédible et n’avait pas de crainte subjective de persécution et, subsidiairement, qu’il n’avait pas réfuté la présomption d’une protection de l’État suffisante en Albanie. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur soutient : que la Commission a rendu des conclusions déraisonnables relatives à la crédibilité; que la Commission s’est fondée sur des connaissances spécialisées pendant l’audience sans les faire connaître, ce qui contrevient à l’article 22 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (l’article 22), manquant par le fait même à son obligation d’équité procédurale; et que la Commission a de manière déraisonnable conclu que l’Albanie pouvait offrir une protection suffisante.

 

[4]               Dès le départ, la Commission a jugé que la demande d’asile du demandeur reposait entièrement sur l’existence d’une vendetta et que, parce qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu à l’article 96 de la Loi, la demande a été évaluiée uniquement selon l’article 97. Le demandeur n’a pas contesté cette conclusion.

 

[5]               Le demandeur soutient que, en 1998, son frère, Victor Toma, un agent de police qui vait soi-disant des opinions politiques favorables à la démocratie, a pris part à l’arrestation et, à terme, à l’incarcération de Nush Dodaj, qui avait tué un membre d’une autre famille avec laquelle la famille Dodaj est mêlée à une vendetta. Victor Toma était aussi présent lorsque Martin Dodaj a été tué par balle. Par conséquent, la famille Dodaj a lancé une vendetta contre la famille Toma ainsi que contre les familles des autres agents de police en cause. Victor Toma a quitté l’Albanie et a obtenu l’asile aux États-Unis en 2000, en raison de ses opinions politiques favorables à la démocratie dans un service de police socialiste; il n’avait pas fait mention de la vendetta dans sa demande d’asile.

 

[6]               Le demandeur soutient que lui et sa famille sont partis se cacher en 1998 et que, à l’exception de vacances en Macédoine en 2004 et de courtes excursions à la ville, il avait vécu sur la petite exploitation agricole de sa famille. En 2010, il s’est rendu en voiture à un magasin pour acheter des provisions pour sa mère, et quelqu’un a tiré trois fois sur lui. Le demandeur soutient que ses parents avaient entendu Nush Dodaj, qui était sorti de prison au printemps de 2010, revendiquer la fusillade. Après l’incident, le demandeur s’est rendu au Canada avec un passeur.

 

Norme de contrôle

[7]               Les parties conviennent que les questions de crédibilité et celles de savoir si le demandeur a réfuté la présomption de la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit, susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Les manquements à l’équité procédurale sont des questions susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[8]               Par conséquent, il incombe au tribunal d’établir si la décision de la Commission « appartient "aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit" (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Il ne revient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve ou de changer la décision.

 

[9]               Il est aussi bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par les commissions et les tribunaux commandent une retenue considérable étant donné que ceux‑ci sont bien placés pour évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CAF); Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82).

 

[10]           Le juge Martineau a décrit l’évaluation de la crédibilité du demandeur comme étant « l’essentiel de la compétence de la Commission » (Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, 228 FTR 43).

 

[11]           La Commission peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité en raison d’incohérences dans le témoignage et d’invraisemblances perçues dans la mesure où celles‑ci reposent sur des inférences raisonnables. Une demande d’asile peut être évaluée en fonction de la vraisemblance, du bon sens et de la rationalité (Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 41 à 46, [2012] ACF no 369).

 

Les conclusions relatives à la crédibilité sont raisonnables

[12]           Contrairement aux affirmations du demandeur voulant que les conclusions relatives à la crédibilité n’étaient pas claires et portaient sur des questions secondaires par rapport à sa demande d’asile, la Commission a relevé plusieurs omissions, incohérences et invraisemblances qui l’ont amenée à conclure que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas une crainte subjective de persécution. Le demandeur reconnaît que les conclusions relatives à la crédibilité de la Commission commandent la retenue, mais soutient que, compte tenu de cette retenue, la Commission doit tirer des conclusions claires.

