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Date : 20140128


Dossier :

IMM-10968-12

 

Référence : 2014 CF 92

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Boivin

Dossier

IMM-10968-12

 

ENTRE :

JIANGHAO HE

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), relativement à l’omission par le défendeur de traiter la demande de résidence permanente du demandeur présentée dans la catégorie des investisseurs et de rendre une décision à cet égard. Le demandeur sollicite la délivrance d’une ordonnance de mandamus enjoignant le défendeur à traiter sa demande de résidence permanente et à rendre une décision définitive à cet égard.

 

Contexte factuel

[2]               La présente demande est l’une des sept demandes de contrôle judiciaire ayant trait à des demandes de résidence permanente dans la catégorie des investisseurs qui ont été présentées entre les mois de juin 2009 et juin 2010 auprès de quatre (4) bureaux différents à l’étranger : le Consulat général du Canada (CGC) à Hong Kong, le bureau des visas à Beijing, le Haut-commissariat du Canada à Londres (HCC) et le bureau des visas à Berlin.

 

[3]               Depuis la présentation des demandes, une restructuration du réseau mondial de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a provoqué le regroupement de plusieurs bureaux à l’étranger. À la fin de 2012, le CGC à Hong Kong a assumé la responsabilité de tous les dossiers d’immigration des gens d’affaires antérieurement soumis au bureau de Beijing (affidavit de Stephen Hum, au par. 2). En avril et mai 2012, les bureaux de Berlin et de Belgrade ont été fermés et leur charge de travail a été transférée au bureau des visas de Vienne (affidavit de Donald Gautier, au par. 5). Enfin, en raison de préoccupations liées à la sécurité au Pakistan, tous les dossiers d’immigration de gens d’affaires ont été transférés du bureau d’Islamabad au HCC à Londres (affidavit de Gaynor Rent, au par. 9).

 

           

 

 

Modifications législatives apportées au programme fédéral d’immigration des investisseurs

[4]               Les sept (7) demandes de résidence permanente ont toutes été reçues par le défendeur avant que des modifications importantes ne soient apportées au programme d’immigration des investisseurs (PII) fédéral.

 

[5]               Dans les instructions ministérielles (IM-2), publiées le 26 juin 2010, le défendeur a déclaré que les demandes de résidence permanente reçues postérieurement à l’entrée en vigueur des modifications au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) serait traitées en parallèle avec les demandes reçues et non encore traitées. En vertu de ces instructions, une « pause administrative » est aussi établie, laquelle spécifie que le défendeur cesserait d’accepter des demandes d’immigration d’investisseurs jusqu’à la mise en vigueur des modifications au Règlement (instructions ministérielles (IM-2), le 26 juin 2010, vol. 144, no 26, en ligne : <http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2010/2010-06-26/html/notice-avis-fra.html#archivé>).

 

[6]               Le 10 décembre 2010, le paragraphe 88(1) du Règlement a été amendé afin de modifier la définition du terme « placement » (une hausse de 400 000 $ à 800 000 $) que les candidats investisseurs doivent verser pour être reconnus comme des gens d’affaires immigrants.

 

[7]               Dans le bulletin opérationnel 252, publié le 2 décembre 2010, le défendeur a déclaré que « [r]ègle générale, les bureaux des visas doivent traiter les demandes au titre du PII fédéral selon le ratio suivant : deux anciennes demandes non traitées pour une nouvelle demande reçue à compter du 1er décembre 2010. Le ratio de traitement simultané des demandes de deux anciennes demandes pour une nouvelle demande [...] » (Bulletin opérationnel 252, le 2 décembre 2010, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/français/resources/manuals/bulletins/2010/ob252.asp>). En d’autres termes, pour chaque deux (2) « anciennes » demandes respectant le critère des 400 000 $ reçues avant le 1er décembre 2010, le défendeur doit traiter une (1) « nouvelle » demande respectant le critère des 800 000 $ reçue depuis le 1er décembre 2010.

 

[8]               Dans les instructions ministérielles (IM-3), publiées le 1er juillet 2011, le défendeur a institué un plafond relatif au nombre de demandes pouvant être traitées et a établi qu’un maximum de « 700 nouvelles demandes de la catégorie des investisseurs immigrants (fédéral) seront envisagées aux fins du traitement chaque année » (Instructions ministérielles (IM-3), le 1er juillet, vol. 145, no 26, en ligne : <http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2011/2011-06-25/html/notice-avis-fra.html>).

