Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140122


Dossier : T-1270-13

 

Référence : 2014 CF 77

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique) le 22 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

NAVJIT KAUR RAI

ET SURINDER SINGH RAI

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Aperçu

[1]               La Convention de La Haye sur l’adoption et le droit interne canadien, fédéral et provincial, ont été mis en place afin de protéger les enfants en raison de leur vulnérabilité et afin de protéger également ceux qui voient à la protection de ces enfants.

 

[2]               Sans lettres des autorités compétentes des pays d’origine et de la province canadienne en question, confirmant que les exigences en matière d’adoption prévues dans la Convention de La Haye sur l’adoption ont été satisfaites, les exigences en matière d’adoption prévues dans la Loi sur la citoyenneté sont considérées comme n’ayant pas été satisfaites par les autorités canadiennes (Dufour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 340; Adejumo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1485, 402 FTR 282 [Adejumo].

 

II. Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas, datée du 28 mai 2013, par laquelle elle a rejeté la demande de citoyenneté présentée par les demandeurs à l’égard de leur fille adoptive. L’agente n’a pas été convaincue que l’adoption satisfaisait aux exigences prévues aux alinéas 5.1(1)a), 5.1(1)b) ou 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC, 1985, c C-29.

 

III. Historique

[4]               Les demandeurs, Mme Navjit Kaur Rai et monsieur Surinder Singh Rai, sont des citoyens canadiens originaires de l’Inde. Ils ont trois enfants nés au Canada : Keerat Singh Rai, Ravjat Singh Rai et Kultaj Singh Rai.

 

[5]               Le 31 décembre 2009, les demandeurs ont adopté Kamaljeet Kaur, la fille du frère défunt de Mme Rai. La mère biologique de Kamaljeet, Manjit Kaur, habite toujours en Inde. Elle entretient toujours des liens avec sa fille et elle la voit régulièrement.

 

[6]               Le 18 mai 2012, les demandeurs ont soumis, au nom de Kamaljeet, une demande de citoyenneté canadienne pour une personne adoptée par un citoyen canadien.

 

[7]               Les demandeurs, dans le cadre du processus de demande, se sont fait demander, dans une lettre en date du 24 juillet 2012, rédigée par la Section de l’immigration du haut-commissariat du Canada à New Delhi, de produire un certain nombre de documents à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] afin de confirmer que l’adoption a été faite en conformité avec les lois de l’Inde et du Canada. Il s’agissait notamment des documents suivants :

a)      Une étude du milieu familial des parents adoptifs réalisée par un organisme accrédité au Canada;

b)      Un avis de consentement de la province de destination au Canada;

c)      Un certificat de non-opposition de la Central Adoption Resource Authority (CARA);

d)     Des photos de la cérémonie d’adoption.

(dossier certifié du tribunal, page 109)

 

[8]               Les demandeurs ont soumis une étude du milieu familial et des photos de la cérémonie, toutefois, ils n’ont produit aucun avis de consentement de la province de la Colombie‑Britannique ni aucun certificat de non-opposition de la CARA.

 

[9]               Le 28 mai 2013, l’agente des visas a rejeté la demande de citoyenneté présentée par les demandeurs pour le compte de leur fille adoptive et la Cour est saisie de cette demande sous‑jacente.

 

IV. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[10]           Dans sa décision, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que l’adoption était dans l’intérêt supérieur de l’adoptée qu’il existait un véritable lien affectif parent-enfant et que l’adoption avait été faite en conformité avec le droit de l’Inde et du Canada, respectivement. À ce titre, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait aux exigences des alinéas 5.1(1)a), 5.1(1)b) et 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

 

[11]           En ce qui concerne la première question en litige, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas suffisamment démontré que l’adoption était dans l’intérêt supérieur de l’enfant, car ils n’ont pas pu produire les documents essentiels exigés pour confirmer que l’adoption avait été faite en conformité avec la Hindu Adoption and Maintenance Act (HAMA) de l’Inde ou de la Convention de La Haye sur l’adoption.

 

[12]           L’agente a souligné qu’il y avait une divergence importante dans les cinq entrevues qu’elle a menées relativement au l’endroit où la cérémonie d’adoption a eu lieu. Il n’était donc pas possible de savoir si une cérémonie avait vraiment eu lieu. Elle a également souligné que les photos soumises par les demandeurs ne démontraient pas clairement que la cérémonie avait trait à une adoption.

 

[13]           En ce qui concerne le caractère véritable du lien affectif parent-enfant, c’est-à-dire la deuxième question en litige, l’agente a souligné que le dossier comprenait très peu d’éléments de preuve démontrant que les demandeurs et Kamaljeet ont eu des communications régulières. De plus, rien ne démontrait que les demandeurs avaient transféré des fonds afin de subvenir aux besoins de Kamaljeet en Inde. L’agente a également conclu que Kamaljeet en savait très peu sur le Canada et sur le mode de vie de ses parents adoptifs.

 

[14]           En ce qui concerne la dernière question en litige, l’agente a mentionné que les demandeurs ne s’étaient pas conformés au droit du Canada, car ils n’avaient produit aucun avis de consentement de la province de la Colombie-Britannique ni aucun certificat de non-opposition de la CARA. L’agente a conclu que, en l’absence de ces documents, elle ne pouvait pas être convaincue que les demandeurs avaient satisfait aux exigences de la Loi sur la citoyenneté.

 

V. La question en litige

[15]           L'agente a-t-elle commis une erreur dans l'appréciation de la preuve dont elle était saisie?

