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Date : 20131219

Dossier : T-1226-10

 

Référence : 2013 CF 1266

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2013

 

En présence de madame la juge Strickland

ACTION EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ DE NATURE RÉELLE CONTRE
LE NAVIRE « QE014226C010 » ET DE NATURE PERSONNELLE

 

ENTRE :

 

OFFSHORE INTERIORS INC.

demanderesse

et

 

WORLDSPAN MARINE INC.,
CRESCENT CUSTOM YACHTS INC.,
LES PROPRIÉTAIRES DU
NAVIRE « QE014226C010 » ET TOUTES LES
AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR
CE NAVIRE, AINSI QUE LE
NAVIRE « QE014226C010 »

défendeurs

et

 

WOLRIGE MAHON LIMITED, EN SA QUALITÉ
D’AGENT DÉSIGNÉ POUR LA
CONSTRUCTION DU NAVIRE DÉFENDEUR
« QE014226C010 »,
HARRY SARGEANT III,
MOHAMMED ANWAR FARID AL-SALEH ET
COMERICA BANK

intervenants

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La présente décision concerne les appels qu’ont interjetés Harry Sargeant III (M. Sargeant) et Comerica Bank (Comerica) en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS /98-106 (les Règles), relativement à l’ordonnance datée du 5 mars 2013 (Offshore Interiors Inc c Worldspan Marine Inc, 2013 CF 221) par laquelle le protonotaire Lafrenière a décrété que l’hypothèque de constructeur que détient M. Sargeant sur le navire défendeur QE014226C010 (le navire) ne crée aucun privilège ni aucune garantie sur ce navire, si ce n’est pour en garantir la livraison.

 

Le contexte

[2]               Le contexte factuel de la présente affaire n’est pas contesté. M. Sargeant et Worldspan Marine Inc. (Worldspan) ont conclu un contrat de construction de navire (le contrat de construction), daté du 29 février 2008, par lequel Worldspan a convenu de concevoir, de construire, d’équiper, de mettre à l’eau et de compléter le navire - un yacht de luxe sur commande, d’une longueur de 142 pieds - ainsi que de le vendre et de le livrer à M. Sargeant.

 

[3]               La construction du navire a débuté en mars 2008. Une hypothèque de constructeur sur le navire a été inscrite en faveur de M. Sargeant au registre maritime de Vancouver le 14 mai 2008 (l’hypothèque de constructeur).

 

[4]               Au mois d’août 2009, les paiements qui avaient été faits par M. Sargeant ou pour son compte à Worldspan totalisaient la somme de 11 064 525,38 $ US. Le 14 août 2009, M. Sargeant a conclu avec Comerica et d’autres parties un contrat de prêt à la construction (le contrat de prêt) d’un montant de 9 400 000 $ US, en vue de financer l’achèvement de la construction du navire. Les droits que détenait M. Sargeant sur le contrat de construction, le navire et l’hypothèque de constructeur ont été cédés à Comerica au moyen d’un contrat de cession de garantie et d’une hypothèque portant la même date.

 

[5]               Entre les mois d’août 2009 et de mars 2010, Comerica a versé à Worldspan, pour le compte de M. Sargeant, la somme de 9 387 398,67 $ US. Au mois d’avril 2010, le montant total qui avait été payé à Worldspan par M. Sargeant ou pour son compte, en lien avec la construction du navire, s’élevait à 20 651 924,05 $ US.

 

[6]               Un différend a pris naissance entre M. Sargeant et Worldspan à propos des coûts du projet. La construction du navire a pris fin en avril ou en mai 2010. Offshore a intenté l’action sous-jacente le 20 juillet 2010 contre Worldspan, Crescent Custom Yachts Inc., les propriétaires du navire et toutes les autres personnes ayant un droit sur celui-ci ainsi que le navire lui-même pour non-paiement de factures concernant des services et des matériaux fournis en lien avec la construction du navire. Le navire a été saisi le 28 juillet 2010, et il l’est encore aujourd’hui.

 

[7]               Le 27 mai 2011, par une requête présentée à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, Worldspan et des entités liées ont demandé à se prévaloir du régime prévu par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, c C‑36 (l’instance engagée en vertu de la LACC). Le 22 juillet 2011, le juge Pearlman de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une ordonnance relative à une procédure de réclamation dans le cadre de l’instance engagée en vertu de la LACC (l’ordonnance relative à une procédure de réclamation visée par la LACC). Cette ordonnance exigeait que tous les créanciers produisent des preuves de réclamation avant la date de prescription des réclamations inclusivement, soit le 9 septembre 2011, faute de quoi il leur serait à tout jamais interdit de déposer ou de faire valoir une réclamation quelconque. Elle prévoyait également que n’importe quel créancier qui déposait dans le cadre de l’instance engagée en vertu de la LACC une preuve de réclamation faisant valoir une réclamation de nature réelle à l’encontre du navire pouvait poursuivre cette réclamation, hors instance, devant la Cour fédérale.

 

[8]               Par une ordonnance datée du 29 août 2011, le protonotaire, à titre de juge responsable de la gestion de l’instance, a établi une procédure de réclamation à l’intention de tous les créanciers ayant une réclamation de nature réelle à l’égard du navire (l’ordonnance relative à la procédure de réclamation de la Cour fédérale). Cette ordonnance prescrivait qu’avis soit donné à tous les créanciers de l’obligation de produire un affidavit donnant des précisions à l’appui de leur réclamation et quant à la nature de celle-ci, afin que la Cour puisse établir s’il s’agissait d’une réclamation de nature réelle et, le cas échéant, fixer son rang dans l’ordre de priorités. Elle exigeait aussi que les affidavits soient tous déposés 21 jours après que les créanciers avaient reçu l’avis requis et elle prévoyait que toutes les questions relatives au droit d’un créancier quelconque seraient tranchées, sur demande, par la Cour fédérale.

 

[9]               Le 9 février 2012, Offshore a déposé une requête en vue d’obtenir de la Cour une ordonnance décrétant que l’hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison. Le protonotaire, à titre de juge responsable de la gestion de l’instance, a rendu cette ordonnance le 5 mars 2013, avec dépens. C’est sur cette ordonnance que porte le présent appel.

 

La décision faisant l’objet du présent appel

[10]           Le protonotaire a décrit le contexte dans lequel s’inscrivait la requête dont il était saisi : pour pouvoir participer à une distribution basée sur le rang prioritaire à la suite de la vente en justice du navire, chaque créancier devait disposer d’une réclamation de nature réelle existante, valide et exécutoire à l’égard du navire. Les créanciers pouvaient présenter leur propre réclamation et pouvaient aussi contester celle des autres, y compris le rang qui leur était accordé dans l’ordre de priorités. La réparation que sollicitait Offshore dans sa requête ne visait pas à empêcher M. Sargeant ou Comerica de prendre part à l’audience relative à l’ordre de priorités, mais plutôt à limiter leur réclamation en en excluant le remboursement des fonds avancés par M. Sargeant ou pour son compte en vue de la construction du navire.

 

[11]           Le protonotaire a énoncé les positions des parties. Offshore a fait valoir que l’hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ou aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison, un point de vue auquel s’est rallié Mohammed Anwar Farid Al-Saleh (M. Al-Saleh).

 

[12]           M. Sargeant et Comerica ont fait opposition à la requête d’Offshore, faisant valoir que l’hypothèque de constructeur, explicitement ou implicitement, leur garantissait le remboursement des sommes avancées à Worldspan par M. Sargeant ou pour son compte. Le contrat de construction prévoit expressément que le droit aux avances faites par M. Sargeant à Worldspan n’est pas acquis avant une date ultérieure, soit celle de la livraison du navire. Comme ce dernier n’a jamais été livré, les avances sont recouvrables à titre d’argent prêté. Subsidiairement, M. Sargeant dispose d’une hypothèque en equity ou d’une demande à l’égard du navire, en application de l’alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, en rapport avec les sommes avancées pour la construction du navire.

