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Date: 20140127

Dossier: T-1823-12

Référence : 2014 CF 86

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

 

AGNAOU, YACINE

 

 

 

Partie

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

Partie

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

         I.         Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 51.2 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, ch 46 [la Loi ou LPFDAR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 6 septembre 2012 [la décision] par laquelle le Commissariat à l’intégrité du secteur public [le CISP] a refusé de recevoir les divulgations faites par le demandeur.

 

 

II.        Contexte

[2]               Le demandeur, M. Yacine Agnaou, occupait le poste de procureur de la Couronne fédérale, du Service des poursuites pénales du Canada [SPPC], au Bureau régional du Québec [BRQ]. Il a travaillé au sein du SPPC du 20 octobre 2003 jusqu’à juin 2009 dans l’Équipe des crimes économiques. En octobre 2008, le demandeur a été assigné à plusieurs dossiers par la gestion du SPPC. Parmi ces dossiers était un certain dossier [« dossier A »], dans lequel le demandeur voulait intenter des poursuites en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), ch 1 (5e suppl) [la LIR]. Il n’est pas nécessaire dans le contexte de ce contrôle judiciaire de préciser les détails de ce dossier.

 

[3]               Le 4 novembre 2008, le demandeur a informé une des procureures fédérales en chef adjointes qu’il voulait intenter des poursuites dans le dossier A. La procureure en chef l’a informé qu’elle croyait qu’il serait prématuré d’intenter des poursuites dans ce dossier, et le demandeur lui a fait part de ses objections à son avis. Le 24 décembre 2008, le demandeur, croyant qu’il ne pouvait plus avoir confiance dans son lien de supervision avec cette procureure en chef à cause de leur désaccord sur le dossier A, a demandé un changement de superviseur, demande à laquelle le Comité de gestion a accédée. Le 27 janvier 2009, le demandeur a rencontré son nouveau superviseur et lui a fait part de son opinion sur le dossier A. Ce nouveau superviseur a exprimé un avis similaire à celui de la première superviseuse: qu’il serait prudent de ne pas se dépêcher d’intenter des poursuites dans le dossier A.

 

[4]               Suite à cette rencontre, le demandeur est devenu convaincu que la mission de ces gestionnaires était de s’assurer qu’aucune poursuite ne soit engagée dans le dossier A.

[5]               Le 10 février 2009, il y avait une rencontre entre le demandeur et l’avocat général de l’Équipe des crimes économiques, où le demandeur a informé cet avocat général qu’il voulait intenter des poursuites dans le dossier A.

 

[6]               Entre le 10 février et le 24 février 2009, il y avait plusieurs rencontres et échanges entre ces trois gestionnaires et le demandeur où le demandeur a pu expliquer sa position quant à l’autorisation des poursuites dans le dossier A. Une rencontre finale a eu lieu le 24 février 2009 entre le demandeur et ces gestionnaires où il est devenu évident que la position du demandeur était irréconciliable avec la position de ses gestionnaires.

 

[7]               Le 9 mars, il y a eu une rencontre du Comité des avocats généraux à l’insu du demandeur pour faire la recommandation de ne pas autoriser de poursuite dans le dossier.

 

[8]               Le 24 mars 2009, le demandeur a été informé par ses gestionnaires de la décision finale de l’équipe de gestion: de ne pas autoriser de poursuite dans le dossier A.

 

[9]               Suite à ces évènements, le demandeur a pris la décision de divulguer ce qu’il croyait des actes répréhensibles de la part de ses supérieurs auprès du SPPC. Ayant discuté avec la registraire du CISP le 9 juin 2009, il a pris la décision de ne pas procéder à une divulgation toute de suite, expliquant dans son mémoire des faits et du droit qu’il « a constaté l’absence de critères objectifs devant guider le traitement de sa divulgation [et] une attitude d’arbitraire dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire au sein de l’office. »

 

 

[10]           Le 29 juin 2009, le demandeur a informé le registraire du CISP qu’il quittait le SPPC pour un congé d’études, et qu’il voulait prendre un temps de réflexion avant de poursuivre sa divulgation.

