Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20140115

Dossier : IMM‑11092‑12

Référence : 2014 CF 45

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ATTILA BURI

EMIL BURI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision du 18 septembre 2012 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs, les frères Attila et Emil Buri, sont des citoyens de la Hongrie d’origine ethnique rom. Ils ont fui la Hongrie l’un en août et l’autre en septembre 2011 après qu’ils auraient subi à plusieurs reprises des mauvais traitements et des actes de violence de la part de groupes racistes extrémistes et de la police hongroise, été victimes de discrimination en tant que Roms et été témoins de la dégradation de la situation en Hongrie. Une fois arrivés au Canada, tous deux ont demandé l’asile en invoquant l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[3]               Attila Buri déclare s’être fait infliger [traduction] « à de nombreuses reprises » des mauvais traitements par des membres de la Garde hongroise, une formation politique extrémiste qui accuse les Roms de Hongrie de commettre des crimes et d’être la source d’autres problèmes. L’agression la plus grave est survenue en 2004. Monsieur Buri a eu des côtes et le nez fracturés et une blessure à la hanche. On lui a aussi volé et sa veste. Ses agresseurs ont été arrêtés et inculpés et sa veste lui a été remise; l’agression l’aurait toutefois laissé invalide pendant 10 ans, bien qu’il n’ait donné aucune précision sur l’incident dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels [FRP] initial. Une autre fois, deux membres de la Garde hongroise ont blessé M. Buri au cou avec un morceau de verre et il a failli se vider de son sang. Monsieur Buri a signalé l’incident à la police, mais personne n’a été arrêté. Les policiers auraient même tenté de provoquer M. Buri pour avoir l’excuse de le battre. Ce dernier n’aurait malgré tout pas porté plainte contre eux. Monsieur Buri fait également état de la discrimination dont il a été victime de manière générale en tant que [traduction] « Gitan » en Hongrie.  

 

[4]               Emil Buri donne divers exemples d’actes de discrimination qu’il a subis en raison de sa qualité de Rom en Hongrie, et mentionne aussi de nombreuses agressions, dont certaines nécessitant l’hospitalisation, subies aux mains de membres de la police et de la Garde hongroise. Il raconte qu’une fois des policiers l’ont arrêté et détenu pendant 24 heures et que, pendant sa détention, on l’avait frappé toutes les deux heures. Monsieur Buri dit qu’il a voulu porter plainte contre les policiers, mais que ceux‑ci lui avaient rappelé que personne ne le croirait parce qu’il n’était qu’un [traduction] « sale Gitan ».

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[5]               Le 11 juin 2012, la Commission a instruit ensemble les demandes d’asile des deux demandeurs. La SPR a rejeté les demandes par décision datée du 18 septembre 2012. Les demandeurs ont reçu la décision défavorable le 16 octobre 2012.

 

[6]               Dans la décision, la question déterminante était celle de la protection de l’État. La Commission a souligné qu’elle n’est pas tenue de prouver que la Hongrie peut offrir une protection efficace aux demandeurs. Il incombait plutôt aux demandeurs de réfuter la présomption selon laquelle l’État peut leur fournir une protection suffisante, étant donné particulièrement que la Hongrie est un pays où le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question. La Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de cette tâche. En particulier, ils n’avaient pas épuisé les recours nationaux de protection décrits dans la preuve documentaire et dont ils pouvaient raisonnablement se prévaloir.

 

[7]               La Commission a tiré des incohérences entre les témoignages des demandeurs plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité. La Commission a aussi jugé défavorablement l’absence, sans explication raisonnable, de preuve produite par les demandeurs pour corroborer leurs allégations.

 

[8]               La Commission a examiné la preuve documentaire sur la situation des Roms en Hongrie et sur les mesures prises par l’État à cet égard. Elle a conclu que, bien que les Roms soient exposés à de graves actes discriminatoires et violations des droits de la personne en Hongrie, une protection de l’État suffisante, quoiqu’imparfaite, y est disponible pour les victimes d’actes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination ou de persécution. La Commission a aussi conclu que la Hongrie fait de sérieux efforts pour régler ces problèmes, que la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont en mesure de la faire, et que l’État donnait suite aux plaintes lui étaient adressées.

 

[9]               Le tribunal a aussi souligné la prise de diverses mesures par la Hongrie pour combattre la discrimination à l’endroit des Roms, notamment la création d’un poste de Commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques [l’Ombudsman des minorités] et la mise sur pied d’une Autorité pour l’égalité de traitement. Il existe une association des agents de police roms ainsi que divers organes gouvernementaux internes voués à la protection des intérêts des groupes minoritaires. Le gouvernement a aussi financé des mesures visant à améliorer les conditions de logement des Roms et les soins de santé qui leur sont offerts. La Commission a souligné qu’il est vrai que la Hongrie est critiquée relativement à la mise en œuvre des lois qu’elle a adoptées dans le but de lutter contre la discrimination, mais ce pays doit respecter des normes minimales pour maintenir son adhésion au sein de l’Union européenne.

 

[10]           La Commission a conclu de manière générale que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État, et n’avaient pas déployé tous les efforts raisonnables pour obtenir cette protection en Hongrie avant de demander l’asile au Canada. La Commission n’était pas convaincue que, s’ils la lui demandaient, l’État n’offrirait pas aux demandeurs une protection raisonnable.

 

[11]           La Commission a conclu que, comme les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État, ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

a.       La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers eux lorsqu’elle s’est appuyée sur des documents qui n’avaient pas été produits en preuve?

b.      La Commission a‑t‑elle recouru à un critère erroné pour évaluer l’existence de la protection de l’État?

c.       La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables au vu de la preuve qui lui avait été présentée?

 

NORME DE CONTRÔLE

[13]           La Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], qu’il n’était pas nécessaire pour la cour de révision de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour de révision est bien établie en jurisprudence, la cour peut plutôt adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent d’établir la norme de contrôle applicable : Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

 

[14]           La question de savoir si la SPR s’est fondée sur des documents non versés au dossier et si les demandeurs ont eu l’occasion de répondre aux renseignements dont la Commission disposait concerne l’équité procédurale. La Cour suprême a déclaré à cet égard, dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » Dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a en outre statué comme suit, au paragraphe 53 : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » Par conséquent, la première question sera examinée suivant la norme de la décision correcte.

 

[15]           Les conclusions de la Commission concernant la protection de l’État sont des conclusions mixtes de fait et de droit, et ainsi la norme de contrôle de la raisonnabilité leur est applicable : Pacasum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 822, au paragraphe 18; Estrada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 279; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abboud, 2012 CF 72; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 94; Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171.

