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Date : 20140124


Dossier :

IMM-10401-12

Référence : 2014 CF 84

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2014

En présence de madame la juge Strickland

 

 

 

 

ENTRE :

ALI SALEH ZAHRAN AL ISMAILI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision, datée du 24 août 2012, rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a décidé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre, respectivement, des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La présente demande est fondée sur l’article 72 de la LIPR.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen d’Oman. Il soutient que, en 1981, il a épousé sa cousine et que huit enfants sont nés de ce mariage. En 2005, il a commencé une relation homosexuelle clandestine.

 

[3]               Son partenaire homosexuel et lui se rendaient souvent au complexe hôtelier Dream Resort Hotel à Oman. En juillet 2010, pendant qu’ils étaient dans leur chambre d’hôtel, deux policiers y sont entrés, les ont arrêtés et les ont emprisonnés. Le demandeur soutient que les actes homosexuels ne sont pas acceptés à Oman et qu’ils y sont illégaux.

 

[4]               Le demandeur soutient qu’il a communiqué avec son frère qui a été en mesure d’obtenir sa mise en liberté après avoir versé des pots‑de‑vin aux policiers. Grâce à l’aide de son frère, il est allé se cacher dans le village de Fanja.

 

[5]               Pendant qu’il était à Fanja, son frère l’a informé que son épouse était en colère et qu’elle avait honte de lui. Il a consenti à lui accorder le divorce. Son frère et son oncle lui ont aussi dit que la famille Al Ismaili, à laquelle son épouse et lui appartenaient, était en colère et décidée à le tuer, parce qu’il l’avait déshonorée. Selon le demandeur, la famille Al Ismaili est une famille très traditionnelle et très aisée d’Oman.

 

[6]               Après sa libération de prison, les accusations portées contre le demandeur pour comportement homosexuel sont demeurées en instance. Pendant qu’il était à Fanja, son frère l’a informé que des policiers du commissariat de police de Seeb lui avaient dit qu’un mandat d’arrêt avait été lancé contre le demandeur.

 

[7]               Le demandeur a quitté Oman le 29 août 2010, et il est arrivé au Canada deux jours plus tard. Il soutient que, s’il était renvoyé à Oman, il serait repéré et tué par les membres de sa famille, ou qu’il serait repéré par la police qui cherche à l’arrêter en raison des accusations portées contre lui parce qu’il est homosexuel.

 

[8]               Dans une décision datée du 24 août 2012, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur (la décision). C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision soumise au contrôle

[9]               La Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, au titre de l’article 96 ou des alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la LIPR.

 

[10]           La question déterminante était la crédibilité. Sur la foi de l’ensemble de la preuve, la Commission a notamment conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’y avait pas de fondement objectif à sa crainte, s’il était renvoyé en « Albanie ». Plus tard, la Commission a fait référence à « Oman ».

 

[11]           Selon la Commission, la preuve documentaire provenant de sources fiables et indépendantes n’indiquait pas que des poursuites avaient été intentées pour actes homosexuels à Oman au cours de l’année 2010. Interrogé à ce sujet, le demandeur n’a fait aucun commentaire, sauf pour dire qu’il y avait un mandat d’arrêt contre lui, que son frère avait vu le mandat, et que la police cherchait à l’arrêter parce qu’il entretenait une relation homosexuelle. La Commission a accordé plus de poids à la preuve documentaire notamment parce que le demandeur n’a fourni aucune preuve documentaire corroborant ses allégations selon lesquelles il avait été arrêté pendant qu’il était en train d’avoir des rapports sexuels et que cela avait entraîné le divorce d’avec son épouse.

 

[12]           La Commission a déclaré que lorsqu’on a demandé au demandeur d’expliquer pourquoi il avait omis de fournir des éléments de preuve documentaire tels que le mandat d’arrêt, des factures d’hôtel, les documents relatifs au divorce ou, à tout le moins, un affidavit de son frère, il a répondu qu’il n’avait fait aucun effort pour obtenir ces documents parce qu’il voulait que personne ne sache où il se trouvait. La Commission a estimé que cette explication n’était pas raisonnable, étant donné que, selon le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et le Formulaire d’examen initial de la SPR, il devait fournir de tels éléments de preuve pour établir ses allégations.

 

[13]           La Commission n’était pas convaincue que le demandeur entretenait une relation homosexuelle, et elle a conclu qu’il n’y avait pas de fondement objectif à sa demande d’asile. La Commission a conclu que le demandeur avait inventé son récit pour étoffer sa demande d’asile.

 

[14]           La Commission a appliqué ses conclusions relatives à la crédibilité à la demande du demandeur, fondée sur le paragraphe 97(1), selon laquelle il est exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Oman. La Commission a donc conclu que, parce que le demandeur n’était pas un témoin crédible et que sa crainte n’avait pas de fondement objectif, il ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture, s’il était renvoyé à Oman.

