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Date : 20140131


Dossier :

IMM-296-13

Référence : 2014 CF 114

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

ANGEL ANDRES VARGAS BUSTOS

ANDREA EUGENIA SABOGAL RIVEROS EDILMA BUSTOS DE VARGAS

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   Les demandes d’asile présentées par les demandeurs ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission). Ils demandent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]   Les demandeurs prient la Cour de rendre une ordonnance annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]   Angel Andres Vargas Bustos (le demandeur principal) et Andrea Eugenia Sabogal Riveros (la première codemanderesse) sont un couple d’époux originaires de la Colombie. Edilma Bustos de Vargas (la deuxième codemanderesse) est la mère du demandeur principal et elle vivait avec eux en Colombie.

 

[4]   En Colombie, la première codemanderesse travaillait pour une banque et elle était responsable d’un compte bancaire détenu par la société Pabon Castro Co (Pabon). La banque a fermé ce compte lorsqu’elle adécouvert que la société était impliquée dans un stratagème de blanchiment d’argent. Cependant, le représentant juridique de Pabon était alors détenu, de sorte que personne n’a réclamé le solde de 34 millions de pesos et la banque a gardé la mainmise sur le solde.

 

[5]   Le 26 décembre 2008, la première codemanderesse avait reçu un appel d’un client potentiel qui s’était présenté sous le nom de Jorge Tovar et qui avait fixé un rendez‑vous. Cependant, au moment où la première demanderesse se dirigeait vers le rendez‑vous, l’homme en question l’avait confrontée et il lui avait dit que ce serait lui qui allait dorénavant s’occuper du compte bancaire de Pabon. Elle avait refusé. Au cours des mois qui ont suivi, elle, son époux et sa belle‑mère avaient commencé à recevoir des menaces de cette personne, qui a peu après révélé son identité : il s’agissait du Commandant Ruben du Urban Blocque des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia [Forces armées révolutionnaires de Colombie] (les FARC). La rencontre la plus désagréable a eu lieu le 13 février 2009. Alors qu’elle arrivait à son domicile après le travail, deux hommes l’avaient coincée contre une clôture, lui avaient proféré des menaces avec une arme et lui avaient demandé des renseignements à propos du compte bancaire de Pabon. Ils avaient insisté sur le fait qu’il y avait 300 millions de pesos dans le compte, montant qui appartenait aux FARC, et ils l’avaient menacé de la tuer si elle ne leur donnait pas l’argent d’ici le 22 février 2009.

 

[6]   Elle et son époux n’avaient en aucun cas communiqué avec la police ou avec la banque, mais ils avaient alors communiqué avec un ami du demandeur principal, qui est officier dans l’armée. Ce dernier leur avait recommandé de déménager; ils ont suivi sa recommandation. La première codemanderesse a démissionné à la mi‑février 2009 et son époux et elle sont par la suite arrivés au Canada le 13 mars 2009. Ils y avaient alors rejoint la deuxième codemanderesse, qui était au Canada depuis le 23 janvier 2009 pour visiter sa fille. Les trois demandeurs ont demandé l’asile; leurs demandes d’asile ont été jointes et elles ont été examinées ensemble.

 

[7]   Leurs demandes d’asile avaient été rejetées le 19 août 2011, en raison de l’absence de lien avec l’un des motifs prévus à la Convention et parce qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur. Cependant, monsieur le juge James Russell a statué que la conclusion concernant la possibilité de refuge intérieur était déraisonnable et il avait annulé la décision. (Voir Sabogal Riveros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 547, [2012] ACF no 565 (QL)). L’affaire fut renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour nouvelle audience.

 

La décision

 

[8]   Dans une décision datée du 5 décembre 2012, un tribunal différemment constitué de la Commission a de nouveau rejeté leurs demandes d’asile.