 

[16]           Dans le passé, la Cour a examiné la question de savoir si la SPR avait appliqué le critère pertinent en matière de protection de l’État suivant la norme de la décision correcte : voir Cosgun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 30; Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1407, [Koky] au paragraphe 19; Pinto Ponce v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 181, aux paragraphes 24 à 29; Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 126; GM c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 710. Plus récemment, toutefois, la Cour a statué qu’il convenait d’appliquer la norme de la raisonnabilité lorsqu’était soulevée la question de savoir si la Commission avait appliqué des dispositions de la Loi en fonction du critère pertinent, parce que c’était l’interprétation par la Commission de sa loi constitutive qui était alors en cause, et non une question de droit générale : voir B074 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1146; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 30; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 24. Par conséquent, il semble nécessaire d’examiner si la jurisprudence est compatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire.

 

[17]           Je souscris à l’analyse récente du juge en chef Crampton, dans le jugement Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 [Ruszo], selon laquelle la norme de la décision correcte serait toujours de mise lorsqu’on examine si la Commission a apprécié la protection de l’État selon le critère pertinent. Le juge en chef s’est d’abord penché sur le critère applicable à l’interprétation du terme « persécutée » au paragraphe 96 de la Loi, puis il a appliqué le même raisonnement à l’analyse de la question de la protection de l’État :

 

17    […] Cette dernière [la LIPR] est la « loi constitutive » de la SPR ou une loi « étroitement liée à son mandat et dont [elle] a une connaissance approfondie ». Par conséquent, l’interprétation de la LIPR par la SPR fait généralement l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, sauf lorsque l’interprétation concerne (i) une question constitutionnelle, (ii) une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère au domaine d’expertise de la SPR; (iii) une question qui porte sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents, (iv) une question touchant véritablement à la compétence ou (v) une autre question par ailleurs exceptionnelle (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers], aux paragraphes 30, 34 et 46; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, aux paragraphes 26 à 28; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 54 à 61 [Dunsmuir]; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 36).

 

18           À mon avis, le sens du terme « persécutée » à l’article 96 de la LIPR soulève une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique. Cependant, il serait difficile de soutenir que cette question est étrangère au domaine d’expertise de la SPR. En fait, il est difficile d’imaginer une question qui relèverait moins de l’expertise de la SPR.

 

19     Le sens du terme « persécutée » ne soulève pas non plus une question constitutionnelle, une question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents ou une question qui touche véritablement à la compétence (arrêt Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 33 à 46).

 

20     Néanmoins, dans la mesure où il est possible de dire que la jurisprudence a établi un critère précis pour décider si une personne a été « persécutée » au sens de l’article 96 […], nous nous retrouverions, à mon avis, dans la catégorie étroite des situations « exceptionnelles » recensées dans l’arrêt Alberta Teachers, précité, au paragraphe 34. Vu que le sens du terme « persécutée » est bien établi en droit, il n’est pas loisible à la SPR de retenir une interprétation différente. Par conséquent, la question de savoir si la SPR a commis une erreur en interprétant le critère qui permet d’établir qu’une personne est « persécutée » au sens de l’article 96 doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

21     Le second point soulevé relativement à la conclusion de la SPR pourrait être formulé comme suit : la SPR a‑t‑elle commis une erreur en décidant que le comportement discriminatoire sur lequel étaient fondées les demandes des demandeurs ne satisfaisait pas au critère qui permet de démontrer qu’une personne est « persécutée » au sens de l’article 96? Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable […].

 

22     La norme de contrôle qui s’applique à l’évaluation par la SPR de la question de la protection de l’État dépend de la mesure dans laquelle la conclusion tirée par la Commission découlait de sa compréhension du critère pertinent qui s’applique à la question de la protection de l’État ou de son application de ce critère aux faits de l’espèce. Essentiellement pour les mêmes raisons qui ont été abordées aux paragraphes 20 et 21, dans le premier cas, la norme de contrôle serait celle de la décision correcte (voir aussi Koky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1407, au paragraphe 19 [Koky]), alors que, dans le second, la norme de contrôle serait celle de la décision raisonnable. En résumé, la jurisprudence a défini un critère bien précis en ce qui concerne la protection de l’État (voir, p. ex., Burai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 565, au paragraphe 28 [Burai]; Lakatos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1070, aux paragraphes 13‑14; Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, au paragraphe 25; et Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, aux paragraphes 42 à 52). Par conséquent, il n’est pas loisible à la SPR d’appliquer un critère différent, et la question de savoir si la SPR a appliqué le critère pertinent devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, l’examen de la possibilité que la SPR ait commis une erreur en appliquant le droit établi aux faits de l’espèce serait une question mixte de fait et de droit qui devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 53; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38 [Hinzman].

 

23     À mon avis, la décision de la SPR en l’espèce reposait sur son application du droit établi aux faits de l’espèce; par conséquent, elle doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Je suis entièrement d’accord avec ce raisonnement et avec la conclusion selon laquelle la norme de la décision correcte s’applique lorsque l’objet véritable du contrôle est le critère pertinent pour l’analyse de la protection de l’État. À mon avis toutefois, comme c’était le cas dans le jugement Ruszo, la conclusion tirée par la Commission dans la présente affaire découlait non pas de sa compréhension du critère pertinent pour examiner la protection de l’État, mais plutôt de l’application de ce critère aux faits de l’espèce, laquelle commande la norme de la décision raisonnable.

 

[19]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir uniquement si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartenait pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente instance :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

[…]

 

 

Person in need of protection

 

97(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

[…]

 

ARGUMENTATION DES PARTIES

Les demandeurs

[21]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a manqué à l’obligation d’équité procédurale qu’il lui faut respecter envers tous les demandeurs d’asile se présentant devant elle : Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 RCS 643. À leur avis, la Commission a enfreint cette obligation en s’appuyant fortement sur le rapport de 2012 du Département d’État des États‑Unis, bien que ce document n’ait pas été communiqué aux demandeurs avant l’audience, qu’il n’ait pas été versé au dossier et que les demandeurs n’aient pas été avisés que la Commission en tiendrait compte pour rendre sa décision. Cet élément de preuve tient une place prépondérante dans la décision de la Commission, malgré l’affirmation du défendeur selon laquelle les renseignements figurant dans le document non communiqué ne différaient pas essentiellement des autres renseignements versés au dossier. Les demandeurs citent un extrait du jugement Abasalizadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1407 [Abasalizadeh], dans lequel le juge Mosley a affirmé ce qui suit au paragraphe 22 : « [S]i un document doit être utilisé sans que la partie en cause ait le temps approprié pour l’examiner, il faut que certaines dispositions soient prises pour l’aider… ».

 

[22]           La Commission ayant pour pratique de communiquer aux demandeurs d’asile la preuve devant servir de fondement, avant de rendre sa décision, les demandeurs pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que la SPR, à moins d’en donner pareille communication, ne prenne en considération aucun autre renseignement que ceux produits à l’audience : Turton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1244, [Turton] au paragraphe 64, et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589. La présence du conseil à l’audience n’y change rien; le conseil et les demandeurs devaient être en mesure de savoir quelle preuve pesait contre ces derniers et d’y répondre.

