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Date : 20140117


Dossier : T-1614-12

 

Référence : 2014 CF 56

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2014

En présence de madame la juge Kane

 

ENTRE :

RICHARD JAMES PHELAN

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 22 août 2012 du comité d’appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le TACRA) de ne pas réexaminer la demande de M. Phelan (le demandeur) sur le fond et de maintenir sa précédente décision du 26 octobre 2010, qui confirmait la décision du 18 janvier 2010 par laquelle le comité de révision du TACRA lui accordait une pension de l’ordre de trois-cinquièmes prenant effet à partir de la date de sa demande, soit le 16 février 2009.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur a pris sa retraite de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) en décembre 1998, après 24 ans de service. Avant de prendre sa retraite, le ou vers le 28 janvier 1998, il a été impliqué dans un accident de la route dans l’exercice de ses fonctions à Vancouver, en Colombie-Britannique (l’accident). Vers 2001, il a commencé à ressentir de la douleur au cou et à présenter d’autres symptômes à l’égard desquels il n’a pu obtenir de diagnostic.

 

[3]               Le 17 avril 2002, le demandeur a soumis une première demande de pension en raison d’un problème d’arthrose de la colonne cervicale (la demande de 2002). Cette demande, qui a été estampillée comme ayant été reçue par Anciens combattants Canada (le ministère), autorisait la Légion royale canadienne (la Légion) à le représenter. Le formulaire de demande de la Légion indiquait qu’un diagnostic médical était nécessaire.

 

[4]               Au cours de l’année 2002, le demandeur a tenté d’obtenir de la GRC des documents concernant son service, ses antécédents médicaux et l’accident. Le 17 juillet 2002, la GRC a répondu à la demande de renseignements qu’il avait adressée un mois plus tôt en indiquant qu’elle ne pouvait y satisfaire dans les délais de traitement habituels. Le 27 juillet suivant, le demandeur envoyait une lettre de suivi en précisant qu’il avait besoin des rapports relatifs à l’accident. Rien ne permet de savoir si la GRC a ultérieurement fourni ces documents ni à quelle date elle l’aurait fait. Le demandeur a obtenu des notes directement de l’agent de police qui était alors son partenaire à l’époque et qui a confirmé l’accident.

 

[5]               Entre 2003 et 2008, le demandeur affirme avoir pris en charge ses symptômes par des traitements de chiropraxie, de l’exercice et des médicaments, suivant5 les besoins.

 

[6]               Le 16 février 2009, le demandeur a déposé une nouvelle demande de pension d’invalidité en raison de son problème d’arthrose de la colonne cervicale (la demande de 2009). Le 10 mars suivant, il a fourni une lettre à l’appui de cette demande, où il affirmait notamment qu’il avait [traduction] « abandonné » sa demande de 2002.

 

[7]               En mars 2009, le demandeur a passé un examen d’IRM; le rapport rédigé par le Dr Kruger mentionne ceci : [traduction] « Il y a présence d’une sténose neurale foraminale bilatérale et sévère résultant de changements dégénératifs avancés au niveau des articulations uncovertébrales. » Le rapport indique également la présence d’une [traduction] « sténose modérée à sévère » en trois emplacements différents de la colonne vertébrale.

 

[8]               Le 23 juillet 2009, la demande de pension d’invalidité du demandeur a été rejetée par le ministère. Le demandeur a fait appel de cette décision devant le TACRA.

 

[9]               En octobre 2009, le Dr A. Jackson a rédigé un avis médical déclarant :

[traduction]

 

En ce qui concerne les antécédents de M. Phelan, il a travaillé comme agent de la GRC pendant de nombreuses années et ne s’est réellement adonné à aucune autre activité susceptible de provoquer à son âge un tel traumatisme au cou. Il m’informe qu’il lui est arrivé plusieurs fois de se rouler par terre avec des suspects durant des arrestations, etc., mais surtout, que la seule blessure pouvant être qualifiée de significative dont il puisse se souvenir remonte à 1998, lorsqu’il a été impliqué dans un accident de la route alors qu’il était en patrouille à Vancouver. À ce qu’il me dit, le véhicule était irrécupérable […]

 

Il est très difficile d’attribuer directement le degré d’arthrose et de discopathie dégénérative dont il souffre au cou à cet événement particulier. Cependant, il est possible, compte tenu des innombrables blessures au cou qu’il a subies durant sa carrière et de cet accident, que son emploi d’agent de la GRC l’ait effectivement amené à souffrir de discopathies dégénératives et d’arthrose.

 

En résumé, il est impossible de prouver ou de réfuter la cause de sa discopathie dégénérative précoce, mais tout bien considéré, il est plus probable que le contraire que la dimension physique de son emploi d’agent de la GRC et l’accident de la route en soient les principaux facteurs contributifs.

 

[10]           En janvier 2010, le comité de révision du TACRA a accordé au demandeur une pension d’invalidité de l’ordre de trois-cinquièmes, prenant effet le 16 février 2009, date à laquelle la demande de 2009 avait été présentée.

 

[11]           En ce qui concerne l’admissibilité aux trois cinquièmes de la pension, le comité de révision a estimé que, même si son travail dans la GRC [traduction] « avait contribué dans une large mesure » à sa discopathie cervicale, cette affection [traduction] « relève d’un processus dégénératif naturel qui aurait pu survenir indépendamment du service du demandeur dans la GRC ». Le comité de révision a pris note du témoignage du demandeur d’après lequel un chirurgien lui avait expliqué que cette affection se déclare normalement à la naissance et évolue tout au long de la vie. Le comité a également cité l’avis médical du Dr Jackson selon lequel l’accident et son service au sein de la GRC combinés étaient sans doute les principaux facteurs ayant contribué à son état.