 

[9]               Enfin, dans les instructions ministérielles (IM-5), publiées le 2 juillet 2012, le défendeur a institué une deuxième pause administrative au regard de l’acceptation de nouvelles demandes d’immigration d’investisseurs, cette pause étant toujours en vigueur à ce jour (Instructions ministérielles (IM-5), le 2 juillet 2012, vol. 146, no 26, en ligne : <http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2012/2012-06-30/html/notice-avis-fra.html#d118 >).

 

La présente demande – IMM-10968-12(Hong Kong)

[10]           Jianghao He, le demandeur, est citoyen de la République populaire de Chine. Le 25 juin 2009, M. He a présenté une demande de résidence permanente au CGC à Hong Kong dans le cadre du PII. Sa conjointe et son fils faisaient aussi partie de sa demande. M. He soutient qu’il lui a été dit par le défendeur, lors de la présentation de sa demande, que le traitement de son dossier commencerait d’ici 18 à 24 mois, soit à compter du 25 juin 2011. Il soutient aussi que le traitement de son dossier devait progresser peu de temps après, mais que ce ne fût pas le cas.

 

[11]           Le CGC à Hong Kong dispose d’un lot d’environ 16,000 demandes présentées dans la catégorie fédérale des investisseurs. Parmi ces demandes, 5,500 ont été reçues en 2009 et 7,500 l’ont été en 2010. Le lot se divise en trois (3) groupes : a) les demandes présentées avant les instructions ministérielles publiées le 26 juin 2010 (« demandes pré-IM-2 »); b) les demandes présentées après les modifications au Règlement entrées en vigueur le 1er décembre 2010, mais antérieurement au plafond fixé par les instructions ministérielles IM -3 (« demandes IM-2 »); c) les demandes soumises depuis l’établissement du plafond le 1er juillet 2011, mais antérieurement à la pause administrative de 2012 (« demandes IM-3 »). Les cinq (5) demandes qui font partie du lot du CGC à Hong Kong – IMM-10968-12, IMM-10970-12, IMM-10972-12, IMM-10978-12 et IMM-12609-12 – sont des demandes pré-IM-2. Elles ne sont donc pas touchées par l’augmentation du montant du placement qui a doublé ou par les pauses administratives, mais elles doivent être traitées en parallèle avec les « nouvelles » demandes d’immigration d’investisseur en fonction d’un ration de deux pour une (Affidavit de Stephen Hum, au par. 3).

 

[12]           Compte tenu des circonstances et du nombre de demandes à traiter, le vice-consul au CGC à Hong Kong estime que les cinq (5) demandes sont peu susceptibles de passer à l’étape d’un traitement concret avant la fin de 2013 ou le début de 2014. Il a indiqué qu’en date du 5 mars 2013 (affidavit de Stephen Hum, au par. 12) :

a)      le système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) indiquait que 1,175 demandes à traiter précédaient en 2009 celle de Jianghao He (IMM-10968-12);

b)       le STIDI indiquait que 3,610 demandes à traiter précédaient en 2009 celle de Hui Zhang (IMM-10970-12);

c)      le STIDI indiquait que 1,175 demandes à traiter précédaient en 2009 celle de Jing Zhang (IMM-10972-12) (en raison du déplacement de Mme Zhang, il n’a pas été  possible d’évaluer le nombre exact de dossiers précédant le sien lorsque le défendeur a produit ses affidavits);

d)      le STIDI indiquait que 1,541 demandes à traiter précédaient en 2009 celle de Junsong Fang (IMM-10978-12);

e)      le STIDI indiquait que 1,833 demandes à traiter précédaient en 2009 celle de Xiaoyan Jiang (IMM-12609-12).

 

Questions en litige

[13]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

a)            Le défendeur devrait-il être contraint, en vertu d’une ordonnance de mandamus ou en raison des attentes légitimes du demandeur, de procéder à l’évaluation de la demande en fonction des critères de sélection actuels et de terminer le traitement de la demande dans un délai imparti?

b)            Le défendeur devrait-il être empêché, au moyen d’un bref de prohibition,  d’apprécier la demande selon des critères plus stricts que ceux en vigueur lorsque la demande a été déposée?

c)            Si le défendeur décide de ne pas traiter la présente demande sur le fond, devrai-il verser 5 millions de dollars au demandeur ainsi qu’aux personnes à sa charge, le cas échéant?

d)           Le défendeur devrait-il payer au demandeur une somme importante en frais de litige?

