Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140122


Dossier :

T‑1225‑13

 

Référence : 2014 CF 74

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2014

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

ASAD STANIZAI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               M. Asad Stanizai demande à la Cour de rendre une ordonnance de mandamus obligeant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à lui attribuer la citoyenneté canadienne. Il allègue que sa demande de citoyenneté a été approuvée par un juge de la citoyenneté et qu’il satisfait à toutes les conditions d’attribution de la citoyenneté prévues par la loi.

 

[2]               Le défendeur soutient que M. Stanizai n’a pas obtenu l’attestation de vérification nécessaire en matière d’immigration et qu’il fait actuellement l’objet d’une procédure visant la perte de son statut devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, de sorte qu’il n’a pas actuellement droit à la citoyenneté canadienne.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Stanizai satisfait à toutes les conditions d’attribution de la citoyenneté, que sa demande de citoyenneté a été approuvée par un juge de la citoyenneté et qu’aucun nouveau renseignement porté à l’attention des autorités de l’immigration canadienne après que le juge de la citoyenneté eut rendu sa décision ne justifierait que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête en mandamus dans la présente affaire. Par conséquent, une ordonnance de mandamus sera prononcée.

 

Contexte

[4]               M. Stanizai est un citoyen de l’Afghanistan qui est arrivé au Canada en 1995. En 1996, on lui a accordé le statut de réfugié au sens de la Convention en raison du risque auquel il était exposé en Afghanistan, du fait que les talibans voyaient en lui un sympathisant communiste. M. Stanizai a obtenu son statut de résident permanent en 2001.

 

[5]               En juillet 2007, M. Stanizai a présenté une demande de citoyenneté canadienne. La période visée pour le calcul de la résidence s’étendait donc du 13 juillet 2003 au 13 juillet 2007. Dans sa demande, M. Stanizai a déclaré qu’il s’était absenté du pays pendant 264 jours au cours de cette période, ayant fait entre autres un long voyage en Afghanistan en 2005‑2006, soit près de quatre ans après la chute des talibans.

 

[6]               Pendant qu’il était en Afghanistan, M. Stanizai s’est marié et son premier fils est né en juillet 2006. Un second fils est né quelques années plus tard. M. Stanizai avait aussi conservé une résidence et une entreprise en Afghanistan. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) est au courant de tous ces faits au moins depuis octobre 2009.

 

[7]               Avant de transmettre la demande de M. Stanizai à un juge de la citoyenneté, en février 2008, CIC a demandé une mise à jour de son dossier à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Aucune réponse n’ayant été reçue de l’ASFC, des demandes de suivi ont été envoyées en septembre et en novembre de la même année. En particulier, CIC voulait savoir si M. Stanizai faisait l’objet de préoccupations ou d’enquêtes.

 

[8]               Dans un courriel interne daté du 25 novembre 2008, un responsable de l’ASFC s’exprime notamment comme suit :

[traduction]

Encore plus curieux [...] [est] le fait qu’il soit un [réfugié au sens de la Convention] qui, semble‑t‑il, n’a aucune difficulté à se déplacer et à faire des affaires dans son pays de persécution. (Ça, ça me dérange.) Pas sûr si CIC ou l’ASFC dispose d’un quelconque recours ou voudrait prendre des mesures à ce sujet […] J’ai cru bon de vous demander votre avis avant d’informer CIC que l’ASFC ne s’intéresse aucunement à ce sujet pour le moment.

 

[9]               Environ 17 mois plus tard, l’ASFC a finalement informé CIC qu’elle n’avait [traduction] « réussi à établir aucun motif d’interdiction de territoire » à l’égard de M. Stanizai et que, par conséquent, l’intervention de l’ASFC dans ce dossier s’arrêtait là. Le 29 juillet 2009, un représentant de CIC a noté dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) : [traduction] « D’après le courriel de l’ASFC, aucune autre enquête n’est en cours. Le traitement de la demande de citoyenneté suit son cours. »

 

[10]           M. Stanizai a passé avec succès l’examen de citoyenneté le 10 novembre 2009. Dans un questionnaire sur la résidence rempli le 8 décembre 2009, il a indiqué qu’il était allé en vacances en Afghanistan et au Royaume‑Uni pendant 83 jours, soit du 26 décembre 2005 au 19 mars 2006, et en vacances à Kaboul pendant 31 jours, soit du 1er novembre 2006 à décembre 2006.