 

[12]           Quant à la décision de donner effet à la pension à partir du 16 février 2009, le comité de révision a noté que le demandeur avait soumis une demande en 2002, mais que, d’après son témoignage, ses symptômes s’étaient atténués pendant qu’il attendait les documents demandés et qu’il n’avait donc pas donné suite à la demande. Le comité de révision a conclu qu’il s’était désisté de sa demande de 2002. La demande de 2009 a été dûment remplie et la date de celle‑ci constituait donc la date de prise d’effet.

 

[13]           Le demandeur a interjeté appel de la décision du comité de révision devant le comité d’appel du TACRA. Ce dernier a analysé deux questions : la preuve justifiait-elle d’accorder un taux de pension supérieur? Fallait-il considérer la demande de 2002 ou celle de 2009 aux fins de versements rétroactifs?

 

[14]           Le 28 janvier 2010, le comité d’appel a conclu que la décision d’accorder la pension aux trois cinquièmes était raisonnable. Le comité a attiré l’attention sur la preuve du Dr Jackson selon laquelle les facteurs liés au travail avaient principalement contribué à l’état du demandeur, et sur le fait qu’il était âgé de 57 ans au moment du diagnostic, ce qui voulait dire que onze ans s’étaient écoulés depuis la fin de son service. Pour ce qui est de la rétroactivité, le comité d’appel a reconnu que des éléments de preuve attestaient l’intention de déposer une demande en 2002, mais il n’était pas convaincu qu’une demande dûment remplie avait été déposée cette année-là; il a donc estimé que la demande à prendre en compte aux fins de la rétroactivité était celle de 2009. Le comité d’appel a confirmé que la date de prise d’effet était le 16 février 2009, et conclu qu’il n’y avait pas lieu d’accorder une compensation rétroactive additionnelle.

 

[15]           Le demandeur a sollicité ensuite le réexamen de la décision rendue le 26 octobre 2010. Le 22 août 2012, un comité d’appel du TACRA différemment constitué (le comité) a conclu que la preuve était insuffisante pour réexaminer l’affaire sur le fond et a confirmé sa précédente décision.

 

[16]           C’est cette décision de réexamen qui est visée par l’actuelle demande de contrôle judiciaire.

 

La décision de réexamen faisant l’objet du contrôle

[17]           Le comité s’est demandé si le précédent comité d’appel avait ou non commis une erreur de fait. Il a noté que l’arthrose de la colonne cervicale est par nature une maladie dégénérative qui dépend du processus naturel de vieillissement. Comme le demandeur n’a obtenu un diagnostic qu’à l’âge de 57 ans, le comité a estimé que ce processus avait justement contribué à l’apparition de l’affection, et qu’une pension aux trois cinquièmes était une reconnaissance raisonnable du rôle qu’avaient joué en l’occurrence les facteurs liés au service.

 

[18]           Le comité s’est également demandé si le précédent comité d’appel avait commis une erreur de droit en décidant de ne pas accorder au demandeur de versements rétroactifs. Le premier comité d’appel avait conclu qu’il avait retiré sa demande de 2002. Le comité de révision du TACRA avait déjà reconnu l’intention du demandeur de présenter une demande de pension d’invalidité en 2002, mais la preuve ne lui paraissait pas établir si celle-ci avait été remplie.

 

[19]           Dans le cadre du réexamen, le comité a noté que la demande de 2002 contenait des renseignements sommaires, qu’une entrevue avait apparemment eu lieu en juin 2002, mais que le dossier avait ensuite été inactif jusqu’en 2009. Le comité a relevé que le demandeur avait qualifié la demande de 2002 [traduction] d’« abandonnée », mais qu’il avait aussi mentionné qu’il n’avait pas eu l’intention de renoncer à la réclamation initiale. Le comité est parvenu à la même conclusion que dans la première décision d’appel, à savoir que le demandeur voulait déposer une demande en 2002, mais que [traduction] « [celle-ci] n’est pas allée de l’avant, soit en raison de la frustration de ses tentatives en vue d’obtenir des documents, soit à cause de la rémission des symptômes ».

 

[20]           Le comité s’est demandé si le précédent comité d’appel avait commis une erreur de droit en concluant que le ministère n’avait pas négligé son devoir de porter assistance au demandeur aux termes du paragraphe 81(3) de la Loi sur les pensions. Le comité a rappelé que le ministère n’avait pas reçu de demande dûment remplie, et noté que le demandeur avait reconnu s’être désisté de sa demande de 2002 et qu’il n’avait pas pu y donner suite, parce qu’il allait [traduction] « bien ». Le comité a confirmé la décision d’appel antérieure selon laquelle les éléments de preuve crédibles étaient insuffisants pour établir que le ministère avait manqué à son devoir d’assistance.

 

[21]           La législation applicable est la suivante :

Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), ch R‑11

 

32. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et des règlements, une compensation conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée, chaque fois que la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service dans la Gendarmerie, à toute personne, ou à l’égard de toute personne :

 

[…]

 

b) ayant servi dans la Gendarmerie à tout moment après le 31 mars 1960 comme contributeur selon la partie I de la présente loi, et qui a subi une invalidité avant ou après cette date, ou est décédée.

 

 

Loi sur les pensions, LRC (1985), ch P-6

 

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

 

[…]

 

21. (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

[…]

 

39. (1) Le paiement d’une pension accordée pour invalidité prend effet à partir de celle des dates suivantes qui est postérieure à l’autre :

 

a) la date à laquelle une demande à cette fin a été présentée en premier lieu;

 

b) une date précédant de trois ans la date à laquelle la pension a été accordée au pensionné.

 

[…]

 

(2) Malgré le paragraphe (1), lorsqu’il est d’avis que, en raison soit de retards dans l’obtention des dossiers militaires ou autres, soit d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur, la pension devrait être accordée à partir d’une date antérieure, le ministre ou le Tribunal, dans le cadre d’une demande de révision ou d’un appel prévus par la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), peut accorder au pensionné une compensation supplémentaire dont le montant ne dépasse pas celui de deux années de pension.