 

[13]           Le protonotaire a souscrit aux observations écrites supplémentaires d’Offshore à propos de la demande visée à l’alinéa 22(2)n) et il a conclu que cette dernière était « de nulle importance »

 

[14]           Le protonotaire a fait remarquer que la question de savoir si Worldspan était tenue par l’hypothèque de constructeur ou le contrat de construction de rembourser les fonds que M. Sargeant avait avancés était subordonnée à l’interprétation de ces deux documents. À cet égard, il a fait référence aux principes de l’interprétation contractuelle qui sont énoncés dans l’arrêt Salah c Timothy’s Coffees of the World Inc, 2010 ONCA 673 [Salah]. Au vu des facteurs et des circonstances, il s’est dit non convaincu que la preuve étayait l’existence d’une dette quelconque.

 

[15]           Il a fait remarquer que l’hypothèque de constructeur se présentait sous la forme que prescrit la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26 (le formulaire 16), qui n’autorise à indiquer qu’un montant en capital assorti d’un taux d’intérêt fixe, ou un « compte courant ». L’hypothèque de constructeur indiquait seulement qu’il y avait un compte visé par le contrat de construction, et les obligations garanties par ce contrat. Cependant, le formulaire d’hypothèque exigeait des détails sur l’opération de façon à ce qu’on l’on puisse déterminer la somme due et le « délai de paiement », mais ni l’hypothèque de constructeur ni le contrat de construction ne contenaient de tels détails.

 

[16]           De plus, même si le contrat de construction énonçait les droits et les obligations des parties advenant sa rupture ou sa résiliation, ou à l’achèvement des travaux, il ne renfermait aucune disposition prévoyant explicitement le remboursement des sommes avancées pour la construction du navire.

 

[17]           Le protonotaire a également conclu que c’est en fonction des circonstances particulières de la situation que l’on peut établir si une hypothèque implique l’existence d’un prêt. En l’espèce, indépendamment du libellé de l’hypothèque de constructeur, rien dans la preuve ne démontrait que le contrat de construction avait donné lieu à la création d’un compte courant. Le contrat de construction permettait clairement à Worldspan de conserver toutes les avances versées en vue du paiement de la main-d’œuvre et des matériaux requis pour construire le navire,  et ces avances ne seraient pas « constituées en un fonds » (FC Yachts Ltd, PR Yacht Builders Ltd et New World Expedition Yachts (31 août 2010), une décision arbitrale de M. John J McIntyre [FC Yachts]).

 

[18]           Le protonotaire a conclu que les parties devaient certainement avoir envisagé qu’en cas de rupture du contrat, Worldspan ne serait pas en mesure de rembourser les sommes importantes qui étaient avancées pour construire le navire, et que M. Sargeant et Comerica n’auraient manifestement comme seul recours que de le sortir du chantier pour en achever ailleurs la construction ou de le vendre. Le contrat de construction ne contenait aucune disposition en matière de remboursement, et une clause contractuelle ne serait pas considérée comme implicite tout simplement parce que, avec le recul, elle paraissait être raisonnable. Le protonotaire a souscrit au paragraphe 57 des observations écrites supplémentaires d’Offshore, à savoir que le contrat de construction n’était pas un contrat de prêt et que si les sommes avancées constituaient un prêt et devaient être remboursées, cela aurait dans ce cas été indiqué dans le contrat.

 

[19]           Pour ces raisons, a conclu le protonotaire, le contrat de construction n’imposait à Worldspan aucune obligation financière à M. Sargeant. En cas de rupture du contrat par Worldspan, les recours dont disposait M. Sargeant se limitaient à la possession et à la propriété du navire ainsi qu’à une action de nature personnelle contre Worldspan.

 

Les questions en litige

[20]           Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

1)                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)                  Le protonotaire a-t-il commis une erreur en concluant que l’hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison?

3)                  Le protonotaire a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de la demande subsidiaire de M. Sargeant visée à l’alinéa 22(2)n) de Loi sur les Cours fédérales?

 

1)         Quelle est la norme de contrôle applicable?

[21]           Le critère modifié qui est énoncé dans l’arrêt Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459, au paragraphe 19, décrit la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux ordonnances discrétionnaires d’un protonotaire. Dans la présente affaire, le protonotaire avait à interpréter et à appliquer l’hypothèque de constructeur et le contrat de construction pour décider si cette hypothèque ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison. Cette tâche ne consistait pas à exercer son pouvoir discrétionnaire, mais plutôt à dégager les intentions des parties en interprétant les dispositions contractuelles et les faits pertinents. Ce sont donc les normes de contrôle applicables en appel habituelles qu’il convient d’appliquer (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, au paragraphe 8 [Housen]; Giroux c Canada, 2001 CFPI 531, au paragraphe 32; Douze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1086, au paragraphe 24).

 

[22]           M. Sargeant, Comerica et Offshore invoquent tous trois l’arrêt General Motors of Canada Ltd c R, 2008 CAF 142 [General Motors] pour leur analyse concernant la norme de contrôle applicable, mais ils arrivent à des conclusions différentes quant à son application. M. Sargeant et Comerica sont d’avis que cet arrêt étaye l’application de la norme de la décision correcte, tandis qu’Offshore estime qu’il étaye celle de l’erreur manifeste et dominante. Les passages pertinents de cet arrêt sont les suivants :

[29]      Dans l’affaire MacDougall c. MacDougall, (2005), 262 (4th) 120, l’appel interjeté à la Cour d’appel de l’Ontario portait sur l’interprétation qu’il convenait de donner aux dispositions d’un contrat de mariage relatives à une pension alimentaire et plus précisément sur l’interprétation d’une disposition modificative d’un contrat familial. La Cour d’appel devait donc déterminer quelle norme s’appliquait au contrôle de l’interprétation du juge de première instance. L’appelant soutenait que la question soumise à la Cour soulevait une question de droit à laquelle s’appliquait donc la norme de la décision correcte puisqu’elle se rapportait à l’effet juridique à donner aux termes de contrat. L’intimée affirmait que la question soumise à la Cour était une question mixte de fait et de droit qui était régie par la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante.

 

[30]      Après avoir passé en revue un certain nombre de décisions des tribunaux ontariens à la lumière de l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, le juge Lang écrit, aux paragraphes 30 à 33 des motifs de la Cour :

 

[traduction
30        Pour commencer, le juge de première instance doit appliquer les bons principes d’interprétation des contrats, en situant notamment les dispositions à l’examen dans le contexte de l’ensemble du contrat. L’omission de suivre les principes applicables, et notamment l’omission d’appliquer un principe d’interprétation fondamental constituerait une erreur de droit qui donnerait lieu à l’application de la norme de la décision correcte.

 

31        Dans la mesure où ce travail d’interprétation suppose l’examen d’éléments de preuve extrinsèques ou une caractérisation du cadre factuel, le juge de première instance tire des conclusions de fait ou dégage des inférences à partir de conclusions de fait. Par ailleurs, « l’interprétation de l’ensemble de la preuve » par le juge de première instance suppose qu’il tire des conclusions ou des inférences de fait (Amertek Inc. c. Canadian Commercial Corp., (2005), 200 O.A.C. 38, au paragraphe 68). Ces conclusions de fait commandent de la retenue de la part du tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire, qui ne doit les infirmer que s’il conclut à une erreur manifeste et dominante ou à l’un de ses équivalents fonctionnels — « manifestement erroné », « déraisonnable » et « non étayé par la preuve » (H.L. c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 401, au paragraphe 110).

 

32        Pour interpréter le contrat, le juge de première instance doit appliquer aussi les principes de droit au libellé du contrat en tenant compte du contexte des faits et des inférences pertinentes. Il faut, pour ce faire, appliquer les règles de droit aux faits. Cette question a également été qualifiée de question mixte de droit et de fait (Algoma Steel Inc. c. Union Gas Ltd., (2003), 63 O.R. (3d) 78, aux paragraphes 19 à 21 (C.A.), Amertek, précité, au paragraphe 68).