 

[15]           La Commission a conclu qu’il n’y avait pas de preuve documentaire convaincante indiquant que le demandeur serait exposé à un risque, hormis le risque de violence générale auquel sont exposés tous les citoyens d’Oman.

 

Les questions en litige

[16]           À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées comme suit :

 

 

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à la crédibilité?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle examiné la demande présentée par le demandeur au titre du paragraphe 97(1)?

 

 

La norme de contrôle

[17]           Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57 (Dunsmuir); Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18 (Kisana)).

 

[18]           Il est bien établi dans la jurisprudence que les conclusions relatives à la crédibilité sont essentiellement de pures conclusions factuelles susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26; Rodriguez Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 261, au paragraphe 32; Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 18; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL) (CA)).

 

[19]           En ce qui a trait à la question de savoir, dans le cadre de l’analyse relative à l’article 97, si un demandeur est exposé à un risque généralisé de violence, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (De Jesus Aleman Aguilar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 809, au paragraphe 20; Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678, au paragraphe 18 (Portillo)).

 

[20]           Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique à la présente affaire. En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attache à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, mais aussi à la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

Analyse

La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à la crédibilité?

Les observations du demandeur

[21]           Le demandeur soutient que la Commission doit tirer des conclusions claires quant à la crédibilité et fournir des motifs suffisants (Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 9 Imm LR (2d) 150, [1989] ACF no 800 (QL) (CA)). On ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776; Kalonda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 39).

 

[22]           Le demandeur soutient que la référence faite par la Commission à l’Albanie mine sa déclaration selon laquelle elle a pris en compte l’ensemble de la preuve. C’est plus qu’une simple coquille ou une erreur de transcription.

 

[23]           Le demandeur soutient en outre que la Commission a tiré sa conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant uniquement sur ses conclusions relatives à l’absence de preuve documentaire et sur le document cité par la Commission qui mettait prétendument en doute la preuve présentée par le demandeur. L’incapacité du demandeur à obtenir des documents corroborants est compréhensible dans les circonstances et la Commission a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas appliqué la présomption de véracité, étant donné l’absence de tout autre motif de douter de la véracité du témoignage du demandeur (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA) (Maldonado)).

 

[24]           Le demandeur soutient que la Commission a mal compris la preuve documentaire et qu’elle s’est ensuite fondée sur sa compréhension erronée pour contredire l’allégation selon laquelle il est exposé à la persécution à Oman. Selon la Commission, le rapport de 2011 du Département d’État des États‑Unis sur les pratiques en matière de droits de la personne (le rapport du DE) indique qu’il n’y a eu aucune poursuite pour comportements homosexuels à Oman en 2010, alors qu’en fait le rapport traitait de 2011. Aussi, selon ce rapport, l’année la plus récente pour laquelle des statistiques étaient disponibles était 2009, année au cours de laquelle il y avait eu neuf poursuites pour sodomie. La Commission a aussi omis de tenir compte des observations du conseil du demandeur relativement à la question de la force du rapport à titre de preuve étayant la véracité des allégations du demandeur.

 

Les observations du défendeur

[25]           Selon le défendeur, la référence faite par la Commission à l’« Albanie » dans le premier paragraphe de sa décision était une erreur de transcription. D’après la jurisprudence, les erreurs de transcription ne justifient pas un contrôle judiciaire (Gabriel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 232, au paragraphe 3; Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 10, au paragraphe 5; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 256, aux paragraphes 17 et 18; Messaoud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 18, au paragraphe 1).

 

[26]           Le défendeur fait valoir que, bien que le demandeur affirme que le fait qu’il n’a pas pu fournir des preuves corroborantes est compréhensible, il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas été en mesure d’obtenir des éléments de preuve tels que des factures d’hôtel ou les documents relatifs à son divorce. Bien qu’on puisse comprendre que le demandeur n’a pas pu obtenir de copie du mandat d’arrêt, la même chose ne peut pas être dite de l’affidavit de son frère.

 

[27]           Le paragraphe 100(4) de la LIPR prévoit notamment que « le demandeur [...] doit [...] fournir à la Section, si le cas lui est déféré, les renseignements et documents prévus par les règles de la Commission ». L’article 7 (maintenant article 11) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 (les Règles), exige que le demandeur d’asile transmette à la Section des documents acceptables pour établir les éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut transmettre ces documents, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour le faire. Lorsqu’on a conclu que le récit d’un demandeur n’était pas vraisemblable ou autrement manquait de crédibilité, l’absence de documents corroborants peut être un facteur valable à prendre en compte aux fins de l’appréciation de sa crédibilité. L’absence de documents acceptables, sans explication raisonnable, ou le défaut de prendre les mesures raisonnables pour les obtenir est un facteur important dans l’évaluation de la crédibilité (Byaje c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 90, aux paragraphes 26 et 27 (Byaje); Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, aux paragraphes 7 à 9 (Ortiz Juarez)).