 

[9]   La Commission a accepté les éléments de preuve produits par les demandeurs à propos de ce qui leur était arrivé en Colombie, mais elle a conclu que leurs demandes d’asile devaient être rejetées, parce qu’ils n’avaient pas démontré que la protection de l’État était inadéquate. Les demandeurs ne s’étaient pas prévalus des nombreuses bonnes possibilités qu’ils avaient de solliciter la protection. La Commission a aussi écarté l’explication donnée par la première codemanderesse selon laquelle la police protégeait uniquement les politiciens et elle a rejeté toute crainte de subir des représailles aux mains des FARC pour avoir signalé la situation à la police. La Commission a conclu que la première demanderesse n’a pas justifié de manière valable son omission de signaler les menaces dont elle faisait l’objet et que cette omission était incompatible avec l’idée de tenter de bonne foi d’obtenir la protection de l’État.

 

[10]           De plus, la Commission n’était pas convaincue que de tenter d’obtenir la protection de l’État aurait été inutile. La Commission a rejeté certains des éléments de preuve produits par les demandeurs, en affirmant qu’elle y privilégiait sa propre preuve documentaire parce que celle‑ci provenait d’un vaste éventail d’organismes gouvernementaux et non gouvernementaux fiables. La Commission a conclu que, bien qu’il y ait des violations des droits de la personne en Colombie et que l’État a de la difficulté à régler les problèmes de la criminalité et de la corruption au sein de ses forces de sécurité, la Colombie déployait de sérieux efforts pour les enrayer. La Commission a reconnu que de sérieux efforts ne suffisent pas, mais elle a conclu que ces efforts s’étaient traduits en une protection de l’État adéquate pour les victimes d’actes criminels sur le plan opérationnel.

 

[11]           La Commission a apparemment démontré ce qui précède en examinant la preuve documentaire relative à la situation dans le pays. Elle a relevé que la corruption diminuait au sein des forces de sécurité de la Colombie. Elle a aussi discuté en profondeur des succès que la Colombie avait eus dans la lutte contre les FARC et contre les autres groupes armés, dans l’affirmation de son contrôle sur une plus grande partie du territoire et dans la diminution de l’efficacité opérationnelle de ses ennemis. Elle a conclu que la sécurité nationale de la Colombie n’est plus menacée par des groupes armés illégaux ou par des éléments criminels.

 

[12]           Après cela, la Commission a conclu que la première codemanderesse n’avait pas établi que sa protection n’aurait pas pu raisonnablement être assurée par l’État si elle devait retourner en Colombie maintenant, ni qu’il serait objectivement déraisonnable pour elle de solliciter cette protection. Par conséquent, elle a rejeté sa demande d’asile, ainsi que celle des autres demandeurs, puisque leurs demandes étaient entièrement fondées sur les mêmes incidents.

 

Les questions en litige

 

[13]           Les demandeurs soulèvent six questions en litige que je dois examiner :

            1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant que les demandeurs sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger?

            2.         La Commission a‑t‑elle agi sans compétence, outrepassé sa compétence ou refusé d’exercer sa compétence?

            3.         La Commission a‑t‑elle omis d’observer un principe de justice naturelle, d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’elle était légalement tenue de respecter?

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en rendant sa décision ou son ordonnance, que cette erreur soit manifeste ou non au vu du dossier?

            5.         La Commission a‑t‑elle fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans égard à la preuve dont elle disposait?

            6.         La Commission a‑t‑elle contrevenu à la loi de quelque manière que ce soit?

 

[14]           Le défendeur affirme uniquement que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[15]           Après examen des arguments, je reformulerai ainsi les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle mal saisi le critère applicable en matière de protection de l’État?