 

[13]           Les conclusions de la Commission sur la crédibilité n’étaient pas vagues ni nébuleuses et ne reposaient pas sur des éléments accessoires à la demande d’asile du demandeur.

 

[14]           Ces nombreuses conclusions que la Commission a tirées quant à la crédibilité ont amené à finalement conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas crédible. La Commission a clairement écrit : « [J]e ne crois pas le récit du demandeur d’asile ».

 

[15]           Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité reposaient sur des omissions et des invraisemblances, notamment : le fait que le demandeur a été incapable d’établir le moyen par lequel et le moment où il est arrivé au Canada étant donné qu’il n’avait aucun document, billet ou carte d’embarquement; il n’a pas fait mention de la vendetta à l’entrevue au point d’entrée et n’a pas répondu à la question sur le formulaire concernant ce qu’il craignait en Albanie; la demande d’asile de son frère aux É.‑U. ne reposait pas sur la vendetta familiale; il est allé en vacances en Macédoine en 2004, mais n’a pas demandé l’asile dans ce pays; il n’a pas demandé l’asile en Allemagne, même s’il a prétendu avoir fait escale dans ce pays quand il était en route en direction du Canada; et il s’est fondé sur l’attestation suspecte et contestée, fournie par Gjin Marku, concernant la vendetta.

 

[16]           En ce qui concerne le défaut du demandeur d’établir le moyen par lequel et le moment où il est arrivé au Canada, la Commission a raisonnablement conclu que cet élément menait à une inférence défavorable sur la crédibilité. L’explication du demandeur selon laquelle le passeur s’était saisi de tous ses documents et qu’il était arrivé à Montréal, puis avait pris un taxi pour aller à Ottawa, où il a demandé l’asile le lendemain, a été examinée en profondeur à l’audience. La Commission a demandé au demandeur s’il était déjà venu au Canada ou aux É.‑U. Elle a, raisonnablement, trouvé insuffisantes ses explications. Il était loisible à la Commission de tirer des conclusions négatives relatives à la crédibilité dans les circonstances.

 

[17]           En ce qui concerne le fait que le demandeur n’a pas mentionné la famille Dodaj et la vendetta dans ses notes au point d’entrée, l’explication du demandeur, c’est‑à‑dire qu’il ne parlait pas anglais alors et qu’il n’était pas assez instruit pour apprécier toute la portée des notes, a raisonnablement été jugé insuffisante. Le demandeur a signé la déclaration selon laquelle le contenu du formulaire était véridique et il avait bien compris les questions. Rien n’indique que la traduction était de mauvaise qualité, et l’interprète a aussi signé une déclaration selon laquelle le demandeur avait bien compris la nature des formulaires. Il était raisonnable que la Commission tire une inférence défavorable relative à la crédibilité à partir de cette omission importante. La demande d’asile du demandeur reposait prétendument sur sa crainte découlant de la vendetta, qui avait forcé sa famille à vivre cachée pendant douze ans, mais il n’en a pas fait mention. La Commission a indiqué clairement que cette omission avait mené à une nouvelle conclusion défavorable relativement à la crédibilité.

 

[18]           En ce qui concerne le défaut du demandeur de demander l’asile en Allemagne et en Macédoine, la loi est claire et veut que, même en l’absence d’une explication convaincante, le défaut de demander l’asile à la première occasion peut entacher la crédibilité (Mahari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 999, au paragraphe 27, [2012] ACF no 1087) et peut miner l’allégation de crainte subjective (Krasniqi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 350, au paragraphe 34, [2010] ACF no 410). Même s’il peut être déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur demande l’asile en Allemagne alors qu’il n’y était que pour une courte escale en direction du Canada, le défaut de demander l’asile en Macédoine en 2004, lorsqu’il avait 24 ans, a fourni un motif raisonnable à la Commission de juger que le demandeur n’avait pas de crainte subjective et de tirer une conclusion négative relativement à la crédibilité.