 

[28]           Le demandeur n’a fourni aucune preuve corroborante et la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a tiré une inférence défavorable de son absence d’effort. L’absence d’effort pour recueillir des preuves corroborantes peut miner une demande d’asile (Muthiyansa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 17, aux paragraphes 12 et 13 (Muthiyansa)). Il est raisonnable d’exiger une preuve corroborante dans les situations où il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur y ait accès. (Wokwera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 132, au paragraphe 39 (Wokwera)). Étant donné que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas pu obtenir les documents relatifs à son divorce ou les factures d’hôtel, documents qui lui étaient raisonnablement accessibles, ou qu’il n’a pas expliqué la raison pour laquelle son frère n’aurait pas été en mesure de lui fournir un affidavit, il n’était pas déraisonnable que la Commission conclût que l’absence de toute forme de documents corroborants minait la crédibilité du demandeur.

 

[29]           La Commission a fait référence au rapport du DE de 2011 pour Oman, lequel a été publié en 2012. Le rapport confirme que l’année la plus récente pour laquelle des statistiques officielles étaient disponibles était 2009, et qu’il n’y avait pas eu de poursuite pour sodomie cette année‑là. Le rapport est muet au sujet de 2010, mais selon ce dernier, aucune poursuite n’a été rapportée en 2011. Bien que la Commission ait pu commettre une erreur lorsqu’elle a déclaré que le rapport du DE indiquait qu’aucune poursuite n’avait été rapportée en 2010, essentiellement, l’argument avancé est le même, étant donné qu’aucune poursuite récente pour actes homosexuels à Oman n’avait été rapportée. Cette information a été présentée au demandeur, qui n’a pas produit de preuve quant aux poursuites récentes. Il a été décidé que le demandeur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas produit de preuve corroborante.

 

[30]           Le défendeur avance qu’il n’était pas déraisonnable que la Commission mette en doute la crédibilité de l’affirmation du demandeur selon laquelle il était persécuté pour actes homosexuels. Les conclusions relatives à la crédibilité constituent « l’essentiel » de l’expertise de la Commission (Francis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1078, au paragraphe 7; Cato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1313, au paragraphe 27). La Commission est en droit de soupeser la preuve, et la Cour ne peut intervenir que s’il n’y avait vraiment aucune preuve crédible sur laquelle la Commission pouvait se fonder pour tirer les conclusions énoncées dans ses motifs (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 59 à 62 (Khosa); Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1013, au paragraphe 5; Hernandez Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1065, aux paragraphes 12 à 14).

 

Analyse

[31]           Quand un demandeur affirme sous serment que certaines allégations sont vraies, on présume que celles‑ci le sont, à moins qu’il n’existe des raisons de douter de leur véracité (Maldonado, précité, au paragraphe 4).

 

[32]           Toutefois, c’est toujours au demandeur qu’il incombe de prouver ses allégations. Comme le juge Pinard l’a déclaré dans la décision Samseen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 542, au paragraphe 14 (Samseen), « [i]l est de droit constant qu’il revient au demandeur d’établir les éléments de sa demande d’asile » (Gill c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1498).

 

[33]           De plus, lorsqu’elle évalue le bien‑fondé d’une demande d’asile, « […] la Commission [a] le droit de tenir compte du peu d’efforts que le demandeur avait déployés pour obtenir une preuve corroborante [] et de tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité pour cette raison » (Samseen, précitée, au paragraphe 30).

 

[34]           Le principe découle directement de l’article 7 des Règles (maintenant article 11), lequel est libellé de la façon suivante :

[7] […] Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

 

[35]           Il ressort clairement de la jurisprudence relative à l’article 7 des Règles que la Commission peut prendre en compte l’absence d’efforts faits par le demandeur pour se procurer des éléments de preuve corroborants qu’il aurait pu obtenir et que la présomption de véracité peut toujours être réfutée (Nagy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640, au paragraphe 66 (Nagy); Samseen, précitée, au paragraphe 30).

 

[36]           Le défendeur soutient que lorsque le récit d’un demandeur a été déclaré invraisemblable ou qu’il manque de crédibilité, l’absence de preuve documentaire peut être un facteur valable à prendre en compte aux fins de l’appréciation de la crédibilité (Byaje et Ortiz Juarez, toutes les deux précitées). Ce principe est évident. Toutefois, pour être applicable, il doit y avoir une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur, ou la Commission doit avoir conclu que le récit du demandeur était invraisemblable.