            3.         La décision était‑elle déraisonnable?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[16]           Les demandeurs affirment en premier lieu que la Commission a mal décrit la preuve se rapportant à la conversation qu’ils avaient eue avec leur ami militaire. Ils font ressortir le témoignage qui démontre que cet ami leur avait dit que le harcèlement ne cesserait pas, qu’ils n’avaient pas d’endroit sécuritaire où se cacher et qu’ils ne recevraient pas de protection, parce que la première codemanderesse n’était ni une politicienne ni une personne bien en vue. Les demandeurs soutiennent que le conseil prodigué par leur ami devrait être considéré comme digne de confiance, puisqu’en tant que lieutenant dans l’armée, il avait des connaissances directes à propos du combat contre les guérilléros.

 

[17]           Les demandeurs prétendent aussi, en invoquant la décision Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, [2013] ACF no 447 (QL) (Majoros), que la Commission a commis une erreur en leur imposant le fardeau juridique de solliciter la protection de l’État et que la preuve documentaire est davantage pertinente. En l’espèce, les FARC sont bien organisées et, même si l’État a arrêté quelques personnes, celui‑ci ne serait pas capable de soustraire les demandeurs à la persécution.

 

[18]           De plus, les demandeurs affirment que la Commission a eu tort de rejeter la preuve relative à la situation dans le pays qu’ils avaient présentée. Le fait que la Commission a privilégié sa propre preuve documentaire reposait sur le raisonnement selon lequel la preuve documentaire présentée par les demandeurs était moins objective; les demandeurs affirment qu’il s’agissait du même type de raisonnement que celui qualifié de très troublant par madame la juge Judith Snider dans la décision Coitinho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037, [2004] ACF no 1269 (QL), au paragraphe 7 (Coitinho). Les demandeurs affirment de surcroît que le rejet de leur preuve était déraisonnable, puisque leurs observations contenaient elles aussi des documents tirés d’un vaste éventail d’organisations non gouvernementales et gouvernementales. En dernier lieu, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de la totalité de la preuve dont elle disposait (voir Villa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1229, 75 Imm LR (3d) 215).

 

[19]           Plus particulièrement, les demandeurs soulignent un rapport rédigé par M. Chernick, un expert au sujet de la Colombie qui a été cité par la Commission dans le passé. Ils font remarquer que, dans la décision Villicana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205, 357 FTR 139, aux paragraphes 72 à 79, le juge Russell a affirmé qu’il était déraisonnable de rejeter un rapport au sujet du Mexique rédigé par un professeur qui, à l’instar de M. Chernick, avait des antécédents impressionnants, sans faire mention de ce rapport. Les demandeurs laissent entendre que le résultat devrait être le même en l’espèce. De plus, la Commission n’a pas tenu compte d’un rapport à l’appui de leur thèse rédigée par le Conseil canadien des réfugiés, et les demandeurs affirment qu’elle avait l’obligation d’expliquer pourquoi cet élément de preuve contradictoire avait été rejeté (voir, entre autres, Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, 403 FTR 46, au paragraphe 66).

 

[20]           Les demandeurs affirment aussi que la Commission a commis une erreur dans son application du critère applicable en matière de protection de l’État et qu’elle a seulement tenu compte des efforts déployés par l’État, et non de l’efficacité de la protection. Les demandeurs affirment que la Commission n’a pas examiné la question qui était réellement en litige, soit celle de savoir si la Colombie peut protéger une personne qui est prise pour cible par les FARC (voir Avila Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1291, 14 Imm LR (4th) 89, aux paragraphes 41 à 47 (Avila Rodriguez); et Martinez Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 898, [2013] ACF no 970 (QL), aux paragraphes 15 à 16 (Martinez Gonzalez)). De plus, les demandeurs prétendent que l’analyse effectuée par la Commission est douteuse même selon ses propres documents, en renvoyant au point 7.3 du Cartable national de documentation : Réponse à la demande d’information, COL104011.EF (30 mars 2012).

 

[21]           Les demandeurs concluent leurs observations en réitérant que l’omission de la Commission de tenir compte des éléments de preuve contradictoires rendait sa décision déraisonnable.

