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Date : 20140113


Dossier : 

IMM‑8734‑12

[Traduction française certifiée, non révisée]             Référence : 2014 CF 35

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

ROSALBA MOJICA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration principale [l’agente] datée du 10 août 2012. Dans le cadre de cette décision, la demande de la demanderesse visant le réexamen et l’annulation de la décision rendue par l’agente le 27 juin 2012, par laquelle la demande de résidence permanente présentée à l’intérieur du Canada pour des considérations d’ordre humanitaire [CH] aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi avait été refusée a été rejetée.

 

FAITS ET PROCÉDURES

[2]               La demanderesse, née en 1956, est citoyenne du Mexique. Son mari est décédé en 1987. Elle a deux enfants d’âge adulte qui vivent au Canada et qui possèdent la citoyenneté canadienne.

 

[3]               La demanderesse vivait seule dans la ville de Cuernavaca, à 45 minutes en voiture de Mexico. Elle est entrée au Canada en juillet 2008 munie d’un visa de visiteur et y a déposé le 27 octobre 2008 une demande CH en vue d’obtenir la résidence permanente.

 

[4]               La demanderesse a fondé sa demande CH sur les risques quotidiens qu’elle courrait si elle était renvoyée au Mexique et sur les liens familiaux. En ce qui concerne les risques, elle a soutenu qu’en tant que femme seule vivant au Mexique, qui a des enfants au Canada, elle serait considérée comme une personne riche et constituerait une cible facile pour les criminels. Des documents sur le pays ont été déposés pour décrire la vague de criminalité et l’anarchie qui affligent le pays, particulièrement à Mexico. En ce qui concerne les liens familiaux, la demanderesse a soutenu qu’elle était extrêmement proche de ses deux enfants adultes, qui vivent tous les deux au Canada. Si elle était autorisée à rester, ses enfants pourraient continuer à lui accorder un soutien financier et émotif.

 

[5]               La demande a été rejetée le 27 juin 2012.

 

[6]               Le 18 juillet 2012, après avoir été informée de la décision négative, la demanderesse a déposé une demande de réexamen dans laquelle elle formulait des observations supplémentaires et divulguait le contenu des demandes d’asile de ses enfants, dont l’agente n’avait pas été saisie. La preuve a révélé que sa fille avait été violée par le fils d’un trafiquant de drogue notoire et que ce dernier l’avait ensuite traquée. Après le départ de sa fille pour le Canada, le fils de la demanderesse a été menacé et agressé par des hommes qui s’informaient des allées et venues de sa sœur. Ses deux enfants ont déposé des demandes d’asile au Canada et sont maintenant des citoyens canadiens.

 

[7]               Dans une lettre datée du 10 août 2012, l’agente informait la demanderesse que la décision initiale de refuser sa demande CH n’avait pas été modifiée.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               La décision en l’espèce est composée de la lettre à la demanderesse datée du 27 juin 2012 [la lettre de refus], des motifs de la décision [les motifs] et de la seconde lettre de refus [la seconde lettre de refus] datée du 10 août 2012.

 

[9]               L’agente a d’abord défini le critère auquel devrait satisfaire la demanderesse : [traduction] « il incombe à la demanderesse de convaincre le décideur, c.‑à‑d. moi‑même, que sa situation personnelle, y compris l’intérêt supérieur de tout enfant touché par ma décision, est telle que les difficultés que représente l’obtention d’un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada, comme l’exige la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) seraient : (i) inhabituelles et injustifiées ou (ii) démesurées ».

 

[10]           L’agente a relevé les inquiétudes de la demanderesse au sujet du taux de criminalité élevé au Mexique et de sa situation de femme seule d’âge moyen dont les enfants vivent au Canada, mais elle a estimé que la preuve ne suffisait pas à corroborer l’allégation selon laquelle la demanderesse [traduction] « serait considérée comme une personne riche et constituerait une cible facile pour les criminels ». L’agente a ensuite examiné la situation au Mexique et a souligné que même si la violence contre les femmes demeurait un grave problème, le gouvernement mexicain consent d’importants efforts pour corriger la situation. À cet égard, l’agente concluait que même si la situation générale des femmes au Mexique peut entraîner certaines difficultés pour la demanderesse, il ne s’agirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

[11]           En ce qui a trait à la violence et à la criminalité persistantes dont il est question dans la preuve documentaire sur le Mexique, l’agente a estimé que c’est la population en général qui se heurte à cette situation et que la demanderesse n’avait pas relaté d’incidents particuliers ou n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle serait personnellement exposée au risque d’être victime d’un crime. Par conséquent, l’agente a conclu que la preuve ne révélait pas que les difficultés liées à la situation dans le pays d’origine provoqueraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées pour la demanderesse si elle devait être renvoyée au Mexique.

