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                                                                                                                         IMM-1047-96

 

 

Entre :

 

                                                       SALIM LAKHANI,

 

                                                                                                                                requérant,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge suppléant HEALD

 

 

            Il y a en l'espèce demande de contrôle judiciaire contre la décision en date du 9 février 1996 par laquelle une agente des visas, Mary Keefe, a rejeté la demande faite par le requérant de résidence permanente au Canada.

 

LES FAITS DE LA CAUSE

 

            Le requérant, par l'intermédiaire de sa conseillère en immigration, a soumis des documents à l'appui de sa demande de visa d'immigrant à titre de parent aidé.  À l'issue de l'instruction initiale sur pièces de cette demande, qui avait été faite le 29 janvier 1993, il s'était vu attribuer 53 points d'appréciation.

 

            À la requête de sa conseillère, son dossier a été rouvert et réexaminé, après quoi il s'est vu attribuer dix points de plus, lesquels représentaient le fait que sa demande était parrainée par un parent au Canada.  Au cours de l'entrevue personnelle qui a eu lieu le


23 mars 1994, l'agente des visas Keefe l'a informé que bien qu'il n'eût obtenu que 63 points sur le minimum requis de 70 points, elle pourrait «envisager de recommander l'exercice des pouvoirs discrétionnaires en sa faveur» dès qu'elle serait certaine que lui-même et les personnes à sa charge remplissaient toutes les conditions légales d'admission au Canada.  Voici le témoignage qu'elle donne de l'entrevue au paragraphe 20 de son affidavit : [TRADUCTION] «Lors de l'entrevue, j'ai remarqué que le demandeur répondait "non" à la question no 27B de la formule de demande de résidence permanente (c'est-à-dire la formule IMM 8), en réponse à laquelle tout demandeur doit déclarer s'il a jamais été déclaré coupable d'un crime ou autre infraction dans quelque pays que ce soit ou s'il est sous le coup d'une poursuite criminelle.  Afin de m'assurer que le demandeur comprenait parfaitement cette question et y répondait correctement, je lui ai posé cette question connexe : "Avez-vous jamais condamné à une période de probation pour un crime ou une infraction quelconque?". Il a répondu "Non".»

 

            À la suite de cette entrevue, la conseillère en immigration du requérant a transmis la fiche signalétique de celui-ci, établie par le F.B.I., à l'agente des visas Keefe.  Selon cette fiche, le requérant avait été condamné en 1987 aux États-Unis, à une amende de 300,00 $ et à une période de probation de 12 mois, pour conduite d'automobile sous l'empire de drogues/alcool.  La conseillère faisait savoir qu'elle ne savait rien de cette condamnation, et que lorsqu'elle en a parlé au requérant, celui-ci s'est confondu en excuses.  Il lui a fait savoir qu'il n'y avait jamais vu une infraction criminelle puisque l'affaire avait été réglée par le paiement d'une amende.  La conseillère en immigration estimait que puisque l'infraction avait eu lieu il y a plusieurs années et qu'il n'y avait aucune intention frauduleuse de la part du requérant, l'agente des visas pourrait considérer que celui-ci s'était réhabilité.  Il se trouve cependant que ni le requérant ni sa conseillère en immigration n'a présenté aucun autre argument sur cette question de réhabilitation.

 

            L'agente des visas a conclu que la condamnation pour conduite d'automobile en état d'intoxication était équivalente à l'infraction de conduite avec capacité affaiblie, que


prévoit l'article 253 du Code criminel.  Cette dernière infraction étant punissable d'une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans, elle a conclu que la condamnation pour conduite d'automobile en état d'intoxication fait que le requérant n'est pas admissible au Canada en application de l'alinéa 19(2)a.1) de la Loi sur l'immigration[1].

 

            Puisque le requérant avait omis de divulguer cet élément d'information important, l'agente des visas a refusé d'exercer en sa faveur son pouvoir discrétionnaire de recommander l'accueil de sa demande, indépendamment de la condamnation pénale.

 

            Par lettre en date du 9 février 1996, l'agente des visas Keefe a informé le requérant du rejet de sa demande par deux motifs : a) il ne justifiait pas du nombre requis de points d'appréciation pour l'immigration au Canada; et b) il n'était pas admissible en raison de sa condamnation pour conduite d'automobile en état d'intoxication.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

            Le requérant soulève les trois questions suivantes, savoir :

            a)   si l'agente des visas n'a pas pris en considération des facteurs pertinents;

            b)   si elle a irrégulièrement délégué ses pouvoirs au Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI);

            c)   si elle a manqué à son obligation d'équité faute d'avoir instruit diligemment le dossier du requérant.

 


ANALYSE

 

            Nonobstant les trois questions litigieuses susmentionnées, j'ai conclu qu'au vu des faits de la cause, la question déterminante est celle de l'exclusion pour cause de condamnation pénale.  Je l'examinerai donc en premier lieu.