 

[37]           Dans la décision Byaje, précitée, la Commission a clairement énoncé les motifs pour lesquels elle n’a pas cru le récit de la demanderesse. Le juge Mosley était d’accord pour affirmer que les actions de la demanderesse ne concordaient pas avec les faits de son récit. Pour ce motif, la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a demandé des documents corroborants, étant donné qu’elle avait des doutes quant à la crédibilité. De façon similaire, dans la décision Ortiz Juarez, la Commission a tiré des conclusions défavorables relativement à la crédibilité des demandeurs, parce que leur témoignage soulevait d’importants nouveaux renseignements qui ne figuraient pas dans leur FRP, parce qu’ils n’avaient pas fourni d’explications convaincantes pour ces omissions, et parce qu’il n’y avait pas de preuve documentaire corroborante.

 

[38]           Au paragraphe 10 de la décision Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, [2004] ACF no 62 (1re inst) (QL), le juge Kelen a traité de ce principe, lorsqu’il a déclaré ce qui suit :

[10]      Il est bien établi qu’un tribunal ne peut tirer de conclusions négatives du seul fait qu’un demandeur d’asile n’a pas transmis de documents extrinsèques pour corroborer sa demande. Cependant, lorsqu’un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d’un demandeur, le fait que celui-ci n’ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s’il n’accepte pas l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas transmis ces documents.

 

[39]           Au paragraphe 22 de la décision Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, la juge Tremblay-Lamer a souscrit à la méthode adoptée par le juge Kelen et a conclu de la façon suivante :

[22]      […] Lorsqu’il existe des motifs valables de douter de la crédibilité d’un demandeur, la Commission peut tirer des conclusions défavorables quant à sa crédibilité s’il ne présente pas de documents corroborants. Cependant, à mon avis, ces conclusions peuvent seulement être tirées lorsque le demandeur n’a également pas été en mesure d’expliquer pourquoi il n’a pas fourni de documents corroborants.

 

 

[40]           Dans la décision Ndjavera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 452, le juge Rennie a déclaré ce qui suit :

[6]        Dans ces circonstances, la demanderesse n’était pas tenue de corroborer ses allégations et il serait erroné de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité qui soit uniquement fondée sur l’absence de preuves corroborantes (Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 19 à 22).

 

[7]               Si elle a une raison valable de douter de la crédibilité de la demanderesse, la Commission peut alors tirer une conclusion défavorable à l’égard du manquement à présenter des éléments de preuve corroborants auxquels elle pourrait raisonnablement s’attendre. La décision dépend en grande partie du type de preuve requise et de la mesure dans laquelle elle se rapporte à un élément central de la demande. La preuve corroborante est particulièrement utile lorsqu’elle provient d’une source neutre []

 

[41]           Bien entendu, il faut toujours garder à l’esprit que l’analyse effectuée par la Commission relativement à la crédibilité est essentielle à son rôle de juge des faits. Ainsi, la cour de révision doit faire preuve d’une grande déférence eu égard aux conclusions de la Commission et elles doivent être maintenues, à moins que le processus de raisonnement de la Commission soit vicié et qu’il n’ait entraîné une décision qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[42]           Certains des principes pertinents concernant les conclusions défavorables relatives à la crédibilité ont été énoncés dans la décision Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429 :

[18]      Premièrement, l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l’essentiel de la compétence de la Commission. La Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur. Toutefois, aucun décideur ne peut agir de façon abusive ou arbitraire.

[19]      Deuxièmement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n’est pas crédible à cause d’invraisemblances contenues dans la preuve qu’il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés « en termes clairs et explicites ». La Commission peut aussi à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur la présence d’invraisemblances, le bon sens et la raison. Elle peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l’affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve.

 

(Voir aussi Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116; Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 15 Imm LR (2d) 199 (CAF), dans lesquels il a été décidé que lorsque la Commission conclut que le témoignage du demandeur manque de crédibilité, elle a l’obligation d’énoncer en termes clairs et non ambigus les raisons pour lesquelles elle met en doute le témoignage du demandeur; Younes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1122, au paragraphe 2; Bazelais c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 316, au paragraphe 40).

 

[43]           En l’espèce, la Commission ne mentionne aucune raison pour laquelle elle met en doute la crédibilité du demandeur. Elle ne fait mention d’aucune contradiction interne ou incohérence figurant dans la preuve du demandeur, et elle n’énonce pas la raison pour laquelle la preuve est invraisemblable. La Commission ne fait aucune référence au comportement du demandeur lors de sa comparution. Ainsi se pose la question de savoir s’il existait une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur et, ainsi, d’exiger qu’il fournisse une preuve corroborante.