 

Les observations du défendeur

 

[22]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité et il prétend que les demandeurs n’ont pas réussi à produire des éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays qui réfutent la présomption relative à la protection adéquate de l’État. Le défendeur a ensuite résumé le droit applicable en ce qui concerne la protection de l’État et il a fait remarquer que les demandeurs doivent produire des éléments de preuve fiables et probants qui démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État comporte des lacunes ou qu’elle est inadéquate (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636, aux paragraphes 17 à 20, 24 et 30).

 

[23]           En l’espèce, le défendeur fait remarquer que les autorités colombiennes ont déjà pris des mesures contre Margarita Pabon, l’une des personnes impliquées dans les opérations de blanchiment d’argent et qu’elles ont tiré des conclusions raisonnables en ce qui concerne les réussites de l’État dans la lutte contre les FARC et contre la corruption au sein de ses forces de sécurité. Le défendeur affirme aussi que la Cour, dans des décisions rendues récemment, a confirmé la raisonnabilité des conclusions selon lesquelles la Colombie peut protéger de manière adéquate des personnes qui sont dans des situations similaires à celles des demandeurs (voir, entre autres, Mendoza-Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1367, [2012] ACF no 1471, aux paragraphes 82 à 89 (QL) (Mendoza‑Rodriguez); Herrera Arbelaez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1129, [2012] ACF no 1278 (QL)). De plus, le défendeur prétend que cela n’est pas suffisant pour les demandeurs de faire ressortir le caractère mitigé de la preuve documentaire dans un cas où ils ne se sont pas réclamés de la protection de leur État d’origine (voir, entre autres, Borges c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 491, [2005] ACF no 621 (QL), au paragraphe 10; Orduno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1224, [2011] ACF no 1495 (QL), au paragraphe 14).

 

[24]           Dans la même veine, le défendeur prétend qu’il était approprié de la part de la Commission de mettre l’accent sur l’omission des demandeurs de se réclamer de la protection et que son rejet des excuses de la codemanderesse est bien appuyé par la jurisprudence de la Cour (voir, entre autres, Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 724 (Ward); Bolanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 388, [2011] ACF no 497 (QL), au paragraphe 60). Le défendeur affirme aussi que demander des conseils d’un ami dans les forces armées n’est pas assimilable à une tentative de solliciter la protection de l’État.

 

[25]           En dernier lieu, le défendeur affirme que la Cour doit présumer que les tribunaux administratifs ont tenu compte de toute la preuve et que ces derniers n’ont pas l’obligation de renvoyer aux éléments de preuve contradictoire se trouvant dans les sources documentaires (voir Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CA) (Florea); Quinatzin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 937, [2008] ACF no 1168 (QL), au paragraphe 29 (Quinatzin); Salazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 466, [2013] ACF no 527 (QL), aux paragraphes 58 à 61 (Salazar)). Effectivement, un argument similaire avait été mis de l’avant à propos du rapport de M. Chernick dans la décision Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490, [2012] ACF no 1594 (QL), aux paragraphes 14 à 19, et il y avait été conclu que la décision de la Commission était raisonnable à cet égard, malgré le fait qu’elle n’ait pas renvoyé à M. Chernick par son nom. Dans l’ensemble, le défendeur affirme que les demandeurs demandent en réalité à la Cour de pondérer la preuve à nouveau, ce que la Cour ne peut pas faire (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 14 à 18).

 

Analyse et décision

 

[26]           La première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déterminé la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57 (Dunsmuir)).

