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Date : 20140115


Dossier :

IMM-3431-13

 

Référence : 2014 CF 42

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

LI KANG LIU

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la nature d’un mandamus à l’égard d’une demande de visa au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF). Il a été statué qu’une loi rétrospective avait mis fin à la demande de visa, comme le prévoit l’article 87.4 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

Le demandeur prétend qu’il avait reçu une décision favorable quant à sa sélection (parce qu’il répondait aux critères en ce qui a trait à sa profession) et qu’il avait droit à un visa.

 

[2]               La disposition clé de la Loi est ainsi libellée ainsi :

87.4 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) si, au 29 mars 2012, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

 

 

 (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date.

 

 (3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent en application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa.

 

 (4) Les frais versés au ministre à l’égard de la demande visée au paragraphe (1), notamment pour l’acquisition du statut de résident permanent, sont remboursés, sans intérêts, à la personne qui les a acquittés; ils peuvent être payés sur le Trésor.

 

 

 

 (5) Nul n’a de recours contre Sa Majesté ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin en vertu du paragraphe (1).

87.4 (1) An application by a foreign national for a permanent resident visa as a member of the prescribed class of federal skilled workers that was made before February 27, 2008 is terminated if, before March 29, 2012, it has not been established by an officer, in accordance with the regulations, whether the applicant meets the selection criteria and other requirements applicable to that class.

 

 (2) Subsection (1) does not apply to an application in respect of which a superior court has made a final determination unless the determination is made on or after March 29, 2012.

 

 (3) The fact that an application is terminated under subsection (1) does not constitute a decision not to issue a permanent resident visa.

 

 

 (4) Any fees paid to the Minister in respect of the application referred to in subsection (1) — including for the acquisition of permanent resident status — must be returned, without interest, to the person who paid them. The amounts payable may be paid out of the Consolidated Revenue Fund.

 

 (5) No person has a right of recourse or indemnity against Her Majesty in connection with an application that is terminated under subsection (1).

Sanction royale – Le 29 juin 2012

II.        LE CONTEXTE

[3]               Le demandeur, son épouse et son enfant avaient présenté, avant le 27 février 2008, une demande en vue d’obtenir des visas de résidents permanents au titre de la catégorie des TQF.

 

[4]               En date du 29 mars 2012, personne n’avait statué que le demandeur répondait aux critères de sélection ou « aux autres exigences applicables à cette catégorie », aux termes du paragraphe 87.4(1).

 

[5]               À titre de contexte, en ce qui concerne l’article 87.4, il est important de relever qu’en février 2008, la Loi a été modifiée par l’article 87.3, lequel autorisait le ministre à donner des instructions ministérielles concernant la priorité selon laquelle les demandes de visa pourraient être traitées.

Les instructions ministérielles prévoient des critères d’admissibilité révisés, y compris l’établissement de catégories de demandeurs et de quotas, en vertu desquels les demandes sont triées.

 

[6]               Le 29 mars 2012, le ministre a proposé dans le projet de loi C‑38 une modification à la Loi. La modification fut incorporée à l’article 87.4.

 

[7]               Peu après que le projet de loi C‑38 (dans lequel figurait l’article 87.4) eut été déposé au Parlement, le ministre a publié le Bulletin opérationnel 400, qui prévoyait qu’à compter du 29 mars 2012, les employés ne devraient commencer ou poursuivre le traitement d’aucune demande de TQF reçue avant le 27 février 2008 et qui n’avait pas fait l’objet d’une décision de sélection avant le 29 mars 2012.

 

[8]               Le Bulletin opérationnel 400 a été abrogé. Le ministre a publié le Bulletin opérationnel 413 le 27 avril 2013, dans lequel il donnait la consigne de continuer à traiter toutes les demandes au titre de la catégorie des TQF jusqu’à ce que le projet de loi C‑38 entre en vigueur – ce qui est arrivé le 29 juin 2012.

 

[9]               Le 21 juin 2012, un agent du défendeur a conclu que le demandeur satisfaisait aux critères de sélection en ce qui a trait à sa profession. On avait demandé au demandeur de passer les examens médicaux et de payer les frais exigés. De plus, il fallait trancher la question de l’admissibilité eu égard aux antécédents criminels.

 

[10]           La preuve médicale a été produite le 29 juin 2012. Même si le dossier n’indique pas clairement à quel moment les fonctionnaires ont effectué l’examen médical et l’examen concernant la criminalité, le 16 juillet 2012 est vraisemblablement la date à laquelle la preuve médicale a été approuvée.