 

[11]           Le 11 février 2011, le dossier de citoyenneté de M. Stanizai a été transmis à un juge de la citoyenneté pour examen. L’article 14 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29, dispose qu’une demande de citoyenneté est examinée par un juge de la citoyenneté et que « dans les soixante jours de sa saisine », le juge de la citoyenneté statue sur la conformité de la demande avec les dispositions de la loi et de ses règlements, ce qui n’a pas été fait dans ce cas‑ci.

 

[12]           M. Stanizai a finalement comparu devant un juge de la citoyenneté le 3 mai 2011 – quelque 446 jours après que sa demande eut été transmise au juge pour examen. Le juge de la citoyenneté a alors demandé à M. Stanizai de fournir des pièces justificatives supplémentaires, notamment une copie de toutes les pages de son passeport et de ses documents de voyage pour la période de juillet 2003 au 13 juillet 2007. Ces renseignements ont été fournis au juge de la citoyenneté par M. Stanizai en mai et en juin 2011.

 

[13]           Dans un questionnaire sur la résidence actualisé, également remis au juge de la citoyenneté, M. Stanizai a indiqué qu’il avait été absent du Canada 944 jours en tout depuis son arrivée au Canada, un nombre qui, selon le défendeur, [traduction] « était manifestement erroné ». Le défendeur a également souligné que les dates d’absence mentionnées dans ce questionnaire ne correspondaient pas à celles qui figuraient dans le formulaire de demande de citoyenneté initial ou dans le premier questionnaire sur la résidence. Le défendeur prétend que M. Stanizai a délibérément omis de communiquer aux fonctionnaires de la citoyenneté des renseignements concernant ses absences du Canada.

 

[14]           Le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté de M. Stanizai, le 21 février 2012, soit 740 jours après qu’elle lui eut été transmise pour examen. Le ministre a été avisé de la décision du juge. Conformément au paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, le ministre disposait de 60 jours à compter de cette date pour interjeter appel de cette décision. Aucun appel n’a été interjeté en l’espèce.

 

[15]           Au cours de ce long processus de demande, M. Stanizai a dû obtenir à plusieurs reprises des attestations de vérification en matière d’immigration et des autorisations de sécurité, notamment auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Conformément à la politique de CIC, la période de validité d’une attestation de vérification en matière d’immigration et d’une autorisation de sécurité de la GRC est d’un an et celle des autres autorisations de sécurité est de deux ans.

 

[16]           Le défendeur soutient que les attestations de vérification en matière d’immigration et d’antécédents criminels concernant M. Stanizai n’étaient pas valides lorsque le juge de la citoyenneté a approuvé sa demande de citoyenneté le 21 février 2012, ses attestations de vérification en matière d’immigration et d’antécédents criminels les plus récentes ayant expiré quelques jours avant que le juge de la citoyenneté ne rende sa décision.

 

[17]           Le 1er mars 2012, les responsables de CIC ont encore une fois demandé à M. Stanizai de fournir ses empreintes digitales afin de vérifier à nouveau ses antécédents criminels auprès de la GRC. Toutefois, rien n’indique que CIC ait tenté d’obtenir une nouvelle attestation de vérification en matière d’immigration à ce moment‑là.

 

[18]           Le 22 mai 2012, un responsable de CIC a noté dans le SMGC : [traduction] « Dossier transmis à un agent aux fins d’une mise à jour dans le SSOBL [Système de soutien des opérations des bureaux locaux]. Le client est approuvé et une fois vérifiée, son autorisation sera inscrite dans le SMGC et il sera admissible à la cérémonie [de citoyenneté]. » Encore une fois, rien ne laisse croire que CIC ait tenté d’obtenir une nouvelle attestation de vérification en matière d’immigration concernant M. Stanizai.