 

 

 

 

[…]

 

81. (3) Le ministre fournit, sur demande, un service de consultation pour aider les demandeurs ou les pensionnés en ce qui regarde l’application de la présente loi et la préparation d’une demande.

 

 

 

 

 

 

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, ch 18

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

 

 

[…]

 

38. (1) Pour toute demande de révision ou tout appel interjeté devant lui, le Tribunal peut requérir l’avis d’un expert médical indépendant et soumettre le demandeur ou l’appelant à des examens médicaux spécifiques.

 

 

(2) Avant de recevoir en preuve l’avis ou les rapports d’examens obtenus en vertu du paragraphe (1), il informe le demandeur ou l’appelant, selon le cas, de son intention et lui accorde la possibilité de faire valoir ses arguments.

 

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

 

 

 

[Non souligné dans l’original.]

Royal Canadian Mounted Police Superannuation Act, RSC, 1985, c R-11

 

 

32. Subject to this Part and the regulations, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of the following persons if the injury or disease — or the aggravation of the injury or disease — resulting in the disability or death in respect of which the application for the award is made arose out of, or was directly connected with, the person’s service in the Force :

 

 

[…]

 

(b) any person who served in the Force at any time after March 31, 1960 as a contributor under Part I of this Act and who has suffered a disability, either before or after that time, or has died.

 

Pension Act, RSC, 1985, c P-6

 

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

 

[…]

 

21. (2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

[…]

 

39. (1) A pension awarded for disability shall be made payable from the later of

 

 

 

(a) the day on which application therefore was first made, and

 

(b) a day three years prior to the day on which the pension was awarded to the pensioner.

 

[…]

 

(2) Notwithstanding subsection (1), where a pension is awarded for a disability and the Minister or, in the case of a review or an appeal under the Veterans Review and Appeal Board Act, the Veterans Review and Appeal Board is of the opinion that the pension should be awarded from a day earlier than the day prescribed by subsection (1) by reason of delays in securing service or other records or other administrative difficulties beyond the control of the applicant, the Minister or Veterans Review and Appeal Board may make an additional award to the pensioner in an amount not exceeding an amount equal to two years pension.

 

[…]

 

81. (3) The Minister shall, on request,

 

(a) provide a counselling service to applicants and pensioners with respect to the application of this Act to them; and

 

(b) assist applicants and pensioners in the preparation of applications.

 

Veterans Review and Appeal Board Act, SC 1995, c 18

 

 

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

[…]

 

38. (1) The Board may obtain independent medical advice for the purposes of any proceeding under this Act and may require an applicant or appellant to undergo any medical examination that the Board may direct.

 

 

(2) Before accepting as evidence any medical advice or report on an examination obtained pursuant to subsection (1), the Board shall notify the applicant or appellant of its intention to do so and give them an opportunity to present argument on the issue.

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[Emphasis added]

 

Les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension d’Anciens combattants Canada

[22]           Les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension d’Anciens combattants Canada comportent des définitions, une norme diagnostique et des considérations liées à la pension, y compris les causes et/ou aggravations de différents types d’arthrose. L’affection dont souffre le demandeur est spécifiquement couverte par la définition de l’arthrose. Les extraits pertinents des Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension – Arthrose (les Lignes directrices) sont reproduits ci-dessous :

NOTA : Pour justifier une demande de pension, l’arthrose doit causer une « invalidité ». Pour les besoins d’ACC, les signes et symptômes pertinents doivent être présents pour démontrer l’existence d’une « invalidité » découlant de l’arthrose. Une preuve radiographique ne suffit pas à elle seule; l’affection doit être symptomatique. Les observations radiographiques ne concordent pas toujours avec les symptômes de l’arthrose. Bien qu’il soit reconnu que les ostéophytes et le pincement de l’interligne articulaire sont des signes d’arthrose, leur présence ne veut pas dire que l’arthrose est symptomatique.

 

(À la page 1)

[…]

 

NORME DIAGNOSTIQUE

 

Un diagnostic doit être posé par un médecin qualifié. Bien que les radiographies et d’autres tests diagnostiques tels que les scintigraphies osseuses soient souvent utiles, les caractéristiques cliniques doivent être indiquées. Pour les besoins d’ACC, une invalidité est considérée comme une conséquence de l’arthrose seulement si la présence des signes et symptômes de l’arthrose est démontrée. Chaque articulation évoquée doit être diagnostiquée individuellement. Le diagnostic de chaque articulation devrait décrire la ou les parties touchées. […]

 

(À la page 2)

 

[…]

 

CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES

 

L’arthrose est une maladie courante. En effet, plus de 75 % des personnes de plus de 70 ans en présentent des signes radiographiques manifestes. Bien que son incidence augmente avec l’âge, l’arthrose n’est pas causée uniquement par le vieillissement des tissus articulaires. Un traumatisme subi par une articulation et d’autres facteurs peuvent accélérer l’évolution de la maladie. Les considérations liées à la pension sont fondées sur ces aspects. Plusieurs facteurs de risque ont été mis en cause dans la pathogenèse de l’arthrose, notamment l’âge, le sexe, l’origine ethnique, les facteurs biochimiques (p. ex. densité osseuse) et la génétique.

 

Après les premiers stades de la dégradation du cartilage, qui peut avoir été provoquée par bon nombre de causes (p. ex. un traumatisme), il faut parfois bien des années pour que le sujet commence à éprouver de la douleur articulaire ou que ses radiographies montrent des signes d’arthrose. Le cartilage peut être déjà gravement affecté lors de l’apparition des signes et symptômes pertinents.

 

[…]

 

Il est connu que les observations radiographiques et les symptômes cliniques ne concordent pas toujours; en effet, seulement 50 % à 60 % des sujets présentant de l’arthrose sur les radiographies ont des symptômes cliniques. Inversement, l’absence de signes radiographiques d’arthrose n’exclut pas la présence de la maladie, particulièrement aux stades précoces. Les symptômes cliniques, qui doivent être continus ou récurrents après la manifestation initiale, peuvent précéder d’environ 10 ans les observations radiographiques.