 

            Sur ce point, le requérant soutient que l'agente des visas a commis une erreur faute de lui avoir accordé la possibilité raisonnable de bénéficier du régime de réhabilitation.  Selon l'avocat du requérant, le Guide de l'immigration prescrit que l'agent des visas doit faciliter l'accès au régime de réhabilitation en remplissant la formule IMM 1444, «Demande d'autorisation relative à la réhabilitation», et en faisant une recommandation favorable ou défavorable à un agent d'immigration supérieur.  L'avocat du requérant fait observer que rien dans le dossier n'indique que l'agente des visas ait examiné la demande faite par le requérant de bénéficier du processus.  Tout en admettant qu'il n'a produit aucune preuve de réhabilitation, il soutient que le défaut par l'agente des visas d'engager le processus constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

            Je rejette cet argument.  L'article cité du Guide de l'immigration prévoit ce qui suit :

 

                1.44                        DEMANDES - ADMISSION EN VERTU D'UNE AUTORISATION SPÉCIALE DU GOUVERNEUR EN CONSEIL

 

                1)    Admission en vertu du L19(1)c)

 

                a)    Un immigrant qui a été reconnu coupable d'une infraction visée au L19(1)c) est admissible aux fins d'approbation de la réhabilitation par le gouverneur en conseil si cinq années se sont écoulées depuis qu'il a terminé de purger sa peine et s'il convainc le gouverneur en conseil qu'il s'est réhabilité.  Dans de tels cas, l'agent :

 

                       

 

                ii)     remplira un IMM 1444 «Demande d'autorisation relative à la réhabilitation», formulant une recommandation positive ou négative, aux fins de transmission du cas à un agent d'immigration supérieur.  Des précisions complètes sur la façon de remplir et de transmettre l'IMM 1444 se trouvent à l'IS 9.[2]

                                                                                    [non souligné dans l'original]

 


            Il ressort de l'article susmentionné du Guide que la recommandation favorable de l'agent des visas est subordonnée à la condition préalable de la conclusion tirée par le gouverneur en conseil que le demandeur «s'est réhabilité».

 

            Je n'accepte pas l'argument du requérant que d'une façon ou d'une autre, l'agente des visas était tenue de l'informer de l'existence de ce processus et, de fait, d'en prendre l'initiative en sa faveur.

 

            L'argument du requérant est d'autant plus défectueux qu'il va à l'encontre de la jurisprudence établie par l'arrêt M.E.I. c. Gill (1991), 137 N.R. 374, de la Cour d'appel fédérale.

 

            Par cet arrêt, la Cour a posé que dans ces circonstances, c'est au requérant qu'il incombe de prouver la réhabilitation.  Voici la conclusion qu'elle a tirée à ce propos en page 376 :

 

                Cette Cour a statué que l'application de l'alinéa 19(1)c) n'exige pas que le gouverneur en conseil ait étudié la question de la réhabilitation et conclu que le requérant n'a pas démontré qu'il était visé par cette exception [Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et autres) 55 D.L.R. (4th) 321, à la p. 328].  Dans Mohammad, la Cour a ajouté que l'alinéa 19(1)c) prévoit uniquement que l'agent des visas doit être convaincu que le gouverneur en conseil n'a pas conclu que le requérant s'était réhabilité.

 

                En vertu du paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la Loi sur l'immigration, ni à ses règlements.  Compte tenu de cette disposition, je partage l'avis de l'avocat du ministre appelant selon lequel une personne sollicitant une résidence permanente, notamment le requérant principal en l'espèce, est non admissible aux termes de l'alinéa 19(1)c) de la Loi, à moins de s'être acquittée du fardeau de prouver à l'agent des visas qu'elle a justifié de sa réhabilitation auprès du gouverneur en conseil.  Puisqu'à la lecture du dossier en l'espèce, le requérant principal ne s'est pas acquitté de ce fardeau, il n'a pas établi qu'il ne faisait pas partie de la catégorie visée par l'alinéa 19(1)c).  Par conséquent, il appartient toujours à la catégorie non admissible visée par l'alinéa 19(1)c), et l'agent des visas a eu raison de conclure ainsi.

 

            Il ressort également du dossier que le requérant s'est vu amplement accorder la possibilité de produire la preuve de sa réhabilitation à l'agente des visas.  Il est intéressant de noter que sa conseillère en immigration a reconnu, dans une lettre en date du 13 mai 1994 au consulat général du Canada à Buffalo, que [TRADUCTION] «Il y a peut-être lieu


à réhabilitation»[3].  N'empêche qu'aucune preuve de réhabilitation n'a été produite à l'agente des visas.  De ce fait et du fait qu'il a omis de mentionner sa condamnation sur sa formule de demande, l'agente des visas n'était pas convaincue que le requérant se fût, dans les faits, réhabilité.  À mon avis, elle était raisonnablement fondée à tirer cette conclusion au vu des documents produits, et sa décision sur la question de l'exclusion pour cause d'antécédent criminel est valide.

 

            Vu ma conclusion ci-dessus, il n'est pas nécessaire que j'examine les points litigieux a) et b) supra.  Le point c) mérite cependant que la Cour s'y attarde.

