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Date : 20140131


Dossier :

IMM-12682-12

 

Référence : 2014 CF 117

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Roy

 

ENTRE :

GUY NDAMBI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]          Monsieur Guy Ndambi, le demandeur en l’espèce, fait une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi). Il se plaint que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SPR ») lui ait refusé la protection des articles 96 et 97 de la Loi. Ainsi, le demandeur se réclame du statut de réfugié au sens de la Convention (article 96) et il aurait la qualité de personne à protéger (article 97). La SPR a conclu dans les deux cas que le demandeur ne se qualifiait pas. À mon avis, cette décision n’est pas déraisonnable.

 

Faits

[2]          Les faits qui ont amené le demandeur, qui fait partie de la communauté tutsie du Burundi, commencent en mars 2011, mais ont leur origine bien avant.

 

[3]          En effet, les incidents de 2011 sont relatifs à un terrain que le demandeur aurait acquis en 1998 du gouvernement d’alors, en pleine période de guerre civile, mais dont il aurait complété le transfert uniquement en 2003. Nous avons au dossier un document que l’on intitule « Contrat de vente », en date du 25 juin 2003, entre l’État du Burundi et le demandeur, pour un terrain destiné à un usage résidentiel. Le document ne comporte que cinq articles, mais l’un de ceux-ci, l’article 3, prévoit que le propriétaire ne peut détourner le terrain de sa destination prévue au présent contrat. On y déclare qu’il « [E]st interdit notamment tout usage qui pourrait revêtir un caractère Commercial ou Industriel y compris des activités de culture ou d’élevage ». Pourtant, dans son affidavit, le demandeur déclare que

9.  Depuis 1998, j’ai exploité cette terre, et elle nourrissait ma famille, mon revenu familial n’étant pas suffisant pour nourrir ma famille nombreuse;

 

[4]          Aucun titre de propriété n’est trouvé au dossier. On n’y trouve qu’une attestation d’appartenance de parcelle, sous la signature du maire de la ville de Bujumbura. Ladite attestation est présentée comme soutenue par des documents qui sont une « Convention sous- seing privée du 17/10/1998 » et une « Attestation de vente du 26/08/2002 ».

 

[5]          Quoi qu’il en soit, le demandeur prétend qu’un certain pasteur Samuel Bucumi, de la communauté hutue, se serait approprié cette propriété foncière en mars 2011. Il prétend avoir essayé de récupérer sa propriété en se présentant au chef de quartier avec tous ses documents de propriété. Cette démarche n’aura pas produit les résultats escomptés. Le demandeur aurait alors fait une mise en demeure au pasteur qui, dit-il, avait déjà commencé à construire sur le terrain. Le demandeur aurait été chassé par certaines milices.

 

[6]          Le demandeur prétend avoir été convoqué au Service national de renseignement. Il aurait été incarcéré durant sept jours au cours desquels il aurait été torturé et battu.

 

[7]          On trouve au dossier une « Ordonnance » manuscrite datée du 6/6/200? (l’année n’est pas lisible) où une estampille suggère qu’il s’agirait du Centre de santé « KIRA » et dont le texte indique que le demandeur « a été admis dans notre Centre de santé pendant la période du 20 mai au 6 juin 2011 ». On y dit qu’il « a été hospitalisé pendant la période ci-haut citée pour coups et blessures ». Aucune précision n’est offerte.

 

[8]          Le demandeur aurait été attaqué le 21 juin 2011 alors qu’il rentrait chez lui. Le véhicule dans lequel il prenait place aurait été attaqué et le chauffeur dudit véhicule aurait été atteint mortellement. Paradoxalement, le Formulaire de renseignements personnels rempli le 12 septembre 2011 par le demandeur fait état de « crépitements d’armes » entendus par ce dernier; pourtant, dans son affidavit du 28 janvier 2013, le demandeur indique au paragraphe 19 que « Peu de temps après, j’ai été attaqué à la grenade, un chauffeur qui était avec moi est mort sur-le-champ. » La SPR était face à deux écrits relatifs à un évènement tragique où un élément essentiel apparaît comme n’étant pas concordant d’une version à l’autre.

 

[9]          Le demandeur a alors choisi de se cacher mais, le 18 juillet 2011, des gens auraient trouvé la cachette du demandeur. Celui-ci déclare que « ils ont tué l’enfant de cette famille d’hébergement âgé environs (sic) de 12 ans, alors que les parents n’étaient pas là ». Mais aucun détail n’est fourni.

 

[10]      Le demandeur s’est alors adressé aux ambassades de Belgique et des États-Unis pour obtenir des visas. Les visas auraient été accordés les 1er et 4 août 2011, mais le demandeur n’a quitté le Burundi que le 18 août 2011 pour les États-Unis, arrivant au Canada après avoir voyagé de Washington DC, qui avait été son point d’arrivée aux États-Unis, le 24 août 2011, date à laquelle il a demandé asile.

 

La décision

[11]      Confrontée à cette version des faits, la SPR devait conclure que le demandeur ne peut se prévaloir des articles 96 et 97 de la Loi. Quant à la partie de la demande sur l’article 96, la SPR a conclu qu’une dispute relativement à un terrain ne rencontre pas les sujets prévus au terme de la Loi. Ainsi, les mots introductifs de l’article 96 se lisent de la façon suivante :

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison qu’elle soit persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

[12]      La SPR déclare au paragraphe 26 de sa décision :

[26]      Le tribunal estime qu’un droit de propriété ne constitue pas un droit de la personne et si le demandeur d’asile peut vivre sans être persécuté ou sans risque dans son propre pays en se dégageant uniquement de la propriété, alors il est tenu de le faire avant de demander une protection internationale.