 

[23]           Les demandeurs insistent également sur le fait que, bien que la Commission ait énoncé le critère pertinent pour l’analyse de la protection de l’État, au paragraphe 39 de la décision, elle a appliqué un mauvais critère. La Commission a examiné si l’État soutenait des initiatives qui pourraient accorder protection à l’avenir, au lieu de vérifier, comme elle l’aurait dû, si l’État était véritablement en mesure d’offrir une protection suffisante d’un point de vue pratique. Les demandeurs citent à cet égard le paragraphe 11 du jugement Rezmuves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 334, récemment prononcé par la Cour :

L’analyse de la Commission sur la protection offerte par l’État pose également problème. La Commission examine la preuve concernant la détention arbitraire en Hongrie, la structure des forces policières hongroises, la corruption policière, l’association des agents de police roms qui voit à la protection des Roms qui sont policiers et militaires, d’autres associations connexes en Hongrie et en Europe visant les policiers et les militaires roms, l’expert indépendant et l’organisme chargé de surveiller la mise en application des mesures législatives visant à enrayer la discrimination. Toutefois, la Commission ne s’est pas penchée sur la question pertinente : la protection offerte aux Roms par l’État est‑elle suffisante en Hongrie?

 

[24]           Depuis l’arrêt Ward c Canada (Procureur général), [1993] 2 RCS 689, de la Cour suprême, il n’est nécessaire qu’un demandeur d’asile ait épuisé tous les recours dont il disposait pour assurer sa protection que si la Cour conclut que la protection pouvait raisonnablement être assurée. Les conclusions défavorables de la Commission quant aux efforts personnels mis par les demandeurs pour obtenir la protection de l’État ne tranchaient pas la question. Pour pouvoir conclure que la protection de l’État est suffisante, il faut examiner non seulement s’il existe des mécanismes de protection, mais aussi si de tels mécanismes suffisent pour assurer la protection d’un point de vue pratique. Or, d’après les demandeurs, la Commission n’a pas analysé la preuve qui lui avait été présentée sur le caractère insuffisant dans les faits des mesures de protection à la disposition des personnes dans une situation semblable à la leur. La Cour a conclu à plusieurs reprises qu’il s’agissait là d’une erreur entraînant la nullité de sa décision : Koky, précité; Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250 [Hercegi]; J.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210. Les demandeurs laissent entendre que la Commission a répété en l’espèce la même erreur que celle qui a été relevée dans le jugement E.Y.M.V c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364 [E.Y.M.V.], au paragraphe 16 :

La Commission n’a fourni aucune analyse quant au caractère satisfaisant des efforts concrets déployés par le gouvernement du Honduras et par les acteurs internationaux pour améliorer la protection de l’État au Honduras. Bien que les efforts déployés par un État soient effectivement pertinents quant à l’analyse de la protection de l’État, ils ne sont ni déterminants ni suffisants […]. Les efforts doivent avoir, dans les faits, « véritablement engendré une protection adéquate de l’État ». [Jurisprudence citée omise.]

 

[25]           En outre, il était déraisonnable que la Commission conclue que les demandeurs auraient dû épuiser les recours dont ils pouvaient disposer pour assurer la protection de l’État qui n’existaient pas lorsqu’ils ont quitté leur pays, en août et en septembre 2011. Les « conclusions accessoires » de la Commission sur la crédibilité étaient également déraisonnables, et n’avaient pas d’effet déterminant sur l’issue de la demande.

 

[26]           Selon les demandeurs, la Commission a aussi commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte de renseignements fiables et à jour dont elle disposait sur la situation actuelle des Roms en Hongrie, et sur la question de savoir si les personnes dans une situation semblable à la leur pouvaient se réclamer de la protection de l’État. Bien qu’un décideur n’ait pas à faire état de chaque élément de preuve documentaire qui lui a été présenté, le défaut de mentionner expressément un tel élément qui contredit ses conclusions tout en portant sur une question fondamentale pourrait autoriser à conclure de manière raisonnable qu’il n’en a pas tenu compte : Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 [Ozdemir]; Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 [Cepeda‑Gutierrez]).

 

[27]           En ne considérant pas la preuve sur les importants changements antidémocratiques récemment survenus en Hongrie, la Commission n’a pas vérifié si les demandeurs couraient un risque de persécution prospectif. Les demandeurs renvoient particulièrement aux modifications apportées à la Constitution de la Hongrie le 1er janvier 2012 et à ce qu’ils qualifient de détournement par le parti Fidesz au pouvoir des institutions politiques précédemment démocratiques. Ils estiment raisonnable de conclure que la Commission a fait abstraction de ces éléments puisqu’elle ne les a pas mentionnés : voir Ozdemir, précité; Cepeda‑Gutierrez, précité. Ils établissent un parallèle entre la présente affaire et l’affaire E.Y.M.V., précitée, où la Cour a conclu, au paragraphe 19, que la Commission avait eu tort de conclure que la « démocratie fonctionn[ait] » dans le pays d’origine de la demanderesse sans faire mention des changements politiques qui y étaient récemment survenus :

Dans la mesure où la Commission a fondé ses conclusions sur le fait que le Honduras est un pays où la démocratie fonctionne, la Commission n’a pas non plus tenu compte de la situation au pays dans les mois qui ont suivi l’agression de Mme Varela. Le Honduras se trouvait dans une situation politique tendue qui s’est conclue par un coup d’État orchestré par les militaires en juin 2009. Bien que la Commission eût pu se demander si la situation avait changé […] la Commission ne l’a pas fait.

 

[28]           La Commission a également rappelé des faits qui ne sont plus véridiques :

a)      la Commission a plusieurs fois souligné l’existence de l’Ombudsman des minorités en tant que mécanisme permettant d’obtenir la protection de l’État, sans mentionner le fait toutefois que ce poste avait été aboli dans la foulée des importantes réformes de janvier 2012;

b)      ces réformes ont également entraîné l’élimination du réseau contre la discrimination, qui permettait aux membres des minorités, dont les Roms, d’obtenir des services juridiques gratuits, mais la Commission n’a pas non plus mentionné ce fait.  

 

[29]           La Commission a tiré des conclusions déraisonnables en se fondant sur ces renseignements désuets, lesquels concernaient notamment le bon fonctionnement de la démocratie en Hongrie, le fait que les minorités étaient maintenant mieux protégées en Hongrie et la possibilité pour les demandeurs de signaler à l’Ombudsman des minorités les abus de pouvoir des policiers.

 

Le défendeur

[30]           Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions défavorables tirées par la Commission en matière de crédibilité, et que ces conclusions réfutent l’affirmation selon laquelle la protection de l’État n’est pas suffisante en Hongrie. Comme les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve corroborant leurs prétentions, et comme les conclusions quant à la crédibilité ne sont pas contestées, celles‑ci sont déterminantes et elles suffisent pour faire échec à la demande, ainsi que l’a déclaré la Cour dans le jugement Quintero Cienfuegos v Canada, 2009 CF 1262, aux paragraphes 25 et 26 (voir également A.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 579, au paragraphe 20, et Citoyenneté et Immigration c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3).