 

[11]           La demande de visa a été retournée au demandeur en octobre 2012, au motif qu’elle avait pris fin par effet de la loi.

 

[12]           La thèse principale du demandeur est que dès qu’il eût reçu la décision relative à la sélection, sa demande de visa était essentiellement complète. Par conséquent, une décision avait donc été rendue avant que l’article 87.4 acquière force de loi.

Le défendeur est d’avis que, étant donné qu’aucune décision définitive ne fût rendue quant à la demande de visa elle‑même, celle‑ci a pris fin par effet de la loi le 29 juin 2012.

 

III.       ANALYSE

[13]           La véritable question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si le fait qu’une décision quant à la sélection a été rendue avant le 29 juin 2012 suffit pour empêcher que la demande de visa présentée par le demandeur prenne fin par application du paragraphe 87.4.

 

[14]           Il s’agit principalement d’une question de droit, qui a trait aux limites du processus de visa et au cœur juridique de ce processus. Il ne s’agit pas d’un domaine dans lequel un agent des visas a beaucoup d’expertise, ni d’un domaine dans lequel un fonctionnaire de la sphère exécutive de l’État peut fixer les limites juridiques de la loi qui le régit. La Cour doit en l’espèce interpréter la loi selon la norme de la décision correcte.

 

[15]           Le processus d’approbation d’une demande de visa comprend plusieurs étapes – la décision selon laquelle une personne répond aux exigences d’une catégorie de profession n’est que l’une de ces étapes, mais elle est importante. L’étape finale, qui suit l’examen des compétences professionnelles, de la preuve médicale et des autres éléments prévus à l’article 11 de la Loi, est la décision de l’agent d’accorder ou non le visa.

 

[16]           En l’espèce, il ne fait aucun doute que la décision d’accorder ou non le visa n’avait pas encore été rendue le 29 mars 2012, ou même le 29 juin 2012, et que les exigences de délivrance d’un visa n’avaient pas été satisfaites en grande partie à ces deux dates.

 

[17]           Le demandeur avait présenté une demande de visa, et non pas uniquement une demande en vue d’obtenir une décision quant à la sélection, et tant que la décision quant au visa n’avait pas été rendue ou n’avait pu être rendue, la question de la réponse aux exigences applicables n’avait pas encore été tranchée.

 

[18]           Je ne peux souscrire à l’argument principal du demandeur selon lequel le fait qu’une décision quant à la sélection avait été rendue suffisait pour répondre aux exigences en vertu desquelles, selon la loi, le processus de visa ne prendrait pas fin.

L’article 87.4 prévoit clairement que le fait de répondre aux critères de sélection n’est que l’un des éléments exigés pour obtenir un visa au titre de la TQF. Le demandeur doit répondre à toutes les exigences applicables à la catégorie des TQF. En l’espèce, ces exigences n’ont pas été satisfaites, que ce soit en date du 29 mars 2012 ou en date du 29 juin 2012.

 

[19]           De plus, l’article 87.4 vise manifestement à avoir un effet rétrospectif. Bien qu’il existe un principe d’interprétation de non-rétrospectivité et de non-rétroactivité de l’application des dispositions législatives, il n’existe aucun obstacle juridique à l’existence d’une telle disposition législative lorsque le libellé de celle‑ci expose clairement cette intention. Il est fréquent que, dans d’autres lois, comme la Loi de l’impôt sur le revenu, que les modifications entrent en vigueur à compter de la date à laquelle la loi est déposée au Parlement, et ce, même si la sanction royale peut avoir lieu à une date bien plus tardive.

 

[20]           Les dispositions législatives à effet rétrospectif peuvent créer des iniquités, réelles ou perçues; cependant, dans les cas où le législateur énonce clairement cette intention, il convient davantage d’aborder la question du caractère inéquitable de la disposition dans le cadre du processus politique/électoral plutôt que dans celui du processus judiciaire.

 

[21]           L’effet de l’article 87.4 a très bien été décrit dans la décision Shukla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1461, 423 FTR 86, aux paragraphes 26 à 28, et 42 :

26        Il est acquis aux débats que la demande de résidence permanente du demandeur a été présentée avant le 27 février 2008.

