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Date : 20140117


                                                                                                                     Dossier :

IMM‑2255‑13

Référence : 2014 CF 60

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2014

En présence de madame la juge Strickland

 

ENTRE :

SHARON HULLANA RARAMA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), visant une décision d’un agent d’immigration, datée du 4 mars 2013, refusant à la demanderesse, Sharon Hullana Rarama, une demande de visa de résidente permanente présentée au titre de la catégorie des aides familiaux. L’agent a déterminé que la demanderesse n’avait pas produit tous les éléments de preuve et documents pertinents comme le prescrit le paragraphe 16(1) de la LIPR et qu’il ne pouvait donc pas être établi que la demanderesse satisfaisait à toutes les exigences énoncées au paragraphe 72(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (RIPR).

 

Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne des Philippines. Elle est arrivée au Canada en septembre 2005 à titre de membre de la catégorie des aides familiaux et a subséquemment présenté une demande de résidence permanente après avoir complété la période d’emploi prescrite de 24 mois. Sa demande a été approuvée en principe le 6 mai 2009.

 

[3]               Avant de venir au Canada, elle était mariée à Andie Son Regimen Rarama (son ancien époux), un résident des Philippines; le couple a eu un enfant, Ashlie Shane H. Rarama, née aux Philippines en août 2002. La demanderesse a obtenu le divorce de son ancien époux par ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 29 août 2008.

 

[4]               Dans sa demande de résidence permanente remplie en février 2008, elle mentionne sa fille Ashlie en tant que personne à charge à l’étranger n’accompagnant pas la demanderesse. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a avisé cette dernière que sa fille devait se soumettre à un examen médical pour établir son admissibilité, conformément au RIPR. Toutefois, et comme elle l’a expliqué au CIC à plusieurs occasions, elle n’a pu faire en sorte que sa fille se conforme à cette exigence à cause d’un refus de coopérer de la part de son ancien époux.

 

[5]               CIC a avisé la demanderesse qu’en l’absence d’une preuve documentaire attestant que sa fille était sous la garde exclusive d’une autre personne, l’exigence de la visite médicale continuait de s’appliquer et que le défaut de s’y conformer pouvait entraîner le rejet de sa demande de résidence permanente. De plus, CIC a demandé à la demanderesse de produire une preuve des efforts qu’elle avait déployés pour soumettre sa fille à une visite médicale.

 

[6]               En juin 2010, la demanderesse a une fois de plus informé CIC qu’elle n’était pas en mesure de fournir les renseignements exigés et elle a demandé que sa fille soit retirée de sa demande de résidence permanente afin que le traitement de celle‑ci puisse se poursuivre. CIC a refusé cette demande en août 2010, pour le motif suivant : [traduction] « Vous n’avez pas démontré que vous êtes en mesure de vous conformer à cette exigence, étant donné que votre enfant est tenu de passer un examen [sic], et vous n’avez pas démontré qu’elle est sous la garde exclusive d’une autre personne, ni n’avez démontré que vous n’êtes pas en mesure d’exercer vos droits parentaux. »

 

[7]               En novembre 2011, CIC a avisé la demanderesse que le RIPR prévoit une exception aux exigences d’admissibilité pour les enfants sous la garde exclusive d’un époux ou d’un conjoint de fait séparé, si le demandeur fournit une preuve documentaire de l’entente relative à la garde de l’enfant. La demanderesse a été avisée que si elle était en mesure de fournir cette preuve documentaire, celle‑ci devrait être jointe à une déclaration solennelle dans laquelle elle devait faire état des modalités de l’entente relative à la garde et déclarer être informée du fait qu’elle ne pourrait plus à l’avenir parrainer son enfant en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. La déclaration solennelle devait faire l’objet d’une assermentation par un commissaire à l’assermentation ou un notaire public. Le 22 juin 2012, la demanderesse a préparé la déclaration solennelle avec son avocat et celui‑ci l’a ensuite transmise à CIC.

 

[8]               Le 23 juillet 2012, CIC a répondu en refusant de nouveau que la fille de la demanderesse soit retirée de la demande de cette dernière et en exigeant que l’enfant subisse un examen médical. Dans sa réponse, l’avocat de la demanderesse a invoqué la déclaration solennelle précédemment soumise, et indiqué que l’avocat de la demanderesse aux Philippines avait informé sa cliente qu’elle n’avait pas le droit, en vertu des lois philippines, d’exiger la tenue d’une visite médicale. De plus, la demanderesse entretenait une relation intime avec une autre personne au Canada et avait donné naissance à une fille le 11 octobre 2012.

