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Date : 20140122


Dossier : T-1481-12

 

Référence : 2014 CF 75

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 22 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

Dossier : T-1481-12

 

ENTRE :

CHERYL ANNE SWARATH, CAROL LOVERNE, SHELDON JEROME MARIO RAI SWARATH ET JODY WILLIAM BAXMEYER FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE NORTHREGENTRX AND NORTHREGENTRX

 

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU GOUVERNEMENT DU CANADA, SANTÉ CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]   La Cour est saisie d’une requête en radiation de la déclaration des demandeurs, sans autorisation d’être modifiée.

[2]   Au début de l’année 2005, les demandeurs ont commencé la commercialisation et la distribution de produits de santé naturels. Ils faisaient affaire sous le nom NorthRegentRx. NorthRegentRx détenait une licence délivrée par Santé Canada pour la vente de tels produits.

[3]   En 2006, le produit principal des demandeurs était « Libidus », un produit présenté comme un produit de santé naturelle qui visait à accroître la circulation sanguine, à traiter les symptômes de dysfonction érectile et à accroître les performances sexuelles. En vertu du Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003‑196, Santé Canada a émis, le 4 août 2006, une directive afin de faire cesser la vente de Libidus au Canada et de rappeler tous les produits qui avaient été distribués dans les magasins de vente au détail. Le motif invoqué pour l’adoption de la directive serait que Libidus contenait une substance non déclarée soit de l’acétildénafil qui est analogue au sildénafil (Viagra), une substance contrôlée. Santé Canada a plus tard déclaré avoir trouvé d’autres substances ou adultérants similaires dans le produit.

[4]   Les demandeurs ont respecté la directive et ont cessé de vendre Libidus. Au cours des six années suivantes, ils ont tenté de convaincre Santé Canada que l’analyse qu’elle avait faite n’était pas correcte. Ils ont présenté, entre autres choses, des analyses de laboratoires indépendantes qui contredisaient les conclusions de Santé Canada. Santé Canada n’a pas accepté les analyses des demandeurs et a refusé d’annuler la directive et de leur délivrer une licence. Rien au dossier n’indique que les demandeurs ont sollicité réparation quant à ces décisions au moyen d’un avis de demande de contrôle judiciaire. Les échanges de correspondance avec Santé Canada ne font pas partie du dossier soumis à la Cour.

[5]   Le 2 août 2012, les demandeurs ont déposé une déclaration contre les défendeurs dans laquelle ils réclamaient des dommages‑intérêts généraux de 77 144 036 $, des dommages‑intérêts punitifs de 25 000 000 $, des intérêts antérieurs et postérieurs au jugement, et une ordonnance enjoignant à la défenderesse, Santé Canada, de délivrer une licence aux demandeurs leur permettant de commercialiser et de distribuer Libidus au Canada. Les demandeurs ont accusé les employés de Santé Canada d’avoir commis une faute lourde, d’avoir pris une décision arbitraire, d’avoir fait preuve de mauvaise foi et de malveillance et d’avoir comploter avec l’industrie pharmaceutique afin de mettre fin à la distribution de Libidus.

[6]   En vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, les défendeurs ont déposé la présente requête en radiation, le 28 septembre 2012. L’affaire a ensuite été reportée plusieurs fois, chaque fois sauf une, à la demande des demandeurs, avant d’être inscrite, péremptoirement pour audience le 20 janvier 2014. En raison de ces reports et du changement de l’avocat des demandeurs en octobre 2013, les documents du dossier de requête n’ont été déposés que le 16 janvier 2014. Conformément à l’article 8 des Règles des Cours fédérales, le délai pour le dépôt et la signification de ces documents est prorogé.