 

[19]           Dans son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas d’argent ni d’emploi et qu’il ne pouvait pas chercher à rester en Macédoine. Il déclare maintenant qu’il n’avait rien à craindre alors et que, par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait aucune crainte subjective à cause de son défaut de demander l’asile en Macédoine n’est pas raisonnable. Toutefois, il a affirmé devant la Commission qu’il vivait dans une certaine crainte et un certain isolement depuis 1998 à cause de la vendetta. Même s’il a déclaré que sa crainte s’était intensifiée en 2010, il a aussi affirmé que son frère l’avait encouragé à quitter l’Albanie bien avant. Par conséquent, il était loisible à la Commission de conclure que son défaut de demander l’asile en Macédoine minait son allégation de crainte subjective et sa crédibilité. L’affirmation du demandeur selon laquelle la Commission a tiré une conclusion vague sur la crédibilité en soulignant  « la crédibilité de ce dernier est donc minée » n’est pas fondée. Il n’y a nul doute qu’il s’agit d’une conclusion sur la crédibilité tirée en raison de son défaut de demander l’asile en Macédoine en 2004.

 

[20]           En ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité découlant de la demande d’asile de son frère aux É.‑U., qui ne faisait pas non plus mention d’une vendetta, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission est déraisonnable parce que la Commission ne pouvait pas tirer une conclusion relative à la crédibilité de son frère et utiliser celle‑ci contre lui. Même si la formulation utilisée par la Commission laisse entendre qu’elle a tiré une conclusion relative à la crédibilité contre son frère, qui n’est pas partie à la présente instance, le contexte confirme la raisonnabilité de la conclusion défavorable de la Commission relative à la crédibilité tirée à l’encontre du demandeur. Le demandeur n’a pas mentionné la vendetta dans ses notes au point d’entrée, et son frère ne l’a pas fait non plus dans sa demande d’asile aux É.‑U. Le demandeur n’a pas pu expliquer pourquoi son frère n’avait pas mentionné la vendetta, même si la demande d’asile de son frère reposait aussi sur la persécution en raison de ses opinions politiques. Pour cette raison, la conclusion de la Commission relative à la crédibilité repose raisonnablement sur son observation voulant que le demandeur et son frère n’ont pas mentionné la vendetta, même si le demandeur a prétendu que la vendetta était la principale raison pour laquelle les deux avaient quitté l’Albanie.

 

[21]           La Commission a aussi raisonnablement tiré une inférence défavorable quant au défaut du demandeur de produire des documents émanant d’organismes gouvernementaux selon lesquelles il y avait bien une vendetta. Même si l’absence d’éléments de preuve corroborants ne peut pas servir à miner la crédibilité d’un demandeur d’asile par ailleurs crédible (Yotheeswaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1236, au paragraphe 10, 14 Imm LR (4e) 61), le demandeur, en l’espèce, a insisté pour produire des éléments de preuve douteux émanant de M. Marku, même si son avocat le lui avait déconseillé et même si la Commission a clairement déclaré au début de l’audience que M. Marku n’était pas crédible. Cependant, une fois que les éléments de preuve corroborants émanant de M. Marku ont été produits, il était loisible à la Commission de tirer des inférences défavorables relativement à la crédibilité en raison de la qualité de la preuve. En l’espèce, la Commission a conclu que les lettres d’attestation de M. Marku étaient frauduleuses et a raisonnablement établi que, pour cette raison, elles minaient la crédibilité du demandeur.

 

[22]           Comme il est établi dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3, [2008] ACF no 1685, les conclusions défavorables relatives à la crédibilité suffisent pour trancher la demande :

[3]        À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

 

 

L’article 22 n’offre  pas de motif pour annuler la décision

[23]           En ce qui concerne les observations du demandeur selon lesquelles la Commission a manqué à l’équité procédurale parce qu’elle s’est fondée sur des connaissances spécialisées qu’elle ne lui a pas communiquées, un extrait de la décision, au paragraphe 27, dit ce qui suit : « [l]e demandeur d’asile a été informé du fait que, compte tenu de mes connaissances spécialisées et de la nouvelle Réponse à la demande d’information (RDI) sur M. Marku et autres à l’onglet 7.14, je n’accorde aucun poids à son point de vue et je considère que ses éléments de preuve sont douteux ».