 

[9]               Le 4 mars 2013, CIC a rejeté la demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Dans sa lettre datée du 4 mars 2013, l’agent a rappelé qu’en vertu du paragraphe 16(1) de la LIPR, le demandeur doit produire tous les éléments de preuve et documents pertinents que l’agent peut raisonnablement exiger. L’agent ajoute qu’en dépit de multiples demandes, la demanderesse ne s’est pas conformée à cette exigence parce qu’elle n’a fourni ni preuve d’examen médical ni documents conférant la garde de sa fille. Il ne pouvait donc pas être établi que la demanderesse satisfaisait aux conditions du statut de résident permanent prescrites au paragraphe 72(1) du RIPR. En conséquence, sa demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux a été rejetée.

Questions en litige

[11]           La demanderesse soulève les questions suivantes dans ses observations écrites :

1.                  L’agent a‑t‑il omis d’apprécier ou mal interprété un point de droit et un élément de preuve cruciaux ou en a‑t‑il fait abstraction, notamment :

a)                  la requête de la demanderesse pour que sa fille soit retirée de sa demande;

 

b)                  la preuve selon laquelle l’ex‑époux de la demanderesse avait de facto la garde de sa fille;

 

c)                  la directive du Manuel de traitement des demandes IP 4 de CIC selon laquelle, lorsque le demandeur est originaire des Philippines, une déclaration solennelle constitue une preuve acceptable de la rupture de la relation maritale;

 

d)                 le fait qu’une réconciliation et des changements aux modalités de l’entente relative à la garde de l’enfant n’étaient pas des possibilités raisonnables;

 

e)                  l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’agent de dispenser la demanderesse de l’exigence de la visite médicale.

 

2.                  L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en manquant aux principes de l’équité procédurale dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et en ne fournissant pas des motifs adéquats?

 

[12]           Les questions en litige peuvent selon moi être formulées comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle adéquate?

 

2.                  La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

 

Norme de contrôle

[13]           La demanderesse a présenté certaines des questions qu’elle a soulevées, notamment l’allégation d’insuffisance des motifs, comme étant des questions d’équité procédurale; à mon sens, cependant, elles relèvent de l’analyse du caractère raisonnable de la décision de l’agent. L’insuffisance des motifs ne permet plus à elle seule d’annuler une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 14, 21 et 22).

 

[14]           Lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[15]           La décision d’un agent des visas de rejeter une demande de résidence permanente au motif que le demandeur n’a pas produit une preuve d’examen médical ou des documents relatifs à la garde d’un enfant repose sur une question de fait et elle doit être appréciée selon la norme du caractère raisonnable (Lhamo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 692, [2013] ACF no 730 (QL), aux paragraphes 25 et 31). Lors du contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59.

 

Position des parties

[16]           La demanderesse allègue que la décision de l’agent était déraisonnable. Elle a fait preuve de bonne foi et de diligence raisonnable en communiquant régulièrement par écrit avec CIC, notamment en l’avisant de l’absence de coopération de son ancien époux pour l’obtention des documents demandés et la tenue de la visite médicale, des efforts déployés par sa famille et d’autres personnes pour l’aider à cet égard et du fait qu’elle n’entretenait plus de rapports avec son époux. De plus, elle avait produit une preuve de son divorce et une déclaration solennelle confirmant que son ex‑époux avait la garde exclusive de sa fille et indiquant qu’elle renonçait à son droit de parrainer sa fille à l’avenir. D’ailleurs, comme le mentionnent les notes enregistrées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), le bureau de CIC à Manille avait confirmé la réception d’une lettre de l’ex‑époux de la demanderesse dans laquelle celui‑ci affirmait qu’il avait refusé que leur fille subisse un examen médical, que la demanderesse n’avait jamais fourni de soutien financier pour l’enfant et que la demanderesse était maintenant en union de fait avec une autre personne.

 

[17]           La demanderesse est d’avis qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’elle en fasse davantage. Elle fait aussi observer que le Manuel de traitement des demandes IP 4 de CIC indique en toutes lettres qu’une déclaration solennelle constitue une preuve satisfaisante de la rupture du lien conjugal et que l’enfant est sous la garde d’une autre personne dans un pays où le divorce est impossible, par exemple les Philippines.