 

[44]           En revanche, il y a le principe selon lequel la preuve non contredite peut être rejetée si elle ne s’accorde pas avec les probabilités de l’affaire dans son ensemble (Cooper  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 118, au paragraphe 4) et, comme il ressort du paragraphe 31 de la décision Lopera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 653 (Lopera)), la question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger la présentation d’une preuve corroborante dépend des faits propres à chaque cas.

 

[45]           Dans la décision Lopera, précitée, la Commission a demandé au demandeur d’expliquer pourquoi il n’avait soumis aucune preuve documentaire corroborante, et elle a rejeté ses explications parce qu’elles n’étaient pas crédibles. Se fondant sur la décision Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 65 FTR 137 (1re inst), le demandeur a soutenu qu’il n’était pas loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable en raison du seul fait qu’il n’avait pas produit de documents extrinsèques pour corroborer son récit. Le défendeur a soutenu qu’il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas produit des documents qu’il aurait dû pouvoir se procurer, et qu’il n’avait pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi il ne les avait pas produits. Le défendeur s’est fondé sur le paragraphe 7 de la décision Ortiz Juarez, précitée, dans lequel le juge Phelan a déclaré que « [l]’exigence de la corroboration relève du bon sens. »

 

[46]           Le juge Kelen a conclu qu’il était raisonnable que la Commission s’attende à certaines preuves corroborantes, et que :

[31]      La question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits propres à chaque cas. Dans Juarez, le juge Phelan a conclu qu’on aurait pu s’attendre à ce que le demandeur puisse avoir accès à une preuve corroborante, de sorte que, dans cette affaire, il était raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable de l’absence de tels documents. En comparaison, dans Ahortor, la Commission avait mis en doute la crédibilité du demandeur en raison de contradictions qui n’étaient pas étayées par la preuve. Dans Ahortor, la Commission n’avait pas tenu compte des raisons fournies par le demandeur pour expliquer les contradictions apparentes, et le juge Teitelbaum a conclu que la Commission n’avait donné aucune raison valable de douter de la crédibilité du demandeur : Ahortor, aux paragraphes 43 et 44.

 

[47]           J’aimerais aussi mentionner la décision Wokwera, précitée, dans laquelle la Commission a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il était persécuté en raison des opinions politiques qui lui étaient imputées à titre de défenseur des homosexuels en Ouganda. La Commission a conclu que le demandeur avait présenté de nombreux documents attestant ses titres de compétence en médecine et ses antécédents professionnels, mais qu’il n’avait présenté aucun document corroborant ses déclarations selon lesquelles il traitait les homosexuels et leur offrait de l’aide psychologique dans une mesure plus importante que les médecins ne le font normalement.

 

[48]           Le juge Boivin a déclaré ce qui suit :

[39]      La Cour note également que la question centrale en l’espèce est celle de savoir si la Commission pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur soit en mesure de présenter et à ce qu’il présente une preuve corroborante, et s’il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du défaut de présenter une telle preuve. Pour la présente analyse, la Cour se reporte à la décision Lopera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 653, [2011] ACF no 828 (la décision Lopera), qui était fondée sur la décision Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, 146 ACWS (3d) 705. Dans la décision Lopera, précitée, la Cour affirme que : « [l]a question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits propres à chaque cas » (au paragraphe 31). Ces deux décisions établissent qu’il est raisonnable de la part de la Commission d’exiger une preuve corroborante dans les situations où il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur en question puisse avoir accès à cette preuve.

 

[49]           Dans cette décision, le juge Boivin a conclu que la décision soumise au contrôle était raisonnable en partie en raison de sa conclusion selon laquelle la Commission avait supposé de façon raisonnable qu’il existait des sources à partir desquelles le demandeur, un homme très instruit représenté par un avocat et ayant des liens familiaux en Ouganda pouvait obtenir des preuves corroborantes sous forme d’affidavit ou de lettre émanant de personnes autres que celles qui seraient exposées à des dangers. En outre, le demandeur vivait au Canada depuis l’automne 2009, mais il n’avait pas cherché à obtenir des affidavits ou d’autres preuves documentaires à l’appui.

 

[50]           En l’espèce, dès le début de son analyse, la Commission a déclaré qu’un témoignage donné sous serment est présumé être vrai à moins qu’il n’y ait de raison valable de douter de sa véracité. De plus, le véritable critère de la véracité d’un récit repose dans le fait que le récit est en accord avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et informée reconnaîtrait facilement que celui‑ci est raisonnable dans cette situation et dans ces conditions. La Commission a aussi conclu qu’on ne pouvait pas être convaincu que « les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi sans être convaincu qu’il est probable qu’ils le sont, et non simplement possible » (Orelien c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm LR (2nd) 1 (CAF)).