 

[24]           Le demandeur soutient que la Commission ne lui a pas fourni un préavis suffisant au sujet de ses connaissances spécialisées et, par conséquent, a manqué à l’équité procédurale comme le prévoit l’article 22.

 

[25]           Le demandeur reconnaît qu’il savait que ses lettres d’attestation reçues de Gjin Marku seraient examinées minutieusement à la lumière d’une récente RDI, mais soutient que la Commission n’avait pas fait part de ses connaissances spécialisées au‑delà de la RDI. Le demandeur soutient qu’il ne connaissait pas le contenu et la source desdites connaissances spécialisées et ignorait la mesure dans laquelle la décision de la Commission reposait sur celles‑ci et, par conséquent, n’a pas eu la possibilité de présenter des observations à leur sujet.

 

[26]           La transcription de l’audience établit que la Commission a clairement et abondamment renvoyé à ses réserves concernant tout élément de preuve provenant de Gjin Marku; le demandeur a été clairement  prévenu de ce que la Commission considérait M. Marku comme un escroc fournissant contre rémunération de fausses lettres d’attestation de vendetta. L’avocat du demandeur a accepté les réserves de la Commission au sujet des lettres d’attestation fournies par M. Marku et signalé que le demandeur lui avait donné instruction de les soumettre en preuve malgré tout.

 

[27]           Même si les mots utilisés par la Commission laissent entendre qu’elle s’est fondée sur des connaissances spécialisées et la RDI, plutôt que des connaissances spécialisées fondées sur la RDI, le contexte global, y compris les mises en garde spécifiques de la Commission au sujet de M. Marku, avec les questions détaillées qu’elle a posées au demandeur pour établir s’il avait d’autres documents faisant autorité pour attester de la vendetta, donne à penser que les connaissances spécialisées étaient uniquement fondées sur la RDI.

 

[28]           Quoi qu’il en soit, même si la Commission a commis une erreur en n’avisant pas clairement les parties de son intention de recourir à ses connaissances spécialisées, conformément à l’article 22, cela ne suffit pas pour annuler la décision. La décision doit être examinée dans son ensemble pour qu’il soit établi si les fondements de la demande d’asile sont de nature à changer le résultat.

 

[29]           Comme l’a indiqué le défendeur, dans Munir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 645, au paragraphe 19, [2012] ACF no 625, le juge Montigny a écrit :

[19]      Enfin, et en supposant même que le Tribunal a erré en s’appuyant sur ce document, force est de constater que cet élément n’a pas été déterminant dans la décision du Tribunal. La violation de la Règle 18 des Règles, à elle seule, ne saurait suffire à invalider la décision du Tribunal si les autres motifs invoqués pour conclure à l’invraisemblance du récit de la demanderesse et à son absence de crédibilité tiennent la route (voir Kabedi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 442 au para 14, 131 ACWS (3d) 313; Lin c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 171 FTR 289 aux para 21 et 23, 90 ACWS (3d) 116 (1ere inst)).

  

 

[30]           De la même façon, dans N'Sungani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1759, au paragraphe 32, 44, Imm LR (3e) 105, la juge Tremblay‑Lamer a pris en considération et appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 NR 308, 27 Imm LR (2e) 135 (CAF) :

32.     À mon avis, le principe exposé dans l'arrêt Yassine, précité, admet une réserve exprimée dans la décision Hu, précitée : pour autant que la décision de la Commission de ne pas croire un requérant d'asile soit fondée, et pour autant qu'elle suffise à disposer de la demande, c'est-à-dire s'il n'y a aucune raison de penser que les connaissances spécialisées de la Commission qui sont source de contestation ont de quelque manière conduit la Commission à décider comme elle l'a fait, alors l'exception énoncée dans l'arrêt Mobil Oil, précité, pourra être invoquée pour refuser la tenue d'une nouvelle audience.

