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Date : 20140131


Dossier :

IMM-6327-12

 

Référence : 2014 CF 115

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

LESLAW DAWIDOWICZ

DAWIDOWICZ DAWID

(alias DAWID MOJZESZ DAWIDOWICZ)

DANUTA DAWIDOWICZ

MIRANDA DAWIDOWICZ

ANDRZEJ DAWIDOWICZ

KLAUDINA JULIA MIRGA

(alias KLAUDYNA JULIA MIRGA)

 

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Ceux‑ci demandent maintenant le contrôle judiciaire de la décision en question au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

 

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance en annulation de la décision défavorable et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               Les demandeurs sont une famille rom de trois générations de la Pologne. Ils sont arrivés au Canada le 15 avril 2011 et ont demandé l’asile peu après. Les dix demandes d’asile étaient essentiellement fondées sur l’exposé circonstancié du père/grand-père, Leslaw Dawidowicz (le demandeur principal).

 

Décision

 

[4]               La Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs dans une décision datée du 23 mai 2012.

 

[5]               La Commission a commencé par énoncer les allégations des demandeurs. Les demandeurs craignaient de subir des actes de violence de la part de skinheads et de la discrimination équivalent à la persécution. Le demandeur principal a relaté de nombreux incidents à l’appui des demandes d’asile, y compris des agressions violentes. Les efforts qui sont déployés pour obtenir une protection ont donné des résultats mitigés : parfois, la police n’intervenait pas; une fois, la police a arrêté les agresseurs; une autre fois, c’est eux que la police a détenus.

 

[6]               La protection de l’État représente la question déterminante, et la Commission a écrit au paragraphe 8 que la question consistait à savoir « s’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités polonaises déploient de sérieux efforts pour protéger les demandeurs d’asile si ceux-ci devaient retourner en Pologne, et non de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que ces autorités leur offrent une protection de fait efficace ou garantie ». De plus, les demandeurs devaient fournir des éléments de preuve clairs et convaincants étant donné que la Pologne est une démocratie parlementaire.

 

[7]               En l’espèce, la Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau. Même si la police locale n’avait pas pu protéger les demandeurs à certaines occasions, la Commission a affirmé que ces manquements n’équivalaient pas à une absence de protection de l’État à moins qu’il ne s’agisse de symptômes d’une incapacité générale de l’État de protéger ses citoyens. De plus, la Commission a conclu que la Pologne n’était pas un agent de persécution et qu’elle luttait contre la discrimination et offrait une protection suffisante de sorte que les craintes des demandeurs n’étaient pas fondées.

 

[8]               La Commission a ensuite expliqué ses conclusions en citant un certain nombre de sources et a conclu que des mécanismes de protection étatiques existaient et étaient offerts aux minorités ethniques. Pour ces raisons, les demandes d’asile des demandeurs ont été rejetées au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

Demande de contrôle judiciaire

 

[9]               Les dix demandeurs d’asile ont demandé le contrôle judiciaire. Cependant, quatre d’entre eux (Klaudiusz Dawidowicz, Kornela Klaudia Kowalsk , Chanel Irena Kowalsk et Juliano Gabriel Kowalski) ont depuis produit un avis de désistement.

 

Questions en litige

 

[10]           Les demandeurs soumettent deux questions que je dois trancher :

            1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’évaluer raisonnablement les éléments de preuve globalement, sans tenir compte des éléments de preuve dans leur totalité?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son interprétation de la définition et dans son évaluation de la persécution et de la protection de l’État?

 

[11]           Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission concernant la protection de l’État est raisonnable.

 

[12]           Je reformulerais en ces termes les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a‑t‑elle mal compris les critères applicables à la persécution et à la protection de l’État?

            3.         La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

 

Observations écrites des demandeurs

 

[13]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité et que la décision était déraisonnable.