 

(À la page 5)

 

[…]

 

CONSIDÉRATIONS LIÉES À LA PENSION

 

A. CAUSES ET/OU AGGRAVATION

 

[…] DANS CHAQUE CAS, LA DÉCISION DOIT SE PRENDRE EN FONCTION DU BIEN-FONDÉ DE LA DEMANDE ET DES PREUVES FOURNIES

 

Généralités :

 

[…]

 

S’il n’existe aucune preuve que les facteurs de risque, y compris le vieillissement, ont contribué à l’évolution de l’arthrose, il ne devrait y avoir aucune restriction du droit à pension.

 

(À la page 7)

 

Les questions en litige

[23]           Le demandeur fait valoir que le comité a commis une erreur lorsqu’il a apprécié son admissibilité au droit à pension, plus précisément en ce qui touche la mesure dans laquelle son service au sein de la GRC et l’accident ont contribué à son arthrose, ainsi que la preuve étayant son droit à recevoir une pension. Il soutient par ailleurs que le comité a commis une erreur : en déterminant la date de prise d’effet de la pension; en omettant d’appliquer les dispositions du paragraphe 39(2) et les objectifs généraux de la Loi sur les pensions.

 

La norme de contrôle

[24]           La décision du comité quant à l’admissibilité du demandeur au droit à une pension aux trois cinquièmes suppose l’interprétation et l’appréciation d’une preuve médicale; elle est donc soumise à la norme de la raisonnabilité (Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980, 375 FTR 13, au paragraphe 21).

 

[25]           Deux questions se rapportent à la rétroactivité. La première concerne l’application du paragraphe 39(1), c’est-à-dire une question d’interprétation législative soumise à la norme de la décision correcte (Canada (Procureur général) c MacDonald, 2003 CAF 31, 238 FTR 172, au paragraphe 11; Robertson Estate c Canada, 2010 CF 233, 360 FTR 306, au paragraphe 33 (Robertson Estate); Atkins c Canada (Procureur général), 2009 CF 939, 352 FTR 316, au paragraphe 20 (Atkins)). Cependant, les conclusions de fait intéressant la date de présentation de la demande appellent la norme de la raisonnabilité. Deuxièmement, l’application du paragraphe 39(2) regarde l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par le comité et fait intervenir la même norme (Skouras c Canada (Procureur général), 2006 CF 183, [2006] ACF no 263, aux paragraphes 10 à 15).

 

[26]           Le rôle de la Cour saisie d’un contrôle judiciaire où s’applique la norme de la raisonnabilité est de déterminer si la décision du comité « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). La Cour n’appréciera pas à nouveau la preuve et ne refera pas la décision.

 

Les documents dont ne disposaient pas les décideurs

[27]           Les parties conviennent que, dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour ne peut qu’examiner la preuve dont disposait l’office dont la décision est soumise au contrôle, sauf certaines exceptions précises (Via Rail Canada Inc c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1998] 1 CF 376, 135 FTR 214, aux paragraphes 14 à 24; Robertson Estate, précitée, aux paragraphes 28 à 31). La note manuscrite du demandeur datant de 2007 n’est donc pas recevable.

 

Le comité a-t-il commis une erreur en confirmant la décision qui accordait une pension de l’ordre de trois cinquièmes?

 

[28]           Le demandeur fait valoir que le comité ne possède aucune expertise médicale et que, pour tirer des conclusions à ce chapitre, il ne peut que s’appuyer sur la preuve médicale dont il dispose (Gilbert c Canada (Procureur général), 2010 CF 1300, [2010] ACF no 1622, au paragraphe 10). Il ajoute que la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) doit recevoir une interprétation libérale en reconnaissance des services rendus par les membres des Forces armées (Frye c Canada (Procureur général), 2005 CAF 264, 338 NR 382, aux paragraphes 14 à 19; Boisvert c Canada (Procureur général), 2009 CF 735, [2009] ACF no 1377, au paragraphe 26).

 

[29]           Le demandeur soutient que le comité doit accepter tous les éléments de preuve non contredits, et qu’il ne peut rejeter que ceux qui le sont ou dont il estime qu’ils ne sont pas crédibles (Rivard c Canada (Procureur général), 2003 CF 1490, [2003] ACF no 1948 (Rivard); MacDonald c Canada (Procureur général), 2003 CF 1263, 241 FTR 308, aux paragraphes 18 à 22; King c Canada (Tribunal des anciens combattants), 2001 CFPI 535, 205 FTR 204, au paragraphe 39).

 

[30]           En se reportant aux dispositions spécifiques de la législation, le demandeur fait valoir que le régime législatif a été conçu en faveur des demandeurs, qu’il n’a pas pour vocation d’être contradictoire (Woo Estate c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 1233, 229 FTR 217, au paragraphe 71), et que le comité doit résoudre en sa faveur tout doute concernant la preuve (Wood c Canada (Procureur général), 199 FTR 133, [2001] ACF no 52, au paragraphe 23).

 

[31]           Le demandeur invoque également les Lignes directrices, qui indiquent que les symptômes de l’arthrose « peuvent demeurer faibles ou même disparaître pendant de longues périodes » et que « [s]’il n’existe aucune preuve que les facteurs de risque, y compris le vieillissement, ont contribué [à la maladie], il ne devrait y avoir aucune restriction du droit à pension ».

 

[32]           Le demandeur soutient que le comité a commis une erreur dans son appréciation de la preuve médicale, eu égard à ses obligations législatives. Il affirme que la détermination par le comité du droit aux trois cinquièmes de la pension ne reconnaît pas adéquatement le rôle que les facteurs liés au service ont joué dans l’apparition de son affection et ne correspond pas à l’avis médical du Dr Jackson. Il répète que tout doute doit être résolu en sa faveur.