 

[12]           L’agente a ensuite abordé la question des liens familiaux de la demanderesse, soulignant un extrait de ses observations selon lequel elle serait [traduction] « seule, solitaire et isolée et qu’elle souffrirait de cette situation au Mexique » et elle est extrêmement proche de ses enfants, dont elle a besoin à la fois pour son soutien émotif et financier. Cependant, l’agente a estimé qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve pour évaluer le degré d’interdépendance entre la demanderesse et ses enfants ou pour mesurer les effets qu’aurait sur la demanderesse une séparation éventuelle. L’agente a aussi conclu qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels la demanderesse ne pourrait pas, par d’autres moyens, maintenir ses liens avec les membres de sa famille au Canada à partir de l’étranger. Par conséquent, l’agente n’a pas estimé que le départ du Canada de la demanderesse aurait sur cette dernière des répercussions négatives importantes qui équivaudraient à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Enfin, l’agente a souligné l’existence du nouveau super visa pour parents et grands‑parents et a ajouté que la demanderesse pourrait probablement le demander, avec l’aide de ses enfants.

 

[13]           Au vu des renseignements disponibles à cette étape, l’agente n’était pas d’avis que la demanderesse avait invoqué des considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’exemption demandée, et elle a refusé la demande le 27 juin 2012.

 

[14]           Par suite de la demande de réexamen déposée par la demanderesse, l’agente a rédigé une seconde lettre de refus, datée du 10 août 2012. La lettre ne contenait pas d’autres motifs, mais le refus y était formulé en ces termes : [traduction] « [a]près examen de vos observations additionnelles, la décision initiale de refuser votre demande CH a été maintenue ».

 

Questions à trancher

[15]           Dans ses observations écrites, la demanderesse a soulevé les questions suivantes :

a.       Le défendeur a‑t‑il commis une erreur en appliquant un critère erroné?

b.      Le défendeur a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des observations datées du 18 juillet 2012?

            À l’audience, la demanderesse a toutefois retiré la question a).

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour de révision est saisie est établie avec satisfaction par la jurisprudence, il est loisible à la cour de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche se révèle infructueuse, ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que le tribunal chargé du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36.

 

[17]           Étant donné que la demanderesse a retiré ses arguments relatifs à la question a), il n’est pas nécessaire de traiter de la norme de contrôle qui s’y applique.

 

[18]           En ce qui concerne la question b), il s’agit d’établir si l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte des observations qui figurent dans la demande de réexamen de la demanderesse. La réponse à une demande de réexamen d’une demande de résidence permanente repose sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable : Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 17; Rashed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 175, au paragraphe 44 [Rashed].

 

[19]           Dans ses observations, la demanderesse prétend que les motifs fournis dans la seconde lettre de refus ne sont pas adéquats. Cependant, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. En fait, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». Donc, toute question qui peut être soulevée quant à l’adéquation des motifs sera abordée dans le contexte du caractère raisonnable de la décision de l’agente.

 

[20]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agente les visas et autres documents requis par règlement. L’agente peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

ARGUMENTS

Demanderesse

[22]           La demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte des observations datées du 18 juillet 2012. S’appuyant sur la décision de la Cour dans Kurukkal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 695 (annulée pour d’autres motifs, 2010 CAF 230), la demanderesse soutient qu’il est souhaitable d’adopter une approche souple pour réexaminer une affaire lorsque les circonstances s’y prêtent, notamment lorsque des renseignements nouveaux sont fournis dans le cadre d’un examen pour des considérations d’ordre humanitaire. La demanderesse soutient qu’il s’agit d’un cas où il aurait été raisonnable et équitable que le décideur réexamine sa décision. Elle s’appuie aussi sur la décision Marr c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 367, dans laquelle le juge Zinn a déclaré (au paragraphe 57) :

… Les principes de base de l’équité et du bon sens suggèrent que si, dans les jours qui suivent le prononcé d’une décision négative au sujet d’une demande qui est en suspens depuis bon nombre d’années, l’agent des visas reçoit un document confirmant une information déjà portée à sa connaissance et ayant une incidence importante pour le dénouement de la demande, il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire afin de réexaminer sa décision. Il ne sert strictement à rien de forcer un demandeur à reprendre le processus depuis le départ et à attendre son aboutissement pendant des années alors que le souvenir de la demande et de la preuve est encore frais dans l’esprit de l’agent et que l’intention du demandeur n’est pas de soumettre des faits nouveaux qui n’ont pas été communiqués antérieurement.