 

27        Il est également acquis aux débats qu’« au 29 mars 2012, un agent n’a[vait] pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables » à la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

28        Il s’ensuit que, par application du paragraphe 87.4(1) de la Loi, une loi fédérale a mis fin à la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Il s’ensuit également qu’aux termes du paragraphe 87.4(5) de la Loi, le demandeur n’a aucun droit de recours contre Sa Majesté ou droit d’être indemnisé en rapport avec sa demande devenue caduque.

 

[…]

 

42        En édictant l’article 87.4 de la Loi, l’intention du législateur était clairement de « mettre fin » aux demandes de résidence permanente présentées avant le 27 février 2008 par des travailleurs qualifiés. Le demandeur ne conteste pas ce fait et il ne conteste pas non plus le fait que sa demande a été présentée avant la date pertinente. Sa thèse est que, malgré le fait qu’une loi valide a eu pour effet de mettre fin à sa demande, la Cour peut d’une façon ou d’une autre rendre une ordonnance nunc pro tunc pour prononcer en sa faveur un bref de mandamus à l’égard d’une demande présentée au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés qui n’existe plus parce qu’une loi fédérale y a mis fin. À mon avis, rendre cette ordonnance, pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Trecothic Marsh, précité, [traduction] « irait clairement à l’encontre de la loi et de la volonté du législateur ». En agissant ainsi, la Cour étendrait en fait sa compétence et irait à l’encontre de la loi et de la volonté claire du législateur.

[22]           Il n’y a aucune lacune dans la loi en ce qui concerne l’application de la loi entre le 29 mars 2012 et le 29 juin 2012. Un demandeur qui s’est conformé à toutes les exigences applicables en matière de visa avant le 29 juin 2012 et qui avait droit à une décision favorable est régi par « l’ancienne » loi. En ce qui concerne les demandeurs qui n’ont pas répondu aux exigences de « l’ancienne » disposition, tous les droits obtenus en date du 29 juin 2012 prennent rétroactivement fin le 29 mars 2012.

Comme il a été mentionné précédemment, ce résultat pourrait être considéré comme injuste aux yeux de plusieurs, mais il s’agit du résultat visé par le législateur et expressément prévu par ce dernier.

 

[23]           En dernier lieu, je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale. Il y a eu des retards dans le traitement des demandes de TQF pendant que le défendeur était à déterminer comment il traiterait les demandes pendantes. Cependant, le demandeur n’a pas établi que, n’eût été ces retards, tous les volets de sa demande de visa auraient été complétés et qu’une décision favorable aurait dû lui être communiquée avant le 29 juin 2012. Le demandeur demande à la Cour de se livrer en conjectures quant au moment auquel une décision favorable aurait été rendue.

 

[24]           Le demandeur n’a pas établi que les retards dans le traitement étaient attribuables à la mauvaise foi ou qu’ils étaient motivés par un but illégitime. L’allégation selon laquelle l’affaire n’a pas été tranchée en temps opportun – une question à l’égard de laquelle le mandamus est le recours qu’il convient d’utiliser – n’a pas trait à la violation du principe de l’équité procédurale.

 

[25]           De plus, le demandeur savait le 21 juin 2012 qu’une décision favorable quant à la sélection ne signifiait pas qu’on lui délivrerait un visa. Dans la lettre dans laquelle on lui donnait des directions quant à la manière d’obtenir la preuve médicale, le demandeur était informé que la décision quant à la sélection [traduction] « ne signifi[ait] en aucune façon que [sa] demande avait été approuvée ». L’allégation d’attente légitime n’est pas fondée.

 

IV.       CONCLUSION

[26]           Pour conclure, l’objet de la disposition était de mettre fin, rétroactivement au 29 mars 2012, à tous les droits existants à l’égard des demandes de visa présentées avant le 27 février 2008, à moins qu’un demandeur ne se soit pleinement conformé aux exigences applicables en matière de visa des TQF à cette date. Ce n’était pas le cas du demandeur lorsque l’article 87.4 est entré en vigueur le 29 juin 2012. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[27]           Le demandeur a 14 jours à compter de la date de la décision pour présenter des observations concernant une question à certifier, et le défendeur répondra à ces observations dans les 10 jours suivants la réception de ces observations. Le demandeur aura trois (3) jours pour présenter une réponse.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-3431-13

 

INTITULÉ :

LI KANG LIU

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 14 NOVEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 15 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Lawrence Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

 

R. Keith Reimer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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