 

33        Par conséquent, la juridiction d’appel qui est chargée de réviser l’interprétation que le juge de première instance a faite du contrat doit d’abord déterminer si la question en litige est une question de fait, une question de droit ou une question mixte de fait et de droit. Si la question est un enchevêtrement de faits et de droit, il peut alors la qualifier de question mixte de fait et de droit. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Selon M. Sargeant, le protonotaire n’a pas appliqué à la requête dont il était saisi les principes d’interprétation contractuelle qui conviennent. Il s’agissait là d’une erreur de droit, qui l’a amené à conclure à tort que l’hypothèque de constructeur ne garantissait pas le remboursement des sommes que M. Sargeant avait avancées aux termes du contrat de construction. De plus, le protonotaire a commis une erreur en omettant d’examiner ou d’appliquer les principes juridiques qui s’appliquaient à la demande subsidiaire de M. Sargeant à l’égard du navire, en application de l’alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales. Ces deux erreurs de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[24]           M. Sargeant soutient que le protonotaire n’a pas appliqué les principes d’interprétation contractuelle exigeant que l’on interprète le contrat de construction et l’hypothèque de constructeur sous l’angle des principes commerciaux reconnus et des bonnes pratiques commerciales, de manière à éviter une absurdité sur le plan commercial, et de tirer de la manière dont les parties avaient exprimé leur intention contractuelle un sens qui concordait avec les termes employés. Au lieu d’interpréter le libellé utilisé et de se pencher sur les principes, le protonotaire a eu recours à une approche exagérément formaliste et littérale et a fondé ses décisions sur l’absence perçue de dispositions et de preuves explicites.

 

[25]           Comerica soutient que l’interprétation d’une entente consiste notamment à se reporter au contexte – la matrice factuelle – dans lequel il a été conclu. Dans la présente affaire, la matrice factuelle était que M. Sargeant était tenu de fournir le fonds de roulement dont Worldspan avait besoin pour construire le navire, Worldspan demeurerait propriétaire de ce dernier jusqu’à sa livraison, et les avances de M. Sargeant devaient être garanties par l’hypothèque de constructeur. C’est dans ce contexte là que le protonotaire était tenu d’interpréter le contrat de construction. De plus, il a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer les principes d’interprétation contractuelle appropriés et a commis une erreur de fait au sujet de l’existence d’un compte courant.

 

[26]           Offshore est d’avis que la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante, car l’interprétation du contrat de construction au sein de la matrice factuelle est une question mixte de fait et de droit (arrêt General Motors, précité, aux paragraphes 29 à 33). En l’espèce, il n’y a pas eu d’erreur manifeste et dominante et, en tout état de cause, la décision du protonotaire survivrait aussi à un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte.

 

[27]           La norme de contrôle qui s’applique à une question mettant en cause l’interprétation d’un contrat a été bien décrite dans l’ouvrage de Geoff R. Hall intitulé Canadian Contractual Interpretation Law, 2e éd. (Markham : LexisNexis Canada Inc, 2012), à la page 125 :

[traduction] […] Selon la nouvelle approche, suivant la nature précise de la question considérée ce sont des normes de contrôle différentes qui s’appliquent. Cela s’explique par le fait que l’interprétation contractuelle met en cause des questions de droit (quels sont les principes d’interprétation applicables?), des questions de fait (quelle est la matrice factuelle?) de même que des questions mixtes de fait et de droit (quel est le sens d’un contrat particulier dans le contexte des principes de droit et de la matrice factuelle?). La norme de contrôle qui s’applique à chacune de ces questions est définie par l’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada sur les normes de contrôle en appel, soit Housen c. Nikolisen : la décision correcte dans le cas d’une question de droit, l’erreur manifeste et dominante dans le cas d’une question de fait et (en général) l’erreur manifeste et dominante dans le cas des questions mixtes de fait et de droit.

 

[28]           En l’espèce, au début de sa décision, le protonotaire relève correctement les principes d’interprétation contractuelle qui s’appliquent. Il n’y a donc pas eu d’erreur de droit à cet égard. Cependant, il n’indique pas de quelle façon ces principes sont appliqués à l’affaire dont il est saisi, ni de quelle façon sa conclusion est liée à ces principes. À mon sens, hormis le présumé défaut de traiter de l’argument subsidiaire fondé sur l’alinéa 22(2)n), qui était une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, les questions en litige qui subsistent sont toutes liées à des examens des faits. Il s’agit donc de questions mixtes de fait et de droit, ce qui fait que la norme de contrôle qui s’applique est celle de l’erreur manifeste et dominante.

 

[29]           À cet égard, je signale que même si M. Sargeant et Comerica font tous deux valoir que c’et la norme de la décision correcte qui s’applique, ils contestent également la façon dont le protonotaire a évalué la matrice factuelle sous-jacente qui est pertinente à l’égard de l’interprétation du contrat de construction.

 

Les dispositions pertinentes du contrat de construction et de l’hypothèque de constructeur

[30]           Avant d’examiner la deuxième question en litige, il est utile d’énoncer les dispositions applicables du contrat de construction et de l’hypothèque de constructeur.

 

[31]           À titre de constructeur, Worldspan a entrepris de concevoir, de construire, d’équiper,  de mettre à l’eau et d’achever le navire, ainsi que de le vendre et de le livrer à M. Sargeant, sous réserve des dispositions du contrat de construction (article 1.1). Worldspan a également convenu de livrer le navire à M. Sargeant une fois les travaux achevés (article 2.1)

 

[32]           Aux termes de l’article 2.3 :

[traduction] Le navire, y compris l’ensemble des équipements, matériaux, fournitures, pièces ou autres composants, sera livré […] franc et quitte des privilèges, hypothèques et charges (à l’exception des privilèges et charges approuvés par le propriétaire et accordés au prêteur finançant la construction, le cas échéant) […] existant avant la livraison du navire au propriétaire, qui grèvent le navire ou qui se rattachent aux matériaux, à la main-d’œuvre, aux fournitures ou à l’équipement procurés par le constructeur dans l’exécution du présent contrat.

 

[33]           Worldspan a également convenu de fournir un acte de vente garantissant que le navire était franc et quitte de revendications, de créances, d’obligations, de privilèges, de charges, d’hypothèques et de servitudes de quelque nature que ce soit (alinéa 2.5 b)), de même qu’un affidavit confirmant que les matériaux, l’équipement, les pièces, les composants et les fournitures procurés par Worldspan et toutes les personnes ayant fourni des services de main‑d’œuvre ou des matériaux au navire avaient été intégralement payés (alinéa 2.5 d)).

 

[34]           L’article 4.1 porte sur les paiements que M. Sargeant devait verser à Worldspan au cours des travaux de construction, et qui sont de la nature d’avances :

[traduction
4.1       Le coût du navire et le prix d’acquisition final payable par le propriétaire (le prix d’acquisition final) seront établis à la fin en fonction du temps et des matériaux requis, sous réserve d’une vérification raisonnable […] Pendant la construction du navire, le propriétaire versera des paiements décomptés du prix d’acquisition final, de la manière prévue ci-après; ces paiements seront de la nature d’avances faites au constructeur, et le constructeur n’acquerra le droit au prix d’acquisition final qu’une fois le navire livré et accepté conformément au présent contrat.

 

[35]           Le prix estimatif du navire était de 15 millions de dollars US, sous réserve de toutes modifications convenues (article 4.2). Pendant la construction du navire, M. Sargeant devait verser chaque mois des arriérés de paiement servant à couvrir les dépenses engagées par Worldspan au cours du mois précédent (alinéa 4.3 a)). Advenant que le prix d’acquisition final soit supérieur de plus de 10 % au prix estimatif, plus les modifications convenues, M. Sargeant avait dans ce cas le choix de résilier le contrat de construction sans s’exposer aux conséquences énoncées à l’article 13. Tous les mois, Worldspan devait présenter à M. Sargeant, pour vérification et approbation, un certificat de réclamation faisant état des dépenses du mois (alinéa 4.3 c)). Ces modalités, était-il reconnu, visaient à assurer des rentrées de fonds positives (alinéa 4.3 e)).