 

[23]           La seconde lettre de refus précise que les observations supplémentaires de la demanderesse ont été prises en compte, mais aucun motif n’a été fourni. La demanderesse soutient qu’il s’agit d’une erreur de droit, comme ce fut le cas dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817. La demanderesse ajoute que la déclaration type selon laquelle les observations supplémentaires ont été prises en compte n’est pas suffisante; pour justifier cet argument, elle s’appuie sur la décision Bhuiyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 117 [Bhuiyan], au paragraphe 15 :

[15] Même si la déclaration type précisant que les observations additionnelles ont été examinées avait été insérée dans la lettre de refus, on ne pourrait pas nécessairement en déduire qu’un nouvel examen a réellement été effectué. Voici ce qu’a précisé la Cour d’appel dans Attaran, précité, au paragraphe 36

 

À l’inverse, tout comme l’absence d’éléments de preuve précis concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est pas déterminante, l’existence d’une déclaration dans un document portant qu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé ne sera pas nécessairement déterminante. Conclure qu’une telle déclaration est déterminante pour l’enquête consisterait à accorder plus d’importance à la forme qu’au fond et à encourager l’énoncé de déclarations passe‑partout dans le document du décideur. […]

 

[24]           La demanderesse reconnaît que le caractère « inadéquat » des motifs ne peut plus justifier à lui seul l’annulation d’une décision, comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans Newfoundland Nurses, précitée, au paragraphe 14; cependant, il est aussi précisé dans la même décision que les motifs doivent permettre à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et d’établir si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (au paragraphe 16). La demanderesse s’appuie sur le raisonnement du juge Rennie dans la décision Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, aux paragraphes 9‑11 :

[9] La décision ne jette aucune lumière sur le raisonnement de l’agente. L’agente s’est contentée d’énoncer sa conclusion, sans l’expliquer. Il est impossible de savoir comment elle est parvenue à cette décision.

 

[10] L’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, ne valide pas la décision. L’arrêt Newfoundland Nurses établit que le contrôle judiciaire porte sur la décision en soi, et non sur le processus décisionnel. Lorsqu’elles sont manifestes, les lacunes de la preuve peuvent être comblées s’il est possible de le faire en s’appuyant sur la preuve et sur des inférences logiques, virtuellement comprises dans le résultat, mais non expressément tirées. La cour de révision examine le dossier dans le but de confirmer la décision.

 

[11] L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

 

Défendeur

[25]           Le défendeur soutient que la demanderesse s’en est tenue à des déclarations témoignant de son désaccord avec la façon dont l’agente a évalué la preuve. Or, il ne revient pas à la Cour de réévaluer la preuve.

 

[26]           En ce qui a trait à la demande de réexamen de la demanderesse, le défendeur affirme que l’agente a tenu compte des observations supplémentaires et il pouvait s’en tenir à dire comme il l’a fait qu’[traduction] « [a]près examen de vos observations additionnelles, la décision initiale de refuser votre demande CH a été maintenue ». Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas fourni d’explications susceptibles de justifier qu’une même demande nécessite deux séries de motifs.

 

[27]           Par conséquent, le défendeur demande que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

ANALYSE

[28]           Lors de l’audience relative à la présente demande, le 30 octobre 2013, la demanderesse a retiré son motif de contrôle fondé sur l’application d’un « critère erroné » et elle s’est concentrée sur les aspects relatifs au réexamen de la décision au regard de la lettre de l’agente datée du 10 août 2012.

 

[29]           Comme le souligne la demanderesse, il s’agit d’une lettre type de refus, mais son utilisation ne constitue pas en soi une erreur susceptible de contrôle.

 

[30]           La demanderesse laisse entendre que l’agente n’a peut‑être même pas pris en compte ses observations et les éléments de preuve qu’elle a fournis en vue du réexamen, mais je ne pense pas qu’il existe de raison convaincante de mettre en doute la déclaration de l’agente selon laquelle ces observations ont été prises en compte. Par conséquent, j’ai à trancher la question de savoir si la décision qui fait suite au réexamen, exposée dans la lettre du 10 août 2012 qui renvoie au refus initial du 27 juin 2012, est déraisonnable.