 

[14]           D’abord, les demandeurs soulignent que la Commission ne s’est pas prononcée sur la crédibilité des demandeurs et qu’il y a lieu de présumer qu’elle a accepté leurs prétentions, y compris celles concernant l’incapacité de la police d’intervenir. En fait, pendant l’audience, la Commission a abordé directement avec eux les questions de la protection de l’État et de la discrimination par rapport à la persécution et a posé très peu de questions. Les demandeurs soutiennent qu’une audience courte est incompatible avec un examen raisonnable des questions en litige et soutiennent que la décision était déraisonnable.

 

[15]           De plus, les demandeurs soutiennent que la Commission a appliqué le mauvais critère. Particulièrement, ils contestent l’affirmation faite par la Commission au paragraphe 11 selon laquelle les demandeurs « ne craignent pas avec raison d’être persécutés, car ils bénéficient de la protection offerte par l’État et l’UE en Pologne ». Ils soutiennent que la Commission a commis une erreur en faisant une telle affirmation à titre de lien de cause à effet et en procédant à une analyse de la protection de l’État sans évaluer si les actes cumulatifs de discrimination équivalaient à de la persécution (voir Munderere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 84, au paragraphe 42, 291 DLR (4e) 68; Hegedüs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1366, au paragraphe 2, [2011] ACF no 1669 (QL); Bledy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, aux paragraphes 35 et 36, 97 Imm LR (3e) 243; notamment).

 

[16]           Les demandeurs soutiennent de plus que la Commission a clos sa décision en citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], et affirmant que le refus d’accorder l’asile constituait une issue raisonnable. Les demandeurs soutiennent qu’une telle conclusion revient à la Cour et que la Commission avait eu tort d’essayer de prédire l’issue d’un contrôle judiciaire.

 

[17]           Enfin, les demandeurs contestent l’analyse de la protection de l’État effectuée par la Commission et soutiennent que celle‑ci a appliqué le mauvais critère en se contentant d’exiger de « sérieux efforts pour protéger ». Selon les demandeurs, il ne s’agit pas du bon critère. La Commission devait plutôt examiner le caractère adéquat au plan opérationnel ou l’efficacité des efforts qui sont présentement déployés, ce qu’elle n’a pas fait (voir notamment Bautista c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126, aux paragraphes 8, 10 et 15, [2010] ACF no 153 (QL); Harinarain Kumati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1519, aux paragraphes 27, 28, 34, 39 et 42, [2012] CAF no 1637 (QL) [Harinarain]; Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, aux paragraphes 11, 12, 15 et 16, [2012] ACF no 1545 (QL)). De l’avis des demandeurs, le terme « adéquate » signifie une protection efficace, mais pas dans tous les cas, et il ne s’agit pas d’une protection assurée.

 

[18]           Si la Commission avait appliqué le bon critère, selon les demandeurs, les sources consultées par celle‑ci montrent qu’aucune protection n’existe au niveau opérationnel. Elles font plutôt état des éléments suivants : corruption policière; discrimination et violence contre les Roms; ségrégation des Roms; taux de chômage de 80 p. 100 parmi les Roms; et les efforts qui ont été déployés pour améliorer la situation n’ont eu qu’un effet limité. De plus, elles indiquent que la Commission a mal interprété la réponse à la demande d’information. Les demandeurs soutiennent que les éléments de preuve montrent que la Commission s’est trompée et que le défaut de celle‑ci de prendre en considération les éléments de preuve contradictoires rend la décision déraisonnable (voir Ignacz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1164, aux paragraphes 23 et 30, [2013] ACF no 1253 (QL); Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), aux paragraphes 15 à 17, 157 FTR 35).

 

[19]           Globalement, les demandeurs soutiennent que l’omission de la Commission d’examiner le caractère adéquat au plan opérationnel et de dûment examiner les éléments de preuve qu’ils ont présentés rendent la décision déraisonnable.

 

 

Observations écrites du défendeur

 

[20]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité et que la décision était raisonnable.