 

[19]           En juillet 2012, l’ASFC a signalé dans un courriel que M. Stanizai pourrait faire l’objet d’une procédure en révocation de statut compte tenu de ses liens continus avec l’Afghanistan. Le 10 janvier 2013, M. Stanizai a été interrogé par l’ASFC dans le cadre d’une enquête en révocation de statut. Le 21 février 2013, l’ASFC a avisé CIC que M. Stanizai ne devrait pas recevoir la citoyenneté étant donné qu’une enquête en révocation était en cours.

 

[20]           Dans l’intervalle, soit en décembre 2012, l’épouse et les enfants de M. Stanizai avaient obtenu, grâce au parrainage de ce dernier, le statut de résident permanent. En février 2013, M. Stanizai s’est rendu aux Émirats arabes unis pour y rejoindre son épouse et ses enfants et les amener au Canada. Or, au printemps 2013, après avoir été informée des enquêtes sur le statut de réfugié de M. Stanizai, l’ambassade canadienne à Dubaï a annulé les visas de résident permanent des membres de la famille et révoqué leur statut de résident permanent. Depuis, la famille de M. Stanizai est retournée en Afghanistan.

 

[21]           Le 19 avril 2013, l’ASFC a déposé auprès de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada une demande de révocation du statut de réfugié au sens de la Convention dont bénéficiait M. Stanizai. Aucune explication n’a été fournie sur les raisons pour lesquelles l’ASFC avait attendu près de quatre ans pour entamer ces procédures, et qui plus est, le défendeur n’a pu faire état d’aucun nouveau renseignement concernant les liens de M. Stanizai avec l’Afghanistan qui aurait été porté à la connaissance de l’ASFC après juillet 2009.

 

[22]           À la demande de M. Stanizai, les procédures de révocation de statut ont été reportées jusqu’à ce que la Cour ait statué sur la présente demande de contrôle judiciaire. En vertu des modifications apportées récemment à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, si la Section de la protection des réfugiés arrivait à la conclusion que M. Stanizai avait cessé d’être un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, il deviendrait interdit de territoire au Canada, il perdrait son statut de résident permanent et pourrait faire l’objet d’une mesure de renvoi.

 

[23]           Le 10 juillet 2013, le bureau de l’avocate de M. Stanizai a contacté CIC pour s’informer des raisons du retard dans le traitement de la demande de citoyenneté de M. Stanizai. Le représentant de CIC lui a répondu que le retard était attribuable au fait qu’on attendait l’attestation de vérification d’antécédents judiciaires de M. Stanizai et qu’il n’y avait aucun autre obstacle à ce que celui‑ci obtienne la citoyenneté. Je crois comprendre qu’il a depuis obtenu cette attestation.

 

[24]           Or, CIC avait en fait suspendu le traitement de la demande de citoyenneté de M. Stanizai le temps que les procédures de révocation de statut suivent leur cours. Selon CIC, aucune décision concernant l’attribution de la citoyenneté n’a été prise dans la présente affaire. CIC fait valoir que la procédure normale consiste en l’approbation de la demande de citoyenneté par un juge de la citoyenneté, à la suite de quoi un agent de CIC décide d’accorder le statut après avoir procédé aux recherches nécessaires dans les bases de données.

 

[25]           Le droit dont disposait le ministre pour interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté s’étant éteint le 22 juillet 2012, M. Stanizai soutient que la loi n’autorise aucunement CIC à mettre sa demande de citoyenneté « en attente » jusqu’à la conclusion des procédures de révocation. Étant donné qu’il remplit toutes les conditions pour obtenir la citoyenneté et qu’il n’est assujetti à aucune interdiction légale, M. Stanizai soutient que le ministre est tenu de par la loi de lui attribuer la citoyenneté puisque le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté prescrit que le ministre « attribue » la citoyenneté à toute personne qui remplit les conditions prévues par la loi.

 

[26]           Pour sa part, le défendeur soutient que, tant et aussi longtemps que la Section de la protection des réfugiés n’aura pas statué sur la demande de révocation, M. Stanizai ne pourra pas obtenir d’attestation de vérification valide en matière d’immigration et le ministre ne pourra pas prendre de décision définitive quant à sa demande de citoyenneté. Le défendeur attribue le retard dans le traitement de la demande de citoyenneté de M. Stanizai au fait que ce dernier a demandé que les procédures de révocation soient reportées, et il insiste sur le fait que, dès que la question de la révocation sera tranchée, [traduction] « CIC pourra prendre et prendra une décision sur la demande de citoyenneté du requérant ».

