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Date : 20140115


Dossier :

IMM-6009-13

 

Référence : 2014 CF 41

Montréal (Québec), le 15 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Roy

 

 

 

ENTRE :

DELORES SPRING

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La Couronne porte en appel la décision de monsieur le protonotaire, Me Morneau, du 11 décembre dernier qui a accepté la production d’un affidavit supplémentaire dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’exécution de la loi qui a refusé un sursis administratif à une mesure de renvoi.

 

[2]               Le tout procède d’une demande de sursis dit « administratif » d’un renvoi qui devait avoir lieu le 22 septembre dernier, le tout en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi). Étaient invoqués la situation de santé de la défenderesse et l’intérêt supérieur de l’enfant. Le renvoi est vers St-Vincent et les Grenadines.

 

[3]               La demande de sursis a été rejetée le 10 septembre. Une nouvelle demande était présentée le 17 septembre. Cette demande ajoutait la crainte de violence à l’appui du sursis demandé. Le sursis administratif n’était pas davantage accordé le 19 septembre.

 

[4]               Le narratif est compliqué du fait que le défendeur s’était adressé à cette Cour dès le 13 septembre pour obtenir le contrôle judiciaire du premier refus de sursis administratif, le 10 septembre. Le sursis judiciaire devait être entendu le 20 septembre. La défenderesse a, comme il se doit, prévenu le juge de cette Cour du deuxième refus de sursis administratif du 18 septembre.

 

[5]               Satisfait que le test en cette matière était rencontré, à savoir qu’une question sérieuse se posait quant au refus administratif, que la balance des inconvénients favorisait la défenderesse et que la défenderesse en subirait un préjudice irréparable (RJR-Macdonald inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311), un juge de cette Cour accordait le sursis judiciaire.

 

[6]               Le juge de cette Cour ordonnait aussi « que la partie demanderesse devra introduire une requête pour modifier sa demande d’autorisation afin de faire référence à la décision rendue le 18 septembre 2013, plutôt qu’à la décision rendue le 10 septembre 2013 ». Ce qui fut fait. Le 28 octobre, le juge de la Cour faisait droit à la requête et accordait un délai de 2 jours pour déposer la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus de sursis administratif du 13 septembre 2013. Son ordonnance était amendée le 30 octobre pour corriger une erreur mineure.

 

[7]               Aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le dossier du demandeur devait être complété le 29 novembre. Cependant, le 26 novembre, la demanderesse présentait une requête pour permettre le dépôt d’une nouvelle preuve. La nouvelle preuve consistait en une lettre provenant d’un médecin; de toute évidence, cette nouvelle preuve au sujet de la situation médicale de la demanderesse était postérieure à la décision dont le contrôle judiciaire est demandé. La demanderesse cherchait aussi à obtenir la suspension des délais pour parfaire le dossier jusqu’à la décision sur sa requête pour l’autorisation d’une nouvelle preuve.

 

[8]               Le défendeur s’est opposé à la requête, prétendant qu’elle était frivole, vexatoire et dilatoire. Au grand dam du défendeur, le Protonotaire a fait droit à la requête. L’affidavit présentant la lettre du médecin et celle-ci devaient être déposés au plus tard le 18 décembre. Quant aux délais pour la suite des choses, il était ordonné qu’ils « commenceront à courir à compter du 12 décembre 2013 ».

 

[9]               C’est de cette décision du Protonotaire dont le défendeur appelle en vertu de la règle 51. Il se plaint qu’une nouvelle preuve soit permise et que des faits nouveaux soient présentés par lettre plutôt que par affidavit, invoquant l’alinéa 10(2)d) des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22.

 

[10]           On peut disposer de cette affaire en décidant de la question de la preuve nouvelle. La question devant cette Cour est de déterminer si le Protonotaire a eu raison de permettre une preuve postérieure à la décision dont contrôle judiciaire a été demandé. Le test à appliquer est bien connu. Dans Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425, on lit :

94     Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires [page463] de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

 

a)    l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

 

b)    l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

 

(voir aussi Slansky v Canada (Attorney General), 2013 FCA 199).

 

[11]           Quant à la question de l’utilisation d’affidavits, je n’ai rien à ajouter à la décision du Protonotaire; elle permet le dépôt d’un affidavit avec une pièce. Si la nouvelle preuve est par ailleurs admissible, il n’a pas été démontré que la décision était clairement erronée en vertu d’un mauvais principe et elle ne porte certes pas sur une question vitale à la disposition de cette affaire, le test dont il est question en la matière.