[7]   Les défendeurs sollicitent une ordonnance en radiation de la déclaration dans son intégralité, au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable. Les défendeurs avancent notamment que la déclaration est mal fondée, car :

a) elle semble alléguer une action en responsabilité délictuelle fondée uniquement sur une prétendue violation de la loi, un délit civil qui n’est pas connu en droit;

b) l’action en responsabilité délictuelle contre l’État est formulée comme une action en responsabilité directe, et non pas comme une action en responsabilité du fait d’autrui en raison des actes d’un préposé identifiable de l’État;

c) aucune des causes de l’action en responsabilité délictuelle alléguées dans la déclaration n’est suffisamment ou adéquatement plaidée;

d) les circonstances de la présente affaire ne donnent pas ouverture à une poursuite pour obligation de diligence de droit privé.

[8]   Sur requête, la Cour peut à tout moment ordonner, en vertu de l’alinéa 221(1)a) la radiation d’un acte de procédure avec ou sans autorisation de le modifier au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable. Les parties ont convenu que le critère applicable aux requêtes en radiation est celui qui a été énoncé par la Cour suprême du Canada au paragraphe 17 de l’arrêt Knight c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45 :

[17]   […] l’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable […]. Autrement dit, la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Sinon, il faut lui laisser suivre son cours [Références omises.]

 

[9]   Selon l’avocat des demandeurs, il y a de nombreuses lacunes évidentes dans les plaidoiries qui pouvaient être corrigées par une modification. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré au paragraphe 8 de l’arrêt Simon c Canada, 2011 CAF 6, pour être radiée sans autorisation d’être modifiée, la déclaration doit comporter un vice qui ne peut être corrigé par une modification.

[10]  En matière de responsabilité civile, celle de l’État fédéral pourrait être engagée sur la base des faits allégués, en application du sous‑alinéa 3b)(i) et de l’article 10 de la Loi sur la responsabilité de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50. Cette responsabilité est une responsabilité du fait d’autrui et repose sur le délit civil commis par un préposé de l’État. À l’exception d’une référence faite aux employés de Santé Canada au paragraphe 17, la déclaration est formulée comme une action en responsabilité directe contre l’État. Comme les défendeurs l’ont soutenu, en l’absence d’un délit civil allégué avoir été commis par un préposé identifié de l’État pour lequel la responsabilité du fait d’autrui de l’État peut être engagée, la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable.

[11]  En outre, au paragraphe 31 de la déclaration, les allégations de faute dans l’exercice d’une charge publique ne font aucunement mention des noms des fonctionnaires responsables. L’article 174 des Règles oblige les demandeurs à plaider des faits substantiels. Les noms des personnes ayant prétendument commis la faute sont des faits substantiels qui doivent être plaidés. La déclaration fait référence à six années de correspondance avec Santé Canada dans le but d’obtenir l’annulation de la directive. On suppose que cela mettait les demandeurs en possession des renseignements sur les noms des personnes ou sur les groupes de personnes qui traitaient l’affaire, ou du moins des renseignements quant à leurs postes, quant à leurs sections ou leurs bureaux. Dans ce genre d’affaires, on peut généralement se contenter de fournir ce degré de précision pour l’identification : Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184. Toutefois, des précisions de cette nature ne figurent pas dans la déclaration.

[12]  En outre, la plaidoirie ne décrit pas de façon adéquate les autres parties au complot allégué au paragraphe 21, à l’exception d’une vague référence à [traduction] « l’industrie pharmaceutique ou d’autres personnes inconnues ». La plaidoirie ne contient aucune allégation quant à l’existence d’une entente en vue d’un complot entre les défendeurs ni quant au but et aux objectifs du complot ni quant aux actes manifestes qui sont censés avoir été accomplis par chacun des membres prétendus du complot en vue de sa perpétration : Key Property Management Inc c Middlesex Condominium Corp No 134, 1991 CarswellOnt 451, au paragraphe 10, citant l’ouvrage Precedents of Pleadings, de Bullen, Leake et Jacob, 12éd. (London : Sweet & Maxwell, 1975) à la page 341.