 

[51]           La Commission était saisie d’un dossier qui ne contenait aucun élément de preuve, hormis le FRP du demandeur et son témoignage quant à l’orientation sexuelle du demandeur ou ses relations et les faits qui se sont déroulés à Oman. Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il a eu une relation homosexuelle à Oman et que lorsque celle‑ci a été révélée, il n’a pas eu d’autres contacts avec son partenaire, et qu’il n’avait pas de preuve documentaire de leur relation. De plus, il n’a pas eu de relation homosexuelle depuis son arrivée au Canada, et il n’a pas fourni de témoignage ou d’autres éléments de preuve, comme des lettres d’appui d’organismes communautaires ou autres qui donnent à penser qu’il faisait partie de la communauté gaie au Canada.

 

[52]           Saisie de cette situation factuelle, si la Commission avait une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur, alors il n’aurait pas été déraisonnable qu’elle demande, pour prouver cet élément crucial de la demande du demandeur, des preuves corroborantes telles que des preuves de son divorce, puisque selon son témoignage, son divorce était la conséquence de sa relation homosexuelle, des reçus d’hôtel ou un affidavit de son frère qui l’a censément aidé après son arrestation. Il aurait également été déraisonnable de rejeter l’explication du demandeur parce qu’il n’a pas fourni de tels éléments de preuve soi‑disant parce qu’il n’est resté en communication avec personne à Oman depuis son départ et qu’il voulait que personne ne sache où il était.

 

[53]           Toutefois, la Commission ne peut pas fonder sa conclusion relative à la crédibilité uniquement sur le manque de preuve corroborante, ce qui semble être ce qu’elle a fait dans la présente affaire.

 

[54]           Dans la décision Dayebga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 842, le juge O’Keefe a déclaré ce qui suit :

[27]      Le raisonnement du défendeur aurait pour effet de donner l’interprétation inversée au principe exposé dans la décision Ahortor, précitée. L’omission du demandeur de produire des documents donnerait naissance à des préoccupations en matière de crédibilité, lesquelles permettraient à la Commission de considérer son omission de produire des documents comme étant un motif pour mettre en doute sa crédibilité. Si la Commission se livre à tel raisonnement, elle court‑circuite la présomption selon laquelle le témoignage sous serment est définitif (voir Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 72) de par son analyse des motifs donnés par le demandeur pour justifier l’absence de documents, sans toutefois traiter de la crédibilité ou de la vraisemblance des allégations formulées par le demandeur dans son témoignage.

 

[28]           Les motifs ne font état d’aucune préoccupation en matière de crédibilité, hormis celles se rapportant à l’omission de produire des éléments de preuve. En l’absence de telles préoccupations en matière de crédibilité ou de doutes à propos du récit du demandeur, outre ceux se rapportant à la preuve documentaire, il était erroné de la part de la Commission de rejeter la demande d’asile pour le seul motif de l’absence de preuve corroborante.

 

[55]           Dans le même ordre d’idées, on peut lire ce qui suit aux paragraphes 19 à 21 de la décision Ayala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 611 :

[19]      Le défendeur a raison d’invoquer la jurisprudence de la Cour et d’affirmer qu’il incombe au demandeur d’asile de présenter une preuve crédible et digne de foi permettant d’établir qu’il existe une probabilité raisonnable qu’il soit persécuté s’il retournait dans son pays d’origine. Certes, dans la présente affaire, il était loisible à la Commission de conclure que les demandeurs n’avaient pas réussi à satisfaire à cette exigence. Cependant, j’estime déroutante la logique de la Commission en ce qui concerne l’absence de documents visant à corroborer l’existence de la ferme ou le fait que le grand-père en était propriétaire, faits qui, j’en conviens, étaient au cœur du récit en ce qu’ils permettaient de situer l’histoire et d’expliquer les raisons de la persécution. La Commission a adopté le raisonnement qui suit, au paragraphe 12 et suivants de ses motifs :

[12]    L’incapacité du demandeur d’asile de fournir des documents de propriété au sujet de la ferme rend le tribunal extrêmement sceptique quant au fait que la présumée ferme à Sonora appartenait à son grand‑père. Il n’existe aucune preuve documentaire convaincante provenant de sources fiables qui porte à croire que le grand‑père des demandeurs d’asile possédait une ferme à Sonora où auraient eu lieu leurs ennuis avec les FARC. La preuve documentaire ne révèle pas que les problèmes des membres de sa famille avec les FARC sont survenus à la ferme de leur grand‑père. C’est aux demandeurs d’asile qu’il incombe de prouver le bien‑fondé de leur demande d’asile.