 

[12]           En ce qui concerne l’admission en preuve d’une lettre d’un médecin préparée plus de deux mois après la décision dont on demande le contrôle judiciaire, la décision du Protonotaire est lapidaire. La demanderesse argumente essentiellement que cette preuve est nécessaire à cause de la nature évolutive de cette situation médicale. Il n’est pas clair quel usage la demanderesse prétend pouvoir faire de cette lettre et en quoi elle porterait sur la nature évolutive de la maladie. À l’audience, la question a été posée directement et l’avocat n’a pu justifier cette prétention. D’ailleurs, la demanderesse fait des affirmations pas toujours concordantes.

 

[13]           Ainsi, la demanderesse déclare d’abord n’avoir « jamais allégué l’incapacité à voyager » (para 40 du mémoire de la demanderesse). Elle répond alors à l’argument de la défenderesse qui prétend que la nouvelle preuve ajoute un nouvel élément non présent à la décision du 18 septembre. Mais dans le même paragraphe, la demanderesse déclare le contraire. Qui plus est, au paragraphe 41, la demanderesse dit de façon plutôt elliptique que « l’incapacité de voyager est au coeur de la présente demande et il ne s’agit donc pas d’un nouvel argument mais d’une conséquence de la condition médicale de la partie demanderesse ».

 

[14]           La demanderesse dit au paragraphe 25 de son mémoire avoir « allégué que le défaut de produire l’évolution médicale pourrait donner lieu à une erreur juridictionnelle portant sur une décision rendue sur le sursis administratif du renvoi de la demanderesse sur la base de sa condition médicale passée, présente ou future, ce qui est au cœur du présent litige ». Quoi qu’il en soit, la lettre que la demanderesse voulait déposer ne traite pas de l’évolution de la maladie. Outre que cette phrase soit difficile à comprendre et sans autre autorité à son soutien, la demanderesse dit vouloir, au paragraphe 34, ne pas vouloir « inviter la Cour à soupeser de nouveaux éléments de preuve, mais plutôt d’effectuer le contrôle judiciaire de la décision de renvoi, tout en informant cette honorable Cour de l’état médical de la demanderesse; ».

 

[15]           Cette confusion est malheureuse et elle ne s’est pas résolue à l’audience. Elle me semble procéder de la compréhension défectueuse de ce en quoi consiste le contrôle judiciaire.

 

[16]           La demanderesse semble souhaiter que cette Cour évalue la situation médicale de la demanderesse. Pourtant, le contrôle judiciaire l’est de la décision de refuser un sursis le 18 septembre dernier. Cette décision, par définition, n’est concernée que par la preuve à partir de laquelle la décision de refuser le sursis a été prise. Une preuve différente, nouvelle, ne peut donc pas être utile à l’examen par contrôle judiciaire d’une décision administrative sauf si l’examen portait sur l’équité procédurale. Par exemple, si fraude avait été alléguée, preuve par affidavit serait permise pour l’établir.

 

[17]           Le contrôle judiciaire n’est pas un recours qui permet à une cour supérieure de suivre l’évolution d’un dossier. C’est exactement l’inverse dont il est question. La Cour examine la décision telle que rendue en fonction de la preuve qui était devant le décideur à ce temps. Elle y applique alors la norme de contrôle appropriée, plus souvent qu’autrement la norme de la raisonnabilité (Alberta c Alberta Teachers’ Association), 2011 CSC 61; [2011] 3 RCS 654 et McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 sur les questions de droit; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 RCS 190 sur les questions de fait où les questions de faits et de droit ne peuvent aisément être dissociées).

 

[18]           Il me semble difficile de concevoir comment une cour supérieure pourrait contrôler la légalité d’une décision sur la base d’une norme de contrôle tout en prenant en compte des faits nouveaux qui n’étaient pas devant le décideur; cela transforme le contrôle judiciaire en un examen de novo.

 

[19]           La demanderesse n’a jamais été en mesure de dire clairement en quoi, lors d’un contrôle judiciaire, une preuve postérieure à la décision dont contrôle est demandé pourrait avoir quelle que pertinence face à l’objet du recours qui est le contrôle d’une décision prise.