[13]  Aux paragraphes 26 et 32, la déclaration contient des allégations selon lesquelles les défendeurs ont manqué à leur obligation légale de respecter la loi et les règlements régissant l’utilisation de drogues et de produits de santé naturels. Selon les défendeurs, ces allégations semblent faire valoir un moyen tiré d’une prétendue inobservation d’une loi ou d’un règlement, un délit inconnu au Canada. Toutefois, la preuve d’une violation d’une loi, laquelle cause un préjudice, peut être une preuve de négligence, s’il peut être établi qu’un délit civil a été commis par un préposé de l’État : R c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205, au paragraphe 42. En outre, l’intention d’enfreindre une loi peut équivaloir à une faute dans l’exercice d’une charge publique, s’il peut être prouvé que la personne concernée a agi en sachant qu’elle n’était pas habilitée à exécuter l’acte qu’on lui reproche d’avoir accompli, et que cet acte causera vraisemblablement un préjudice aux demandeurs : Odhavji c Woodhouse 2003 CSC 69, au paragraphe 23; [2003] 3 R.C.S. 263, à la page 281. Quoi qu’il en soit, ces éléments du délit civil ne sont pas allégués dans la plaidoirie.

[14]  Hormis ces lacunes qui peuvent être corrigées par une modification, la grande difficulté pour les demandeurs repose dans l’argument des défendeurs selon lequel il n’existe aucune obligation de diligence de droit privé dans les circonstances alléguées. La déclaration ne semble appartenir à aucune catégorie de causes dans lesquelles l’existence d’une obligation de diligence a été reconnue.

[15]  Les parties sont d’accord pour affirmer que le critère pour décider si une obligation de diligence de droit privé dans un cas nouveau existe est énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Cooper c Hobart, 2001 CSC 79 [Cooper], lequel a adopté le critère énoncé par la Chambre des Lords dans l’arrêt Anns c Merton London Borough Council (1977), [1978] AC 728 [Anns].

[16]        L’arrêt Cooper avait trait à une action intentée par une investisseuse qui alléguait que le registrateur des courtiers en hypothèques avait manqué à son obligation de diligence lorsqu’il avait omis de superviser adéquatement la conduite d’un courtier en hypothèques enregistré détenant une licence émise par le registrateur. La Cour suprême du Canada a décidé que le registrateur n’avait pas d’obligation de diligence envers les investisseurs.

[17]  Comme il ressort du paragraphe 30 de l’arrêt Cooper, le critère des arrêts Anns/Cooper comporte deux étapes :

[30]   […] À la première étape du critère de l’arrêt Anns, deux questions se posent : (1) le préjudice subi était‑il la conséquence prévisible de l’acte du défendeur; (2) malgré la proximité des parties qui a été établie dans la première partie de ce critère, existe‑t‑il des motifs pour lesquels la responsabilité délictuelle ne devrait pas être engagée en l’espèce? L’analyse relative à la proximité que comporte la première étape du critère de l’arrêt Anns met l’accent sur les facteurs découlant du lien existant entre la demanderesse et le défendeur. Ces facteurs comprennent des questions de politique, ce terme étant pris dans son sens large. Si l’on fait la preuve de la prévisibilité et de la proximité à la première étape, il y a une obligation de diligence prima facie. À la deuxième étape du critère de l’arrêt Anns il reste toujours à trancher la question de savoir s’il existe des considérations de politique étrangères au lien existant entre les parties qui sont susceptibles d’écarter l’obligation de diligence. […]

[18]  Ainsi, lorsqu’on applique le critère à deux étapes, il faut décider en premier lieu s’il existe une obligation de diligence prima facie. Pour trancher cette question, le tribunal doit examiner si le préjudice subi était la conséquence prévisible de l’acte, ainsi que le lien de proximité. La proximité est généralement établie par référence à des catégories de négligence pour lesquelles l’obligation de diligence a été précédemment reconnue ou à des catégories analogues. Dans un cas nouveau, les questions de prévisibilité et de proximité doivent être nouvellement examinées. Selon moi, nous sommes en présence d’un cas nouveau, car il concerne une déclaration selon laquelle l’État est responsable d’avoir pris une décision dans l’intérêt du maintien de la santé publique.