 

[31]           Le défendeur affirme que les différences entre le rapport de 2010 du Département d’État américain produit en preuve et les rapports de 2011 du même département, plus récents, et sur lesquels la Commission s’est fondée, sont de peu d’importance et n’ont aucun lien avec la situation des demandeurs en l’espèce. La Commission a analysé de manière globale la situation des Roms en Hongrie et la preuve dont elle disposait, et elle a examiné plus particulièrement si les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État. Pour l’essentiel, la non‑communication des rapports de 2011 ne rend pas les conclusions de la Commission déraisonnables, et les demandeurs n’ont pas dit en quoi ces documents avaient modifié ces conclusions. Par conséquent, il ne servirait à rien de renvoyer, pour ce motif, la décision de la Commission pour nouvel examen : Yassine c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 172 NR 308, [1994] ACF no 949 (CAF), au paragraphe 9; voir également : Mobile Oil Canada Ltd. c Office Canada–Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, à la page 228.

 

[32]           Le défendeur soutient que les affaires Abasalizadeh et Turton, précitées, se distinguent de la nôtre parce que dans celles‑ci les demandeurs n’étaient pas représentés par un avocat. À l’inverse, les demandeurs étaient représentés en l’espèce par un avocat à l’audience, et la non‑communication n’équivaut donc pas par elle‑même à un manquement à l’équité procédurale. La Cour a d’ailleurs formulé les remarques suivantes, au paragraphe 23, dans le jugement Abasalizadeh :

La question de la communication des documents peut ne pas équivaloir par elle‑même à un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. Cependant, lorsqu’elle est associée à l’absence de représentation dans les circonstances particulières de la présente affaire, je suis convaincu que l’effet cumulé équivalait à au moins une apparence d’iniquité.

 

[33]           Le défendeur fait également valoir que l’analyse de la Commission sur la question de la protection de l’État était raisonnable. Il est loisible à la Commission de préférer la preuve documentaire à des témoignages, et en l’espèce la preuve documentaire révélait que la protection des Roms par l’État était suffisante en Hongrie. La Cour n’a pas pour rôle de réévaluer la preuve dont disposait la Commission : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2011 CF 654, au paragraphe 23, et Barua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 607, au paragraphe 22. Les demandeurs n’ont pas établi qu’ils seraient personnellement exposés à un risque s’ils devaient retourner dans leur pays (Canada (Sécurité publique et protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181, au paragraphe 18, et Krishnapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 563, au paragraphe 14), ni n’ont démontré qu’ils avaient cherché avec diligence à obtenir la protection de l’État en Hongrie avant de demander l’asile au Canada : Guzman Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 66, au paragraphe 12, et Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 57.

 

[34]           Selon le défendeur, la lecture objective des motifs permet de constater que la Commission a appliqué le critère pertinent en matière de protection de l’État. En conformité avec l’arrêt Flores Carillo, précité, la Commission s’est fondée sur le critère non pas « de l’efficacité, mais plutôt celui du caractère adéquat » quant à la protection de l’État. La Commission n’avait pas à conclure que la protection offerte par l’État était pleinement efficace. Les faits de l’affaire E.Y.M.V, précitée, se distinguent des faits de l’espèce. La preuve même des demandeurs révèle que, lorsque ceux‑ci ont signalé les incidents survenus, l’État a pris certaines mesures. Aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité n’avait été tirée dans le jugement E.Y.M.V., non plus, tandis qu’en l’espèce la Commission a tiré de telles conclusions qui n’ont pas été contestées.

 

[35]           Les demandeurs n’ont pas produit suffisamment d’éléments de preuve permettant de démontrer que leur situation est semblable à celle des autres Roms victimes de persécution, alors qu’une telle preuve est requise selon le jugement Raduly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 354 (CF 1re inst.), au paragraphe 7 :

[…] Il n’y a pas à prouver que tous les Roms sont persécutés et qu’ils deviennent automatiquement des réfugiés. Il incombe toujours aux demandeurs d’établir qu’ils ont été persécutés. Le fait qu’il y a un nombre considérable de minorités qui sont persécutées permettrait certainement de satisfaire au critère objectif qui consiste à établir que le demandeur serait persécuté, mais il y a à la fois un critère objectif et un critère subjectif de persécution.

 

[36]           L’examen de la preuve documentaire par la Commission était dans l’ensemble raisonnable. La Commission est présumée avoir considéré tous les éléments de preuve, y compris la preuve des demandeurs antérieure au rapport du Département d’État américain sur lequel elle s’est fondée : Monzon Ortega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 657, au paragraphe 9, et Florea c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] ACF no 598 (CAF). Les demandeurs affirment que la Commission n’a pas tenu compte de certains éléments de la preuve documentaire, mais ils n’ont pas démontré en quoi la prise en compte de ces renseignements aurait modifié les conclusions qu’elle a tirées : Ogbeide c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 677; Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CAF); et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 16 et 18.

 

[37]           Par ailleurs, la mention de l’Ombudsman des minorités a constitué une erreur sans importance et ne donne pas à croire que la décision de la Commission était déraisonnable dans son ensemble. Les fonctions d’un tel ombudsman sont toujours exercées, quoique sous une forme restructurée, et la Commission a également renvoyé à d’autres organismes où les demandeurs auraient pu signaler les mauvais traitements qu’ils avaient subis. La juge Abella a déclaré à ce titre, dans le récent arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, qu’il « faudrait considérer la sentence arbitrale comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (voir également Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 14).

 

ANALYSE

[38]           S’agissant de l’équité procédurale, nul ne conteste que la SPR s’est fondée sur un rapport de 2011 du Département d’État des États-Unis qui n’avait été ni versé au dossier ni communiqué aux demandeurs. On constate à la lecture des motifs que la Commission s’est fortement appuyée sur ce rapport et y a largement fait référence tout au long de sa décision. Or, dans le cartable national de documentation du 31 octobre 2011 admis en preuve par la SPR à l’audience relative à la demande d’asile, le rapport de 2010 du Département d’État américain continuait de figurer dans la liste des pièces.

 

[39]           Le défendeur a présenté comme seul argument acceptable, pour faire valoir l’absence d’iniquité procédurale, que le fait pour la SPR de s’être fondée sur le rapport de 2011 du Département d’État des États-Unis n’avait guère d’importance puisque les renseignements propres aux Roms dans ce rapport et dans celui de 2010 n’étaient pas essentiellement différents. Je ne suis pas d’accord avec le défendeur sur ce point.

 

[40]           Il est vrai ces deux rapports exposent un tableau « non uniforme » de la situation des Roms en Hongrie : l’un fait état de la discrimination continue et des désavantages et l’autre, des initiatives soutenues par le gouvernement pour s’attaquer à ces problèmes. Toutefois dans le rapport de 2011, des initiatives et des changements précis ne figuraient pas le rapport de 2010 et pouvaient nuire à la thèse des demandeurs sur la question de la protection de l’État. Les demandeurs n’ont pas eu l’occasion de se faire entendre au sujet de ces changements. Compte tenu du fait que la SPR a renvoyé à ce rapport dans ses motifs, comme nous le verrons plus loin, je ne crois pas qu’on puisse dire que ces éléments nouveaux ou modifiés dans le rapport de 2011 n’ont pas eu d’incidence sur la conclusion de la SPR concernant la protection de l’État.