 

[18]           Pour sa part, le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas répondu à la demande de production de preuves et de documents de CIC, malgré les huit occasions qu’elle avait eues de s’exécuter et les deux prorogations de délai qui lui ont été accordées en quatre ans. Le défendeur prétend qu’aucun des documents déposés par la demanderesse ne suffit à étayer son allégation voulant que son ex‑époux ait la garde exclusive de leur fille ou ses tentatives de soumettre cette dernière à une visite médicale. En particulier, la fille n’est pas mentionnée dans les documents de la Cour concernant le divorce, et la déclaration solennelle n’a pas été notariée.

 

Analyse

[19]           Pour les motifs ci‑après, je suis d’avis que la décision de l’agent de rejeter la demande de résidence permanente de la demanderesse n’était pas raisonnable.

 

[20]           L’article 72 du RIPR énonce les exigences d’obtention du statut de résident permanent au titre de la catégorie des aides familiaux, notamment l’obligation d’établir que le demandeur satisfait aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie (alinéa 72(1)d)) et dispose que ni lui ni les membres sa famille – qu’ils l’accompagnent ou non – ne sont interdits de territoire (sous‑alinéa 72(1)e)(i)). L’article 30 du RIPR prescrit que les membres de la famille d’un étranger, qu’ils l’accompagnent ou non, doivent se soumettre à la visite médicale.

 

[21]           Le Manuel de traitement des demandes IP 4 de CIC précise, sous l’intitulé « 9.14. Interdiction de territoire et membres de la famille qui n’accompagnent pas le demandeur », qu’une exception à l’exigence de la visite médicale pour les membres de la famille s’applique lorsqu’un enfant du demandeur est sous la garde légale d’une personne autre que le demandeur :

Tous les membres de la famille, qu’ils accompagnent le demandeur principal ou non, doivent être soumis à un contrôle, à moins qu’un agent n’en décide autrement. Normalement, si un membre de la famille est interdit de territoire, qu’il accompagne le demandeur ou non, le demandeur principal est alors interdit de territoire. Il existe cependant deux exceptions à cette règle, décrites dans le R23. La première est lorsque le demandeur est séparé de son époux et la seconde est lorsqu’un enfant du demandeur est sous la garde légale d’une personne autre que le demandeur ou qu’un membre de la famille l’accompagnant, ou lorsqu’une personne autre que le demandeur ou qu’un membre de la famille l’accompagnant a le pouvoir d’agir au nom de l’enfant en vertu d’une ordonnance d’un tribunal ou d’un accord écrit ou par action d’une loi.

 

Si l’époux séparé du demandeur ou ses enfants qui sont sous la garde de quelqu’un d’autre sont interdits de territoire, le demandeur n’est pas interdit de territoire. Comme les époux séparés peuvent se réconcilier et que les dispositions pour la garde des enfants peuvent changer, ils doivent être soumis à un contrôle afin de garantir leur droit futur à être parrainés dans la catégorie du regroupement familial. Si ces membres de la famille ne font pas l’objet d’un contrôle, ils ne pourront pas être parrainés au titre de la catégorie du regroupement familial en vertu du R117(9)d), à moins que le R117(10) ne s’applique.

 

[…]

 

Il faut fournir une preuve écrite satisfaisante de la rupture de la relation et que l’enfant est sous la garde légale ou la tutelle d’une autre personne (y compris de l’autre parent). Les documents suivants constituent des preuves documentaires acceptables :

 

                     une entente formelle de séparation;

                     une lettre d’un avocat indiquant que des procédures de divorce ont été entamées;

                     une ordonnance d’un tribunal sur la garde des enfants mentionnant la rupture de la relation;

                     des documents indiquant l’annulation de la couverture d’assurance pour l’époux ou le conjoint de fait ou précisant qu’il n’est plus bénéficiaire du testament;

                     une déclaration solennelle si le demandeur est originaire d’un pays ou la séparation légale ou le divorce sont impossibles, par exemple, les Philippines.

 

Pour être convaincu qu’il y a véritablement rupture de la relation, l’agent peut examiner divers éléments de preuve, par exemple :

 

                     une preuve que l’époux séparé vit avec un autre partenaire ou a des enfants avec ce dernier […].

[Je souligne.]

 

[22]           Cet extrait du manuel IP 4 est significatif parce qu’il donne les indications suivantes :

                     La visite médicale est imposée aux membres de la famille qui n’accompagnent pas le demandeur pour sauvegarder le droit du demandeur de parrainer ultérieurement ces membres de la famille si les modalités de l’entente relative à la garde de l’enfant changent ou advenant une réconciliation.