 

 

[13]      Quant à l’article 97 qui traite de la personne à protéger parce que faisant face à un certain risque, la SPR a tout simplement conclu que le demandeur avait failli dans sa tentative de démontrer une crainte subjective.

 

Norme de contrôle et analyse

[14]      À mon avis, même si les motifs de la décision donnés par la SPR ne sont pas un modèle de clarté, le demandeur a failli à son fardeau de démontrer que la décision n’est pas raisonnable. Pour ce qui est des questions factuelles, il est clair depuis Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, [Dunsmuir] que les questions factuelles sont soumises à la norme de la décision raisonnable. Quant aux questions de droit, la norme de la décision correcte est réservée aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. Il convient de rappeler ce passage tiré de Information and Privacy Commissioner c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 :

[34]      … Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle – et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir – , il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d]’une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

 

[15]      Ainsi, la Cour fait preuve de déférence à l’endroit de la SPR lorsque celle-ci conclut qu’un droit de propriété ne constitue pas un droit de la personne. La question de l’origine ethnique du demandeur est en toile de fond, mais il n’a jamais été démontré que la source des difficultés était autre chose que la propriété d’un terrain acquis sans grande transparence et semble-t-il exploité à une fin autre que ce que le contrat prévoyait. La SPR s’en est tenue à cela. Le demandeur devait démontrer que cette conclusion n’est pas raisonnable.

 

[16]      Il m’a semblé tout à fait raisonnable que la SPR conclue que les difficultés rencontrées par le demandeur au Burundi procèdent de son acquisition d’une parcelle de terre quelque part entre 1998 et 2003. Il en aura été exproprié et le conflit semble avoir dégénéré. Malheureusement, comme c’est souvent le cas, le dossier factuel est incomplet. Mais c’est le dossier à partir duquel il faut examiner l’affaire. La preuve documentaire est à l’effet que les conflits autour des terrains à être octroyés sont fréquents au Burundi. Mais l’article 96 de la Loi est clair : on est réfugié que lorsque l’on est persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Aucune telle démonstration n’a été faite ici. Au mieux, le demandeur suggère qu’il « fait partie d’un groupe social des expropriés qui cherchent à réclamer leur terre, leur droit à la propriété ». La SPR pouvait conclure comme elle l’a fait, ne retenant pas cet argument qui n’était d’ailleurs soutenu par aucune autorité.

 

[17]      Quant à la demande faite sur la base de l’article 97 de la Loi, la SPR avait amplement de preuve pour conclure que la crainte subjective n’était pas présente. De toute façon, le fardeau était celui du demandeur et il ne s’en est pas déchargé.

 

[18]      J’ai une certaine sympathie pour le demandeur lorsqu’il argumente que la mention par la SPR qu’il aurait pu tenter d’aller en Belgique puisqu’il doit y avoir des amis n’est pas tout à fait réaliste. En effet, le passage du demandeur en Belgique remonte à la fin des années 70, au cours de ses études. De penser que des amitiés puissent avoir tenues jusqu’à ce jour, sans preuve concrète, ne me semble pas être autre chose que de la spéculation. Je ne retiendrais pas contre le demandeur qu’il n’ait pas choisi la Belgique pour refuge. Ce que cela démontrerait, au mieux, est une certaine familiarité avec la Belgique. Mais le fait que le demandeur ait obtenu un visa à partir même du Burundi, qu’il ait choisi d’attendre plus de deux semaines après que les visas pour les États-Unis et la Belgique aient été émis pour quitter et que, arrivé aux États-Unis, il n’a pas fait de demande d’asile me semblent être des éléments solides pour conclure comme l’a fait la SPR.

 

[19]      Le demandeur déclare à son affidavit du 28 janvier 2013 qu’il a choisi de venir au Canada parce que c’est là que se trouvait son neveu. Cela participe davantage d’un choix fait consciemment à des fins d’immigration que de la décision prise de trouver refuge là où on peut. La SPR note d’ailleurs la décision du juge Rothstein, alors de cette Cour, dans Mohamed c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le 9 avril 1997), IMM-2248-96, au paragraphe 9 :

The Geneva Convention exists for persons who require protection and not to assist persons who simply prefer asylum in one country over another. The Convention and the Immigration Act should be interpreted with the correct purpose in mind.

 

Ainsi, la SPR conclut de la manière suivante quant à l’article 97 de la Loi :

[39]     L’absence de demande d’asile en Belgique et aux États-Unis dénote peu de crainte subjective du demandeur, car il ne s’agit pas de choisir le meilleur pays pour nous accueillir mais plutôt de protéger son intégrité physique en réclamant au premier moment et dans le premier pays que l’on foule la protection des autorités. Le tribunal détermine que le manque de demande d’asile tant en Belgique qu’aux États-Unis mine la crédibilité et la crainte subjective du demandeur.

 

[20]      À mon avis, la décision de la SPR à cet égard participe de la raisonnabilité. Comme la Cour suprême le note dans Dunsmuir, ci-dessus, le tribunal administratif peut opter pour l’une ou l’autre des solutions rationnelles acceptables. Ainsi, « [L]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (au paragraphe 47). C’était au demandeur de démontrer que la décision n’était pas raisonnable considérant la preuve faite. Cela n’a pas été fait.

 

[21]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question importante à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question importante à certifier.

 

 

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            IMM-12682-12

 

INTITULÉ :

GUY NDAMBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 20 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 31 janvier 2014

COMPARUTIONS :

Me Pacifique Siryuyumusi

 

Pour le demandeur

 

Me Dah Yoon Min

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Syryuyumusi Law Office

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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