 

III.      La divulgation du demandeur

[11]           Le 13 octobre 2011, le demandeur a déposé une divulgation auprès du responsable de l’évaluation initiale des divulgations du CISP, où il a allégué que les agissements des gestionnaires du BRQ et des personnes de l’Administration centrale du SPPC n’étaient pas conformes à plusieurs lois du Canada. Il a allégué que ses supérieurs et leurs subalternes ont commis des actes répréhensibles lorsqu’ils se sont opposés au dépôt d’accusations dans le dossier A en utilisant des moyens portant atteinte à l’intégrité du système de poursuite objectif, transparent et indépendant du Canada.

 

[12]           Un analyste du CISP a analysé la divulgation du demandeur, et a fait une recommandation de ne pas donner suite à la divulgation, recommandation qui a été vérifiée par une gestionnaire de l’analyse des dossiers et les Services juridiques avant d’être soumise au sous-commissaire.

 

[13]           Le sous-commissaire a maintenu l’analyse et la recommandation, refusant de donner suite à la divulgation.

 

IV.      Décision en litige

[14]           Dans une lettre qui date du 6 septembre 2012, le sous-commissaire a refusé de donner suite à la divulgation du demandeur au motif que les faits visés dans la divulgation résultaient de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé et qu’il n’y avait pas d’information suggérant qu’un acte répréhensible ait été commis (alinéas 24(1)e) et f) de la Loi).

            L’alinéa (8)a) de la Loi

[15]           En ce qui concerne l’alinéa (8)a) de la Loi, le sous-commissaire a constaté que les articles pertinents de la LIR (231.2, 231.6 et 238) concernent la production de documents ou fourniture de renseignements, ainsi que les infractions et peines pour la personne qui contrevient à l’un des articles 230 à 232 de la LIR. Ces articles visent les obligations d’un contribuable et non celles de la gestion du BRQ, alors cet article ne peut pas être considéré comme acte répréhensible commis par la gestion du BRQ dans le cadre d’une enquête initiée par le Commissariat.

 

            L’alinéa (8)c) de la Loi

[16]           En ce qui concerne l’alinéa (8)c) de la Loi, le sous-commissaire a noté que le Guide du Service fédéral des poursuites parle d’une indépendance déléguée des procureurs de la Couronne. Ce guide constate que la prise de décisions responsables de la part des procureurs de la Couronne en matière de poursuites pénales exige souvent la consultation des collègues ou des supérieurs, alors malgré qu’un degré élevé d’indépendance est conféré aux procureurs de la Couronne, ils ne jouissent pas d’un pouvoir absolu.

 

[17]           Le demandeur a allégué que les faits soumis au soutien de ses recommandations de poursuite étaient plus que suffisants pour convaincre de l’existence d’une probabilité raisonnable de condamnation et du fait que l’intérêt public exigeait d’intenter des poursuites en vertu de l’article 238 du LIR. Le demandeur a aussi allégué que la décision de ne pas poursuivre était basée sur des faussetés.

 

[18]           Néanmoins, le sous-commissaire a maintenu que la décision des procureurs en chef du SPPC de ne pas poursuivre dans le dossier A était basée sur les faits du dossier, et qu’ils étaient habiletés à prendre une telle décision de façon objective et indépendante. Le fait que le demandeur n’était pas en accord avec la décision ne suggère pas qu’un acte répréhensible aurait été commis. De plus, en ce qui concerne les pratiques du BRQ par rapport à la décision de dessaisir le demandeur de la décision finale, et l’allégation du demandeur que deux gestionnaires du SPPC se soient intéressés au dossier A de façon ‘inhabituelle’, l’information que le demandeur leur avait fournie ne supportait pas ses allégations de cas grave de mauvaise gestion.

 

V.        Questions en litige

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         Est-ce que le processus suivi par le sous-commissaire a violé l’équité procédurale?