 

[27]           Le juge en chef Paul Crampton a donné les explications suivantes quant à la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions concernant la protection de l’État dans la décision Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, [2013] ACF no 1099 (QL), au paragraphe 22 :

La norme de contrôle qui s’applique à l’évaluation par la SPR de la question de la protection de l’État dépend de la mesure dans laquelle la conclusion tirée par la Commission découlait de sa compréhension du critère pertinent qui s’applique à la question de la protection de l’État ou de son application de ce critère aux faits de l’espèce. Essentiellement pour les mêmes raisons qui ont été abordées aux paragraphes 20 et 21, dans le premier cas, la norme de contrôle serait celle de la décision correcte (voir aussi Koky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1407, au paragraphe 19 [Koky]), alors que, dans le second, la norme de contrôle serait celle de la décision raisonnable. En résumé, la jurisprudence a défini un critère bien précis en ce qui concerne la protection de l’État (voir, p. ex., Burai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 565, au paragraphe 28 [Burai]; Lakatos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1070, aux paragraphes 1314; Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, au paragraphe 25; et Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, aux paragraphes 42 à 52). Par conséquent, il n’est pas loisible à la SPR d’appliquer un critère différent, et la question de savoir si la SPR a appliqué le critère pertinent devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, l’examen de la possibilité que la SPR ait commis une erreur en appliquant le droit établi aux faits de l’espèce serait une question mixte de fait et de droit qui devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 53; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38 [Hinzman].

 

 

[28]           En l’espèce, les demandeurs prétendent que la Commission a mal compris deux aspects du critère, donc la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte quant à ses questions.

 

[29]           Les autres questions en litige mises de l’avant par les demandeurs concernent toutes l’appréciation des faits par la Commission ou la manière dont celle‑ci a appliqué le droit aux faits. Pour ces questions, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Cela signifie que je ne dois pas intervenir si la décision de la Commission est transparente, intelligible et justifiée, et qu’elle appartient aux issues acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 (Khosa)). Comme a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Khosa aux paragraphes 59 et 61, la Cour qui applique la norme de la raisonnabilité ne peut substituer à la décision l’issue qui serait à son avis préférable, et elle ne peut apprécier à nouveau la preuve.

 

[30]           La deuxième question en litige

            La Commission a-t-elle mal saisi le critère applicable en matière de protection de l’État?

            Les demandeurs affirment que la Commission a mal compris le critère applicable en ce qui concerne la protection de l’État, et ce, de deux manières : (1) elle a imposé aux demandeurs le fardeau de solliciter la protection de l’État, ce qui va à l’encontre de Majoros, et (2) elle a uniquement tenu compte des efforts déployés par l’État, et non de la question de savoir si la protection de l’État était adéquate sur le terrain. Aucune de ces récriminations n’est fondée.

 

[31]           En ce qui concerne la première récrimination, la Commission a bel et bien mis l’accent sur le fait que, pour les pays démocratiques, les demandeurs d’asile devront en temps normal démontrer qu’ils avaient sollicité la protection de l’État. La Commission n’a pas commis d’erreur et son approche va dans le sens de la jurisprudence de la Cour (voir Camacho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 830, [2007] ACF no 1100 (QL), au paragraphe 10). Même dans la décision Majoros, le précédent privilégié par les demandeurs, monsieur le juge Russel Zinn avait reconnu qu’il s’agissait fréquemment d’une exigence pratique, puisqu’une preuve claire et convaincante est nécessaire pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État (au paragraphe 10).

 

[32]           La Commission aurait commis une erreur uniquement si elle n’avait pas compris qu’une demande d’asile peut aussi être accueillie dans l’éventualité où les demandeurs peuvent démontrer qu’il aurait probablement été inutile pour eux de se réclamer de la protection de l’État (voir Ward, à la page 724). À cet égard, la Commission a mentionné à bon droit au paragraphe 23 de sa décision qu’un demandeur d’asile « […] doit convaincre la Commission qu’il a demandé la protection de son État sans pouvoir l’obtenir ou, à titre subsidiaire, qu’il n’est pas possible de s’attendre objectivement à ce que son État le protège » [non souligné dans l’original]. Il s’agit d’une paraphrase de l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4th) 413, au paragraphe 37, de la Cour d’appel fédérale, et ce passage démontre sans aucun doute que la Commission connaissait le critère applicable. De plus, cette compréhension transpire de la décision de la Commission, puisqu’elle ne s’était pas simplement arrêtée à conclure que les demandeurs n’avaient jamais sollicité la protection, mais qu’elle avait ensuite examiné la situation dans le pays.