 

[21]           Le défendeur affirme qu’il incombe aux demandeurs de réfuter la présomption de la protection de l’État et que le critère applicable est le caractère adéquat, et non pas l’efficacité (voir Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, aux paragraphes 30 et 38, [2008] 4 RCF 636). En l’espèce, les éléments de preuve relatifs aux interventions de la Pologne concernent les actes perpétrés contre les minorités sont mitigés et ne réfutaient pas la présomption de protection de l’État. En ce qui concerne l’affirmation des demandeurs voulant que la Commission n’ait pas tenu compte d’éléments de preuve, les défendeurs soulignent qu’ils n’ont pas donné d’exemples de quelques contradictions que ce soit entre les conclusions de la Commission et les éléments de preuve documentaires. Il n’y a donc pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

Analyse et décision

 

[22]           Question en litige 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle devant s’appliquer à une question, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[23]           Les parties prétendent que la norme de contrôle applicable à l’ensemble des questions est la raisonnabilité, mais je ne suis pas d’accord avec elles. Le juge en chef Paul Crampton a récemment expliqué la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à la persécution et à la protection de l’État dans Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 22, [2013] ACF no 1099 (QL) [Ruszo]. Essentiellement, étant donné que la jurisprudence a mis au point des critères clairs pour les deux éléments, une commission ne peut pas y déroger. Par conséquent, lorsque les demandeurs allèguent qu’une commission a mal compris le critère, la norme applicable est celle de la décision correcte, et aucune retenue ne s’impose à l’égard de la compréhension par la Commission des critères qui s’appliquent. Toutefois, lorsque les demandeurs contestent la façon dont les critères ont été appliqués à l’égard des faits, il s’agit de questions mixtes de droit et de fait, et la norme applicable est celle de la raisonnabilité (Ruszo, aux paragraphes 20 à 22; Gur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 992, au paragraphe 17, [2012] ACF no 1082 (QL); Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38, 282 DLR (4e) 413 [Hinzman]). En l’espèce, les demandeurs allèguent que la Commission a commis les deux types d’erreurs, de sorte que j’examinerai le premier type en fonction de la norme de la décision correcte et le dernier, en fonction de la raisonnabilité.

 

[24]           En appliquant la norme de la raisonnabilité, je n’interviendrai pas si la décision de la Commission est transparente, justifiée, intelligible et s’il appartient aux issues possibles acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47; et Khosa, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a soutenu dans Khosa, aux paragraphes 59 et 61, un tribunal examinant le caractère raisonnable d’une décision ne peut pas substituer l’issue qui serait à son avis préférable, ni réévaluer les éléments de preuve.

 

[25]           Question en litige 2

            La Commission a‑t‑elle mal compris les critères applicables à la persécution et à la protection de l’État?

            Le premier argument des demandeurs veut que la Commission a omis d’examiner le bien‑fondé des craintes des demandeurs puisqu’elle n’a pas évalué la question de savoir si les actes discriminatoires cumulatifs équivalaient à de la persécution. Elle a plutôt uniquement évalué la protection de l’État et déterminé que la crainte n’était pas fondée étant donné qu’une protection de l’État est offerte.

 

[26]           La Commission n’a commis aucune erreur à ce sujet. Dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à 712, la Cour suprême du Canada a affirmé que « si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d’être persécuté ». Dans la même veine, dans Hinzman, la Cour d’appel fédérale a affirmé la même chose au paragraphe 42 :

Pour établir si la crainte d’être persécuté qu’éprouve un demandeur d’asile est fondée objectivement, la première étape de l’analyse consiste à évaluer si le demandeur peut être protégé de la persécution alléguée par son État d’origine. […] Quand l’État offre une protection suffisante, le demandeur ne peut pas prouver que sa crainte d’être persécuté est fondée objectivement et, par conséquent, il ne peut pas se voir accorder l’asile. Ce n’est qu’en l’absence de protection étatique que la cour doit passer à la seconde étape, où elle examine si la conduite que le demandeur assimile à de la persécution peut fournir un fondement objectif à une crainte de persécution.