 

[13]    Par conséquent, à la lumière de la preuve produite, le tribunal ne croit pas que le grand‑père du demandeur d’asile possédait une ferme à Sonora comme celui‑ci l’a prétendu et ne croit donc pas que les présumés incidents de décembre 1994 et de la mi‑juin 1995 ont eu lieu. Comme le tribunal ne croit pas que le grand‑père du demandeur d’asile avait une ferme, il ne croit pas non plus que les FARC ont exigé de la famille des demandeurs d’asile le paiement de la vacuna et, de ce fait, que leur famille a reçu des menaces des FARC parce qu’elle n’avait pas payé la vacuna.

 

[14]    Le tribunal estime que les demandeurs ont fabriqué leur récit quant à leur crainte d’être persécutés par des guérilleros des FARC en Colombie.

 

[20]           Ce raisonnement ne concorde pas avec la jurisprudence de la Cour et il est déraisonnable, car il justifie l’absence de crédibilité par le manque de preuve documentaire, au lieu d’utiliser le manque de preuve documentaire pour renforcer une conclusion antérieure défavorable quant à la crédibilité. La Commission ne donne aucune autre raison de ne pas croire le témoignage du demandeur. Comme le soutient le défendeur, lorsque le récit d’un demandeur est par ailleurs considéré comme non crédible, l’absence de preuve documentaire peut être un élément à prendre en compte. Par exemple, dans le jugement Bin, précité, invoqué par le défendeur, le juge Denis Pelletier a déclaré au paragraphe 22 :

[22]      En l’espèce, un certain nombre de contradictions et d’incohérences internes avaient jeté des doutes sur la revendication du demandeur. Par conséquent, la SSR pouvait tenir compte du défaut du demandeur de produire des éléments de preuve corroborant son récit lorsqu’elle a évalué sa crédibilité.

[21]           La Commission pouvait conclure que l’explication fournie par les demandeurs pour justifier leur défaut de fournir les documents était déraisonnable. La Commission ne pouvait cependant pas discréditer l’ensemble de leur demande simplement à cause de cette omission. Cela reviendrait à écarter la ratio decidendi, maintes fois citée, du jugement Maldonado, précité.

 

 

[56]           En l’espèce, la Commission a commis une erreur semblable. La décision ne fait mention d’aucune préoccupation quant à la crédibilité. Il n’en ressort pas non plus que la Commission a conclu que le récit du demandeur était invraisemblable ni quelles sont les raisons de cette conclusion. Au contraire, la Commission conteste la crédibilité du demandeur en raison du manque de preuves corroborantes et en raison de sa conclusion selon laquelle la preuve documentaire contredisait le témoignage de ce dernier. Fait important, la Commission a mal interprété cette preuve documentaire.

 

[57]           La Commission fait référence au rapport du DE, duquel il ressort ce qui suit :

[traduction]

On a demandé au demandeur de formuler des commentaires relativement à la preuve documentaire provenant de sources indépendantes et fiables selon lesquelles aucune poursuite pour actes homosexuels n’avait été rapportée à Oman au cours de l’année 2010.

 

[58]           En fait, il ressort de ce document que l’année la plus récente pour laquelle les statistiques sont disponibles était 2009 :

[traduction]

Les personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres sont exposées à la discrimination sur le plan de la loi et sur le plan pratique. Les normes sociales renforcent aussi la discrimination contre de telles personnes. Le Code pénal criminalise les actes sexuels consensuels entre personnes de même sexe, et prévoit une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans à leur égard. Aucune poursuite n’a été rapportée pour l’année, bien que neuf poursuites pour sodomie aient eu lieu en 2009, l’année la plus récente pour laquelle les statistiques sont disponibles. [Ajout du gras.]

 

[59]           La Commission a mal compris la preuve documentaire lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas eu de poursuite en 2010, alors qu’en fait l’année la plus récente pour laquelle des statistiques étaient disponibles était 2009. Il semble que la Commission a contesté la crédibilité du demandeur lorsqu’elle s’est fondée sur cette compréhension erronée. Il ressort ce qui suit de la transcription de l’audience à la Commission :

[traduction]

Q         Il ressort du document que des personnes sont victimes de discrimination et poursuivies pour comportement homosexuel à Oman, et qu’il y a un tribunal pénal---ou un tribunal pénal qui criminalise les homosexuels, mais il n’y a pas de rapport selon lequel quiconque a été poursuivi pour cela en 2010.

 

Maintenant, monsieur, si vous aviez présenté – si vous aviez présenté une copie du mandat d’arrêt, une copie des accusations portées contre vous, j’aurais compris. J’aurais accordé plus de poids à ces documents qu’à ce document, mais je n’ai pas de documents monsieur.

 

Monsieur, comment puis‑je croire que vous – vous êtes recherché à Oman pour des accusations homosexuelles portées en 2010?