 

                     Si l’exception s’applique, l’interdiction de territoire du conjoint séparé d’un demandeur et de leurs enfants qui sont légalement sous la garde d’une autre personne ne rendra pas pour autant le demandeur interdit de territoire.

 

                     Dans un pays comme les Philippines, où la séparation légale ou le divorce sont impossibles, une déclaration solennelle décrivant l’état matrimonial et les modalités de garde peut servir de preuve suffisante aux fins de l’exemption de la visite médicale.

 

                     Une preuve additionnelle susceptible d’être prise en compte est le fait que l’épouse séparée réside avec un autre partenaire ou a des enfants avec lui.

 

[23]           Certes, les manuels et les guides publiés par CIC ne sont pas des règlements et ne sont pas contraignants, mais ils aident la Cour à évaluer si une décision faisant l’objet d’un contrôle était raisonnable (Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 201, [2012] ACF no 210 (QL), au paragraphe 36; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 22).

 

[24]           En l’espèce, la demanderesse a produit une déclaration solennelle bien avant que la décision ne soit prise de rejeter sa demande. Le contenu de la déclaration solennelle est important et les passages pertinents figurent ci‑dessous :

[traduction]

1.                  Je produis la présente déclaration en réponse à la requête du Centre de traitement des demandes de CIC.

 

2.                  Je confirme que ma fille Ashlie Shane Rarama est et a été de fait sous la garde exclusive de mon ancien époux, Andie Son Rarama, qui réside aux Philippines, et qu’il ne lui est pas permis de se soumettre à la visite médicale liée à ma demande de résidence permanente au Canada.

 

3.                  Je confirme aussi par la présente que je renonce en faveur d’Andie Son Rarama à tout droit que je pourrais avoir de réclamer la garde d’Ashlie Shane Rarama, et qu’on ne permet pas à Ashlie de se soumettre à la visite médicale, j’abandonne tout droit de la parrainer au Canada au titre de la catégorie du regroupement familial, étant entendu que je renonce à ce droit.

 

4.                  En abandonnant ce droit et en y renonçant, je reconnais spécifiquement et je suis parfaitement consciente que je ne pourrai pas à l’avenir parrainer Ashlie Shane Rarama au titre de la catégorie du regroupement familial.

 

[. . .]

 

[25]           D’après le Manuel de traitement des demandes IP 4, cette déclaration constitue une preuve documentaire acceptable du fait que la fille de la demanderesse est placée sous la garde ou la tutelle légale d’une autre personne. Pourtant, la décision de l’agent ne reconnaît pas l’existence de la déclaration solennelle. En fait, les notes de l’agent versées au STIDI, lesquelles font partie des motifs de la décision (Toma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 779, 295 FTR 158, au paragraphe 10, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 43 et 44), indiquent que la demanderesse [traduction] « n’a fourni aucun document concernant la garde exclusive ». Dans une autre note, l’agent affirme que la déclaration solennelle n’était pas notariée. Or, la lettre de CIC envoyée à la demanderesse le 28 novembre 2011 lui demandant de produire une déclaration solennelle précise : [traduction] « La déclaration solennelle doit fait l’objet d’une assermentation par un commissaire à l’assermentation ou un notaire public. » Comme il a été mentionné précédemment, la déclaration solennelle a été rédigée devant l’avocat canadien de la demanderesse. Celui‑ci l’a signée en tant [traduction] « [qu’] avocat et notaire, commissaire, etc. ».

 

[26]           L’agent n’était pas obligé d’accepter la déclaration solennelle comme preuve de facto que la fille de la demanderesse était sous la garde exclusive de son ancien époux (c’est en ce sens que cette affaire se distingue de Rojas c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2012 CF 1303, [2012] ACF no 1407 (QL)). Toutefois, au vu des directives figurant dans le Manuel de traitement des demandes IP 4, je suis d’avis que l’agent aurait dû fournir un motif raisonnable de ne pas accepter cet élément de preuve. En l’espèce, la seule explication possible de ce refus, soit le fait que le document n’était pas « notarié », contrevient directement aux exigences que CIC lui‑même a imposées à la demanderesse. Comme il avait été demandé, la déclaration a fait l’objet d’une assermentation devant un notaire public et commissaire à l’assermentation.