 

[41]           Le fait pour la SPR de s’être fondée sur des passages du rapport de 2011 du Département d’État des États-Unis qu’elle a cités aux paragraphes 41 et 43 de sa décision est particulièrement inquiétant.

 

[42]           Les demandeurs ont relevé plusieurs paragraphes précis de la décision où la SPR s’est fondée sur le rapport de 2011 du Département d’État américain; j’ai principalement ciblé dans mon analyse les parties du rapport qui sont citées aux paragraphes 32, 33, 37, 41, 42, 43, 50 et 52. Puisque c’est l’importance relative du manquement à l’équité procédurale envers les demandeurs qui est en cause, je me suis penché uniquement sur les changements susceptibles de nuire à la thèse de ces derniers sur la question de la protection de l’État.

 

[43]           Bien que, outre les citations directes, la SPR ait souvent renvoyé au rapport de 2011 dans les notes de bas de page de la décision (pièce R/A‑1, point 2.1 du dossier de la SPR), elle ne mentionne pas de numéro de page dans ces notes et il est donc difficile de savoir sur quelles parties du rapport elle s’est fondée. Il est également difficile d’analyser les éléments du rapport de 2010 qui auraient pu s’avérer davantage favorables aux demandeurs, mais qui ont été omis dans le rapport de 2011. J’estime toutefois que l’iniquité procédurale peut être démontrée sans qu’il soit nécessaire de s’appuyer sur ces omissions.

 

[44]           Au paragraphe 32 de la décision, la SPR cite une partie du sommaire du rapport de 2011 (page 1, DD, à la page 170) qui ne figurait pas dans le rapport de 2010. Cette citation ne nuit toutefois pas à la thèse des demandeurs sur la protection de l’État, à mon avis, puisqu’il y est question de discrimination continue et de montée de l’extrême droite, et non de la protection de l’État ou de mesures d’amélioration.  

 

[45]           Au paragraphe 33 de la décision, la SPR cite un passage à la page 34 du rapport de 2011 (DD, à la page 203). Des renseignements semblables figurent aux pages 33 et 34 du rapport de 2010 (DCT, aux pages 149 et 150), quoique selon un ordre différent, et il s’agit principalement de données statistiques qui ne nuisent pas à la thèse des demandeurs en matière de protection de l’État.

 

[46]           Au paragraphe 37 de la décision, la SPR cite un extrait de la page 35 du rapport de 2011 (DD, à la page 204). Il y est question d’événements survenus [traduction] « [a]u cours de l’année », et qui donc manifestement n’étaient pas mentionnés dans le rapport de 2010. J’estime cependant que la plupart des renseignements en cause ne nuisent pas à la thèse des demandeurs, étant donné qu’ils portent sur les activités de groupes d’extrême droite et paramilitaires. Toutefois, la dernière phrase de la citation concerne les mesures prises en réponse par l’État :

[traduction]

[…] Le 22 avril, le ministre de l’Intérieur, Sandor Pinter, s’est rendu à Gyongyospata, a ordonné d’accroître la présence policière dans le village, et a chargé la police d’expulser les extrémistes.

 

[47]           Il y a à la même page du rapport de 2011 d’autres commentaires sur la protection de l’État que la SPR n’a pas cités expressément, mais qui semblent avoir joué un rôle dans son analyse (page 35, DD, à la page 204 – non souligné dans l’original) :

[traduction]

Les ONG ont accusé les groupes d’extrême droite d’avoir provoqué des tensions entre les groupes ethniques à Gyöngyöspata, et affirmé que le gouvernement n’avait pas protégé la minorité rom locale. Le gouvernement a toutefois réagi vigoureusement en adoptant, en avril et, mai, des mesures législatives qui visaient à contrer les « activités criminelles en uniforme » des groupes d’extrême droite (voir la section 1.d).

 

[48]           Là encore, puisqu’on y traitait d’événements survenus [traduction] « [a]u cours de l’année », les renseignements mentionnés dans cette partie du rapport de 2011 ne figuraient pas dans le rapport de 2010.

 

[49]           Au paragraphe 41 de la décision, la SPR traite d’une « série de nouvelles initiatives » tout en citant de longs passages des pages 37 et 38 du rapport de 2011 (DD, aux pages 206 et 207). Certains renseignements qui y figurent correspondent à ceux mentionnés à la page 35 du rapport de 2010 (DCT, à la page 151), mais certains sont nouveaux. J’ai souligné ci‑dessous les parties du rapport de 2011 qui sont nouvelles ou constituent des modifications et qui sont susceptibles de nuire à la thèse des demandeurs sur la protection de l’État :

[traduction]

Au cours de l’année, le secrétaire d’État à l’Intégration sociale au ministère de l’Administration publique et de la Justice, Zoltán Balog, a continué à jouer un rôle essentiel pour ce qui est de faire avancer les dossiers concernant les Roms au sein du gouvernement [par comparaison, on fait simplement état de la nomination de M. Balog à ce poste à la page 151 du rapport de 2010]. Le secrétariat a harmonisé la politique d’inclusion du gouvernement ainsi que celle qui régit les programmes gouvernementaux destinés aux Roms (p. ex. les bourses d’études, le programme Décennie de l’inclusion des Roms). Le ministère des Ressources nationales a continué à offrir des incitatifs financiers pour encourager les écoles à intégrer des enfants roms et non roms dans les mêmes classes et à réintégrer des Roms placés de façon inappropriée dans des programmes de rattrapage. Le 26 septembre, le gouvernement a créé le Conseil de coordination rom, composé de 27 membres et coprésidé par le ministre de l’Administration publique et de la Justice ainsi que le chef du gouvernement autonome rom national, Florian Farkas, élu le 20 janvier. Le nouveau conseil est formé de représentants de gouvernements autonomes roms locaux, d’ONG et d’églises. La plupart des ministères et des centres des affaires du travail des comtés comptent des agents spéciaux chargés des affaires roms, qui se concentrent sur les besoins de cette communauté.

 

Le 30 novembre, le Cabinet a approuvé la stratégie nationale d’inclusion sociale, qui définit les mesures précises à prendre par le gouvernement pour réduire le pourcentage de la population qui vit sous le seuil de la pauvreté, intégrer les Roms sur le marché du travail et accroître leur niveau d’instruction. Le 13 décembre, le Cabinet a adopté le plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre de la stratégie nationale d’inclusion sociale pour 2012‑2014. Le plan d’action définit les tâches précises ainsi que les membres responsables du Cabinet et fixe des délais dans les domaines de la protection de l’enfance, de l’éducation, de l’emploi, des soins de santé, du logement, de la sensibilisation et de la lutte contre la discrimination à l’égard des Roms.