[19]   Au paragraphe 43 de l’arrêt Cooper, la Cour suprême du Canada a donné des directives précises selon lesquelles si les facteurs entraînant la proximité existaient, ils devaient découler de la loi en vertu de laquelle le registrateur avait été nommé. Cette loi constituait la seule source de ses obligations. En ce qui a trait à la question de la proximité, la Cour suprême a conclu ce qui suit au paragraphe 50 :

[50]    […] même si le registrateur avait raisonnablement pu prévoir que ceux qui ont investi […] subiraient des pertes [si le régistrateur] était négligent dans l’exercice des fonctions que la Loi lui attribue, le registrateur et les investisseurs n’étaient pas dans une situation de proximité suffisante pour fonder une obligation de diligence prima facie.

[20]  En l’espèce, l’État concède, aux fins de la présente requête, qu’il était raisonnablement prévisible que la conduite délictuelle de ses employés pouvait causer des pertes financières aux demandeurs. Toutefois, l’État nie l’existence de tout lien pouvant établir la proximité entre les parties. Selon les défendeurs, les obligations découlant des lois et des règlements régissant les actes de Santé Canada et de ses employés sont des obligations de droit public envers l’ensemble de la population, et non pas envers les intérêts économiques privés des fabricants ou des distributeurs de produits de santé naturels : Loi sur le ministère de la Santé, LC 1996, c 8, à l’article 4; Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F‑27, au paragraphe 30(1); Règlement sur les produits de santé naturels, précité, à l’article 17.

[21]  La présente affaire se distingue des affaires dans lesquelles une agence du gouvernement a été déclarée négligente lorsqu’elle a mené des inspections. Voir par exemple, l’arrêt Ingles c Tutkaluk Construction Ltd., [2000] 1 RCS 298, 2000 CSC 12, dans lequel une ville a été déclarée responsable de négligence dans le cadre de l’inspection de travaux de rénovation effectués par un entrepreneur. Dans cette affaire, une décision de politique générale d’inspecter des travaux de rénovation avait été prise, même si le permis de construction avait été délivré après le début de ceux‑ci. Une fois que la ville a choisi de mettre en application cette décision, et qu’elle a exercé son pouvoir d’entrer dans les lieux pour faire l’inspection des travaux de rénovation au domicile de l’appelante, la ville avait dès lors une obligation de diligence envers toutes les personnes dont il était raisonnable de penser qu’elles pourraient subir un préjudice en cas d’exercice négligent de ce pouvoir. Cela n’est pas analogue à l’exercice d’une obligation de protéger les consommateurs quant à un produit dont la vente est autorisée par une licence délivrée par un office fédéral est autorisée par une licence, comme c’est le cas en l’espèce.

[22]  Le régime législatif de la présente affaire doit être distingué de celui examiné par la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick dans l’arrêt Adams c Borrel et autres, 2008 NBCA 62, qui a été cité par les demandeurs. Dans cette affaire, le gouvernement fédéral était tenu, en vertu de l’article 2 de la Loi sur la protection des végétaux, LC 1990, c 22, de protéger la vie des végétaux et du secteur agricole de l’économie en empêchant la propagation des virus. Sur ce fondement, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a conclu à l’existence d’une obligation de diligence prima facie envers les producteurs de pommes de terre de la province. Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Sauer c Canada (Procureur général) et autre, 2007 ONCA 454, dans lequel le Canada avait publiquement assumé l’obligation de s’assurer de la sécurité des aliments pour le bétail, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la conclusion selon laquelle il existait une diligence prima facie de la part du Canada. Dans aucune de ces deux affaires, la question de l’obligation du Canada envers la population en général n’était en cause.