 

[33]           Plus spécifiquement, le demandeur soutient que le comité a commis une erreur en concluant que le processus naturel de vieillissement avait contribué à son état et en assimilant son âge au moment du diagnostic à celui qu’il avait au début de la maladie. Le demandeur signale que l’apparition tardive des symptômes et les périodes asymptomatiques concordent avec la teneur des Lignes directrices, et qu’en outre, il a présenté des symptômes et recherché un traitement après l’accident.

 

[34]           Le demandeur note également qu’en 2009, alors qu’il avait 57 ans, son affection a été qualifiée par le rapport d’IRM et le Dr Jackson de [traduction] « sévère » et [traduction] « avancée », et que c’est l’accident et son service dans la GRC qui en avaient accéléré l’évolution, plutôt que le processus naturel de vieillissement.

 

[35]           Le demandeur prétend que le comité a eu tort de réduire sa pension de deux-cinquièmes (et de ne lui accorder que les trois cinquièmes), puisque le vieillissement n’avait pas contribué à son état. En l’absence de preuve contradictoire, et comme l’interprétation de la preuve médicale et le régime législatif devraient jouer tous deux en sa faveur, son droit à recevoir une pension n’aurait pas dû être restreint, conformément aux Lignes directrices.

 

[36]           Le défendeur souscrit à l’objectif de la législation, convient qu’elle doit recevoir une interprétation libérale et que les éléments de preuve crédibles doivent être interprétés en faveur de l’ancien combattant. Il soutient que le comité a examiné l’ensemble de la preuve conformément à l’objet et aux principes de la législation et qu’il est parvenu à une conclusion raisonnable.

 

[37]           Le défendeur fait valoir que la lettre de mars 2009 du Dr Jackson est la première et la seule preuve de diagnostic du demandeur. Il ne conteste pas que les symptômes puissent être retardés, mais estime qu’en l’absence de diagnostic, il n’existe aucune invalidité offrant un fondement de pension. Le défendeur affirme que, parce qu’il n’a aucune expertise médicale, le comité doit s’appuyer sur un diagnostic médical pour apprécier une demande de pension d’invalidité.

 

[38]           Le défendeur note que le demandeur a été invité à passer un IRM en 2002, mais que rien ne prouve qu’il l’ait fait, puisque les résultats n’ont jamais été divulgués.

 

[39]           Il affirme que certains éléments de preuve établissent que d’autres facteurs, comme le vieillissement, ont contribué à l’apparition de l’arthrose du demandeur. Le diagnostic n’a été obtenu que onze ans après la fin de son service, ce qui donne à penser que l’accident et le travail à la GRC ne sont pas les seuls facteurs contributifs. Le défendeur avance d’ailleurs que l’avis du Dr Jackson est hésitant et n’établit pas un solide lien de causalité entre l’état du demandeur et son service dans la GRC.

 

[40]           Le défendeur reconnaît que le demandeur souffre d’arthrose, mais soutient que la question est de savoir dans quelle mesure son service, en comptant l’accident, a contribué à cette affection. D’après lui, eu égard à l’ensemble de la preuve, l’octroi d’une pension de l’ordre de trois-cinquièmes est raisonnable.

 

La décision du comité concernant le droit du demandeur à une pension de l’ordre de trois‑cinquièmes est raisonnable

[41]           Lors du réexamen, le comité a conclu que sa décision confirmant l’octroi d’une pension de l’ordre de trois-cinquièmes devait être maintenue.

 

[42]           Je reconnais que la législation exige une interprétation libérale, que les éléments de preuve non contredits doivent être acceptés et que les doutes doivent être résolus en faveur du demandeur. Compte tenu de ces principes, j’estime que la conclusion du comité était raisonnable.

 

[43]           L’article 38 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) autorise le TACRA à réclamer une opinion médicale et à obtenir des avis médicaux indépendants. Ce tribunal ne possède aucune expertise médicale et doit donc s’en remettre aux personnes qualifiées pour diagnostiquer une invalidité. Les Lignes directrices précisent que le diagnostic d’un médecin praticien qualifié est nécessaire.

 

[44]           La preuve médicale n’autorise pas à conclure que l’accident et le service du demandeur au sein de la GRC étaient les seuls facteurs ayant contribué à son arthrose.

 

[45]           Le moment auquel ses symptômes se sont déclarés, son témoignage concernant l’avis que lui avait offert un chirurgien, son incapacité à obtenir un diagnostic entre 2002 et 2009, les Lignes directrices et le diagnostic médical du Dr Jackson permettent raisonnablement de conclure que l’accident et le service dans la GRC étaient les principaux facteurs ayant contribué à l’apparition ou à l’accélération de l’arthrose du demandeur.

 

[46]           Les Lignes directrices mentionnent plusieurs facteurs de risque possibles, mais aucun d’eux n’a été prouvé à l’exception du vieillissement. Or, comme nous le notions plus tôt, les Lignes directrices indiquent :

S’il n’existe aucune preuve que les facteurs de risque, y compris le vieillissement, ont contribué à l’évolution de l’arthrose, il ne devrait y avoir aucune restriction du droit à pension.

[Non souligné dans l’original.]

 

[47]           Le demandeur affirme que sa maladie était à un stade avancé à 57 ans, qu’elle devait donc avoir été présente avant cela et que le facteur du vieillissement ne devrait pas restreindre son droit à une pension, mais il n’a obtenu aucun diagnostic médical avant cet âge. La preuve médicale n’indique pas que sa maladie s’est déclarée plus tôt, seulement que la dimension physique de son travail dans la GRC et l’accident pourraient être les principaux facteurs ayant contribué à son actuelle [traduction] « discopathie dégénérative […] avancée ».

 

[48]           Il était loisible au comité de conclure que le vieillissement avait joué un rôle dans la maladie, puisque certains éléments de preuve montraient qu’il s’agissait d’un facteur de risque. Cette conclusion satisfait à la norme de la raisonnabilité et aux principes énoncés à cet égard dans l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, la décision confirmant le droit du demandeur à une pension de l’ordre de trois-cinquièmes est raisonnable.