 

Le 19 décembre, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur les [traduction] « nationalités » qui doit entrer en vigueur en janvier 2012. Cette nouvelle loi définit l’autonomie culturelle des nationalités et reconnaît que la promotion et l’enrichissement des traditions historiques, de la langue, de la culture, des droits à l’instruction, ainsi que la création et la gestion d’institutions et le maintien de contacts internationaux sont des droits collectifs.

 

Les Roms, comme les 12 autres minorités officielles, ont le droit d’élire leur propre gouvernement autonome, lequel organise les activités de la minorité et s’occupe des affaires relatives à la culture, à l’éducation et à la langue. Le président du gouvernement autonome de chacune des minorités a également le droit d’assister aux assemblées gouvernementales locales et de prendre la parole au cours de celles‑ci.

 

[50]           On traite ainsi dans les nouvelles parties du rapport :

                                                              i.      du [traduction] « rôle essentiel » joué par le ministre de l’Administration publique et de la Justice pour ce qui est de faire avancer les dossiers concernant les Roms au sein du gouvernement;

 

                                                            ii.      de l’harmonisation de la politique d’inclusion du gouvernement et de celle qui régit les programmes gouvernementaux destinés aux Roms;

 

                                                          iii.      d’un nouveau Conseil de coordination rom composé de 27 membres;

 

                                                          iv.      d’une nouvelle stratégie nationale d’inclusion sociale approuvée par le cabinet et d’un plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre de cette stratégie;

 

                                                            v.      d’une nouvelle loi sur les [traduction] « nationalités » qui définit l’autonomie culturelle de celles‑ci et reconnaît l’existence de leurs droits collectifs.

 

[51]           Certes, ces initiatives ne visent pas directement la protection de l’État, mais elles dénotent l’attitude de l’État à l’endroit des Roms et les efforts mis pour contrer la discrimination et les actes de persécution dont ils font l’objet. Bien que ces initiatives aient été qualifiées de « nouvelles » par la SPR, et que la preuve ne permette pas de savoir si elles ont été fructueuses dans les faits, elles ont manifestement influé sur le raisonnement de la SPR comme l’attestent les commentaires qui suivent (au paragraphe 42 de la décision) :

Compte tenu de ce qui précède, une lecture objective de la preuve documentaire montre que le gouvernement central est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures pour protéger les Roms, mais le tribunal reconnaît que ces mesures ne sont pas toujours mises en œuvre efficacement à l’échelle locale ou municipale. À cet égard, la preuve documentaire n’est pas uniforme en ce qui a trait aux efforts du gouvernement visant à protéger les Roms et à prendre des mesures législatives contre des formes plus larges de discrimination et de persécution. Même si le tribunal reconnaît que la preuve documentaire n’est pas uniforme, le demandeur d’asile en l’espèce n’a pas démontré que la protection de l’État en Hongrie est si insuffisante qu’il n’a nul besoin de s’adresser aux autorités, ou qu’il n’a pas besoin d’avoir fait tous les efforts raisonnables pour solliciter la protection de l’État dans son pays d’origine […]

 

[52]           Au paragraphe 42 de la décision, la SPR cite un passage à la page 5 du rapport de 2011 (DD, à la page 174) en lien avec la police et l’appareil de sécurité nationale en Hongrie. Des renseignements similaires, quoique non identiques, figurent à la page 7 du rapport de 2010 (DCT, à la page 123). Le problème plus grave que comporte le raisonnement de la SPR, selon moi, est que le passage cité du rapport ne traite pas véritablement de qu’il est censé étayer, soit que

la preuve objective en ce qui concerne la situation actuelle dans le pays laisse croire que la Hongrie offre une protection adéquate, même si elle n’est pas parfaite, aux Roms victimes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination ou de persécution, que la Hongrie fait de sérieux efforts pour régler ces problèmes et que la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont en mesure de le faire.

 

[53]           Au paragraphe 43 de la décision, la SPR cite de longs extraits des pages 5 à 7 du rapport de 2011 (DD, aux pages 174 à 176). Certains renseignements en cause figuraient aux pages 123 et 124 du rapport de 2010, et certains étaient nouveaux. J’ai souligné ci‑dessous les parties du rapport de 2011 qui sont nouvelles ou constituent des modifications et qui sont susceptibles de nuire à la thèse des demandeurs sur la protection de l’État :

[traduction]

Le 1er janvier, le nouveau NDS [Service de la défense nationale], qui remplace l’ancien Service de défense des organismes d’application de la loi, a commencé des opérations visant à éliminer la corruption au sein des organismes d’application de la loi. Le nouveau NDS a des pouvoirs accrus, y compris celui d’utiliser des outils secrets de collecte de renseignements, et il mène ses activités sous la supervision directe du ministre de l’Intérieur et du procureur général.

 

Des groupes de citoyens organisés, comme des vigiles de quartiers et de ville, ont joué un rôle important pour aider la police dans la prévention du crime. Au début de l’année, des partisans de l’extrême droite ont continué de tirer parti de la loi pour former des groupes de justiciers et d’effectuer des patrouilles dans les plus petites villes de l’est de la Hongrie, apparemment pour intimider la population rom. Le 23 avril, le gouvernement a rendu un décret prévoyant des amendes allant jusqu’à 100 000 forints (414 $) pour tout défaut de coopérer avec la police de la part des membres des vigiles de quartier. Le 2 mai, le Parlement a modifié le code pénal pour durcir les peines relatives aux activités d’application de la loi non autorisées. Selon le code pénal modifié, quiconque organise un effort d’application de la loi sans autorisation commet une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans. Le 29 novembre, le Parlement a modifié la loi afin d’obliger les groupes de surveillance de quartier de remplir une entente écrite avec les postes de police pertinents. Le Bureau du procureur a conservé le contrôle juridique sur les activités des groupes de surveillance de quartier et il pouvait intenter des recours devant les tribunaux si l’entente écrite de coopération avec la police faisait défaut.

 

Les autorités civiles ont assuré un contrôle efficace des forces policières, du NDS et des forces armées, et le gouvernement s’est doté de mécanismes efficaces permettant d’enquêter sur les abus et la corruption et de punir les coupables. Aucun rapport ne mentionne que des forces de sécurité auraient agi impunément.

 

[Nouveau, mais non préjudiciable à la thèse des demandeurs]

Bien qu’aucun rapport ne fasse état de l’impunité, le comité Helsinki hongrois (HHC) a souligné qu’il y avait un grand écart entre le nombre de mises en accusation visant des membres des forces de sécurité qui auraient infligé des mauvais traitements à d’autres personnes et le nombre de mises en accusation visant des personnes qui auraient commis des actes de violence à l’endroit d’agents. Au cours des six premiers mois de l’année, seulement 6 p. 100 des plaintes de mauvais traitements infligés par des membres des forces de sécurité se sont traduites par des mises en accusation, tandis que 76 p. 100 des actes de violence qui auraient été commis contre des agents ont donné lieu à des mises en accusation. En outre, l’écart était considérable entre le taux de déclaration de culpabilité chez les membres des forces de sécurité accusés d’actes criminels (60 p. 100) et le taux de déclaration de culpabilité chez les personnes accusées d’actes de violence commis contre un agent (96 p. 100).