 

VI. Les dispositions législatives applicables

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi sur la citoyenneté sont applicables en l’espèce :

5.1      (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

 

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

 

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

 

 

[…]

5.1      (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

 

 

 

 

 

(a) was in the best interests of the child;

 

 

(b) created a genuine relationship of parent and child;

 

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

 

 

Les sous-alinéas 117(1)g)(i) et 117(1)g)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés sont également applicables en l’espèce.

 

VII. La norme de contrôle

[17]           L’appréciation de la preuve faite par l’agent des visas au titre de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté est contrôlable selon la norme de la raisonnabilité (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1177; Satnarine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 91, 404 FTR 135). Par conséquent, la Cour n’interviendra pas si la décision est justifiée, transparente, intelligible et appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47).

 

VIII. L'analyse

[18]           Les demandeurs contestent plusieurs des conclusions de fait de l’agente. Ils prétendent avec insistance que la preuve au dossier contredit ces conclusions.

 

[19]           Après avoir examiné attentivement le dossier, la Cour ne peut pas souscrire à la prétention des demandeurs. La Cour estime que l’agente disposait plus que suffisamment d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

 

[20]           Dans leurs observations, les demandeurs ont donné peu de détails concernant l’adoption ou les circonstances qui y ont mené. Les quelques renseignements qui ont été donnés à l’agente sont confus et contradictoires. Par exemple, dans leur entrevue, les demandeurs et Kamaljeet n’ont pas mentionné les mêmes endroits en ce qui concerne le lieu où l’adoption a eu lieu. Aucune explication raisonnable n’a été donnée quant à cette divergence. On ne sait donc pas très bien où la cérémonie a vraiment eu lieu, à supposer qu’elle ait eu lieu. Comme il a été établi dans Dhadda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 206, la cérémonie est un élément essentiel permettant de déterminer la validité d’une adoption en Inde; l’enfant doit être physiquement « donné et pris » en adoption. Cet élément n’a pas été raisonnablement prouvé en l’espèce.

 

[21]           Dans la même veine, les demandeurs ont présenté peu d’éléments de preuve pour démontrer qu’il existait une véritable relation parent-enfant. Bien qu’il puisse toujours exister une relation continue avec le parent biologique dans les cas d’adoption, il incombait aux demandeurs d’établir qu’ils avaient assumé le rôle de parents dans la vie de Kamaljeet, non seulement sur le plan juridique, mais également sur le plan pratique (Adejumo, précitée).

 

[22]           Il n’y avait guère de preuve que les demandeurs avaient fourni un soutien affectif à Kamaljeet depuis l’adoption (très peu de communication), et il n’y avait aucune preuve de soutien financier. Il semble plutôt que ce soient la tante (et fondée de pouvoir) de Kamaljeet, Mme Ranjit Kaur, et son époux, monsieur Davinder Singh, qui ont apporté leur soutien, tant sur le plan affectif que sur le plan financier, à Kamaljeet depuis son adoption par les demandeurs en 2009. Bien que la Cour reconnaisse que M. Singh gagne de l’argent en cultivant des terres appartenant à M. Rai et qu’il se sert de cet argent pour subvenir aux besoins de son épouse et de Kamaljeet, selon la Cour il ne s’agit pas d’un soutien financier apporté par les demandeurs à leur fille adoptive.

 

[23]           À cet égard, la Cour estime que l’agente a raisonnablement conclu qu’il n’existait pas de véritable relation parent-enfant entre Kamaljeet et ses parents adoptifs.

 

[24]           Dans son affidavit, M. Rai prétend que lui et son épouse, grâce à des relevés d’appels téléphoniques et des cartes d’anniversaire qu’ils ont envoyées à Kamaljeet, ont fourni à l’agente des preuves de communication avec celle-ci; toutefois, comme le défendeur le souligne avec justesse, la majorité des documents auxquels les demandeurs sont postérieurs au processus d’entrevue. En outre, l’agente a confirmé dans une déclaration assermentée que ces documents n’avaient pas été versés au dossier dont elle était saisie (affidavit de Stella Sweetman Griffin, dossier des demandeurs, à la p. 128). Compte tenu de ces faits, la Cour ne peut pas prendre en compte cet élément de preuve dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision de l’agente. La preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire doit se composer uniquement des documents qui ont été soumis au décideur (Dezameau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 559, 369 FTR 151).

 

[25]           En plus des points susmentionnés, les demandeurs n’ont pas non plus fourni à l’agente les documents requis pour établir que l’adoption satisfaisait aux exigences de la Convention de La Haye sur l’adoption, laquelle vise à établir des mesures protectrices visant à garantir que les adoptions interétatiques se fassent dans l’intérêt supérieur des enfants et dans le respect des exigences prévues dans les lois du Canada. Les demandeurs ont été clairement avisés dans la lettre de l’agente du 24 juillet 2012 que la demande ne pouvait pas être accueillie sans ces documents essentiels.

 

[26]           Compte tenu de l’absence de ces documents, la Cour conclut qu’il était loisible à l’agente de décider qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur de Kamaljeet de lui permettre d’immigrer au Canada.

 

[27]           Les demandeurs ont mentionné qu’ils poursuivent leurs efforts en vue d’obtenir les documents exigés pour rendre Kamaljeet admissible à la citoyenneté canadienne. Malheureusement, ces efforts ne sont pas suffisants pour que la décision de l’agente soit annulée.

 

IX. Conclusion

[28]           Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. L'affaire ne soulève aucune question de portée générale devant être certifiée.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER:

T-1270-13

 

INTITULÉ :

NAVJIT KAUR RAI ET SURINDER SINGH RAI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 22 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                             LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                                         LE 22 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Sumandeep Singh

POUR LES DEMANDEURS

François Paradis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Singh Law Group

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.