 

Le comité a-t-il commis une erreur en confirmant que la date de prise d’effet de la pension d’invalidité était le 16 février 2009?

[49]           Le demandeur soutient que le comité a commis une erreur en concluant que sa demande de 2002 n’avait pas été [traduction] « remplie ». D’après lui, la législation exige seulement qu’une demande soit « présentée », et, si l’on interprète la loi libéralement, c’est bien ce qu’il a fait, eu égard à ses efforts et à son intention de soumettre une réclamation en 2002.

 

[50]           Le demandeur prétend qu’il faut déterminer la date de prise d’effet aux termes du paragraphe 39(1) d’après la demande de 2002, étant donné qu’elle a été estampillée comme ayant été [traduction] « reçue » par le ministère. Bien qu’il ait utilisé le mot [traduction] « abandonnée », il n’y a pas lieu de l’entendre de manière stricte et littérale.

 

[51]           Le demandeur affirme qu’il n’a pas abandonné sa demande de 2002 ni ne s’en est désisté, mais simplement qu’il n’a pas réussi à obtenir les documents nécessaires pour la compléter, sans qu’il n’y soit pour quelque chose. Il estime qu’il avait le droit de présumer que cette demande restait ouverte et active en l’absence d’un avis du ministère à l’effet contraire.

 

[52]           Quant au fait que le comité se soit appuyé sur son témoignage voulant qu’il n’ait pas donné suite à sa demande de 2002, parce qu’il [traduction] « allait bien », le demandeur fait valoir qu’il ne devrait pas être pénalisé pour avoir refusé de profiter du système de pension à un moment où ses symptômes étaient gérables.

 

[53]           Le demandeur avance par ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir un diagnostic médical et qu’il est injuste d’exiger des demandeurs qu’ils en fournissent un, puisque cela peut échapper à leur contrôle; par exemple, un demandeur peut présenter des symptômes sans recevoir de confirmation diagnostique, quand un diagnostic n’est possible que des années plus tard.

 

[54]           Le défendeur soutient que le paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions prévoit deux dates possibles de prise d’effet : la date à laquelle une demande est présentée, ou une date précédant de trois ans celle de la décision, suivant celle qui est postérieure à l’autre. En l’espèce, le défendeur note qu’il y a trois dates à prendre en compte : le 18 avril 2002, date à laquelle la demande de 2002 a été présentée; le 16 février 2009, date à laquelle la demande de 2009 a été présentée; le 28 janvier 2007, la date précédant de trois ans celle de la décision.

 

[55]           Le défendeur ajoute cependant que la date du 18 avril 2002 ne peut être envisagée aux fins du paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions. Le demandeur a lui-même affirmé qu’il s’était désisté de cette réclamation, et, même en l’interprétant libéralement, cette déclaration ne peut être comprise d’une autre manière, puisqu’à ses dires, il n’était pas allé de l’avant parce qu’il [traduction] « allait bien ». Son comportement prouve également l’abandon de la demande, puisque ni lui ni la Légion n’ont fourni les documents requis à l’appui de la demande de 2002, notamment le diagnostic médical.

 

[56]           Le défendeur laisse entendre que le demandeur a probablement choisi de se désister de sa demande, parce qu’il n’était pas en mesure d’obtenir un diagnostic; l’impossibilité de produire d’autres documents ne prête pas à conséquence en l’absence de diagnostic.

 

[57]           De plus, le demandeur a présenté une nouvelle demande en 2009, ce qu’il n’aurait pas fait s’il ne considérait pas que sa demande de 2002 avait été abandonnée. S’il comptait s’appuyer sur cette demande et la réactiver, il aurait pu fournir les documents justificatifs nécessaires.

 

Le comité n’a commis aucune erreur dans son application du paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions

[58]           Le comité n’a commis aucune erreur en confirmant que la date à partir de laquelle le demandeur avait droit à une pension était le 16 février 2009, date de présentation de la demande de 2009.

 

[59]           Dans Atkins, précitée, aux paragraphes 31 à 34, le juge Phelan, qui réfléchissait au pouvoir du comité de modifier la date de prise d’effet d’une pension, faisait remarquer que :

31        Le pouvoir du comité de réexamen (ou de tout autre organe décisionnel compétent) de modifier la date de prise d’effet du paiement d’une pension est très restreint. L’article 39 fait état de deux situations où on établit la date du paiement d’une pension.

 

32        En vertu du paragraphe 39(1), la pension est payable à partir de la date suivante qui est postérieure (non antérieure) à l’autre : la date de présentation de la demande, ou la date précédant de trois ans la date d’octroi de la pension. On envisage en pratique avec cette disposition qu’une pension accordée doit l’être dans les trois années suivant la présentation de la demande.

 

33        Le demandeur ayant abandonné la réclamation pour une blessure à la colonne cervicale de sa demande de 1992, celle-ci n’a aucune incidence sur le calcul de la date à laquelle la pension est payable et ne peut fonder une demande de paiement rétroactif depuis le 11 octobre 2002 (soit trois ans avant la date de l’octroi).

 

34        Le processus de demande de pension pour le syndrome discal cervical a été mené à bien le 29 juin 2005, et la pension a été attribuée le 11 octobre 2005 (la date précédant de trois ans étant le 11 octobre 2002). Le paiement de la pension prenait effet le 29 juin 2005, soit la date postérieure parmi les deux dates visées au paragraphe 39(1).

 

[Souligné dans l’original.]

 

[60]           La question essentielle est de savoir si la demande de pension du demandeur a été « présentée » le 18 avril 2002, soit la date à laquelle la demande de 2002 a été soumise. Si tel est le cas, la date pertinente au regard du paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions serait avril 2002 ou la date précédant de trois ans le 28 janvier 2010 (la date de la décision), suivant celle qui est postérieure à l’autre. Le demandeur aurait alors droit à une pension à partir du 28 janvier 2007.