 

Dispositions pertinentes

[14]           L’article 87.3 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiées confère au ministre le pouvoir de donner des instructions sur l’ordre de traitement des demandes et sur le nombre de demandes à traiter par an :

PART 1

 

IMMIGRATION TO CANADA

 

 

Division 10

 

General Provisions

 

Instructions on Processing Applications and Requests

 

Application

 

87.3 (1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsections 11(1) and (1.01), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), to sponsorship applications made under subsection 13(1), to applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada, to applications for work or study permits and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.

 

 

 

Attainment of immigration goals

 

(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.

 

Instructions

 

(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions

 

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

 

(a.1) establishing conditions, by category or otherwise, that must be met before or during the processing of an application or request;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

PARTIE 1

 

IMMIGRATION AU CANADA

 

[…]

 

Section 10

 

Dispositions générales

 

Instructions sur le traitement des demandes

 

Application

 

87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées aux paragraphes 11(1) et (1.01) – sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) – , aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

 

Atteinte des objectifs d’immigration

 

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

 

 

Instructions

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions :

 

a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

 

a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui-ci;

 

b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

 

c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

 

d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

[…]

 

[15]           Le paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés énoncent les définitions suivantes qui sont pertinentes en l’espèce :

PART 6

 

ECONOMIC CLASSES

 

 

 

Division 2

 

Business Immigrants

 

Interpretation

 

 

Definitions

 

88. (1) The definitions in this subsection apply in this Division.

 

 

“investment”

« placement »

“investment” means, in respect of an investor, a sum of $800,000 that

 

(a) in the case of an investor other than an investor selected by a province, is paid by the investor to the agent for allocation to all approved funds in existence as of the date the allocation period begins and that is not refundable during the period beginning on the day a permanent resident visa is issued to the investor and ending at the end of the allocation period; and

 

(b) in the case of an investor selected by a province, is invested by the investor in accordance with an investment proposal within the meaning of the laws of the province and is not refundable for a period of at least five years, as calculated in accordance with the laws of the province.

 

 

“investor”

« investisseur »

“investor” means a foreign national who

 

(a) has business experience;

 

(b) has a legally obtained net worth of at least $1,600,000; and

 

(c) indicates in writing to an officer that they intend to make or have made an investment.

PARTIE 6

 

IMMIGRATION ÉCONOMIQUE

 

[…]

 

Section 2

 

Gens d’affaires

 

Définitions et champ d’application

 

Définitions

 

88. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

 

[…]

 

« placement »

investment

« placement » Somme de 800 000 $ :

 

 

a) qu’un investisseur autre qu’un investisseur sélectionné par une province verse au mandataire pour répartition entre les fonds agréés existant au début de la période de placement et qui n’est pas remboursable pendant la période commençant le jour où un visa de résident permanent est délivré à l’investisseur et se terminant à la fin de la période de placement;

 

b) qu’un investisseur sélectionné par une province investit aux termes d’un projet de placement au sens du droit provincial et qui n’est pas remboursable pendant une période minimale de cinq ans calculée en conformité avec ce droit provincial.

 

[…]

 

« investisseur »

investor

« investisseur » Étranger qui, à la fois :

 

a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise;

 

b) a un avoir net d’au moins 1 600 000 $, qu’il a obtenu licitement;

 

c) a indiqué par écrit à l’agent qu’il a l’intention de faire ou a fait un placement.

 

Analyse

[16]           La Cour est d’avis que le demandeur n’a pas démontré qu’il a droit à une ordonnance de mandamus.

 

Affidavits du demandeur

[17]           L’affidavit de Danilo Almacén est admissible, mais il ne peut lui être accordé que très peu de poids vu qu’il ne contient que des informations générales sur des questions de portée générale (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, au par. 20, [2012] ACF no 93 [AUCC]).