[23]        Selon moi, la présente affaire est analogue aux affaires susmentionnées dans lesquelles il a été conclu que l’État a une obligation de diligence envers la population en général, mais aucune obligation de droit privé envers les fabricants, les distributeurs ou les détaillants de produits réglementés.

[24]        Dans l’arrêt Attis c Canada (Santé), 2008 ONCA 660, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le rejet d’un recours collectif envisagé relativement à une prétendue négligence quant au règlement du gouvernement portant sur des implants mammaires. Le juge saisi de la requête a appliqué l’analyse énoncée dans les arrêts Anns/Cooper et a conclu que la déclaration ne révélait aucune cause d’action parce que le régime législatif et réglementaire sous‑jacent n’étayait pas l’argument des demandeurs selon lequel l’État avait à leur égard une obligation de diligence de droit privé. La Cour d’appel a souscrit à cette conclusion. Faisant référence aux pouvoirs et aux obligations prévus à l’article 4 de la Loi sur le ministère de la Santé, précité, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 54 :

[traduction]

[54]   […] étant donné qu’il a été décidé dans l’arrêt Cooper que le lien de proximité entre un demandeur et un gouvernement doit trouver sa source dans la loi habilitante, je commence l’analyse par l’examen du cadre législatif. Comme je l’ai déjà relevé, l’article 4 de la Loi sur le ministère de la Santé, qui est la loi habilitante, dispose que les obligations du ministre s’étendent d’une façon générale à la promotion et au maintien de la santé de la population et à la prévention des risques en général. Ainsi, en vertu de cette loi, le ministre a une obligation envers la population dans son ensemble, et non pas envers les résidents pris isolément.

[25]  La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a adopté une conclusion similaire dans l’arrêt Los Angeles Salad Company Inc c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 BCCA 34 (autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 35293 (le 15 août 2013) [Los Angeles Salad], une affaire qui avait trait à de prétendus actes négligents commis par des employés de l’État effectuant des inspections alimentaires. À la suite d’une inspection effectuée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA) qui a mené à la conclusion selon laquelle les carottes importées par les demandeurs pouvaient être infectées par une bactérie, il y a eu un rappel et une destruction des carottes en question. Ultérieurement, il a été conclu que les carottes n’avaient pas été infectées. Les importateurs alléguant négligence de la part de l’ACIA ont intenté une poursuite contre l’État. Le juge saisi de la requête a rejeté l’action et a conclu que l’ACIA n’avait pas d’obligation de diligence envers les importateurs de carottes. La Cour d’appel a confirmé cette décision, et elle a conclu ce qui suit au paragraphe 55 :

[traduction]

[55]   […] l’objet précis du régime législatif concerné est de protéger la santé des Canadiens en empêchant la vente d’aliments contaminés au Canada. Reconnaître une obligation de diligence de droit privé à l’égard des vendeurs d’aliments serait incompatible avec cet objet. Cela mettrait les inspecteurs d’aliments dans la position intenable de devoir soupeser les droits prédominants du public et les droits privés des vendeurs d’aliments et il leur serait ainsi difficile de bien s’acquitter de leurs obligations. En conséquence, le régime législatif exclu la possibilité qu’il existe un lien de proximité suffisant pour rendre juste et raisonnable l’imposition d’une obligation de diligence prima facie dans les circonstances de la présente affaire […]

[26]  En l’espèce, comme dans l’arrêt Attis, l’analyse légale commence par la Loi sur le ministère de la Santé. L’article 4 de cette Loi accorde des pouvoirs et des fonctions au ministre de la Santé pour l’administration des lois, des décrets et règlements du gouvernement du Canada confiés à son ministère pour, entre autres choses, la promotion et le maintien du bien‑être de la population, la protection de la population contre la propagation de la maladie et les risques pour la santé, et les enquêtes et les recherches sur la santé publique. Le paragraphe 30(1) de la Loi sur les aliments et les drogues prévoit des dispositions relatives à l’adoption de règlements portant sur les aliments, les drogues, les produits cosmétiques ou les instruments. Le Règlement sur les produits de santé naturels régit la vente et la distribution de produits de santé naturels, notamment le produit en cause dans la présente procédure.