 

[36]           Durant les travaux de construction, c’était Worldspan qui assumait les risques possibles (article 5). L’article 5.3 traitait de la question d’une perte totale :

[traduction] Advenant que le constructeur ne soit pas en mesure ou omette par ailleurs de livrer le navire au propriétaire comme il est exigé dans les présentes en raison de la perte totale du navire durant la construction, le propriétaire a le droit de recouvrer la totalité des sommes versées au constructeur en vertu des présentes, au moyen d’une assurance ou d’une autre manière (le « remboursement »). Le remboursement ne portera pas atteinte aux autres droits du propriétaire prévus par la loi, le présent contrat ou autrement.

 

[37]           Conformément à l’article 8.1, M. Sargeant était autorisé à céder le bénéfice du contrat de construction, en garantie, à n’importe quelle institution bancaire ou financière qui financerait la construction du navire.

 

[38]           Aux termes de l’article 12.1, Worldspan conserverait le titre de propriété du navire jusqu’à sa livraison et accorderait à M. Sargeant une garantie permanente de rang prioritaire en vue de garantir les sommes avancées à Worldspan :

[traduction] Le constructeur conserve le titre de propriété du navire jusqu’à sa livraison au propriétaire. Il accorde au propriétaire une garantie permanente de rang prioritaire sur le navire, notamment sur l’ensemble des travaux, des matériaux, de la machinerie et de l’équipement liés au navire, pour garantir les sommes qu’il avance ou verse au constructeur dans le cadre du présent contrat, à la condition, toutefois, que cette garantie soit subordonnée aux obligations qu’imposent les documents contractuels au propriétaire, dont le droit du constructeur de recevoir des paiements dans le cadre du présent contrat. Le constructeur consent, à l’appui de la garantie du propriétaire grevant le navire, à enregistrer une hypothèque maritime en faveur du propriétaire ou de son prêteur aux fins de la construction (les parties, agissant de façon raisonnable, devant s’entendre sur la teneur du document hypothécaire) si le propriétaire demande que cela soit fait pour une raison quelconque.

 

[39]           L’article 13.1 confère à M. Sargeant [traduction] « le droit et le pouvoir, sous réserve de tout autre recours », de résilier le contrat de construction s’il survient certains cas de défaut, notamment si Worldspan n’acquitte plus ses dettes, cesse d’exploiter son entreprise ou prend des arrangements ou conclut des transactions avec ses créanciers. Aux termes de l’article 13.2, si M. Sargeant résiliait le contrat de construction, il pouvait s’approprier le navire et en faire achever ailleurs la construction, auquel cas les obligations de Worldspan étaient prévues, notamment :

[traduction

a)         livrer le navire ou les parties de ce dernier qui ont été construites ainsi que l’ensemble des matériaux, moteurs, machines, fournitures et équipement affectés de temps à autre au navire ou se rapportant au présent contrat […] francs et quittes d’hypothèques, de privilèges maritimes, de créances et de réclamations de toute nature, en vue de leur enlèvement du chantier du constructeur;

 

b)         prendre toutes les mesures et signer tous les documents qui sont nécessaires ou dont le propriétaire a raisonnablement besoin pour transférer et transmettre au propriétaire l’ensemble des droits, titres et intérêts afférents au navire et protéger ces derniers contre les réclamations d’autres personnes (dont les fournisseurs, les sous-traitants et les créanciers du constructeur […]).

 

13.3     Subsidiairement aux droits que lui confèrent les dispositions antérieures du présent ARTICLE 13, le propriétaire peut, par avis écrit signifié en tout temps dans les trente (30) jours suivant la résiliation du présent contrat, exiger du constructeur qu’il collabore à la vente rapide du navire selon les conditions et de la manière que le propriétaire peut fixer et que le constructeur peut approuver […] et, à la suite d’une telle vente, les dispositions de l’ARTICLE 24 s’appliqueront.

 

[40]           L’article 24 du contrat de construction énonce une formule qui s’applique en cas de vente du navire par M. Sargeant, une formule en fonction de laquelle Worldspan est tenue de payer à ce dernier une somme établie par calcul au cas où le produit de la vente serait inférieur aux avances qu’il lui a versées; de la même façon, si le produit de la vente était supérieur aux avances, M. Sargeant serait tenu de verser une partie de ce produit à Worldspan.

 

[41]           L’article 13.5 du contrat de construction porte sur tout défaut de la part de M. Sargeant; il prévoit que Worldspan est en droit de résilier le contrat de construction si M. Sargeant ne fait pas les paiements qui y sont prévus, auquel cas Worldspan peut mettre le navire en vente. [traduction] « La propriété du navire reviendra ou sera cédée au constructeur, et le propriétaire [Worldspan], sans délai, prendra toutes les mesures et signera tous les documents qui seront nécessaires ou que le constructeur exigera raisonnablement en vue de parfaire la propriété de ce dernier à l’égard du navire. » De plus, selon cet article, si Worldspan revend le navire à un prix inférieur au prix d’acquisition plafonné, elle remboursera à M. Sargeant tous les versements échelonnés, moins les frais directs et les dépenses d’entreposage et de revente. Si Worldspan revend le navire à un prix égal ou supérieur au prix d’acquisition plafonné, elle remboursera dans ce cas à M. Sargeant tous les versements échelonnés, moins les frais et les dépenses d’entreposage et de revente que Worldspan aura engagés.

 

L’hypothèque de constructeur

[42]           L’hypothèque de constructeur se présente sous une forme prescrite par la loi (le formulaire 16) et elle est établie en faveur de M. Sargeant, à titre de créancier hypothécaire, par Worldspan, à titre de débitrice hypothécaire. Le formulaire comporte le libellé suivant : « Considérant que (Indiquer qu’il existe un compte courant entre le débiteur hypothécaire et le créancier hypothécaire en désignant l’un et l’autre et décrire la nature de l’opération de façon à indiquer comment le montant du principal et des intérêts dus à date fixe, doivent être déterminés, et le mode et la date du paiement). » La réponse suivante y est inscrite :

[traduction] Il existe un compte courant établi en vertu du contrat de construction de navire daté du 29 février 2008 entre le débiteur hypothécaire et le créancier hypothécaire, lequel contrat précise les obligations garanties par la présente.

 

[43]           Le formulaire indique ensuite :

Je/Nous, débiteur(s) hypothécaire(s) en contrepartie, nature de laquelle est décrite ci-dessus, convenons avec le(s) créancier(s) hypothécaire(s) de lui/leur payer dès lors les sommes dues sur la présente garantie, soit en principal, soit en intérêts, aux dates et de la manière indiquée. Afin de mieux garantir au(x) créancier(s) hypothécaire(s) le paiement de ces sommes, déclarent hypothéquer au(x) créancier(s) hypothécaire(s)  64   parts […] dans le bâtiment susmentionné […].

2)         Le protonotaire a-t-il commis une erreur en concluant que l’hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison?

[44]           Au début de son analyse, le protonotaire a reconnu à juste titre que l’interprétation d’un contrat a pour but de déterminer l’intention des parties en se fondant sur le libellé des documents contractuels et en tenant compte du contexte dans lequel le contrat en question a été passé. Il a également reconnu les principes d’interprétation contractuelle qui sont énoncés dans l’arrêt Salah, précité, au paragraphe 16. La question en litige consiste donc à savoir si le protonotaire a appliqué ces principes comme il se doit dans le cadre de son analyse.

 

[45]           Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas convaincue que le protonotaire, dans son analyse, en examinant des aspects particuliers du contrat de construction, a considéré de manière globale la matrice factuelle et examiné le contrat de construction et l’hypothèque de constructeur dans leur ensemble, de façon à cerner l’intention véritable des parties. Cela s’est répercuté sur son analyse concernant la nature des avances versées et l’étendue de la garantie de M. Sargeant.