 

Analyse

[27]           Je crois comprendre que le critère permettant de déterminer s’il y a lieu d’accorder une ordonnance de mandamus ne fait l’objet d’aucun litige entre les parties. Comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada, [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098, les conditions suivantes doivent être respectées pour que la Cour puisse faire droit à un bref de mandamus :

a)         il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

 

b)         l’obligation doit exister envers le requérant;

 

c)         il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

 

i)          le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

 

ii)         il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande et il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

 

d)         le requérant n’a aucun autre recours;

 

e)         l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

 

f)         en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

 

g)         compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

[28]           Le défendeur affirme qu’il n’a ni refusé ni négligé de s’acquitter de ses obligations légales. Selon lui, CIC n’a actuellement aucune obligation d’agir, car M. Stanizai n’a pas d’attestation de vérification valide en matière d’immigration et ne pourra en obtenir une qu’après que les procédures de révocation soient terminées, en supposant qu’il ait gain de cause dans ces procédures. Le défendeur ajoute que ce que veut réellement M. Stanizai, c’est obtenir sa citoyenneté canadienne afin de se protéger contre les conséquences de ses propres fausses déclarations.

 

[29]           La question au cœur de la présente demande est de savoir si CIC a le pouvoir de différer l’attribution de la citoyenneté à un demandeur dont la demande a été approuvée par un juge de la citoyenneté, et ce, jusqu’à ce qu’il ait reçu l’attestation de vérification nécessaire en matière d’immigration.

 

[30]           La demande de citoyenneté de M. Stanizai a été approuvée par le juge de la citoyenneté le 21 février 2012. Le paragraphe 14(2) de la Loi sur la citoyenneté prévoit qu’ « aussitôt » après avoir approuvé une demande de citoyenneté, le juge de la citoyenneté « transmet sa décision motivée au ministre ».

 

[31]           La jurisprudence de notre Cour est claire : « sauf si appel est interjeté, l’approbation ou le rejet par un juge de la citoyenneté est définitif en ce qui concerne la citoyenneté canadienne du demandeur. Le ministre ne fait rien d’autre sauf peut‑être interjeter appel » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mahmoud, 2009 CF 57, 339 FTR 273, au paragraphe 6. Voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abou‑Zahra, 2010 CF 1073, [2010] ACF no 1326; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Farooq, 2009 CF 1080, 84 Imm LR (3d) 64; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, 386 F.T.R. 1; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wong, 2009 CF 1085, 84 Imm LR (3d) 89; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wang, 2009 CF 1290, 360 FTR 1.

 

[32]           Il existe une exception restreinte à ce principe. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Khalil c Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 CF 661, [1999] ACF no 1093, a statué que le ministre conserve le pouvoir résiduel de refuser la citoyenneté à toute personne qui remplit les conditions d’attribution de la citoyenneté s’il découvre, après que le juge de la citoyenneté lui a soumis son rapport, que cette personne a fait une fausse déclaration (voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88, 408 FTR 9, au paragraphe 27).

 

[33]           Cependant, il importe de tenir compte des faits dans l’affaire Khalil pour bien saisir la portée limitée de ce pouvoir discrétionnaire.

 

[34]           Les dispositions de la Loi sur la citoyenneté en vigueur lorsque l’arrêt Khalil a été rendu prévoyaient que, pour être admissible à la citoyenneté canadienne, le demandeur devait avoir été légalement admis au Canada. C’était là une condition préalable à l’obtention de la citoyenneté.

 

[35]           Dans l’arrêt Khalil, la Cour a expliqué que le ministre ne peut arbitrairement refuser la citoyenneté à quelqu’un qui en remplit les conditions, mais que « [d]ans le cas cependant où il est informé que les conditions prévues par la Loi ne sont pas réunies, il peut différer l’octroi de la citoyenneté jusqu’à ce qu’il soit jugé que toutes les conditions nécessaires sont remplies » : Khalil, au paragraphe 14.