 

[61]           Bien que la norme de contrôle relative à l’application du paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions soit la décision correcte, cette question intéresse une conclusion de fait touchant la date de présentation de la demande. Cette conclusion est soumise à la norme de la raisonnabilité.

 

[62]           Le comité a raisonnablement conclu que la demande de pension du demandeur n’avait pas été présentée le 18 avril 2002. Compte tenu de ses déclarations, il a abandonné, retiré sa demande de 2002 ou simplement négligé de la poursuivre en ne fournissant pas les documents justificatifs requis.

 

[63]           Le fait que le demandeur ait soumis une nouvelle demande en 2009 plutôt que de réactiver celle de 2002 va dans le sens de la conclusion du comité. De plus, bien qu’il maintienne que ses précédentes tentatives en vue d’obtenir des documents ont été contrariées, le comité a noté que le dossier avait été inactif de 2002 à 2009. S’il avait eu l’intention de donner suite à la demande de 2002, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ou la Légion, qui le représentait, aient d’autres communications avec le ministère.

 

[64]           De plus, les Lignes directrices et le formulaire de demande de la Légion indiquent qu’un diagnostic médical est requis. Celui-ci n’a été fourni qu’une fois présentée la demande de 2009. Bien que la Loi sur les pensions doive recevoir une interprétation libérale favorable au demandeur, celle-ci doit s’inscrire dans le contexte de la loi. Le ministère doit s’assurer qu’il existe une invalidité sur laquelle fonder le droit à pension. Le diagnostic médical constitue un tel fondement.

 

[65]           Le demandeur affirme que, dans certains cas, il n’est pas toujours possible d’obtenir un diagnostic malgré la présence de symptômes. Certains demandeurs potentiels seront peut-être dans cette situation. Cependant, lues dans leur ensemble, les Lignes directrices m’indiquent qu’une réclamation doit s’appuyer à la fois sur un diagnostic médical et des symptômes. Les Lignes directrices notent qu’il n’y a invalidité qu’en présence de signes et/ou de symptômes pertinents d’arthrose établie.

 

[66]           Dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur a été jugé sincère et crédible par les décideurs; nul ne laisse entendre qu’il soit de mauvaise foi. Cependant, en soutenant qu’un diagnostic n’est pas nécessaire pour fonder une réclamation et qu’il faut retenir la demande de 2002, comme il le fait, on pourrait en déduire qu’il est possible de soumettre une réclamation pour commencer à faire courir les délais aux fins de rétroactivité, même si le diagnostic ou les symptômes aggravés ne se confirment que plus tard. La législation ne pouvait avoir une telle visée, même si l’on adopte une interprétation favorable aux demandeurs.

 

[67]           Il n’est peut-être pas nécessaire que la demande soit entièrement remplie aux termes du paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions pour que le ministère apprécie la réclamation, mais il faut davantage que des renseignements sommaires pour considérer qu’elle a été « présentée ».

 

[68]           Les documents justificatifs établissant l’invalidité doivent être soumis dans un délai raisonnable suivant la présentation du formulaire de demande. Comme le montre la réclamation de 2009 du demandeur, qui a été présentée en février, les documents justificatifs, y compris le diagnostic médical obtenu en mars, ont été fournis peu après. Il est possible que le ministère examine la demande et réclame plus de renseignements, mais, pour qu’il puisse apprécier la réclamation, il faut d’emblée qu’elle soit substantiellement complétée par des documents justificatifs. La demande de 2002 a simplement été soumise, aucun document justificatif n’a été fourni et le comité a raisonnablement conclu qu’elle n’avait pas été « présentée ».

 

[69]           Le comité a raisonnablement conclu que la demande avait été présentée en 2009 (et non en 2002) et a correctement déterminé que la date de prise d’effet de la pension était 2009.

 

Le comité a-t-il commis une erreur en concluant qu’aucun élément de preuve ne justifiait de réexaminer la question de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions?

[70]           Le demandeur soutient que, pour exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions, le comité doit seulement estimer que la pension aurait dû être accordée à une date antérieure pour cause de difficultés administratives (Rivard, précitée, au paragraphe 16) et qu’en l’espèce, il y avait des preuves de retard. Le demandeur cite la lettre du 17 juillet 2002 de la GRC, dans laquelle cette dernière indique qu’elle ne pouvait pas traiter sa demande de documents dans les délais habituels. Il cite également la décision dans laquelle le comité a reconnu la frustration que lui avaient causée les démarches en vue d’obtenir des renseignements de la GRC.

 

[71]           Le demandeur fait valoir que le seuil relatif à l’exercice du pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions n’est pas élevé.

 

[72]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part du comité de ne pas accorder de compensation complémentaire aux termes du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions et que tout retard lié à la demande de 2002 est l’effet du désistement du demandeur, de sa période asymptomatique et de son incapacité à obtenir un diagnostic médical.

 

Le comité n’a commis aucune erreur au regard du paragraphe 39(2)

[73]           Le comité n’a pas commis d’erreur en confirmant sa décision de ne pas accorder de compensation rétroactive dont le montant ne dépasse pas celui de deux années de pension en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions.

 

[74]           Le demandeur n’est pas spécifiquement tenu de réclamer une compensation additionnelle, mais le paragraphe 39(2) accorde un pouvoir discrétionnaire, et le comité n’est pas obligé d’octroyer une compensation complémentaire, même s’il conclut qu’il y a eu un retard administratif.