 

R         Tout ce que je peux confirmer c’est que ce qui m’est arrivé, et je dis la vérité, c’est ce qui m’est arrivé et pourquoi voudrais‑je quitter mon pays, j’y ai vécu pendant très longtemps, pourquoi quitterais‑je mes enfants, pourquoi quitterais‑je tout ce que je possède depuis si longtemps et comme, vous savez, juste tout quitter juste – si je n’avais aucun problème juste pour le plaisir.

 

[60]           Si la Commission avait fourni des raisons valables de douter de la crédibilité du demandeur, alors il aurait été tout à fait raisonnable qu’elle s’attende à ce que le demandeur fournisse des preuves documentaires corroborant ses allégations, telles que ses documents de divorce ou un affidavit de son frère, qu’elle ait rejeté son explication de ne pas l’avoir fait, et qu’elle ait tiré une conclusion défavorable de son défaut de fournir une telle preuve. Toutefois, la décision ne contient pas de conclusion défavorable quant à la crédibilité qui soit fondée sur des incohérences ou des contradictions dans la preuve du demandeur ou d’autres conclusions semblables. Elle ne contenait pas non plus de conclusion selon laquelle le récit du demandeur était invraisemblable dans son ensemble ni de motifs étayant une telle conclusion. Il semble que la Commission a mis en doute la crédibilité du demandeur lorsqu’elle s’est fondée sur sa compréhension erronée de la preuve documentaire. Par conséquent, dans de telles circonstances, il n’y a pas de raison valable de douter de la crédibilité du demandeur. Ainsi, il n’était pas raisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur, ni qu’elle utilise ensuite ce motif pour exiger que le demandeur produise des documents corroborants et, en bout de ligne, pour rejeter sa demande parce qu’il n’a pas présenté une telle preuve.

 

La Commission a‑t‑elle examiné la demande présentée par le demandeur au titre du paragraphe 97(1)?

Les observations du demandeur

[61]           Le demandeur soutient que lorsque les circonstances s’y prêtent, la Commission doit faire une analyse distincte relativement aux articles 96 et 97 (Balakumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 20, au paragraphe 13; Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, au paragraphe 18). Lorsqu’on a conclu qu’un demandeur n’est pas crédible au titre de l’article 96, il peut néanmoins obtenir l’asile en vertu de l’article 97, si son profil est adéquat pour établir le risque (Asu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1693, au paragraphe 9). La Commission a fait une vague référence à l’article 97, ce qui n’était pas suffisant pour la décharger de son obligation de faire une analyse distincte (Amare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 228, aux paragraphes 12 et 13).

 

[62]           Le demandeur soutient que son profil de risque est attribuable à son homosexualité, laquelle l’expose à des poursuites. La Commission ne tire pas de conclusion quant à la question de l’orientation sexuelle du demandeur. Aussi, elle ne fait référence ni à la preuve de la criminalisation de l’homosexualité dans le droit pénal d’Oman ni au renforcement des normes sociales par des pratiques discriminatoires.

 

[63]           Le demandeur soutient que la même preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est fondée étaye la conclusion selon laquelle le demandeur, pour une raison objective est exposé à un risque sérieux de préjudice à Oman, étant donné son orientation sexuelle. En se fondant sur ce document la Commission a agi de façon abusive et arbitraire. Si la Commission avait correctement apprécié les faits, et appliqué la loi en conséquence, elle serait arrivée à une conclusion différente (Moagi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 69 NR 229 (CA)).

 

Les observations du défendeur

[64]           Le défendeur soutient que la Commission n’était pas tenue de faire une analyse distincte relativement à l’article 97, étant donné que selon les conclusions très claires qu’elle a tirées, le récit du demandeur était faux. Bien que la jurisprudence ait décidé qu’il pouvait y avoir des circonstances dans lesquelles il convient de faire une analyse distincte relativement à l’article 97 (Kilic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 84, au paragraphe 29; Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99, au paragraphe 15), il n’est pas nécessaire de faire cette analyse lorsqu’il a été conclu que le demandeur n’était pas crédible (Plancher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1283, aux paragraphes 16 et 17 (Plancher)). En l’espèce, il est clair que la Commission n’a pas cru que le demandeur entretenait une relation homosexuelle et elle a conclu qu’il avait inventé son récit pour étayer une demande d’asile non justifiée. Après avoir purement et simplement rejeté le récit du demandeur, il ne restait aucun fondement sur lequel une allégation de risque pouvait reposer.

 

[65]           Étant donné la conclusion que j’ai déjà tirée relativement à l’analyse portant sur la crédibilité, je suis d’accord avec le demandeur.

 

[66]           Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification et aucune n’est soulevée.

 

 

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 


 

DOSSIER :

IMM-10401-12

 

INTITULÉ :

ALI SALEH ZAHRAN AL ISMAILI

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 10 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 24 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Michael Brodzky

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Petrykanyn Cullen

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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