 

[36]           Or, un aspect essentiel de la décision dans l’arrêt Khalil est le fait qu’au moment où la demande de citoyenneté de Mme Khalil a été approuvée par le juge de la citoyenneté, celui‑ci n’était pas au courant des fausses déclarations graves que Mme Khalil avaient faites dans sa demande de résidence permanente au sujet de la participation de son époux à des actes terroristes. De plus, un rapport d’interdiction de territoire avait été déposé concernant Mme Khalil, conformément aux dispositions de la Loi sur l’immigration en vigueur à l’époque.

 

[37]           Ce sont là les circonstances dans lesquelles la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit : « S’il est vrai [que le ministre] n’est pas investi du pouvoir discrétionnaire de refuser la citoyenneté à quelqu’un qui en remplit les conditions, il faut qu’il retienne un certain pouvoir de refus dans le cas où il est constaté, avant que la citoyenneté n’ait été accordée, qu’il y a eu fausse déclaration concernant des faits essentiels, ou qu’il y a raisonnablement lieu de croire à l’existence de pareille fausse déclaration » : au paragraphe 14 (les italiques sont de moi).

 

[38]           Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[39]           Au plus tard en 2009, tant CIC que l’ASFC étaient parfaitement au courant des liens d’affaires et personnels continus que M. Stanizai entretenait en Afghanistan. D’ailleurs, lorsqu’il a été invité à le faire, l’avocat du défendeur n’a pu fournir aucun nouveau renseignement à cet égard qui aurait été porté à l’attention des responsables de la citoyenneté ou de l’immigration après 2009.

 

[40]           Qui plus est, le juge de la citoyenneté était pleinement informé de tous les renseignements contradictoires que M. Stanizai avait fournis concernant ses absences du Canada. Après avoir interrogé M. Stanizai, le juge de la citoyenneté a finalement conclu qu’il répondait à toutes les exigences de la Loi sur la citoyenneté. D’ailleurs, c’était là le rôle du juge de la citoyenneté.

 

[41]           Encore là, le défendeur n’a été en mesure d’indiquer aucun nouveau renseignement concernant la fréquence et la durée des absences du Canada de M. Stanizai durant la période visée, dont le juge de la citoyenneté n’aurait pas disposé lorsqu’il a rendu sa décision d’approuver la demande de citoyenneté de M. Stanizai.

 

[42]           En conséquence, les faits de la présente affaire sont fondamentalement différents de ceux présentés à la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Khalil, et le pouvoir ministériel restreint évoqué dans cet arrêt ne s’applique pas en l’espèce.

 

[43]           Le défendeur tente aussi de justifier le retard dans le traitement de la demande de citoyenneté de M. Stanizai en disant que les irrégularités dans les déclarations de M. Stanizai concernant ses absences n’avaient [traduction] « pas été dûment prises en compte par le juge de la citoyenneté » et avaient [traduction] « échappé au juge ».

 

[44]           Si le défendeur n’était pas satisfait de l’évaluation faite par le juge de la citoyenneté afin de déterminer si M. Stanizai respectait les conditions de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté, il n’avait qu’à interjeter appel de la décision du juge. Bien que je ne dispose d’aucun élément de preuve pouvant expliquer pourquoi le ministre ne l’a pas fait, l’avocat du défendeur croit que le dossier de M. Stanizai a simplement [traduction] « passé entre les mailles du filet ». Quoi qu’il en soit, une erreur survenue dans les bureaux du défendeur n’a pas pour effet d’écarter les exigences de la Loi sur la citoyenneté et ne confère pas au ministre un pouvoir discrétionnaire qu’il n’aurait pas en d’autres circonstances de différer l’octroi de la citoyenneté.

 

[45]           Le défendeur conteste aussi le fait que le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté de M. Stanizai même s’il ne disposait d’aucune attestation de vérification valide en matière d’immigration. Encore là, si le défendeur estimait que la décision du juge de la citoyenneté était viciée à cet égard, il n’avait qu’à interjeter appel de cette décision dans le délai de 60 jours prescrit par la Loi.

 

[46]           Je constate également qu’il y a un élément de circularité dans l’argumentation du défendeur. Celui‑ci affirme qu’il n’y avait aucune obligation d’attribuer la citoyenneté canadienne à M. Stanizai vu l’absence d’une attestation de vérification en matière d’immigration. Or, cette attestation n’avait pas été obtenue parce que le défendeur ne l’avait pas demandée.