 

L’étendue de la garantie

[46]           Le point de départ de l’analyse est, comme l’a conclu le protonotaire, l’article 12.1 du contrat de construction :

[traduction] 
12.1     Le constructeur conserve le titre de propriété du navire jusqu’à la livraison de ce dernier au propriétaire. Le constructeur accorde au propriétaire une garantie permanente de rang prioritaire sur le navire, notamment sur l’ensemble des travaux, des matériaux, de la machinerie et de l’équipement liés au navire, pour garantir les sommes qu’il avance ou verse au constructeur dans le cadre du présent contrat, à la condition, toutefois, que cette garantie soit subordonnée aux obligations qu’imposent les documents contractuels au propriétaire, dont le droit qu’a le constructeur de recevoir des paiements dans le cadre du présent contrat. Le constructeur consent, à l’appui de la garantie du propriétaire grevant le navire, à enregistrer une hypothèque maritime en faveur du propriétaire ou de son prêteur […].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[47]           Les parties ont convenu que le constructeur conserverait le titre de propriété du navire durant la construction, et cela expose forcément le propriétaire à un risque pour ce qui est des avances versées. Par conséquent, la grande question qui se pose dans le présent appel consiste à savoir comment les parties entendaient gérer ce risque. En d’autres termes, quelle était la portée prévue de la garantie?

 

[48]           La gestion de ce type de risque lors de la construction d’un navire n’est ni unique ni étrangère aux pratiques commerciales habituelles. Cette question est souvent réglée de l’une de deux façons, comme l’a décrit Simon Curtis dans son ouvrage intitulé The Law of Shipbuilding Contracts, 4e éd. (Londres : Informa Law, 2012) à la page 135 :

[traduction] Le moment où le titre de propriété du navire est transmis à l’acheteur est une question d’une importance cruciale pour l’ensemble du projet de construction d’un navire, et ce, pour deux raisons. Premièrement, celui qui possède le navire durant sa période de construction bénéficie d’une sécurité contre le risque d’un défaut financier de la part de l’autre partie; dans un tel cas, ses droits de propriété devraient (en théorie du moins) avoir préséance sur ceux des autres créanciers et lui permettre de vendre le navire de façon à pouvoir récupérer son investissement. Deuxièmement, suivant les lois et les pratiques locales, il se peut que la propriété du navire confère au constructeur le droit d’hypothéquer ou de grever ce dernier en vue d’obtenir les fonds nécessaires à sa construction.

 

La très grande majorité des contrats internationaux de construction de navire confèrent le titre de propriété du navire au constructeur pendant toute la période de construction, le motif étant que le risque de crédit avant livraison auquel s’expose l’acheteur sera protégé par une garantie de remboursement; celle-ci sera habituellement fournie à l’acheteur en guise de condition de paiement du premier versement du prix contractuel. Le titre de propriété du navire sera transféré à l’acheteur en même temps que la signature du protocole de livraison et d’acceptation […].

 

Cependant, si le constructeur n’est pas à même de fournir une garantie de remboursement satisfaisante, il peut être convenu que le navire lui-même serve à garantir les versements que l’acheteur doit effectuer avant la livraison. Dans de telles circonstances, le contrat prévoira que le titre de propriété du navire, ainsi que tout l’équipement et tous les matériaux qui s’y rapportent, devraient être transmis à l’acheteur pendant la durée de la construction. Cependant, le titre dévolu à l’acheteur sera habituellement de nature conditionnelle, plutôt qu’absolue et, en particulier, ne l’empêchera pas d’exercer son droit de refuser le navire et de résilier le contrat. Dans de telles circonstances, le titre de propriété reviendra habituellement au constructeur à la suite de l’avis de résiliation de l’acheteur et à la suite du remboursement, par le constructeur, des versements avant livraison du prix fixé par contrat qui ont été payés jusqu’à ce moment-là, de pair avec les intérêts correspondants.

 

[49]           Ces situations ne sont pas représentatives des dispositions en matière de titre de propriété et de risques que renferme le contrat de construction, et il faut aussi se rappeler qu’au Royaume‑Uni le droit d’obtenir une hypothèque de constructeur pendant la durée de la construction n’existe pas. À cet égard, Curtis (précité) indique ceci, à la page 42 :

[traduction] Deuxièmement, dans certains pays européens constructeurs de navires, il est possible que le constructeur crée et fasse inscrire une hypothèque grevant le navire partiellement construit en vue de garantir le financement des travaux de construction. Une telle hypothèque sera manifestement remboursée avant la livraison afin que l’acheteur puisse prendre livraison du navire libre de toute charge. Cependant, durant la période de construction, l’existence de l’hypothèque garantira habituellement qu’en cas d’insolvabilité du constructeur ce sera le créancier hypothécaire, plutôt que le liquidateur du constructeur, qui aura le droit de disposer du navire. Si la construction du navire est financée par une hypothèque, l’acheteur peut donc souhaiter au départ conclure avec le créancier hypothécaire un contrat distinct lui donnant l’option d’acheter le navire si le constructeur fait défaut et si le créancier hypothécaire en obtient la possession légale.

 

[50]           En l’espèce, bien sûr, la situation de fait est différente car le débiteur hypothécaire était Worldspan et le créancier hypothécaire M. Sargeant, dont les avances avaient servi à construire le navire. Toutefois, ces dispositions montrent que le titre de propriété, le risque de défaut financier et de réclamation d’une tierce partie, ainsi que l’obtention d’une garantie contre de tels incidents, sont interdépendants.

 

[51]           Aux termes de l’article 13.1 du contrat de construction, en cas de défaut de Worldspan, M. Sargeant avait le droit de résilier le contrat, sans que cela porte atteinte à tout autre droit ou recours. Dans un tel cas, M. Sargeant avait le droit de s’approprier le navire et d’en achever la construction franc et quitte de toute réclamation (article 13.2) et, subsidiairement, de mettre en vente le navire (article 13.3) et de recouvrer les fonds qu’il avait avancés selon la formule énoncée à l’article 24. Il convient de signaler que ces recours visent Worldspan et M. Sargeant, et que ceux dont disposait M. Sargeant en cas de défaut ne se limitaient pas à résilier le contrat de construction et à exercer les droits que lui conférait l’article 13, comme l’a prétendu Offshore dans ses observations.

 

[52]           C’est donc dire que si le contrat de construction comportait des dispositions permettant de faire face à tout défaut de la part de l’une ou l’autre des parties ou à une perte totale pendant la construction, l’hypothèque de constructeur avait une fin différente. Cette fin a été explicitement énoncée par les parties : créer une garantie permanente de rang prioritaire à l’égard du navire de façon à garantir le droit aux avances non acquis (articles 12.1 et 4.1). On peut raisonnablement en déduire que cette fin visait à se protéger contre des tiers et que son effet ne se limitait pas à Worldspan et à M. Sargeant. En bref, elle servait à gérer le risque auquel s’exposait M. Sargeant du fait qu’il versait les avances sans détenir le titre de propriété du navire. Au vu de ce qui précède, la portée de la garantie qu’offrait l’hypothèque de constructeur ne se limitait pas selon moi à garantir la livraison du navire; il était plutôt envisagé que le navire lui-même serve de garantie pour les versements avant livraison que faisait M. Sargeant.

 

L’obligation de remboursement

[53]           Je conviens avec Comerica que la matrice factuelle dont il est ici question, laquelle est étayée par les articles 12.1 et 4.3 du contrat de construction, est que M. Sargeant était tenu de fournir les fonds de roulement dont Worldspan avait besoin pour construire le navire, Worldspan devait demeurer propriétaire de ce dernier jusqu’à sa livraison et les avances faites par M. Sargeant devaient être garanties par l’hypothèque de constructeur. Quant à la question de savoir si les avances garanties par l’hypothèque de constructeur constituaient un prêt assorti d’une obligation de rembourser les fonds avancés pour la construction du navire, le contrat de construction n’indique pas expressément que les avances sont versées sous forme de « prêt ». Il n’existe pas non plus de document de prêt sous-jacent, tel qu’un billet à ordre ou un contrat établi accessoirement à l’hypothèque de constructeur, un calendrier de paiements de capital et d’intérêts ni un taux d’intérêt précisé. De ce fait, le contrat de construction et l’hypothèque de constructeur ne constituaient pas un « prêt » dans le sens classique du terme. Cependant, l’article 4.1 indique que les paiements seraient [traduction] « décomptés » du prix d’acquisition mais qu’ils seraient de la nature d’avances et que Worldspan n’acquerrait le droit au prix d’acquisition qu’une fois le navire livré et accepté conformément au contrat de construction. Cela implique au moins l’existence d’un crédit consenti, et, partant, d’une dette potentielle, jusqu’à l’acquisition du droit aux avances.