 

[33]           En ce qui concerne le deuxième argument des demandeurs, la Commission a clairement mentionné au paragraphe 30 de sa décision « […] qu’il ne suffit pas de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour ou l’autre une protection de l’État adéquate. […] Tout effort doit avoir “véritablement engendré une protection adéquate de l’État” sur le plan opérationnel ». La Commission connaissait le critère applicable. De plus, bien que je remettrai en question les éléments sur lesquels la Commission a mis l’accent lorsqu’elle a appliqué le critère, sa décision démontre effectivement que la Colombie a eu des succès sur le plan opérationnel dans sa lutte contre les FARC et dans la réduction de la corruption au sein de ses forces de sécurité. Elle n’a pas seulement mis l’accent sur les efforts déployés par la Colombie, et je crois qu’elle a bien compris le critère applicable.

 

[34]           La troisième question en litige

            La décision était-elle déraisonnable?

            Pour commencer, je conviens avec le défendeur que la Commission n’a pas commis une erreur en rejetant la preuve documentaire des demandeurs. Elle a explicitement mentionné qu’elle privilégiait la preuve contenue dans le Cartable national de documentation, parce que les sources y étaient plus fiables. En d’autres mots, elle a apprécié la preuve documentaire des demandeurs et elle a conclu que celle‑ci était insuffisante. Il ne s’agit pas d’une situation comme celle dans la décision Coitinho. Dans cette affaire, la Commission avait commis une erreur en rejetant la preuve se rapportant à la situation personnelle d’un demandeur d’asile, sans tirer de conclusion quant à sa crédibilité. En l’espèce, le conflit est uniquement entre des éléments de preuve documentaire et la Commission devait faire un choix entre des rapports contradictoires. Il ne m’appartient pas, à ce stade‑ci, de critiquer le choix en question.

 

[35]           De plus, les tribunaux administratifs sont présumés avoir pris en compte la totalité des éléments de preuve (Florea, au paragraphe 1). Parfois, dans un cas où un tribunal administratif ne fait pas mention d’un élément de preuve probant qui va à l’encontre de ses conclusions, la Cour conclura que le tribunal en question n’en a pas tenu compte (voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), 157 FTR 35, aux paragraphes 15 à 17).

 

[36]           Le défendeur fait remarquer que la Cour a parfois été plus hésitante à tirer une telle conclusion en ce qui a trait à la preuve sur la situation dans le pays (voir Shen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1001, [2007] ACF no 1301 (QL), au paragraphe 6; Quinatzin, au paragraphe 29, et Salazar, au paragraphe 59). Il y a de bonnes raisons à cela. La documentation sur le pays consiste habituellement en une centaine de pages provenant de sources secondaires qui rapportent de l’information provenant d’une quantité encore plus importante de sources primaires et d’autres sources secondaires. Plusieurs perspectives différentes y sont rapportées et il y aura inévitablement des renseignements en contradiction quant à un grand nombre de questions importantes. À cause de cela, il sera presque toujours possible d’extraire quelque citation de la preuve documentaire qui étaye une position et ensuite de prétendre que la Commission n’a pas tenu compte de cet élément de preuve, parce qu’elle n’a pas expressément fait mention de ces documents par leur nom.

 

[37]           Cependant, le contrôle judiciaire ne devrait pas être une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). Il ne serait ni pratique ni efficace de s’attendre d’un tribunal administratif à ce qu’il précise méticuleusement quel poids il accorde à la preuve de chaque source et à chaque source à l’intérieur d’une autre source pour chaque question au sujet de laquelle il existe des données contradictoires. Dans le meilleur cas, cela favoriserait une lecture [traduction] « par mot magique » des motifs, alors que les tribunaux administratifs seraient incités à dresser, de manière générique, une liste de documents pour établir qu’ils les ont consultés, mais cela n’apporterait aucune valeur ajoutée à la décision.