 

[47]           Essentiellement, une attestation de vérification en matière d’immigration nécessite une recherche par ordinateur – ce qui ne prend habituellement que quelques minutes : voir la décision Martin‑Ivie c Canada (Procureur général), 2013 CF 772, [2013] ACF no 827, au paragraphe 32. Rien ne permet de croire que l’on ait tenté d’obtenir cette attestation pour M. Stanizai dans les semaines et les mois qui ont suivi l’approbation de sa demande de citoyenneté par le juge de la citoyenneté, et aucune explication de l’omission de CIC d’agir en ce sens n’a été donnée. Rien n’indique non plus qu’une telle recherche aurait révélé un quelconque obstacle, sur le fondement de la loi, à l’octroi de la citoyenneté à M. Stanizai durant les 14 mois qui ont précédé le début des procédures de révocation en avril 2013.

 

[48]           Aucun texte législatif n’oblige le ministre à obtenir une attestation de vérification en matière d’immigration avant d’attribuer la citoyenneté; cette attestation semble être requise par la politique ministérielle. L’article 14 de la Loi sur la citoyenneté dispose qu’un juge de la citoyenneté « statue sur la conformité – avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements – des demandes déposées ». Bien que la Loi énonce clairement que la citoyenneté ne peut être conférée à une personne qui fait l’objet d’un processus d’enquête ou d’une mesure de renvoi, ni l’une ni l’autre de ces restrictions ne s’applique en l’espèce. En outre, le défendeur n’a invoqué aucune disposition de la Loi ou des règlements qui assujettirait l’attribution de la citoyenneté à l’obtention d’une attestation de vérification en matière d’immigration.

 

[49]           De plus, le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté prévoit que « [l]e ministre attribue la citoyenneté » à toute personne qui remplit une série de conditions obligatoires. L’obligation de produire une attestation de vérification valide en matière d’immigration ne fait pas partie de ces conditions.

 

[50]           Le défendeur soutient également que M. Stanizai ne pourrait prêter le serment de citoyenneté ou recevoir le certificat de citoyenneté tant qu’il n’aura pas reçu l’attestation de vérification en matière d’immigration. Le formulaire du serment de citoyenneté figure en annexe à la Loi sur la citoyenneté. Il se lit comme suit : « Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien. » Rien dans ce serment ne fait référence au fait que le demandeur possède une attestation de vérification en matière d’immigration valide.

 

[51]           Il est devenu manifeste au cours de la plaidoirie que ce à quoi le défendeur faisait référence est en fait un document que le requérant doit remplir avant de prêter serment. L’avocate de M. Stanizai s’est opposée à cet argument, soutenant qu’elle n’était pas prête à y répondre puisqu’il n’avait pas été soulevé dans le mémoire des faits et du droit du défendeur et que le document en question n’avait pas été versé au dossier. Je reconnais que, dans ces circonstances, il serait injuste pour M. Stanizai que j’examine cet argument et je refuse donc de le faire.

 

[52]           Enfin, le défendeur invoque la décision de la Cour, Platonov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 569, [2005] ACF no 695, à l’appui de la proposition selon laquelle le ministre « a le devoir d’enquêter sur les demandeurs » et qu’« [i]l serait intolérable » que des personnes puissent obtenir la citoyenneté canadienne simplement parce que leur enquête de sécurité a pris trop de temps : voir le paragraphe 31.

 

[53]           Dans l’affaire Platonov, le débat portait sur l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté qui dispose que, si le ministre estime « ne pas avoir tous les renseignements nécessaires » pour lui permettre d’établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la Loi et ses règlements, « le ministre peut suspendre la procédure d’examen de la demande pendant la période nécessaire – qui ne peut dépasser six mois suivant la date de la suspension – pour obtenir les renseignements qui manquent ». La période de suspension en cause dans Platonov avait dépassé les six mois prévus à l’article 17 de la Loi.