 

[75]           Dans Rivard, précitée, au paragraphe 16, le juge Pinard a interprété ainsi le paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions :

16        Ici, le Tribunal a eu tort de faire dépendre l’exercice de la discrétion qui lui est accordée par la disposition en cause d’une demande expresse, par le pensionné, d’une compensation supplémentaire. Rien dans le paragraphe 39(2) ne limite ainsi l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé au Tribunal. La seule exigence requise pour l’exercice de la discrétion conférée par la disposition est celle que le Tribunal soit d’avis « que, en raison soit de retards dans l’obtention des dossiers militaires ou autres, soit d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur, la pension devrait être accordée à partir d’une date antérieure ». Ainsi, qu’une demande de la compensation supplémentaire prévue au paragraphe 39(2) soit faite ou non, le Tribunal peut, si le dossier devant lui révèle l’existence des retards ou autres difficultés administratives dont parle la disposition, et s’il est d’avis qu’en raison de ces retards ou difficultés administratives la pension devrait être accordée à partir d’une date antérieure, accorder au pensionné une compensation supplémentaire dont le montant ne dépasse pas celui de deux années de pension. À mon sens, cette interprétation du paragraphe 39(2) est renforcée par l’obligation imposée au Tribunal, par l’article 3 de la Loi sur le Tribunal, d’interpréter les dispositions de la Loi de façon large, « compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge » . De plus, l’article 2 de la Loi requiert que les dispositions de cette même loi soient interprétées de façon libérale.

 

[76]           Le comité a noté que la demande de 2002 du demandeur n’avait pas eu de suite, en raison de [traduction] « la frustration de ses tentatives en vue d’obtenir des documents », mais il a également estimé que la demande pertinente aux fins de rétroactivité était celle de 2009. Compte tenu de cette conclusion, la frustration qu’a subie le demandeur en tentant d’obtenir les documents nécessaires pour appuyer la demande de 2002 (dont il a été raisonnablement établi, tel qu’il est noté plus haut, qu’elle n’avait pas été « présentée »), ne justifie pas l’application du paragraphe 39(2); la décision du comité de ne pas appliquer cette disposition est raisonnable.

 

[77]           Il est possible que certains retards subis avant d’obtenir son dossier en 2002 aient rempli le demandeur de frustration, mais il n’avait pas reçu de diagnostic, il n’a pas donné suite à sa demande et il en a présenté une nouvelle en 2009.

 

[78]           Comme le notait le défendeur, si le comité avait exercé son pouvoir discrétionnaire pour faire remonter la date de prise d’effet de deux ans au maximum (c’est-à-dire aussi tôt que 2005), la pension aurait été accordée pour une période précédant de beaucoup le diagnostic du demandeur, et durant laquelle il ne présentait que peu ou pas de symptômes.

 

[79]           Le demandeur fait valoir qu’il ne devrait pas être pénalisé pour ne pas avoir donné suite à sa demande de 2002, puisque ses symptômes ont ensuite disparu pendant un certain temps et qu’il a agi de bonne foi. Comme nous le notions plus haut, nul ne conteste que le demandeur était de bonne foi. Cependant, si le comité avait accordé la pension rétroactivement à partir de 2005, celle-ci aurait couvert une période durant laquelle le demandeur n’aurait pas rempli les critères appropriés, attendu qu’il n’avait pas reçu de diagnostic et que rien n’indique qu’il présentait alors des symptômes.

 

Le comité n’a pas commis d’erreur en concluant que le ministère n’avait pas négligé son devoir de porter assistance au demandeur

[80]           Pour le demandeur, la législation précise bien qu’il faut l’interpréter d’une manière qui lui soit favorable, et l’obligation du ministère de lui porter assistance au sens du paragraphe 81(3) de la Loi sur les pensions est engagée que la demande soit dûment remplie ou pas.

 

[81]           Le comité a raisonnablement conclu que rien n’indiquait que le ministère avait manqué à son devoir d’informer le demandeur ou de lui porter assistance.

 

[82]           Le ministère est seulement tenu de fournir des services de consultation ou de l’assistance relativement à la préparation des demandes de pension si on en lui fait la demande (Robertson, précitée, aux paragraphes 41 et 42). Ni le demandeur ni la Légion, qui le représentait, n’ont cherché à obtenir des services de consultation ou de l’aide dans la préparation de la demande de 2002. Le dépôt d’une demande, qu’elle soit dûment remplie ou non, ne constitue pas une demande d’assistance.

 

[83]           Les premiers mots du paragraphe 81(3) de la Loi sur les pensions sont clairs : « Le ministre fournit, sur demande […] » [non souligné dans l’original]. Si le ministère devait volontairement s’acquitter de cette obligation à l’égard de tous les demandeurs de pension, la disposition n’aurait pas été rédigée de la sorte.

 

[84]           Le ministère est tenu de prendre des dispositions pour s’occuper des anciens combattants en fonction de leurs besoins et leurs situations, mais cela ne veut pas dire que tous les anciens combattants ont droit systématiquement à toutes les prestations (Robertson, précitée, au paragraphe 41). Dans le cas présent, le demandeur était représenté par la Légion et aurait dû savoir qu’un diagnostic médical était nécessaire pour compléter sa demande. En l’absence d’une demande explicite de la part du demandeur, le devoir du ministère de porter assistance ne l’oblige pas à lui signaler les exigences liées à sa demande de pension au-delà de l’énoncé des Lignes directrices et des instructions du formulaire de demande.

 

Conclusion

[85]           Malgré les efforts diligents de M. Phelan pour réclamer une pension d’invalidité plus importante qui remonterait avant la présentation de la demande de 2009 et qui reconnaîtrait l’étendue de son invalidité actuelle, le comité a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour se saisir de la demande de réexamen sur le fond. La demande de contrôle judiciaire impliquait nécessairement d’aller au-delà du réexamen et de se pencher sur les conclusions des précédents décideurs du TACRA, qui étaient elles aussi raisonnables. Rien ne permet de conclure que le comité a commis la moindre erreur.

 

[86]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-1614-12

 

INTITULÉ :

RICHARD JAMES PHELAN c

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                           Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                           LE 20 NOVEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                                  

LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 17 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Sharon Borgland

 

pour le demandeur

 

Brad Bedard

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE défendeur

 

 

 

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