[27]  L’argument des demandeurs selon lequel, sur demande, le ministre est obligé de leur délivrer une licence de mise en marché, en vertu de l’article 7 du Règlement sur les produits de santé naturels, ne tient pas compte du cadre législatif et réglementaire dans lequel cette disposition s’inscrit. Cet argument ne tient notamment pas compte des pouvoirs accordés au ministre à l’article 17 du Règlement d’ordonner au titulaire de licence, au fabricant, au distributeur ou à l’importateur de cesser la vente du produit de santé naturel.

[28]  L’objet précis du régime législatif et réglementaire en cause dans la présente affaire est de protéger la santé des Canadiens en empêchant la vente de produits de santé naturels contaminés au Canada. Reconnaître une obligation de diligence de droit privé aux importateurs et aux distributeurs de ces produits irait à l’encontre de cet objet. Je ne peux pas souscrire aux arguments des demandeurs selon lesquels l’obligation de promouvoir et de préserver la santé de la population du Canada comporte une obligation envers les distributeurs de produits tels que Libidus.

[29]  Par conséquent, je conclus que le lien entre les parties ne comporte aucune proximité qui justifierait l’imposition aux défendeurs d’une obligation de diligence qui consiste à s’assurer que leur examen des produits, et l’administration du régime réglementaire n’entraînent pas de pertes financières pour les demandeurs.

[30]  Dans le cadre de l’examen de la deuxième étape du critère énoncé dans les arrêts Anns/Cooper, comme il ressort du paragraphe 63 de l’arrêt Los Angeles Salad, précité, le problème qui se pose est que l’obligation de diligence alléguée peut être si vaste que ses limites ne sont pas définissables et, par conséquent, pour des raisons de principe, l’obligation ne devrait pas être imposée. Les demandeurs allèguent que cette considération de principe n’est pas pertinente dans la présente affaire, étant donné que le nombre des personnes qui importent, distribuent et vendent ce produit est limité. Bien que cela puisse être vrai dans la présente espèce, la considération de principe qui demeure s’étend à la valeur à titre de précédent de l’application dans d’autres demandes de nature similaire d’une conclusion selon laquelle il existe une obligation de diligence.

[31]  Les demandeurs soutiennent que si la déclaration est radiée sans autorisation de la modifier, ils se verront refuser leur droit [traduction] « à l’accès à la justice ». Bien que l’accès à la justice soit une valeur importante dans notre société, cela ne signifie pas que chaque affaire devrait ouvrir droit à un procès.

[32]  Pour les motifs susmentionnés, je suis convaincu que la déclaration devrait être radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

[33]  Les défendeurs ont demandé leurs frais et ils ont présenté un mémoire de frais et de débours pour 2 591,82 $. Le montant des frais réclamés concorde avec le tarif, et les débours semblent raisonnables. Toutefois, dans les circonstances, je pense qu’il serait approprié que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens contre les demandeurs.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.      La requête des défendeurs est accueillie;

2.      La déclaration est radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier;

3.      Chaque partie doit assumer ses propres dépens.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1481-12

 

INTITULÉ :

CHERYL ANNE SWARATH ET AUTRES

c

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU GOUVERNEMENT DU CANADA ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                    LE 20 JANVIER 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS

ET de L’ORDONNANCE :                  LE 22 JANVIER 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Matthew T. Duffy

POUR LES DEMANDEURS

 

Brendan Friesen

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado, LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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