 

[31]           Selon la demanderesse, je devrais appliquer la norme de la décision correcte dans ce contexte mais, à mon avis, la demanderesse demande en fait à la Cour d’examiner les questions de justification, de transparence et d’intelligibilité, dont il est fait mention au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir; par conséquent, il s’agit en réalité de décider si, en l’espèce, la décision qui faisait suite au réexamen était raisonnable ou non. La demanderesse, dans ses observations, ne conteste pas la décision initiale. Je dois donc supposer qu’elle l’accepte et que ladite décision ne contient pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

[32]           J’estime évident que l’agente a exercé son pouvoir discrétionnaire pour effectuer le réexamen, mais qu’elle a refusé de modifier le premier refus. Les motifs sont brefs : [traduction] « Après examen de vos observations additionnelles, la décision initiale de refuser votre demande CH a été maintenue ». Étant donné que la première décision contient les raisons initiales du refus, j’estime qu’il faut accepter que les motifs contenus dans la première décision sont aussi censés s’appliquer aux nouvelles observations dans le contexte du réexamen.

 

[33]           Voici les lignes directrices que le juge Harrington fournit dans la décision Bhuiyan, précitée :

[15] Même si la déclaration type précisant que les observations additionnelles ont été examinées avait été insérée dans la lettre de refus, on ne pourrait pas nécessairement en déduire qu’un nouvel examen a réellement été effectué. Voici ce qu’a précisé la Cour d’appel dans Attaran, précité, au paragraphe 36

 

À l’inverse, tout comme l’absence d’éléments de preuve précis concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est pas déterminante, l’existence d’une déclaration dans un document portant qu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé ne sera pas nécessairement déterminante. Conclure qu’une telle déclaration est déterminante pour l’enquête consisterait à accorder plus d’importance à la forme qu’au fond et à encourager l’énoncé de déclarations passe‑partout dans le document du décideur. […]

 

[34]           En l’espèce, la déclaration type figure dans la décision. Il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il y a eu réexamen, mais le libellé de la lettre ne permet pas de démontrer qu’il n’y en a pas eu. En effet, il faut prendre en compte l’ensemble du contexte.

 

[35]           La demande de réexamen fait état des expériences traumatisantes que la fille de la demanderesse a vécues par le passé, et de la raison pour laquelle elles n’avaient pas été divulguées, mais elle ne contient que très peu de renseignements au sujet de la demanderesse qui permettraient de conclure à la possibilité qu’elle subisse des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées si elle quittait ses enfants et retournait au Mexique. L’essentiel de l’argument ressort des propos suivants de l’avocate de la demanderesse :

[traduction] Nous aurions préféré que ce renseignement ait été soumis à votre attention plus tôt. Cependant, nous vous demandons de tenir compte de la réticence de la fille de la demanderesse à revivre son passé compte tenu de la difficulté que représente pour une victime de viol l’obligation de raconter de nouveau ses épreuves; nous vous prions donc, à la lumière des circonstances de l’espèce, d’utiliser votre pouvoir discrétionnaire et de revoir votre décision.

 

[36]           Bien qu’il soit tout à fait compréhensible que la demanderesse et sa fille hésitent à revenir sur l’agression dont cette dernière a été victime au Mexique, la demande de réexamen n’explique pas de quelle façon cela pourrait influer sur l’évaluation par l’agente des difficultés auxquelles serait exposée la demanderesse elle‑même. Lorsque j’ai posé cette question à son avocate lors de l’audience, elle m’a répondu qu’il ressortait des observations et des éléments de preuve présentés que la demanderesse était « plus vulnérable » qu’elle ne l’avait laissé paraître dans ses premières observations et que la demanderesse elle‑même pourrait être harcelée par des trafiquants de drogue si elle retournait dans son pays. Je ne peux pas comprendre de quelle façon l’agente aurait pu raisonnablement tirer ce genre de conclusion à partir des observations en cause. En effet, les craintes que la demanderesse avait ressenties par le passé ne provenaient pas de menaces dont elle‑même avait été victime; elle craignait plutôt pour la sécurité de ses enfants, qui sont maintenant en sécurité au Canada. Il est possible que sa fille, à cause des expériences difficiles qu’elle a vécues, ait besoin de la présence de sa mère, mais si c’est le cas, elle n’en fait pas état dans la lettre manuscrite qu’elle a envoyée à l’agente et dont voici un extrait :

[traduction] Depuis que nous avons été acceptés comme résidents permanents et que nous avons réalisé notre rêve de devenir citoyens canadiens, mes frères et moi n’avons fait qu’améliorer notre qualité de vie et regarder le beau côté des choses.

 

[37]           Tant la fille que le fils de la demanderesse ont fait des études collégiales et occupent maintenant de bons emplois.