 

[54]           Toutefois, Platonov portait sur le retard à transmettre le dossier au juge de la citoyenneté pour approbation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Je signale qu’il n’est pas certain que l’article 17 s’applique une fois que le dossier d’un demandeur a été approuvé par un juge de la citoyenneté. Du reste, je ne vois pas la nécessité de trancher cette question étant donné que le défendeur n’a pas invoqué l’article 17 pour justifier l’inaction dans cette affaire.

 

[55]           Quoi qu’il en soit, il convient de répéter qu’il y un intervalle d’environ trois ans et demi entre la date à laquelle M. Stanizai a présenté sa demande de citoyenneté et celle où le dossier a été transmis au juge de la citoyenneté pour examen. À mon sens, ce délai aurait dû être plus que suffisant pour « vérifier » M. Stanizai, surtout que, en l’espèce, il semble que le retard ne soit pas attribuable au fait que l’on ait dû attendre une réponse d’une tierce partie, une agence étrangère par exemple.

 

[56]           De plus, le juge de la citoyenneté a été saisi de la demande de citoyenneté de M. Stanizai quelque 740 jours avant de l’approuver, le 21 février 2012, et deux autres années se sont écoulées depuis.

 

[57]           Plus fondamentalement, contrairement à la situation dont la Cour a été saisie dans Platonov, le défendeur a, en l’espèce, admis qu’il connaissait, au moins depuis 2009, tous les renseignements qui, selon lui, soulèvent maintenant des préoccupations sur la validité du statut de réfugié de M. Stanizai.

 

[58]           Les faits de la présente affaire s’apparentent à ceux de l’affaire Murad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089, [2013] ACF no 1182. Dans Murad, la demande de citoyenneté du demandeur avait été approuvée par un juge de la citoyenneté en mars 2011. Le ministre n’avait pas interjeté appel de cette dernière décision, mais n’avait pas attribué la citoyenneté au demandeur pendant près de 14 mois parce que CIC continuait d’enquêter sur la présence suspecte du demandeur au Canada.

 

[59]           Deux mois après que le demandeur eut présenté une requête en mandamus, un représentant de CIC a examiné son dossier et a conclu, en dépit de la recommandation du juge de la citoyenneté, qu’en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il fallait établir un rapport circonstancié. En conséquence, le demandeur risquait de perdre son statut de résident permanent et, ultimement, d’être renvoyé du Canada.

 

[60]           Dans la décision Murad, la Cour a procédé à une analyse rigoureuse du cadre législatif, une analyse que je fais mienne. De plus, la Cour a conclu que CIC n’avait pas le droit de différer l’attribution de la citoyenneté au demandeur et que CIC n’avait fourni aucune explication quant à son manque de diligence dans ce dossier. La Cour a donc exercé son pouvoir discrétionnaire d’accorder un bref de mandamus.

 

[61]           Compte tenu des retards importants accumulés, la Cour a de plus estimé qu’elle devait rendre une ordonnance de la nature d’un verdict imposé. Elle a donc ordonné que le défendeur octroie la citoyenneté au demandeur dans les trente jours suivant le jugement de la Cour.

 

[62]           Dans la présente affaire, bien que l’avocate de M. Stanizai ait laissé entendre que celui‑ci n’était pas sans reproche dans sa réponse à une question de la Cour, le défendeur, dans son mémoire des faits et du droit, n’a pas soutenu que, en vertu de l’équité, le bref de mandamus demandé ne pouvait être accordé. Le défendeur n’a pas non plus soutenu que les autres conditions à l’octroi d’un mandamus n’avaient pas été remplies.

 

[63]           Par conséquent, j’estime qu’une ordonnance de mandamus devrait être rendue. Compte tenu des circonstances inhabituelles et des retards démesurés et inexpliqués de l’espèce, j’estime en outre qu’une ordonnance à l’instar de celle qui a été rendue dans la décision Murad serait appropriée. Par conséquent, la Cour ordonne au défendeur d’attribuer la citoyenneté à M. Stanizai dans les trente jours suivant le jugement de la Cour dans la présente affaire.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.                  L’ordonnance de mandamus est accordée et le défendeur est tenu d’attribuer la citoyenneté à M. Stanizai dans les trente jours suivant le jugement de la Cour dans la présente affaire.

 

 

 

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T‑1225‑13

 

INTITULÉ :

ASAD STANIZAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 16 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 22 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Laura Best

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Group

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.