 

[27]           De plus, comme il est énoncé à la page 24 du Manuel de traitement des demandes IP 4, dans « un pays où la séparation légale ou le divorce sont impossibles, par exemple, les Philippines », il se peut fort bien que les ententes formelles relatives à la garde ne soient pas faciles à obtenir étant donné qu’elles se négocient dans la foulée d’une séparation ou d’un divorce.

 

[28]           Dans ces circonstances, le refus sans explication de l’agent d’accepter la déclaration solennelle comme preuve de la garde de la fille de la demanderesse était déraisonnable.

 

[29]           Il convient aussi de noter que la politique de la visite médicale existe justement pour  sauvegarder le droit de la demanderesse de parrainer sa fille à une date ultérieure, mais qu’elle y avait sans ambiguïté renoncé dans sa déclaration solennelle. Partant, la déclaration répond à l’exigence de CIC énoncée dans sa lettre du 28 novembre 2012.

 

[30]           Selon l’alinéa 117(9)d) du RIPR, un étranger n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de sa relation avec le répondant si le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, et que l’étranger, à l’époque de cette demande, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle. Ainsi, après avoir reçu la déclaration solennelle, l’agent n’avait plus de motif d’exiger que la fille de la demanderesse se soumette à une visite médicale. Par conséquent, il était déraisonnable pour l’agent de continuer d’exiger de la part de la demanderesse une preuve d’examen médical et de lui refuser l’exemption au motif qu’elle avait refusé de se conformer. Selon le paragraphe 16(1) de la LIPR, le demandeur doit fournir tous les éléments de preuves et les documents que l’agent requiert raisonnablement. Les renseignements quant aux efforts de la demanderesse pour faire passer une visite médicale à sa fille n’étaient désormais ni pertinents, ni raisonnablement requis.

 

[31]           Enfin, ainsi qu’il appert dans les notes du STIDI, un élément de preuve indiquant que la demanderesse avait entamé une nouvelle relation avec un nouveau conjoint de fait et donné naissance à un enfant avec son nouveau conjoint avait également été fourni à l’agent. Ce fait, comme le reconnaît le Manuel de traitement des demandes IP 4, constitue un élément de preuve susceptible d’être pris en compte par l’agent pour établir que la relation précédente de la demanderesse avait véritablement pris fin et qu’une réconciliation était improbable. L’agent disposait également du certificat de divorce de la demanderesse délivré par la Cour supérieure de justice de l’Ontario – une autre preuve que sa relation avec son ancien époux était terminée.

 

[32]           Bien qu’un agent ne soit pas tenu de faire mention dans ses motifs de chaque élément de preuve documentaire présenté, s’il omet de mentionner une preuve importante, cette omission peut être déterminante (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 177, [2012] 1 RCF 257, au paragraphe 38). En l’espèce, le refus de l’agent de délivrer le visa de résidence permanente reposait essentiellement sur le défaut allégué de la part de la demanderesse de produire la documentation relative à la garde ainsi qu’une preuve des efforts qu’elle avait déployés pour soumettre sa fille à une visite médicale. Le refus d’accepter les renseignements fournis par déclaration solennelle et par d’autres moyens ou l’omission d’en tenir compte a été déterminant dans ces circonstances.

 

[33]           Enfin,  la description des faits par le défendeur – à savoir que la demanderesse a eu quatre ans pour se conformer et qu’elle ne l’a pas fait – n’est ni convaincante ni entièrement exacte. L’examen du dossier révèle que la demanderesse a été en communication constante avec CIC, même avant de remplir sa demande de résidence permanente, qu’elle a demandé conseil aux fonctionnaires de CIC et a tenu ce dernier informé des difficultés qu’elle éprouvait en raison du refus de son ancien époux d’autoriser la visite médicale. CIC n’a pas reconnu l’importance de ces communications ou d’autres renseignements pertinents.

 

[34]           Dans cette situation, les motifs de l’agent ne reflètent pas les éléments de preuve mis à sa disposition, et compte tenu de ces éléments, sa décision n’était pas justifiée, transparente et intelligible et n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[35]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

                                                           

 

DOSSIER :

IMM‑2255‑13

 

INTITULÉ :

SHARON HULLANA RARAMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 17 dÉcembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT:

                                                            LE JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 17 janvier 2014

COMPARUTIONS :

Daniel Fine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Manuel Mendelzon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Finelaw

The Immigration Law Offices of Daniel M. Fine

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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