 

[20]           S’il est des cas où une nouvelle preuve pourrait être admise, et il en est tel que je l’ai souligné, la demanderesse n’en a aucunement fait la démonstration en l’espèce (voir, entre autres, « Judicial Review of Administrative Actions in Canada », Brown et Evans, feuilles mobiles, chapitre 6 et en particulier les numéros 6 :5300 et suivants, avec l’abondante jurisprudence citée). Il s’agit d’un cas simple où l’agent d’exécution de la loi a exercé sa discrétion par ailleurs très étroite (article 48 de la Loi) en refusant une demande de sursis de renvoi sur la base de la preuve alors présentée. Parce que la demanderesse a satisfait au test en trois parties décrit au paragraphe 5 des présents motifs, le refus d’accorder le sursis a lui-même été suspendu pour que le contrôle judiciaire du refus de sursis administratif puisse être entendu. Nous en sommes là. Il ne reste plus qu’à contrôler la légalité du refus de sursis administratif du 18 septembre 2013, et non de chercher à voir si la demanderesse pourrait recevoir un sursis administratif si les faits étaient différents. Cette Cour n’a pas la juridiction de décider si un sursis administratif devrait être accordé. La Loi donne cette discrétion à quelqu’un d’autre, c'est-à-dire au Ministre, le défendeur. Cette Cour ne peut que contrôler la légalité de la décision prise.

 

[21]           J’ai pris connaissance de la lettre que la demanderesse souhaiterait produire en preuve au stade du contrôle judiciaire. À mon avis, comme je l’ai noté, la lettre ne traite pas de l’évolution de la maladie de la demanderesse mais est plutôt une description de sa sévérité. La lettre conclut que « … I believe that deportation poses a serious danger to both her short and long term health ». La lettre ne fournit aucune explication pour cette conclusion.

 

[22]           La décision plutôt lapidaire du Protonotaire semble avoir été influencée par les représentations écrites de la demanderesse. Je les ai consultées. Je n’ai pas y déceler les raisons permettant de passer outre au principe voulant que le contrôle judiciaire ne donne pas ouverture à la réception de preuve nouvelle. La nature même du recours ne s’y prête tout simplement pas. De fait, le Protonotaire a référé en particulier à certains paragraphes des représentations faites par la demanderesse. Or, on y parlait alors de la lettre comme traitant de l’évolution de la maladie. Tel n’est pas le cas. C’est, à mon avis, de deux choses l’une. Ou bien la demanderesse cherche à ajouter de la preuve, et alors on contrevient à une règle fondamentale, ou bien elle cherche à atteindre un autre but et alors la pertinence de cette preuve doit être établie, ce qui n’a pas été fait.

 

[23]           Il s’agit là, à mon avis, d’un cas clair d’ajout ex post facto au dossier. Ce passage tiré de Canwood International inc c Bork, 2012 BCSC 578, illustre très bien la tentative faite par la demanderesse et pourquoi elle doit être rejetée :

13     The principle of so-called "granularity" is not a recognised basis to add to a record even if the additional material does only amplify, inform, clarify or explain the evidence before a tribunal. The record is the record. Additional material changes the record. Admitting additional material compromises the process of judicial review. To admit additional material in this case would be to prevent a proper judicial review of the decisions of the Tribunal. That review should be a review of the decisions of the Tribunal based on the evidence before it.

 

[24]           J’ajoute enfin que la valeur probante de cette lettre, lorsqu’elle est lue attentivement, est très faible et que je doute qu’elle aurait eu quelque impact que ce soit. La demanderesse a plaidé à l’audience vouloir utiliser cette lettre pour démontrer que ce médecin suit cette patiente ce qui, présumément, améliorait sa crédibilité. Les opinions médicales font partie du dossier en contrôle judiciaire et elles parlent d’elles-mêmes. On peut ainsi comprendre pourquoi le Protonotaire l’aurait laissée au dossier puisque son poids relatif est faible. Par ailleurs, le principe est clair et il mérite qu’il soit respecté. C’est pour cette seule raison que l’appel est accordé.

 

[25]           Il en résulte que l’appel doit être accordé. La lettre du 26 novembre 2013 ne sera pas versée au dossier. Le délai normal pour parfaire le dossier devant cette Cour (signification et dépôt du dossier de la demanderesse) commencera à compter du 15 janvier 2014.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

1.         L’appel est accordé.

2.         Le dossier de la demanderesse devra être signifié et déposé le ou avant le 14 février 2014.

3.         Le tout sans frais.

 

 

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-6009-13

 

INTITULÉ :

DELORES SPRING et MCI ET MSPPC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 14 septembre 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

                                                            LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 15 janvier 2014

COMPARUTIONS :

Hughes Langlais

pour lA DEMANDERESSE

 

Michèle Joubert

pour les défendeurs

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Me Hughes Langlais

 

 

 

pour lA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

pour les défendeurs

 

 

 

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