 

[54]           À cet égard, Comerica fait valoir qu’un certain nombre des dispositions du contrat de construction, les articles 4.1, 5.3, 13.3, 13.5 et 24.8 plus précisément, exigent que l’on rembourse les avances, et que le protonotaire a donc commis une erreur en concluant qu’une obligation de remboursement ne pouvait pas être implicite.

 

[55]           Quant à l’article 4.1, Comerica soutient que les avances que M. Sargeant a faites en vertu de l’article 4.1 pouvaient être remboursées par Worldspan par la livraison du navire. Offshore soutient que même s’il n’est pas question de remboursement dans cette disposition, elle convient que la livraison serait suffisante pour considérer que le droit aux avances était acquis.

 

[56]           L’article 4.1 ne fait pas expressément mention d’un remboursement, mais il indique quand même que : (i) M. Sargeant verse des paiements [traduction] « décomptés », (ii) les paiements sont de la nature d’avances et (iii) le droit aux avances n’est pas acquis avant la livraison. Cela dénote, à la simple lecture de cette disposition, que Worldspan n’a pas le droit de conserver les avances ni de les restituer si le navire n’a pas été livré.

 

[57]           L’article 5.3 dispose que si Worldspan ne parvient pas à livrer le navire à cause d’une perte totale subie lors de la construction, M. Sargeant [traduction] « a le droit de recouvrer la totalité des sommes versées au constructeur en vertu des présentes, au moyen d’une assurance ou d’une autre manière (le “remboursement”) ». Cette disposition envisage clairement un remboursement en cas de non-livraison. Offshore soutient toutefois que cette disposition ne donnerait lieu qu’au paiement des fonds recouvrés auprès d’un assureur et qu’il n’y est pas question des avances.

 

[58]           À mon avis, étant donné que les sommes que M. Sargeant a versées à Worldspan ont été payées par les avances, on peut raisonnablement en déduire que ce sont les avances qui doivent être remboursées au moyen de tout produit d’assurance versé à Worldspan. De plus, pour ce qui est de l’observation selon laquelle la disposition n’oblige pas Worldspan elle-même à fournir les paiements, cette disposition indique que M. Sargeant aura [traduction] « le droit de recouvrer la totalité des sommes versées au constructeur en vertu des présentes, au moyen d’une assurance ou d’une autre manière […] ». C’est donc dire que même si cette disposition envisage clairement que Worldspan paiera le remboursement à M. Sargeant à même le produit d’assurance à la suite d’une perte totale, elle ne se limite pas à ces paiements. Les avances étant payées en vertu du contrat de construction, il serait également possible de les recouvrer en vertu de cette disposition. Cela permettrait, par exemple, d’obtenir directement un recouvrement de Worldspan si l’assureur de cette dernière refusait de couvrir la perte.

 

[59]           Les articles 13.3 et 24.8 prévoient que, subsidiairement aux autres droits que lui confère l’article 13 en cas de défaut de la part de Worldspan, M. Sargeant peut exiger que le navire soit vendu en cas de résiliation du contrat de construction (article 13.3), conformément aux dispositions de l’article 24 qui, essentiellement, prescrit que si le navire est vendu à perte, Worldspan est tenue de payer une partie de la perte à M. Sargeant et, inversement, si le navire est vendu à profit, M. Sargeant est tenu de payer une partie de ce profit à Worldspan. Comerica signale que même si ni l’un ni l’autre de ces articles ne fait expressément mention d’un remboursement, l’un des éléments de la formule contenue à l’article 24.2 fait état du [traduction] « prix d’acquisition final, compte tenu de toutes les sommes que le propriétaire et le constructeur ont versées ». Étant donné que M. Sargeant a contribué à payer le prix d’acquisition final au moyen des avances, ces articles requièrent donc que Worldspan rembourse les avances en cas de défaut. Offshore fait valoir que les avances ne sont utilisées dans ce scénario que pour calculer de quelle façon le produit d’une vente serait réparti, et que le produit de la vente et les avances sont deux choses distinctes.

 

[60]           Il m’apparaît que la raison première pour laquelle il est prescrit dans le contrat de construction que le navire peut être vendu en cas de défaut par Worldspan est que M. Sargeant peut recouvrer les fonds qu’il a contribués au coût de la construction. La formule sert à déterminer quelles sont les obligations des parties dans un tel cas, suivant le prix de vente. L’un des éléments de la formule fait référence au [traduction] « prix d’acquisition final », lequel est défini à l’article 4.1, et il prévoit qu’au cours de la construction le propriétaire versera des paiements décomptés du prix d’acquisition, que ces paiements seront de la nature d’avances faites au constructeur et que ce dernier n’acquerra le droit au prix d’acquisition final qu’une fois le navire livré et accepté. De ce fait, selon moi, on ne peut pas faire valoir raisonnablement que le produit de la vente du navire à payer à M. Sargeant n’est autre chose que le remboursement des avances aux termes de cette disposition.

 

[61]           L’article 13.5 porte sur tout défaut de la part de M. Sargeant et, dans un tel cas, sur le droit qu’a Worldspan de résilier le contrat de construction et de vendre le navire. Dans un tel cas, le [traduction] « droit de propriété sur le navire […] sera restitué ou transmis au constructeur et le propriétaire, sans délai, prendra toutes les mesures et signera tous les documents nécessaires […] pour parfaire le droit de propriété du constructeur ». De plus :

[traduction] Si le constructeur revend le navire à un montant inférieur au prix d’acquisition plafonné, il remboursera au propriétaire tous les versements échelonnés qui lui ont été faits, moins les frais directs et les dépenses d’entreposage et de revente […]. Si le constructeur revend le navire à un montant égal ou supérieur au prix d’achat plafonné, il remboursera au propriétaire les versements échelonnés qui lui ont été faits, moins les frais et les dépenses d’entreposage et de revente que le constructeur aura engagés […], et ce, d’un montant égal ou supérieur au prix d’acquisition plafonné […].

 

[62]           Comerica soutient que cela illustre que les paiements échelonnés, moins les rajustements, étaient censés être remboursés à même le produit de la vente. Worldspan est d’avis que cette disposition doit être interprétée de telle manière que c’est le droit de l’hypothèque de constructeur qui reviendrait à Worldspan et qu’elle ne peut pas garantir les paiements visés à l’article 13.5 car ce dernier annule expressément les droits de propriété que crée l’hypothèque de constructeur, qui n’est donc pas garantie.

 

[63]           L’article 13.5 ne fait pas expressément mention de l’hypothèque de constructeur ou de son annulation. Cela dit, en cas de défaut de M. Sargeant, et pour pouvoir donner effet à la vente du navire avec un titre franc, il faudrait que l’hypothèque de constructeur soit en fin de compte acquittée. Cependant, cela n’aurait pas d’incidence sur l’obligation de rembourser les paiements échelonnés, comme il est par ailleurs énoncé à l’article 13.5, avant que cela se produise. À mon avis, cette disposition dénote effectivement l’existence d’une situation dans laquelle il serait obligatoire de rembourser les avances.

 

[64]           Le protonotaire a indiqué à juste titre que les parties ont certainement envisagé qu’en cas de perte totale ou de manquement au contrat de construction Worldspan n’aurait pas en main les espèces dont elle aurait besoin pour rembourser les frais de construction. Cependant, à mon avis, il ressort des dispositions du contrat de construction que les parties ont également envisagé et entendaient que, dans un tel cas, le navire serait vendu en vue de rembourser les avances ayant servi à en financer la construction. Comme le navire a été saisi et qu’il est l’objet de réclamations de la part de tierces parties, ces dispositions ne s’appliquent aucunement dans les présentes circonstances. Elles sont toutefois pertinentes pour ce qui est de l’intention des parties et de l’interprétation des dispositions du contrat de construction dans leur ensemble, au sein de la matrice factuelle. À mon avis, compte tenu de ce qui précède, même si le protonotaire a eu raison de dire qu’il n’y avait aucune disposition explicite au sujet du remboursement des avances, eu égard au contrat de construction et à l’hypothèque de constructeur dans leur ensemble, il existait implicitement une obligation de remboursement.