 

[38]           À mon avis, aucun des éléments figurant dans la demande de réexamen et dans les pièces jointes n’est pertinent eu égard à l’obligation de l’agente d’évaluer les difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées que la demanderesse pourrait rencontrer et aucun d’entre eux n’aurait été de nature à faire en sorte que l’agente puisse conclure qu’il existait des problèmes de vulnérabilité accrue ou des préoccupations en matière de harcèlement. En effet, les observations concernent les expériences passées des enfants de la demanderesse. Elles ne concernent pas des dangers ou des difficultés actuels. Si, par exemple, la demanderesse craint à son retour au Mexique qu’on tente de la forcer à révéler les allées et venues de ses enfants, elle aurait pu parler de cette crainte dans ses premières observations en dépit de son hésitation à parler du viol de sa fille.

 

[39]           Lors d’une demande CH, il incombe au demandeur d’établir l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. La demanderesse, en l’espèce, avec l’aide de ses enfants, a eu toutes les occasions voulues de présenter ses arguments et de soumettre à l’agente tous les éléments de preuve pertinents, y compris les points mentionnés dans la demande de réexamen. La demanderesse et ses enfants ont choisi de ne pas incorporer certains renseignements à la demande initiale.

 

[40]           Quoi qu’il en soit, aucune des observations nouvelles ne permet de justifier un réexamen. Les renseignements fournis prennent la forme d’observations formulées par l’avocate de la demanderesse et d’une lettre manuscrite de la fille de la demanderesse qui décrit ses propres expériences au Mexique. Rien n’explique pour quelles raisons ces éléments auraient dû amener l’agente à revoir la décision qui avait déjà été rendue. En effet, la demanderesse a simplement joint une copie des demandes d’asile de ses enfants, qui comprennent plus de renseignements au sujet de la violence généralisée qui règne au Mexique. Aucun de ces renseignements ne démontre que la demanderesse serait exposée à des dangers ou qu’elle risquerait d’être soumise à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Les raisons pour lesquelles l’agente a décidé que la décision initiale de refuser la demande CH devait demeurer inchangée sont évidentes. En effet, rien dans les observations supplémentaires ne permettait d’en savoir plus sur les difficultés potentielles auxquelles seraient exposés la demanderesse ou ses enfants si elle était renvoyée au Mexique. Il n’était pas nécessaire de modifier les motifs fournis dans la décision initiale.

 

[41]           Dans la décision Rashed, précitée, le juge Shore a fourni les lignes directrices suivantes sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de réexamen (au paragraphe 49) :

Dans la décision Trivedi, précitée, le juge Crampton a déclaré qu’il « n’existe pas d’obligation générale d’examiner à nouveau une demande de résidence permanente après réception de nouveaux renseignements, et il n’y a pas d’obligation générale de fournir des motifs détaillés justifiant la décision de ne pas le faire » (au paragraphe 30). Néanmoins, dans l’arrêt Kurukkal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 230, la Cour d’appel fédérale a jugé que « le principe du functus officio ne s’applique pas strictement dans les procédures administratives de nature non juridictionnelle et que, si les circonstances s’y prêtent, le décideur administratif a le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision » (au paragraphe 3). Suivant l’arrêt Kurukkal, « à cette étape‑là [celle de la demande de réexamen], l’obligation de l’agente d’immigration était de décider, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes, s’il y avait lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision » (au paragraphe 5).

 

[42]           Il me semble que l’agente, en l’espèce, après [traduction] « examen [des] observations additionnelles » a exercé son pouvoir discrétionnaire de laisser inchangée la décision initiale.

 

[43]           J’estime aussi que le dossier permet à la Cour de comprendre pour quelles raisons l’agente a pris cette décision et pour quelles raisons la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[44]           De plus, la demanderesse ne conteste nullement la conclusion de l’agente selon laquelle elle sera en mesure d’obtenir un nouveau super visa pour parents et grands‑parents qui lui permettrait de séjourner au Canada pendant une période de deux ans. Si elle peut en obtenir un, il est difficile de comprendre de quelle façon la demanderesse serait exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ou pour quelles raisons les expériences passées de ses enfants pourraient avoir des effets sur la présente affaire.

 

[45]           Tout bien considéré, il me semble que les motifs qui accompagnaient la décision initiale s’appliquent tout autant aux observations supplémentaires. Rien ne permet de penser que ces dernières n’ont pas été prises en compte. Globalement, la décision est intelligible et transparente et se situe dans l’éventail évoqué dans l’arrêt Dunsmuir.

 

[46]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


Cour fédérale

AVOCATS inscrits au DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM‑8734‑12

 

INTITULÉ :

ROSALBA MOJICA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

Lieu de l’audience :

                                                           TORONTO (Ontario)

 

Date de l’audience :

                                                           Le 30 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                           Le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

                                                           Le 13 janvier 2014

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour la demanderesse

 

Asha Gafar

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

North York (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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