 

[27]           La Commission a par conséquent eu raison d’aborder la question comme elle l’a fait. Comme elle avait jugé que la protection était suffisante, il n’était pas nécessaire de poursuivre l’évaluation pour voir si les actes cumulatifs de discrimination équivalaient à de la persécution étant donné qu’une telle conclusion n’aurait pas changé le résultat.

 

Critère de la protection de l’État

 

[28]           En ce qui concerne le critère de la protection de l’État, la Commission a affirmé ce qui suit dans sa décision :

[6]        Puisqu’il y a lieu de présumer que les États sont en mesure de protéger leurs citoyens, la question importante que je dois trancher est de savoir s’il existe des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que les autorités polonaises ne pourraient pas, selon la prépondérance des probabilités, déployer de sérieux efforts pour protéger les demandeurs d’asile s’ils devaient retourner en Pologne maintenant. Il était loisible aux demandeurs d’asile de réfuter la présomption de protection de l’État en présentant des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant qu’une protection suffisante ne pourrait pas leur être raisonnablement assurée.

 

[8]        Selon le droit en matière de protection des réfugiés, les États sont tenus uniquement d’offrir une protection adéquate, et non d’assurer une protection parfaite. En d’autres termes, ils doivent seulement déployer de sérieux efforts pour protéger leurs citoyens, mais ils n’ont pas, de fait, à offrir une protection efficace ni à en garantir une. Ainsi, en ce qui concerne la protection de l’État en l’espèce, la question est uniquement de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités polonaises déploient de sérieux efforts pour protéger les demandeurs d’asile si ceux-ci devaient retourner en Pologne, et non de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que ces autorités leur offrent une protection de fait efficace ou garantie.

 

 

[12]      Selon le dernier United States of America (US) Department of State country report [rapport national du Département d’État des États-Unis d’Amérique, l’État de la Pologne ne tolère pas la violence ou la discrimination à l’endroit des minorités ethniques. Il y est également mentionné que la Pologne déploie de sérieux efforts, tant dans ses politiques que dans la pratique, pour lutter contre la violence et la discrimination à l’endroit des minorités ethniques, notamment :

 

 

[15]      La Réponse à la demande d’information POL103089.EF mentionne également la même chose : même si la protection de l’État pour les minorités ethniques en Pologne n’est pas parfaite, il existe effectivement des mécanismes de protection adéquats auxquels elles ont accès.

 

 

[17]      Ayant examiné les documents objectifs susmentionnés sur les conditions dans le pays, j’estime ne pas être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités polonaises ne déploieraient des efforts sérieux et raisonnables pour protéger les demandeurs d’asile s’ils devaient retourner en Pologne. Par conséquent, je conclus, à la lumière de la preuve, que les demandeurs d’asile n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

 

(Renvois omis)

 

[29]           Dans Harinarain, j’ai écrit ::

[26]   Cependant, la Commission parle souvent dans sa décision des « sérieux efforts » fournis ou à fournir par les États pour protéger leurs citoyens. Elle y invoque cette notion au moins dix fois, y compris dans sa formulation du critère applicable à la détermination de la qualité de réfugié :

 

Selon le droit en matière d’octroi de l’asile, l’État d’origine doit seulement offrir une protection adéquate; il n’a pas à assurer une protection parfaite. En d’autres termes, il doit seulement faire de sérieux efforts pour protéger ses citoyens et n’a pas à assurer une protection effective ou garantie dans les faits.

 

[27]      La Commission a tort de dire « [e]n d’autres termes » dans ce passage : la « protection adéquate » et les « sérieux efforts pour protéger [les] citoyens » sont deux choses différentes. L’une concerne la question de savoir si la protection est effectivement assurée dans un pays donné, tandis que les autres ne nous renseignent que sur celle de savoir si l’État a pris des mesures afin de garantir cette protection.