 

[38]           De plus, en raison du volume important de preuve documentaire, il est beaucoup plus difficile d’inférer de manière fiable qu’un élément de preuve bien précis avait été ignoré du simple fait qu’il n’avait pas été expressément mentionné.

 

[39]           Par conséquent, si la Commission explique sur quels éléments de preuve documentaire elle se fonde et qu’il s’agit d’une preuve fiable qui appuie raisonnablement ses conclusions, le fait de déceler quelques citations qui contredisent cette preuve et que le tribunal a rejetées sans expressément avoir donné des explications à l’appui de ce rejet ne rendra pas la décision déraisonnable. Si, d’un autre côté, la preuve contradictoire est abondante et que la Commission n’explique pas quels éléments de preuve documentaire appuient ses conclusions, il pourrait alors être plus facile de conclure que la décision était déraisonnable.

 

[40]           La Commission a néanmoins bel et bien commis une erreur dans la présente affaire. Bien que la Commission ait compris le critère applicable, je souscris ultimement à la prétention des demandeurs selon laquelle la Commission a commis une erreur en ne se penchant pas sur la question principale : les personnes ayant spécifiquement été prises pour cibles par les FARC peuvent‑elles se réclamer de la protection de l’État? La Commission a plutôt concentré son examen de la preuve documentaire sur la situation dans le pays, sur la corruption au sein des forces de sécurité et sur les réussites militaires contre les FARC et contre les autres guérilléros. Les demandeurs ne s’étaient pas sauvés des premières lignes du combat; ils fuyaient le crime. La réduction des capacités militaires des FARC ne signifie pas que l’État peut protéger les gens ayant été spécifiquement pris pour cibles par les FARC à des fins de harcèlement ou d’extorsion. Le commissaire devait se pencher sur cette question et les motifs ne démontrent pas qu’il l’ait fait. Par conséquent, je conclus que la décision est déraisonnable (voir Martinez Gonzalez, au paragraphe 16, et Avila Rodriguez au paragraphe 46).

 

[41]           En dernier lieu, le défendeur a aussi fait remarquer que, à plusieurs reprises, la Cour a confirmé des décisions par lesquelles la Commission concluait que la protection de l’État en Colombie était adéquate pour les personnes dans la situation des demandeurs. Il est toutefois possible d’effectuer une distinction entre la présente affaire et les quelques décisions qu’il cite à l’appui de son observation. Dans la décision Mendoza-Rodriguez par exemple, la Commission avait conclu que les demandeurs avaient menti à propos du fait qu’ils étaient poursuivis par un membre d’une organisation paramilitaire (au paragraphe 84), de sorte qu’ils ne devaient pas être protégés contre qui que ce soit. De toute manière, la Cour examine les conclusions de fait relatives à la protection de l’État uniquement pour établir si elles sont raisonnables, et chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres (voir Konya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 975, [2013] ACF no 1041 (QL)). La possibilité qu’un commissaire puisse raisonnablement conclure que la protection de l’État est adéquate dans de telles situations n’excuse pas que la Commission n’ait pas réellement examiné si c’était le cas en l’espèce.

 

[42]           Il s’ensuit que j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, que j’annulerais la décision de la Commission et que je renverrais l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision.

 

[43]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale en vue de sa certification.

 

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


                                                            ANNEXE

 

Les dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérentes à celles-ci ou occasionnées par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-296-13

 

INTITULÉ :

ANGEL ANDRES VARGAS BUSTOS

ANDREA EUGENIA SAOGAL RIVEROS

EDILMA BUSTOS DE VARGAS

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 22 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE O’KEEFE

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 31 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Alla Kikinova

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Balqees Mihirig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alla Kikinova

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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