 

Le Bureau du procureur militaire (MPO) est responsable d’entreprendre des procédures visant tout membre des forces armées accusé d’une infraction criminelle. Le 28 novembre, le Parlement a modifié la loi, ce qui a eu pour effet d’intégrer le MPO, anciennement indépendant, à un Bureau du procureur unifié sous la supervision du Bureau central du procureur en chef des enquêtes. La loi devait entrer en vigueur en 2012.

 

[Renseignements semblables à ceux figurant dans le rapport de 2010]

Au cours des neuf premiers mois de l’année, les autorités ont déclaré 3 022 policiers responsables de manquements à la discipline, 766 policiers coupables d’infractions mineures, 283 policiers coupables d’infractions criminelles et 10 policiers inaptes au service. Au cours de la même période, les tribunaux ont condamné 4 policiers à une peine d’emprisonnement, ont imposé des condamnations avec sursis à 39 autres, ont infligé des amendes à 106 autres et en ont congédié 12; ils ont aussi déclaré 37 policiers coupables de corruption. Il n’y avait aucun renseignement sur le nombre de policiers mis en probation.

 

[Renseignements semblables à ceux figurant dans le rapport de 2010]

Les victimes d’abus policiers de moindre gravité peuvent porter plainte auprès de l’unité du prétendu agresseur ou à l’IPCB, laquelle enquête sur les violations et les omissions commises par des policiers qui touchent les droits fondamentaux. L’organisme est composé de cinq membres nommés par une majorité aux deux tiers du Parlement et fonctionne indépendamment des autorités policières. À la fin de l’année, l’IPCB avait reçu 805 plaintes du public. Elle en a examiné 458 (dont certaines déposées en 2010) et a relevé des violations graves de la loi dans 67 cas et des violations mineures de la loi dans 33 cas. Elle a transmis les 67 cas au chef de la police nationale, qui a accepté les conclusions dans 2 cas, les a acceptées en partie dans 3 cas, et les a rejetées dans 3 autres cas. Les autres cas sont en instance. Le pouvoir de l’IPCB se limite à faire des recommandations au NPH et à faire part de ses conclusions au Parlement.

 

[54]           Les nouveaux renseignements font ainsi notamment état :

                                                              i.      d’un nouvel organisme veillant à éliminer la corruption au sein des organismes d’application de la loi, doté de pouvoirs accrus, qui peut utiliser des outils secrets de collecte de renseignements et qui relève directement du ministre de l’Intérieur et du procureur général;

 

                                                            ii.      d’un nouveau décret prévoyant des amendes maximales de 100 000 forints (414 $) pour tout défaut de coopérer avec la police de la part de membres des vigiles de quartier (y compris les groupes de justiciers qui effectuent des patrouilles dans les plus petites villes de l’est de la Hongrie, apparemment pour intimider la population rom);

 

                                                          iii.      de modifications apportées au code pénal pour durcir les peines infligées – la peine maximale étant de deux années de prison – pour l’exercice non autorisé d’activités d’application de la loi;

 

                                                          iv.      de modifications législatives obligeant les groupes de surveillance de quartier à conclure une entente écrite avec les postes de police concernés;

 

                                                            v.      du pouvoir du bureau du procureur d’intenter des recours judiciaires en l’absence d’une telle entente écrite de coopération conclue avec la police;

 

                                                          vi.      d’une conclusion selon laquelle les « autorités civiles ont assuré un contrôle efficace des forces policières, du NDS et des forces armées, et le gouvernement s’est doté de mécanismes efficaces permettant d’enquêter sur les abus et la corruption et de punir les coupables »;

 

                                                        vii.      de modifications apportées à la loi pour intégrer le Bureau du procureur militaire, anciennement indépendant, à un Bureau du procureur unifié sous la supervision du Bureau central du procureur en chef des enquêtes.

 

[55]           Ces passages cités dans la décision sont précédés de l’observation suivante : « [L]es éléments de preuve démontrent également que l’État prend des mesures lorsque des plaintes sont déposées » (au paragraphe 43), et suivis des commentaires ci‑dessous (au paragraphe 44) :

Par conséquent, à la lumière de l’ensemble de la preuve dont dispose le tribunal, bien qu’il existe des éléments de preuve démontrant que la police commet encore des abus contre certaines personnes, y compris les Roms, la preuve révèle également qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités agissent dans de tels cas, que la police est à la fois capable de protéger les Roms et disposée à le faire et que des organisations ont été mises sur pied afin de veiller à ce que la police réponde de ses actes.

 

[56]           Au paragraphe 50 de la décision, la SPR cite un passage tiré de la page 36 du rapport de 2011 (DD, à la page 205) concernant l’incidence plus élevée du chômage et de la discrimination chez les Roms. Le passage cité comporte de nouveaux renseignements (on pourra comparer avec la page 34 du rapport de 2010, DTC, à la page 150), mais rien qui ne nuise manifestement à la thèse des demandeurs sur la protection de l’État.

 

[57]           Au paragraphe 52 de la décision, la SPR cite un passage traitant, à la page 37 du rapport de 2011 (DD, à la page 206), des mauvaises conditions de logement des Roms en Hongrie et des efforts faits par l’État pour remédier au problème. Bien que certains renseignements soient les mêmes que ceux figurant aux pages 34 et 35 du rapport de 2010 (DCT, aux pages 150 et 151), de nouveaux renseignements, soulignés ci‑dessous, sont ajoutés concernant les efforts déployés par le gouvernement en la matière :

[traduction]

Les Roms vivent encore dans des logements inadéquats; leurs conditions de vie générales sont demeurées bien pires que celles de l’ensemble de la population. Selon des groupes veillant aux intérêts des Roms, les municipalités ont utilisé diverses techniques pour empêcher les Roms de vivre dans des quartiers davantage attrayants. Pour obtenir des fonds de l’Union européenne (UE) ou du gouvernement pour les besoins des divers projets de restauration urbaine et d’éducation publique, chaque ville doit joindre à sa proposition un plan de déségrégation présentant les mesures prévues afin d’éradiquer toute ségrégation relative au logement et à l’éducation publique. Selon une enquête menée en 2010 par le ministère des Ressources nationales, approximativement 100 000 personnes grandement désavantagées, en majorité d’origine rom, vivent dans environ 500 collectivités où les infrastructures de base font défaut et qui se trouvent souvent en périphérie des villes. Au cours de l’année, le gouvernement a lancé un nouveau programme valant 3,5 milliards de forints (14,5 millions de dollars) pour remettre en état ces lieux visant à améliorer les conditions de vie des résidants. Le programme du gouvernement concernait quatre quartiers ségrégés où vivent environ 5 000 personnes.