3.         Est-ce que la décision du sous-commissaire est raisonnable?

 

VI.      Dispositions législatives

 

8. La présente loi s’applique aux actes répréhensibles ci-après commis au sein du secteur public ou le concernant :

 

a) la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, ŕ l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente loi;

 

[…]

c) les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;

 

Public Servants Disclosure Protection Act, SC 2005, c 46

 

 

 

8. This Act applies in respect of the following wrongdoings in or relating to the public sector:

 

 

 

(a) a contravention of any Act of Parliament or of the legislature of a province, or of any regulations made under any such Act, other than a contravention of section 19 of this Act;

 

[…]

c) a gross mismanagement in the public sector;

 Le fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant à son supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur désigné par l’administrateur général de l’élément du secteur public dont il fait partie tout renseignement qui, selon lui, peut démontrer qu’un acte répréhensible a été commis ou est sur le point de l’être, ou qu’il lui a été demandé de commettre un tel acte.

 A public servant may disclose to his or her supervisor or to the senior officer designated for the purpose by the chief executive of the portion of the public sector in which the public servant is employed any information that the public servant believes could show that a wrongdoing has been committed or is about to be committed, or that could show that the public servant has been asked to commit a wrongdoing.

 

13. (1) Le fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant au commissaire tout renseignement visé ŕ l’article 12.

 

(2) La présente loi n’a pas pour effet d’autoriser le fonctionnaire ŕ communiquer au commissaire des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada ou des renseignements protégés par le secret professionnel liant l’avocat ŕ son client. En cas de communication de tels renseignements, le commissaire ne peut pas les utiliser.

 

 

13. (1) A public servant may disclose information referred to in section 12 to the Commissioner.

 

 

 

 

(2) Nothing in this Act authorizes a public servant to disclose to the Commissioner a confidence of the Queen’s Privy Council for Canada in respect of which subsection 39(1) of the Canada Evidence Act applies or any information that is subject to solicitor-client privilege. The Commissioner may not use the confidence or information if it is disclosed.

22. Le commissaire exerce aux termes de la présente loi les attributions suivantes :

[...]

b) recevoir, consigner et examiner les divulgations afin d’établir s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite;

22. The duties of the Commissioner under this Act are to

 [...]

 (b) receive, record and review disclosures of wrongdoings in order to establish whether there are sufficient grounds for further action;

 

24. (1) Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime, selon le cas :

 

[…]

 

e) que les faits visés par la divulgation ou l’enquête résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé;

 

f) que cela est opportun pour tout autre motif justifié.

 

24. (1) The Commissioner may refuse to deal with a disclosure or to commence an investigation -- and he or she may cease an investigation -- if he or she is of the opinion that

 

 […]

 

 (e) the subject-matter of the disclosure or the investigation relates to a matter that results from a balanced and informed decision-making process on a public policy issue; or

 

(f) there is a valid reason for not dealing with the subject-matter of the disclosure or the investigation.

 

VII.     Norme de contrôle

[19]           Selon l’arrêt de la Cour fédérale, Detorakis c Canada (Procureur général), 2010 CF 39, au paragraphe 29 [Detorakis], la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer à une décision du CISP de ne pas poursuivre une enquête en application de l’alinéa 24(1)a) de la Loi.

 

[20]           D’ailleurs, les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont examinées en fonction de la norme de la décision correcte, comme le défendeur nous rappelle, s’appuyant sur la décision de la Cour suprême dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au paragraphe 43.

 

VIII.   Analyse

[21]           Le régime de divulgation concerne toute personne qui détient des renseignements relativement à la commission possible d’un acte répréhensible par un fonctionnaire au sens de l’article 8 de la Loi. Les articles 12 et 13 de la Loi permettent à un fonctionnaire de divulguer au commissaire tout renseignement qui pourrait démontrer qu’un acte répréhensible selon l’article 8 de la Loi a été commis.

 

[22]           Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête s’il estime qu’il n’existe pas de motifs suffisants pour y donner suite en vertu de l’alinéa 22b). S’il est satisfait de la suffisance de la preuve, il peut toutefois refuser de procéder en vertu des alinéas 24(1)d) et e) s’il est d’avis que les faits visés par la divulgation résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé ou que cela est opportun pour tout autre motif justifié.