 

[28]      C’est une maigre consolation pour la personne qui craint d’être persécutée que son État ait fait des efforts pour la protéger si ceux‑ci ne sont pas ou guère suivis d’effet. C’est pourquoi la Commission doit évaluer dans sa réalité empirique le caractère adéquat de la protection de l’État.

 

[29]      Notre Cour a avalisé à maintes reprises cette interprétation du critère de la protection de l’État. Monsieur le juge Roger Hughes, par exemple, s’est exprimé sans ambiguïté à ce propos au paragraphe 8 de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1176, [2010] ACF no 1589 :

.

 

Une autre erreur de droit a trait à la nature de la protection de l’État. En l’espèce, le commissaire a conclu que le Mexique « fait de sérieux efforts » pour résoudre le problème. Ce n’est pas là le critère. Ce qui doit être pris en compte est l’efficacité réelle de la protection.

 

[30]      Monsieur le juge Michel Beaudry a formulé le même principe au paragraphe 10 de Garcia Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 126, [2010] ACF n153 :

 

D’abord, [la Commission] a apprécié la preuve concernant les critiques de l’efficacité de la loi au regard de la preuve concernant les mesures prises pour traiter les problèmes de violence conjugale. Cela ne suffit pas à justifier une conclusion d’existence de la protection de l’État; on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place (A.T.V. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),2008 CF 1229, 75 Imm. L.R. (3d) 215, au paragraphe 14).

 

[31]      Enfin, Madame la juge Catherine Kane a réitéré ce principe au paragraphe 44 de la toute récente décision Ferko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1284 :

 

Le critère n’est pas une protection de l’État « parfaite », mais adéquate. Là encore, la simple volonté de protéger ne suffit pas; la protection de l’État doit présenter un certain niveau d’efficacité : Bledy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, 97 Imm LR (3d) 243, au paragraphe 47.

 

[32]      Donc, la Commission a de toute évidence mal défini le critère juridique applicable. …

 

 

[30]           En l’espèce, le commissaire a renvoyé à la « protection suffisante » et « de sérieux efforts, tant dans ses politiques que dans la pratique ». Cependant, au paragraphe 17 de la décision, la Commission applique clairement le critère des « efforts sérieux » et, à mon avis, le paragraphe 17 contient la conclusion essentielle de la décision. De plus, au paragraphe 8 de la décision, la Commission adopte également le critère des « efforts sérieux ». Selon ces affirmations, j’estime que la Commission a appliqué le mauvais critère en ce qui concerne sa conclusion sur la protection de l’État.

 

[31]           Par conséquent, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[32]           À cause de ma conclusion en l’espèce, je n’examinerai pas la question en litige résiduelle.

 

[33]           Aucune partie n’a souhaité soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 

[34]           Le défendeur, avec le consentement des demandeurs, a demandé que Klaudiusz Dawidowicz, Kornela Klaudia Kowalska, Juliano Gabriel Kowalski (alias Julianno Gabrie Kowalski) et Chanel Irena Kowalsk (alias Chanel Irena Kowalska) ne figurent plus parmi les demandeurs. J’accède à cette demande.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

2.         L’intitulé est modifié par la suppression des noms Klaudiusz Dawidowicz, Kornela Klaudia Kowalska, Juliano Gabriel Kowalski (alias Julianno Gabrie Kowalski) et Chanel Irena Kowalsk (alias Chanel Irena Kowalska) à titre de demandeurs.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 

 


                                                ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérentes à celles-ci ou occasionnées par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-6327-12

 

INTITULÉ :

LESLAW DAWIDOWICZ, DAWIDOWICZ DAWID, (alias DAWID MOJZESZ DAWIDOWICZ),

DANUTA DAWIDOWICZ, MIRANDA DAWIDOWICZ, ANDRZEJ DAWIDOWICZ, KLAUDINA JULIA MIRGA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :            

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 23 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                                                               LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :

                                                            LE 31 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Daisy McCabe-Lokos

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

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