 

[18]           Lors de l’audience, le demandeur a aussi produit de brèves notes tirées du STIDI qui n’auraient pas fait partie du dossier du tribunal. Comme l’a mentionné le défendeur, cette situation s’explique parce que le STIDI fait l’objet d’une mise hors service et que les notes de fichier sont transférées dans le nouveau « système mondial de gestion des cas » (SMGC). Les notes du STIDI seront ainsi versées dans le nouveau SMGC. Une fois complété le transfert du fichier STIDI dans le SMGC, ce fichier est fermé et aucun autre renseignement n’y est consigné. Les notes provenant du SMGC contiendront donc les renseignements les plus récents (lettre du défendeur demandée par la Cour, le 18 décembre 2013). Après avoir quand même examiné la teneur des  notes tirées du STIDI, la Cour estime qu’elles permettent de confirmer la « date de traitement » communiquée au demandeur, mais qu’elles ne peuvent être invoquées pour étayer l’argument central du demandeur en ce qui a trait aux soi-disant « engagements » donnés au regard du traitement de la demande ou des estimations de temps liées à son traitement. De plus, comme aucune décision n’a été rendue dans le cas du demandeur, il était impossible de fournir des motifs. Encore une fois, il est loisible à la Cour d’examiner ce document, mais il est peu utile en l’espèce.

 

 

 

L’argument concernant le Québec

[19]           Lors de l’audience, le demandeur a informé la Cour qu’il renonçait à l’« argument concernant le Québec ».

 

[20]           La Cour se penchera maintenant sur les questions précises soulevées en l’espèce.

 

a)      Le défendeur devrait-il être contraint, en vertu d’une ordonnance de mandamus ou en raison des attentes légitimes du demandeur, de procéder à l’évaluation de la demande en fonction des critères de sélection actuels et de terminer le traitement de la demande dans un délai imparti?

[21]           Le demandeur soutient que la Cour devrait contraindre le défendeur à terminer le traitement de son dossier dans un délai prescrit, étant donné qu’il remplit les conditions requises pour l’émission d’une ordonnance de mandamus ou pour l’application de la théorie de l’attente légitime.

 

[22]           Essentiellement, le demandeur enjoint la Cour d’ordonner au défendeur de traiter sa demande PII dans les délais qui lui auraient été communiqués au moment du dépôt de sa demande, et selon les critères qui étaient alors en vigueur.

 

[23]           L'ordonnance de mandamus est une mesure de réparation discrétionnaire en equity. Les exigences en matière de mandamus, telles que décrites dans Apotex Inc c Canada (Procureur général) (CA), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098 (QL), conf. [1994] 3 RCS 1100 [Apotex], sont les suivantes :

a)                  il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

b)                  l’obligation doit exister envers le requérant;

c)                  il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation;

d)                 l'obligation dont on demande l'exécution forcée est discrétionnaire;

e)                  le requérant n’a aucun autre recours;

f)                   l'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

g)                  en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé;

h)                  compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[24]           Conformément à la décision Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.), [1999] 2 CF 33, [1998] ACF no 1553 (QL) [Conille], la Cour a statué que l'exécution tardive d'une obligation prévue par la loi sera jugée déraisonnable si les conditions suivantes sont remplies :

 a)        le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

 b)        le demandeur et son conseiller juridique n'en sont pas responsables;

c)        l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.

 

La question que la Cour doit trancher est celle de savoir si le délai invoqué par le demandeur est plus long que la nature du processus l’exige et, dans l’affirmative, si le délai est justifié.

 

Le demandeur estime que le défendeur n’a pas respecté son « engagement de traiter » la demande et qu’il n’a pas initié son traitement selon l’échéancier qui lui a été indiqué lors du dépôt de la demande. Le demandeur ajoute que, dans la réponse à sa demande que le défendeur a présentée suivant l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, ce dernier n’a pas fourni de raison justifiant sa décision de ne pas commencer le traitement à la date à laquelle de dossier devait être activé.

 

[25]           Le demandeur invoque la décision Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 758, [2012] ACF no 683 (QL) [Liang], une affaire qui est semblable à certains égards à la demande en l’espèce, mais qui s’en distingue sur des aspects essentiels.