 

[65]           Le protonotaire a invoqué l’affaire FC Yachts, précitée, une décision arbitrale, à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’hypothèque de constructeur ne garantissait pas un prêt et qu’il n’existait donc aucune obligation de remboursement. Cette décision ne lie pas la Cour (Desputeaux c Éditions Chouette (1987) Inc, 2003 CSC 17, [2003] 1 RCS 178, au paragraphe 62), pas plus qu’elle n’a été portée en appel. Quoi qu’il en soit, il existe aussi une distinction entre cette décision et la présente espèce.

 

[66]           Dans cette décision, aux termes d’un contrat de construction de yacht, l’acheteur, NWEY, avait déposé la somme de 500 000 $ dans un compte pour main-d’œuvre et matériaux en vue de financer les frais de main-d’œuvre et de matériaux courants. Le constructeur, PRYB, était tenu de facturer à NWEY, aux deux semaines, les frais de main-d’œuvre et de matériaux engagés, qui seraient déduits du compte pour main-d’œuvre et matériaux, lequel serait alors réapprovisionné par NWEY à hauteur de son niveau initial. Pour garantir les obligations du constructeur aux termes du contrat de construction de yacht, le constructeur avait accordé à NWEY une garantie de premier rang et une hypothèque sur le navire en voie de construction. La garantie et l’hypothèque devaient être parfaites et constatées par un contrat de garantie.

 

[67]           L’annexe B du contrat de garantie indiquait que, pour garantir le paiement et l’exécution des obligations du constructeur aux termes de l’accord de construction de yacht, le constructeur accordait une hypothèque de constructeur en faveur de NWEY d’un montant principal de 4 340 000 $ en vue de procurer à NWEY une garantie de premier rang sur l’ensemble du droit, du titre et de l’intérêt du constructeur à l’égard du navire.

 

[68]           L’hypothèque de constructeur type n’indiquait pas le montant du principal. Elle faisait référence à un compte courant établi par PRYB, à titre de débiteur hypothécaire, et NWEY, à titre de créancier hypothécaire, à l’appui des obligations qu’imposait à PRYB le contrat de construction de yacht et pour lesquelles il était possible de déterminer le montant du principal et des intérêts à payer en tout temps en consultant les livres et registres de PRYB.

 

[69]           L’arbitre a conclu qu’aux termes du contrat de construction de yacht PRYB n’avait aucune obligation financière envers NWEY. PRYB ne devait aucun paiement de principal ou d’intérêts à NWEY. Les obligations financières allaient en sens inverse : NWEY devait avancer des fonds à PRYB par l’intermédiaire du compte pour main-d’œuvre et matériaux en vue de construire le navire. Rien dans le texte du contrat de construction de yacht ne qualifiait de prêt les paiements versés par NWEY dans le compte pour main-d’œuvre et matériaux.

 

[70]           L’arbitre a rejeté l’argument selon lequel l’hypothèque de constructeur garantissait les avances en espèces versées pour la construction du navire et que l’emploi du mot « compte » dans le formulaire type laissait entendre que l’hypothèque de constructeur avait pour objet de garantir une somme d’argent et non seulement les obligations du constructeur aux termes du contrat de construction de yacht. L’arbitre a conclu que la forme sous laquelle se présente l’hypothèque de constructeur prescrit un certain format à respecter, mais qu’il n’y avait aucune preuve que les comptes de PRYB faisaient état d’une somme que NWEY lui devait et la preuve du contrat de construction de yacht n’étayait aucunement l’existence d’une telle dette. L’arbitre a déclaré qu’il n’était pas convaincu que l’hypothèque de constructeur avait pour but de garantir les sommes avancées par PRYB à NWEY. Ces deux dernières avaient peut-être « entendu conférer » à NWEY une garantie de rang prioritaire sur le navire, mais elles n’ont pas atteint cet objectif au moyen d’une hypothèque de constructeur type. « L’existence – pour rendre d’une certaine matière valable le recours à pareille formule – d’une dette de PRYB envers NWEY n’est attestée par aucun élément quelconque au dossier. »

 

[71]           Contrairement à l’affaire FC Yachts, le contrat de construction n’envisageait pas la conclusion d’un contrat de garantie distinct, destiné à parfaire et à constater l’hypothèque. Dans cette affaire, tant l’accord de construction de yacht que la clause d’introduction B de l’annexe B du contrat de garantie prescrivaient que le constructeur accordait une hypothèque de constructeur en vue de garantir le paiement et l’exécution des obligations du constructeur aux termes du contrat de construction de yacht. Ce n’est pas le cas en l’espèce, où le contrat de construction indique que la garantie avait pour but de protéger les sommes avancées à Worldspan, l’acheteur, dont le droit à celles-ci n’était acquis qu’à la livraison du navire. Rien dans le libellé du contrat de construction de yacht ne qualifiait les paiements de NWEY d’avances dont le droit à celles-ci n’était acquis qu’à la livraison du navire. Selon moi, ce fait suffit pour distinguer l’affaire FC Yachts, précitée, de celle qui m’est soumise. Ce libellé, dans le contrat de construction, peut être interprété de manière à qualifier les avances de prêt. Et, comme nous le verrons plus loin, le simple fait que l’hypothèque de constructeur elle-même ne fasse pas état des détails relatifs au compte courant n’est pas fatal.

 

[72]           Même sans arriver à ce résultat, j’aurais conclu qu’en interprétant l’opération comme un tout pour déterminer l’intention des parties, au sein de la matrice factuelle pertinente, l’hypothèque de constructeur et le contrat de construction prévoyaient implicitement l’obligation de rembourser les avances dont le droit à celles-ci n’était pas acquis, ce qui créait une dette potentielle, une dette qui, en fait, se concrétiserait en cas de non-livraison du navire dans ces circonstances. Même s’il n’y avait pas de « prêt » à proprement parler, il existait une dette potentielle créée par les dispositions du contrat de construction, et M. Sargeant a garanti l’acquittement de la dette potentielle au moyen de l’hypothèque de constructeur.

 

[73]           Du point de vue conceptuel, cela ressemble à la situation dont il était question dans l’affaire S Funtig & Associates v Windsor (City)(2008), 46 CBR (5th) 238, (sub nom Capitol Theatre and Arts Centre (Windsor) (Trustee of) c Windsor (City)) [2008] OJ No 3038 (QL) (C. Sup.) [S Funtig], où une municipalité avait approuvé une subvention de 1 830 000 $ en vue de permettre à un organisme à but non lucratif d’acquérir et de rénover une salle de théâtre. Cet organisme avait consenti à la municipalité une hypothèque indiquant le montant de capital et, pour ce qui était des dates et de la période de paiement, avait fait référence à une annexe qui y était jointe. Cette annexe indiquait que l’hypothèque était consentie à titre de garantie accessoire à l’égard d’un accord d’exploitation qui, à son tour, prescrivait que tout défaut aux termes de cet accord était également un défaut aux termes de l’hypothèque, auquel cas le bien hypothéqué reviendrait à la municipalité. La Cour a conclu que même s’il n’y avait pas de prêt proprement dit, il existait une dette [traduction] « […] créée par la condition imposée par la subvention » et que [traduction] « la Ville avait garanti l’acquittement de la dette par l’hypothèque en sa faveur ainsi que par les dispositions de contrôle financier énoncées dans l’accord d’exploitation » (au paragraphe 60). De plus, dans l’affaire Webster et al c Garnet Lane Developments Ltd et al (1989), 70 OR (2d) 65 (HC), un bien hypothéqué garantissait à la fois le paiement d’argent, l’exécution du transfert d’un lot à bâtir ainsi que la construction, sur ce dernier, d’une habitation.