 

            Le voici.  Le requérant soutient qu'il s'est vu dénier l'équité procédurale du fait que l'agente des visas a mis quelque deux ans à rendre sa décision.  Dans l'intervalle, sa conseillère en immigration a écrit à celle-ci à sept reprises pour se renseigner sur l'état du dossier.  La seule réponse de l'agente des visas a été la lettre de rejet du 9 février 1996.

 

            Le requérant cite à l'appui la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995) 106 F.T.R. 66, de notre Cour, par laquelle Mme le juge Simpson a accueilli la demande de contrôle judiciaire contre la décision de l'agent des visas.  Elle s'est prononcée en ces termes en page 70 :

 

                À mon avis, l'équité exige qu'un requérant reçoive une décision en temps opportun.  Ce que cela signifie varie avec les circonstances de chaque cas.  Je suis néanmoins certaine qu'un retard de deux ans et demi, entre une entrevue et la signification au requérant de la décision, est inacceptable lorsqu'il n'existe aucune circonstance spéciale qui justifie ce retard.

 

            Les faits de la cause sont différents de ceux de la cause Singh, en ce qu'il y a en l'espèce des circonstances spéciales.  Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 24 de l'affidavit de l'agente des visas Keefe :

 


            [TRADUCTION]

                Bien que cinq ans se soient écoulés depuis l'expiration de la peine, ce qui rend le demandeur admissible au régime de réhabilitation, je n'étais pas convaincue qu'il se fût, dans les faits, réhabilité, en ce qu'il a omis de mentionner sa condamnation dans sa formule de demande, et d'en faire l'aveu lorsque je lui ai posé la question directement au cours de l'entrevue.  Par ailleurs, le demandeur n'a soumis aucun document pour prouver qu'il s'était réhabilité.[4]

            Je conclus que les circonstances rapportées au paragraphe 24 de l'affidavit ci-dessus de Keefe sont du même genre que les circonstances spéciales envisagées par Mme le juge Simpson dans la cause Singh susmentionnée.

 

            Il n'y a rien dans le dossier qui indique que le requérant se soit vu dénier l'équité procédurale.  De même, il n'a administré aucune preuve de préjudice tenant au retard de deux ans, ou de mesures de réhabilitation qu'il aurait prises durant cette période.  Par ces motifs, je conclus qu'il n'y a aucune preuve d'iniquité procédurale dans les circonstances de la cause.

 

            Quoi qu'il en soit, à supposer même que j'aie conclu au manquement à la justice naturelle, j'estime, vu les circonstances inusitées de la cause, qu'un renvoi de l'affaire pour nouvelle instruction ne déboucherait pas sur une décision différente.  Dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, page 208, le juge Iacobucci, prononçant le jugement de la Cour, a conclu que tous les manquements à la justice naturelle n'avaient pas nécessairement pour effet d'invalider la décision du tribunal administratif.  Cette conclusion était fondée sur le passage suivant de l'ouvrage Administrative Law du professeur Wade (6e édition, 1988) :

 

                On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision.  Dans le cas d'un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir.

 

Dans les circonstances de la cause, les faiblesses du dossier de requérant, telles qu'elles ressortent de l'affidavit de Keefe, font que sa demande est «sans espoir».  En


conséquence, je suis disposé à ignorer le manquement à la justice naturelle, qu'il fait valoir en l'espèce.

 

CERTIFICATION

 

            L'avocat du requérant soumet deux questions à la certification :

 

            1.   L'agent d'immigration instruisant le dossier du demandeur tombant sous le coup de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration doit-il, avant de rejeter la demande, donner à ce demandeur la possibilité de demander au gouverneur en conseil d'exercer sa prérogative en la matière?

            2.   Un agent d'immigration peut-il légalement déléguer au STIDI l'examen d'un facteur prévu à l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978?

 

Question no 1

 

            Il n'y a pas lieu de certifier cette question, qui a été déjà tranchée par la décision Gill susmentionnée.

 

Question no 2

 

            Il n'y a pas lieu non plus de certifier cette question qui n'est pas une question de portée générale.  Je conviens avec l'avocat de l'intimé qu'il n'est question en l'espèce que d'une procédure administrative, par laquelle l'agente des visas se sert d'un système de traitement pour l'aider dans son évaluation du requérant.

 

CONCLUSION

 

            Par tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Signé : Darrel V. Heald

 

Juge suppléant

Ottawa (Ontario),

le 7 octobre 1996

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                        « François Blais »

 

F. Blais, LL. L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :               IMM-1047-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Salim D. Lakhani

 

                                                            c.

 

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :             10 septembre 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

 

 

LE :                                                    7 octobre 1996

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Max Chaudhary                                         pour le requérant

 

 

M. Godwin Friday                                          pour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Étude Chaudhary                                            pour le requérant

North York (Ontario)

 

 

M. George Thomson                                       pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada



[1]     Cette disposition dénie l'admission au Canada aux personnes qui ont été déclarées coupables à l'étranger d'une infraction qui, «si elle était commise au Canada», pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de dix ans.

[2]               Jurisprudence et doctrine citées par le requérant, languette 2.

[3]               Lettre marquée Pièce 1, jointe à l'affidavit en date du 21 mars 1996 d'Ali Amlani.

[4]Dossier de l'intimé, pages 5 et 6.

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