 

[31]           En l’espèce, même si la Commission s’était fondée sur toutes autres connaissances spécialisées, il n’existe aucune raison de conclure que celles‑ci aient eu une quelconque influence sur ses conclusions relatives à la crédibilité, lesquelles étaient clairement énoncées et raisonnables.

 

Le demandeur n’a pas réfuté la présomption d’une protection de l’État suffisante

[32]           Même s’il n’est pas nécessaire d’examiner la raisonnabilité de la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État, laquelle était subsidiaire à ses conclusions relatives à la crédibilité, il est bien établi en droit qu’il existe une présomption selon laquelle un état démocratique offrira une protection adéquate et qu’il incombe au demandeur de réfuter la présomption au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

 

[33]           La Commission a mené un examen approfondi des rapports sur les conditions prévalant dans le pays et relevé les sources qui étaient fiables et celles qui étaient douteuses avant de conclure que les éléments de preuve étaient contradictoires. La Commission a franchement reconnu qu’il y avait des lacunes dans les mécanismes de protection étatique en Albanie, mais a jugé que les éléments de preuve documentaire faisant état de la solidité administrative des mécanismes de protection étatique étaient plus convaincants. Il était loisible à la Commission d’évaluer de cette façon les éléments de preuve.

 

[34]           Le demandeur a soutenu qu’aucun fardeau ne lui incombait de réfuter la présomption de la protection de l’État parce que celle-ci n’est pas adéquate en Albanie : la police et les tribunaux ne peuvent rien contre les vendettas, la corruption est  répandue, et il aurait été inutile pour lui de s’adresser à la police.

 

[35]           Comme l’a écrit le juge Rennie dans Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646, au paragraphe 10, [2011] ACF no 824, le fardeau qui incombe à un demandeur de réfuter la présomption de la protection de l’État varie selon le degré de démocratie :

[10]      Ce principe s’inscrit dans un contexte, toutefois, et il n’est pas absolu, la présomption variant selon la nature de la démocratie dans le pays en cause. Le fardeau de preuve incombant au demandeur d’asile est proportionnel au degré de démocratie dans ce pays et à la place qu’y occupe l’État dans l’ « éventail démocratique » (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, au paragraphe 5; Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 30; Capitaine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 98, aux paragraphes 20 à 22).

 

 

[36]           Je conviens que les efforts déployés par le demandeur pour réfuter la présomption doivent être équivalents ou proportionnels au niveau de démocratie et au caractère adéquat de la protection de l’État, lesquels, comme on l’a déjà mentionné, la Commission avait jugés inégaux. Cependant, un demandeur doit faire des démarches et ne peut pas se fier uniquement à sa propre conviction selon laquelle la police n’interviendra pas. Même si le demandeur n’était pas instruit, vivait dans une communauté rurale régie par le droit coutumier du Kanun, et que son père lui avait dit de ne pas s’adresser à la police, ses propres éléments de preuve indiquaient que les efforts déployés par son père pour régler le conflit avaient été vains et s’étaient atténués au cours des dernières années. Le demandeur n’a pas signalé à la police la fusillade mettant en cause Nush Dodaj même si celui-ci avait déjà été arrêté, reconnu coupable et incarcéré par l’État pendant 12 ans pour un autre incident lié à une vendetta. Le demandeur était un adulte de 30 ans au moment où il a décidé de quitter l’Albanie, pourtant il s’en remettait aveuglément à son père malade sans se renseigner auprès d’autres sources ni faire d’autres démarches pour solliciter la protection de l’État. La Commission a raisonnablement jugé qu’il n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[37]           Le fondement du droit relatif aux réfugiés veut qu’une personne doive solliciter la protection de son propre pays avant de demander la protection supplétive d’un autre pays. En l’espèce, le demandeur n’a entrepris aucune démarche pour réclamer la protection de l’État en Albanie.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE            :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-1799-13

 

INTITULÉ :

EDMOND TOMA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 22 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

DU JUGEMENT :                            LA JUGE KANE.

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 3 FÉVRIER 2014

COMPARUTIONS :

Mike Bell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sarah Sherhols

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Workable Immigration Solutions

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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