 

[26]           Dans Liang, M. Liang et Mme Gurung, qui avaient été choisis comme représentants pour deux (2) groupes ayant présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF), - par opposition à la catégorie des investisseurs – avaient sollicité des ordonnances de mandamus enjoignant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à traiter leurs demandes de résidence permanente. Les instructions ministérielles modifiant les critères de sélection et établissant des plafonds ainsi que des priorités en matière de traitement, adoptés conformément à l’article 87.1 de la Loi, s’appliquaient aux nouvelles demandes déposées après le 27 février 2008. En l’espèce, les instructions s’appliquent aux demandes existantes dont le traitement est effectué en parallèle [avec les nouvelles demandes].

 

[27]           Il convient également de souligner, contrairement aux faits dans l’affaire Liang sur laquelle le demandeur s’appuie, que les lignes directrices et la réglementation s’appliquant aux demandes en cours ne prévoient pas d’estimation de délai avant que le traitement de la demande débute. Dans Liang, les demandes avaient été divisées en deux (2) groupes : le premier groupe comprenait des demandes déposées antérieurement aux modifications législatives importantes, et le délai écoulé depuis leur dépôt variait de 4 ans ½ à 9 ans; le deuxième groupe comprenait des demandes déposées postérieurement à la publication des lignes directrices, lesquelles étaient pendantes depuis 2 à 4 ans. Les lignes directrices énonçaient que les demandes du deuxième groupe « devraient recevoir une décision dans les six à douze mois » (Liang, précitée, au par. 29). En l’espèce, il n’y a aucune preuve de délais courus ou que des estimations du délai de traitement étaient écoulées. Par conséquent, en raison de l’absence de preuve corroborant l’existence d’estimations liées au traitement des demandes, de l’absence d’estimations gouvernementales officielles et de la période relativement courte écoulée depuis la fin des échéanciers allégués du traitement des demandes, l’affaire Liang doit être distinguée de la cause en l’espèce.

 

[28]           Le demandeur affirme que les motifs sous-jacents aux délais relatifs au traitement des demandes découlent des critères de sélection, des quotas et du traitement des priorités qui ont été énoncés dans les instructions ministérielles IM-2 et IM -3 ainsi que dans le bulletin opérationnel 252. La Cour peut concevoir que le demandeur soit insatisfait du régime actuel des PII en raison du rang qu’il occupe dans la file d’attente, mais ce régime a été légalement établi et mis en application en pleine connaissance de l’objet de la loi, plus particulièrement des pouvoirs édictés par le législateur en adoptant le nouvel article 87.3 de la loi. De plus, l’argument du demandeur concernant l’abolition des demandes non encore traitées demeure de nature spéculative et aucune preuve ne permet de convaincre la Cour du contraire.

 

[29]           En outre, cette conclusion va dans le même sens que la jurisprudence établie par la Cour en matière de priorité de traitement. Dans Vaziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159, aux par. 36-37, 53-54, [2006] ACF no 1458 (QL) [Vaziri], le ministre avait établi un ratio entre les demandes d’immigrants économiques et les demandes d’autres natures, et accordé priorité aux demandes de parrainage des conjointes et des enfants à charge, ce qui a eu pour effet de retarder de façon considérable le traitement du dossier de demande de parrainage du demandeur. La Cour a conclu qu’il était important d’adopter une perspective élargie pour déterminer si le délai dans le processus de traitement de la demande avait été plus long que l’exige la nature du processus, plus particulièrement lorsqu’il y a un plus grand nombre de demandes que ce que le Canada peut accepter. Alors que ce pouvoir n’était qu’implicite dans l’affaire Vaziri, l’article 87.3 de la Loi le prévoit maintenant de façon explicite.

 

Attentes légitimes

[30]           Le demandeur n’a pas non plus convaincu la Cour que la théorie des attentes légitimes s’appliquait en l’espèce.

 

[31]           La théorie des attentes légitimes s’applique lorsque des affirmations ont été faites à un demandeur en ce qui a trait à la procédure qui sera suivie. Comme l’a récemment fait observer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au par. 68, [2011] 2 RCS 504, :

[68] Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur.  La preuve que l’intéressé s’est fié aux affirmations n’est pas nécessaire.

                                                                        [Renvois omis.]

 

[32]           La Cour estime que la preuve versée au dossier ne confirme pas l’allégation selon laquelle l’intimé a fait au demandeur des affirmations [traduction] « claires, non ambigües et sans réserve » sur le plan de la procédure. Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur n’a pas établi de façon satisfaisante que des estimations alléguées quant au traitement de la demande lui ont été effectivement communiquées. Aucune autre preuve n’a été soumise à la Cour.

b) Le défendeur devrait-il être empêché, au moyen d’un bref de prohibition, d’apprécier la demande selon des critères plus stricts que ceux en vigueur lorsque la demande a été déposée?