 

[23]           Si le demandeur allègue avoir subi des représailles à cause de sa divulgation, le commissaire peut également refuser de procéder avec la plainte pour les raisons énumérées dans l’article 19.3(1), ce qui comprend des motifs touchant à la juridiction du commissariat, ou s’il estime que la plainte n’est pas faite de bonne foi. Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 24(1) a une très large portée; voir Detorakis, précitée, au paragraphe 106(i) :

106 (i)     Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 24(1) a une très large portée. Il semble qu’il vise à permettre au commissaire de décider s’il est dans l’intérêt du public de faire enquête sur la plainte ou de déterminer, sur la foi des renseignements fournis par le plaignant, si l’affaire pourrait avantageusement être instruite sous le régime d’une autre loi. Il y a lieu de présumer que le Commissariat possède une certaine expertise en la matière.

 

[24]           Toutefois, je partage l’opinion de la juge Mactavish dans la matière El-Helou c Canada (Service administratif des tribunaux judiciaires), 2012 CF 1111 [El-Helou] qu’étant donné les similarités entre les mécanismes de plaintes établis en vertu de la LPFDAR et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6 [la LCDP], la jurisprudence qui s’est développée dans le contexte des droits de la personne est très utile pour déterminer la portée de la LPFDAR.

[25]           Je voudrais donc référer à l’arrêt Société canadienne des postes c Commission canadienne des droits de la personne, 1997 CanLII 16378 (CF), où le juge Rothstein discute au paragraphe 3 de la réticence que le commissaire devrait démontrer de refuser préalablement de procéder avec une plainte sauf dans les cas les plus évidents:

[3]     La décision que la Commission rend en vertu de l'article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l'ouverture d'une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l'objet d'une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l'enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte. S'il n'est pas évident à ses yeux que la plainte relève d'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.

 

[26]           En ce qui concerne l’équité procédurale, je cite les principes énumérés dans Detorakis, précitée au paragraphe 106 lorsque le commissaire prend la décision de ne pas procéder à l’étape d’une enquête:

106 […]

 

a.   L’alinéa 22d) de la Loi impose l’obligation générale d’assurer l’équité procédurale, mais la Loi ne précise pas la teneur de cette obligation dans un cas précis. En l’espèce, il s’agit d’une personne qui a expliqué qu’elle voulait porter plainte en vertu de l’article 13 de la Loi.

 

b.   Le demandeur était parfaitement conscient, avant de formuler ses observations le 16 avril 2008, que l’alinéa 24(1)a) était une question préliminaire qu’il fallait résoudre et qu’il était possible que la commissaire refuse d’enquêter sur la plainte en raison de cet alinéa.

 

c.   Rien ne permet de penser que, lorsqu’il a formulé ses observations le 16 avril 2008, le demandeur s’attendait ou pouvait raisonnablement s’attendre, avant qu’une décision ne soit prise au sujet de la question préliminaire de l’alinéa 24(1)a), qu’il aurait la possibilité de soumettre d’autres arguments ou éléments de preuve ou que l’analyste aurait d’autres échanges avec lui sur cette question.

 

d.   La Loi ne confère pas à la personne qui fait une divulgation en vertu de l’article 13 le droit d’être entendue ou de formuler d’autres observations une fois que la plainte a été déposée. En outre, vu l’ensemble des faits de l’espèce, la commissaire n’avait pas besoin d’autres renseignements pour prendre une décision en vertu de l’alinéa 24(1)a).

 

e.   Ainsi que la juge L’Heureux-Dubé l’indique clairement dans l’arrêt Baker, « l’obligation d’équité [est] souple et variable et […] repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés […] ».

 

[…]

 

k.   La commissaire se voit confier une obligation bien précise aux termes de l’alinéa 22b) de la Loi, celle d’examiner les divulgations afin d’établir « s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite ». La commissaire avait donc l’obligation, en l’espèce, d’examiner la question préliminaire soulevée par l’alinéa 24(1)a). Le choix de la procédure adaptée visait à expliquer au demandeur les démarches à suivre pour déposer une plainte, de préciser qu’il devait répondre à la question soulevée par l’alinéa 24(1)a) et de lui permettre ensuite de formuler des observations écrites.