 

[58]           J’estime que l’analyse qui précède ne permet pas au défendeur d’affirmer que [traduction] « les renseignements propres aux Roms dans le rapport de 2010 et le rapport de 2011 du Département d’État des États-Unis ne sont pas essentiellement différents ». Il y avait dans le rapport de 2011 de nouveaux renseignements pertinents, quant à la question déterminante de la protection de l’État, sur lesquels le demandeur n’a pas eu l’occasion de se prononcer. Il ressort clairement des motifs que la SPR s’est fondée sur ces éléments de preuve, et je ne crois pas qu’on puisse conclure sans risque que ces éléments n’ont pas eu une incidence importante sur la décision.

 

[59]           Comme le montre clairement le paragraphe 44 de la décision, la SPR a fait largement état de certaines initiatives nouvelles soutenues par les autorités hongroises (au paragraphe 43) avant de conclure qu’à

la lumière de l’ensemble de la preuve dont dispose le tribunal, bien qu’il existe des éléments de preuve démontrant que la police commet encore des abus contre certaines personnes, y compris les Roms, la preuve révèle également qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités agissent dans de tels cas, que la police est à la fois capable de protéger les Roms et disposée à le faire et que des organisations ont été mises sur pied afin de veiller à ce que la police réponde de ses actes.

 

[60]           Il ressort aussi clairement du paragraphe 43 de la décision que la SPR a notamment examiné et trouvé appui dans les éléments de preuve suivants :

a)         un décret du gouvernement prévoyant des amendes maximales de 100 000 forints (414 $) en cas de défaut de membres de vigiles de quartier de coopérer avec la police;

 

b)         une modification du code pénal par le parlement pour faire passer à deux années de prison la peine maximale prévue pour l’exercice non autorisé d’activités d’application de la loi;

 

c)         une modification législative obligeant les groupes de surveillance de quartier à conclure une entente écrite avec la police, des poursuites pouvant être intentées en cas de défaut.

 

 

[61]           La SPR reconnaît qu’une « lecture objective de la preuve documentaire montre que le gouvernement central est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures pour protéger les Roms, mais [aussi] que ces mesures ne sont pas toujours mises en œuvre efficacement à l’échelle locale ou municipale ».

 

[62]           La mesure dans laquelle les actions du gouvernement engendrent une protection suffisante d’un point de vue pratique était assurément une question clé que la SPR devait trancher, comme elle le reconnaît elle‑même au paragraphe 39 de la décision. Le fait pour la SPR de s’être fondée sur le rapport de 2011 du Département d’État des États-Unis, non versé au dossier, a privé les demandeurs de l’occasion de produire des éléments de preuve et de présenter des observations sur le caractère suffisant d’un point de vue pratique des nouvelles initiatives gouvernementales – une composante de l’ensemble de la preuve prise en compte par la SPR pour en arriver à sa conclusion sur la protection de l’État.

 

[63]           Je suis aussi d’accord avec les demandeurs pour dire que, bien que la SPR ait fait état du critère pertinent pour évaluer s’ils avaient réfuté la présomption de protection suffisante de l’État, elle ne s’est pas penchée en réalité sur la question du « caractère suffisant d’un point de vue pratique » de cette protection.

 

[64]           On peut le constater, par exemple, dans les paragraphes de la décision où la SPR, après examen de la discrimination sociale, a conclu que celle‑ci n’équivalait pas à de la persécution. La SPR a cité certains éléments de preuve, aux paragraphes 45 à 49, semblant démontrer que la situation se détériorait, dans les faits, pour ensuite tirer, au paragraphe 54, la conclusion suivante :

[54]      La Hongrie est critiquée relativement à la mise en œuvre des lois qu’elle a adoptées dans le but de lutter contre la discrimination et la persécution des membres de ses groupes minoritaires, surtout les Roms. Bien que le gouvernement central soit motivé à faire appliquer ses lois, il est difficile de le faire à l’échelle locale, et les groupes ayant les plus grands besoins ont souvent du mal à accéder aux ressources. Les critiques à l’endroit de la Hongrie sont sans doute méritées, mais il est important de signaler que, en tant membre de l’UE, ce pays doit respecter diverses normes pour maintenir son adhésion au sein de cette dernière. Par exemple, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a été mise sur pied par le Conseil de l’Europe. L’ECRI est un organisme indépendant de surveillance des droits de la personne spécialisé dans les questions liées au racisme et à l’intolérance. Elle est composée de membres indépendants et impartiaux, qui sont nommés sur le fondement de leur autorité morale et de leur expertise reconnue dans le domaine du racisme, de la xénophobie, de l’antisémitisme et de l’intolérance. L’ECRI a publié un rapport sur la Hongrie, dans lequel elle la félicite pour ses réalisations, cite certaines préoccupations et formule des recommandations sur des mesures à prendre. En l’espèce, il importe de noter que la Hongrie n’est pas une entité autonome, mais un membre responsable de l’UE qui rend des comptes régulièrement aux structures de gouvernance de cette union.

 

[traduction]

La République de Hongrie a été l’un des premiers signataires de la Convention‑cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe et a déposé son instrument de ratification le 25 septembre 1995. Le Parlement de la République de Hongrie a ratifié la Convention‑cadre en 1990.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

[65]           Cette conclusion est déraisonnable à mon avis. La SPR semble dire que les mesures mises en œuvre par l’État sont inefficaces et que « les critiques à l’endroit de la Hongrie sont sans doute méritées », mais que cela n’a pas d’importance parce qu’en tant que membre de l’Union européenne, ce pays est censé respecter « diverses normes pour maintenir son adhésion au sein de cette dernière ». Il en résulte le commentaire suivant de la SPR (paragraphe 55) :

Il est vrai que les critiques à l’égard des mesures prises par la Hongrie pour lutter contre le racisme sont justifiées, surtout à l’égard de la population rom. Il reste que, selon la prépondérance des probabilités, elle prend les mesures nécessaires pour appliquer les normes exigées par l’UE.

 

[66]           La Hongrie peut fort bien prendre diverses mesures, mais, comme la SPR l’affirme elle‑même, ce n’est pas selon ce critère qu’on doit évaluer le caractère suffisant de la protection de l’État : « Il faut tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place » (voir Beharry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 111, au paragraphe 9, et Jaroslav v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 634, au paragraphe 75). Le juge Hughes l’exprime en des termes clairs dans le jugement Hercegi, précité, au paragraphe 5 :

5          […] Ce n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens Roms. […]

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[67]           L’analyse de la SPR relative à la protection de l’État concernant la violence à l’endroit des Roms et la manière dont la police y réagit est entachée de problèmes semblables. Toutefois, compte tenu des éléments que j’ai déjà examinés, j’estime que l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen, et qu’il ne servirait à rien de poursuivre l’analyse.


JUGEMENT

 

LA COUR :

1.         ACCUEILLE la demande. ANNULE la décision et RENVOIE l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

2.         NE CERTIFIE aucune question.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑11092‑12

 

INTITULÉ :                                      ATTILA BURI ET AUTRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 28 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 15 JANVIER 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alyssa Manning

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.