[33]           La Cour estime que le demandeur ne remplit pas les conditions nécessaires à l’émission d’un bref de prohibition.

 

[34]           Le demandeur presse la Cour d’émettre un bref de prohibition conformément aux dispositions de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, SRC 1985, c F-7. La Cour rappelle que l’objectif d’un bref de prohibition est de prévenir qu’un organisme administratif excède les pouvoirs qui lui ont été conférés et pose des actes qui outrepassent sa compétence (Nagalingam c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2012 CF 362, au par. 18, [2012] ACF no 390 (QL) [Nagalingam]; voir aussi La Société canadienne de la Croix-Rouge c Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada –Commission Krever), [1997] 2 CF 36, au par. 25, [1997] ACF No 17 (QL)).

 

[35]           Le dossier ne contient aucun élément de preuve démontrant que le défendeur a l’intention d’appliquer des critères différents que ceux en vigueur lors du dépôt de la demande. L’argument du demandeur sur ce point demeure de nature spéculative et doit donc être rejeté.

 

 c)  Si le défendeur décide de ne pas traiter la présente demande sur le fond, devrait-il verser 5 millions de dollars au demandeur ainsi qu’aux personnes à sa charge, le cas échéant?

[36]           La Cour estime que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, et, par conséquent, qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si une demande de réparation de cette nature devrait être accueillie.

 

 d)  Le défendeur devrait-il payer au demandeur une somme importante en frais de litige?

[37]           Les circonstances en l’espèce ne justifient pas le versement de frais importants et la Cour refuse donc d’examiner cette question. 

 

[38]           Pour tous ces motifs, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la présente demande ce contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Questions proposées aux fins de certification

[39]           À la fin de l’audience, le 17 décembre 2013, la Cour a accordé du temps à l’avocat du demandeur afin de lui permettre de soumettre des questions à certifier et, le 23 décembre 2013, il en a présenté pas moins de vingt-et-une (21).

 

[40]           Le Cour rappelle que les questions proposées à des fins de certification doivent transcender les intérêts des parties immédiates au litige, aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, et être déterminantes quant à l’issue de l’appel. 

 

[41]           Les questions à certifier soumises par l’avocat du demandeur correspondent à une nouvelle présentation de l’argumentation qu’il a déjà fait valoir devant la Cour lors de l’audience du 17 décembre 2013. En résumé, la question qui se pose ne consiste pas à déterminer s’il est possible pour le ministre d’établir des priorités. Le paragraphe 87(3) de la Loi est clair et le législateur a conféré ce pouvoir au ministre.

 

[42]           Les questions proposées par le demandeur à des fins de certification sont de nature spéculative, elles vont au-delà de la portée du présent litige et elles sont fondées sur des politiques, non sur les questions de droit soulevées dans le cadre de la présente demande.

 

[43]           Par ailleurs, le 2 janvier 2014, l’avocat du défendeur a proposé deux (2) questions à certifier. Après les avoir examinées, la question suivante est certifiée :

[traduction] Les personnes qui seront soumises à une longue période d’attente, avant l’évaluation de leur demande au titre de la catégorie d’immigrants investisseurs, en raison des cibles annuelles fixées et des instructions ministérielles émises en vertu de l’article 87.3 de la LIPR, ont-elles le droit à la délivrance d’une ordonnance de mandamus pour exiger le traitement immédiat de leur demande?

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         La question suivante est certifiée :

Les personnes qui seront soumises à une longue période d’attente, avant l’évaluation de leur demande au titre de la catégorie d’immigrants investisseurs, en raison des cibles annuelles fixées et des instructions ministérielles émises en vertu de l’article 87.3 de la LIPR, ont-elles le droit à la délivrance d’une ordonnance de mandamus pour exiger le traitement immédiat de leur demande?

 

 

 

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge 

 

Traduction certifiée conforme.

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-10968-12

 

INTITULÉ :

JIANGHAO HE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 17 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 28 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Timothy E. Leahy

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Forefront Migration Ltd.

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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