 

l.   Ainsi que je l’ai déjà expliqué, il ne s’est rien produit en l’espèce qui aurait eu pour effet de permettre au demandeur d’avoir des attentes légitimes plus élevées que celles prévues par l’économie générale de la Loi ou par les renseignements et les conseils que lui avait donnés M. Calvert lors de l’appel téléphonique du 16 avril 2008 et sur lesquels le demandeur s’est fondé pour formuler ses observations.

 

            L’équité procédurale

[27]           Le demandeur allègue que le sous-commissaire du CISP a violé l’équité procédurale dans les façons suivantes:

 

                    Il n’a pas donné au demandeur l’occasion de commenter les conclusions de l’analyse sur la recevabilité de sa divulgation avant d’avaliser la décision de ne pas tenir d’enquête.

 

                    Il n’a pas pris personnellement connaissance de l’ensemble des faits pertinents soumis par le demandeur au soutien de sa divulgation avant d’avaliser la décision de ne pas tenir une enquête et il manque des connaissances adéquates pour travailler en français.

 

                    Il a rendu sa décision de manière insuffisante vu l’ensemble des faits que le demandeur avait soumis au soutien de sa divulgation.

 

                    Il a omis de considérer dans sa décision l’entièreté de la trame factuelle que le demandeur avait soumise au soutien de sa divulgation.

 

[28]           Le demandeur appuie ses arguments portant sur l’équité procédurale majoritairement en faisant référence à El-Helou, précitée. D’une part, il soutient que les parties à une plainte formulée en vertu de la Loi doivent être informées de la substance de la preuve sur laquelle sera fondée la décision de rejeter leur plainte et avoir la possibilité de réagir à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s’y rapportant. Cependant, dans El-Helou, précitée, le commissaire a pris la décision de procéder à l’étape d’une enquête, pendant laquelle l’enquêteur a obtenu des renseignements des personnes autres que le demandeur.  Dans le cas en espèce, il n’y avait que M. Agnaou qui fournissait au commissaire des informations appuyant ses allégations dont il était amplement connaissant.

 

[29]           D’autre part, le demandeur soutient que dans l’affaire El-Helou, précitée, au paragraphe 79, la Cour a trouvé une erreur dans le fait qu’il y avait un « manquement à la promesse explicite de l’enquêtrice que M. El‑Helou se verrait offrir la possibilité de commenter les conclusions du rapport de l’enquêtrice avant qu’une décision ne soit rendue par le commissaire par intérim concernant sa plainte ». Cela a été vu par la Cour comme un manquement à une expectative légitime, ce qui inclue, selon la Cour, les « procédures qu’une autorité administrative s’est volontairement engagée à suivre. Toutefois, pour faire naître une expectative légitime, la promesse doit être [traduction] « claire, non ambiguë et absolue » (voir Donald J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto, Canvasback Publishing, 2011, à la page 7:1710). ». Dans ce cas-ci, aucune promesse n’a été faite. Au contraire, le demandeur a été averti qu’il n’aurait aucune occasion de commenter la décision. De toute manière, le sous-commissaire lui a offert l’opportunité de fournir des commentaires supplémentaires après avoir été informé de la décision.

 

[30]           Dans le cas en espèce, je suis d’avis que les principes décrits en Detorakis, précitée, devraient avoir application afin de déterminer les questions en litige. Par conséquent, il n’y avait pas d’obligation auprès du CISP de laisser le demandeur répondre, et même s’il y en avait, le sous-commissaire a fait parvenir une lettre au demandeur le 13 septembre 2012, sept (7) jours après la décision initiale, l’invitant à remettre toute information supplémentaire et inédite qui pourrait avoir une incidence sur l’analyse qui a été faite.

 

[31]           D’ailleurs, l’affidavit du demandeur démontre qu’il a été mis au courant des étapes de l’étude de recevabilité de la divulgation tout au long du processus. Le demandeur constate dans son affidavit qu’après avoir reçu la décision du sous-commissaire, il a écrit à la Directrice des opérations du CISP pour savoir qu’est ce que serait le processus par la suite pour soumettre ses observations sur les manquements relevés dans la décision du sous-commissaire. Comme déjà mentionné ci-haut, le sous-commissaire a répondu en l’invitant à remettre des informations supplémentaires.

 

[32]           Cela démontre que le demandeur a été suffisamment impliqué dans le déroulement du dossier, surtout vu que l’obligation d’équité procédurale est minimale dans le cas des divulgateurs au stade de l’étude de la recevabilité de la divulgation.

 

[33]           En ce qui concerne les critiques auprès du sous-commissaire, je suis satisfait qu’il ait suivi la procédure habituelle, laquelle comprend une approche multidisciplinaire ainsi que de multiples niveaux d’examen du dossier par l’analyste des services juridiques et lui-même.

 

 

 

            La raisonnabilité de la décision

[34]           En Detorakis, précitée, la Cour a reconnu que le pouvoir discrétionnaire octroyé au commissaire au paragraphe 24(1) de la Loi a une très large portée méritant une large mesure de déférence. Cependant, le commissaire ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape préalable que dans les cas les plus évidents.

 

[35]           Dans le cas en espèce, ce qui sort clairement des faits et prétentions du demandeur est une différence d’opinions honnêtes entre un employé et son superviseur, ce qui a été admis par le demandeur. Il y avait plusieurs réunions entre le demandeur et ses superviseurs à propos du dossier en question, et le demandeur avait de multiples opportunités d’exprimer son opinion. En fin de compte, ses supérieurs, qui sont plus expérimentés en matière de poursuites criminelles, ayant eu également des points de vue des collègues du demandeur, ont pris la décision de ne pas poursuivre, mettant en application un processus décisionnel équilibré et informé. Ce type de décision tombe directement dans le champ d’expertise et d’autorité de ces gens.

 

[36]           Le demandeur allègue des «grosses fautes » de la part de ses supérieurs, mais même si j’accepte ces grosses fautes comme avérées, il reste que ce genre de décision relève directement du  pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, qui est très large et flexible, et que la procédure suivie a été équilibrée et informée. Il s’agit en plus de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire large sur une question de la même nature. Comme le juge Binnie a constaté dans R c Regan,

[2002] 1 RCS 297 au paragraphe 168, « l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite est en réalité, dans une grande mesure, à l’abri du contrôle judiciaire. »

 

[37]           Le fait qu’un supérieur du demandeur qui est expert dans le domaine en question n’était pas en accord avec le demandeur sur le dossier en question n’indique pas qu’il y avait la commission d’un acte répréhensible. Il est tout à fait normal qu’il y ait des désaccords entre des procureurs comme le demandeur et ses supérieurs, mais cela ne veut pas dire qu’il y avait la commission des actes répréhensibles, ni que la CISP est obligée de mener une enquête sur la divulgation.

 

[38]           De plus, le demandeur allègue une erreur de la part du sous-commissaire dans les motifs de la décision qui démontre une méconnaissance de la teneur de ses allégations, en ce qu’il n’a jamais allégué qu’un acte répréhensible aurait été commis au sens de l’alinéa (8)a) de la Loi. Dans la documentation soumise par le demandeur en appui de sa divulgation, il a coché la case correspondante à une divulgation faite sous l’alinéa (8)c) de la Loi, et pas sous l’alinéa (8)a). Cependant, il a allégué explicitement que les actes répréhensibles commis par ses supérieurs comprenaient des manquements à la LIR, ce qui est une loi de notre Parlement. La CISP a alors conclu qu’il voulait alléguer un manquement à cet alinéa, même s’il n’a pas coché la case appropriée. Cela est tout à fait raisonnable.

 

[39]           En fin de compte, il est évident que la divulgation du demandeur relève d’une différence d’opinions entre lui et ses supérieurs, et pas de la commission des actes répréhensibles. Le commissaire, en refusant de procéder à une enquête, a respecté les obligations d’équité procédurale, et a pris une décision tout à fait raisonnable en lumière de la loi, les faits et la preuve au dossier.

 

[40]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1823-12

 

INTITULÉ :                                      AGNAOU, YACINE c LE PROCUREUR

                                                            GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 janvier 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yacine Agnaou

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Michel Girard

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yacine Agnaou

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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