 

[74]           En l’espèce, la dette potentielle a été créée par le droit aux avances qui ne serait acquis qu’au moment de la livraison. Cette dette aurait été acquittée par la livraison du navire. Comme cela n’a pas eu lieu, et comme les dispositions du contrat de construction qui auraient par ailleurs régi les parties en cas de défaut ne s’appliquent pas dans ces circonstances, la dette s’est concrétisée et on l’aurait acquittée en remboursant les avances, au sujet desquelles les deux parties tenaient des comptes.

 

[75]           Je signale aussi l’ouvrage de Graeme Bowtle et Kevin McGuinness intitulé The Law of Ship Mortgages (Grande-Bretagne : Informa Law, 2001, à la p. 37), qui définit une hypothèque comme suit :

[traduction] Il faut aujourd’hui la considérer comme une forme de garantie créée en vertu d’un contrat qui confère un droit sur le bien qu’elle vise […]. Il est annulé par l’exécution d’une obligation convenue – il s’agit habituellement, mais pas nécessairement, du paiement d’une dette […].

 

[76]           C’est donc dire que, dans ces circonstances, l’hypothèque de constructeur aurait été annulée quand Worldspan se serait acquittée de son obligation, aux termes du contrat de construction, de livrer le navire ou, à défaut de cela, en remboursant les avances.

 

Les avances en tant que fonds

[77]           Une autre raison que le protonotaire a invoquée pour déterminer que les avances ne constituaient pas un prêt est que les parties envisageaient clairement que toutes les sommes avancées pour la construction du navire seraient utilisées à cette fin et ne seraient pas constituées en un fonds.

 

[78]           Comme le soutiennent Comerica et M. Sargeant, un prêt a pour but de permettre à l’emprunteur de dépenser les fonds prêtés. Il peut aussi avoir pour but de permettre à l’emprunteur d’avancer les fonds à un tiers en vue de réaliser l’objectif du prêt. Une hypothèque qui grève un navire peut servir à financer la construction de ce dernier (Gold, précité, à la page 242), une situation qui n’est pas unique ou étrangère aux pratiques commerciales habituelles. Comme l’a indiqué Curtis, précité, aux pages 40 et 41 :

[traduction] Dans la plupart des projets de construction navale, la principale source de financement dont dispose le constructeur réside dans les versements échelonnés, avant livraison, du prix contractuel que l’acheteur doit payer. En plus d’aider le constructeur à acquitter les frais de construction, la pratique consistant à exiger de l’acheteur qu’il paie le prix contractuel par versements éhelonnés l’amène à prendre un engagement financier de plus en plus important à l’égard du projet […].

 

[79]           Un acompte de 1 000 000 $ était exigé à la signature du contrat de construction, et le constructeur n’était nullement tenu de commencer les travaux de construction avant d’avoir reçu cette somme. Par la suite, il y avait des paiements mensuels à verser. Chacun de ces paiements devait couvrir les dépenses du constructeur du mois précédent, et tous les paiements de cette nature que demandait le constructeur étaient versés par le propriétaire, sous réserve d’une vérification de la part de ce dernier (alinéa 4.3 a)). Le dixième jour ouvrable après chaque mois, le constructeur était tenu de remettre au propriétaire, pour vérification et approbation, un certificat de réclamation faisant état des dépenses du mois précédent, et accompagné de toutes les factures pertinentes et de tous les autres documents justificatifs applicables.

 

[80]           Le constructeur devait également fournir les renseignements et les documents additionnels dont le propriétaire avait besoin pour vérifier le paiement demandé dans le certificat de réclamation (alinéa 4.2 c)). Les sommes demandées à juste titre étaient à payer avant le dernier jour du mois dans lequel le propriétaire recevait le certificat. L’utilisation prévue de ces paiements était clairement indiquée : [traduction] « [i]l est entendu que les modalités qui précèdent visent à assurer des rentrées de fonds positives et à activer les paiements destinés au constructeur […] » (alinéa 4.3 e)).

 

[81]           S’il fallait que les fonds avancés ne puissent pas servir au but visé, soit la construction d’un navire, et doivent plutôt être mis de côté en vue de rembourser les avances, cela donnerait lieu à une absurdité sur le plan commercial (Toronto (Ville) c WH Hotel Ltd, [1966] RCS 434 [WH Hotel]; Salah, précité, au paragraphe 16). C’est donc dire que le protonotaire a commis une erreur en concluant que les avances ne constituaient pas un prêt parce que les sommes versées pour la construction du navire seraient utilisées dans le cadre de la construction de ce dernier et ne seraient pas constituées en un fonds.

 

La preuve de l’existence d’un compte courant

[82]           Le protonotaire a également conclu qu’il n’existait aucune preuve qu’un compte courant avait été créé aux termes du contrat de construction; ce dernier permettait plutôt à Worldspan de se servir des avances pour payer ses frais de construction. Cela indiquait, là aussi, que les parties n’envisageaient pas que les fonds avancés constituent un prêt.

 

[83]           Comerica est d’avis que les avances mentionnées à l’article 4.1 du contrat de construction et à garantir aux termes de l’article 12.1 sont manifestement les sommes d’argent qui constituent le compte courant auquel il est fait référence dans l’hypothèque de constructeur, et qu’il y avait une preuve devant le protonotaire que les parties avaient tenu un compte pour les avances de M. Sargeant. De plus, un « compte courant » est un terme qu’il convient d’interpréter de manière large. Offshore soutient que le fait d’assurer le suivi de ces sommes ne crée ou n’implique pas une obligation de les rembourser. Le suivi des paiements de M. Sargeant avait pour but de déterminer ce que M. Sargeant devait, et non ce qui lui était dû.

 

[84]           Les conditions du contrat de construction envisageaient manifestement que les paiements mensuels demandés par Worldspan pour supporter les frais de construction, et payés par les avances de M. Sargeant, feraient l’objet d’une vérification et que Worldspan était tenue de conserver des registres appropriés à cet égard (alinéa 4.3 a)) et de soumettre à M. Sargeant, pour vérification et approbation, un certificat de réclamation exposant et justifiant les dépenses mensuelles demandées (alinéas 4.3 c) et d)). Cette mesure permettait de vérifier ce que Worldspan dépensait chaque mois et, partant, ce que M. Sargeant devait. Cela garantissait également que les montants que Worldspan demandait étaient fondés. De plus, cela permettait aux deux parties de déterminer, chaque mois, le coût total des travaux de construction accomplis, un fait qui était important dans le contexte de tout dépassement du prix d’acquisition estimatif et des droits de résiliation connexes (articles 4.1 et 4.2).

 

[85]           Comerica fait référence à l’affidavit de Cynthia Jones, daté du 7 octobre 2011, qui avait été soumis au protonotaire comme preuve de l’existence d’un compte courant. Était joint à cet affidavit l’accusé de réception et consentement du constructeur par lequel, d’une part, Worldspan consentait à la cession du contrat de construction de navire et, d’autre part, M. Sargeant cédait [traduction] « la totalité de ses intérêts bénéficiaires ainsi que la totalité de ses avantages, droits et titres (mais non ses obligations) afférents au contrat de construction de navire ». Dans ce document, Worldspan confirmait qu’à la date en question M. Sargeant avait payé la somme de  [traduction] « […] 11 131 192,04 $, représentant l’acompte et tous les paiements présentement dus à l’égard du prix d’acquisition final aux termes de l’article 4 du contrat de construction de navire », que les [traduction] « montants actuellement dus » à Worldspan, relativement aux factures émises mais non encore réglées, s’élevaient à 1 884 187,88 $ et que le coût d’achèvement estimatif était de 6 516 374,08 $.

 

[86]           Comerica fait aussi valoir que le protonotaire avait en main une preuve de l’existence d’un compte courant, dans le cadre de deux autres affidavits. Le premier était celui de Michel Nesbitt, un comptable agréé dont Worldspan avait retenu les services, qui indiquait les montants payés et non payés selon les certificats de réclamation. Le second affidavit était celui de M. Sargeant. La pièce E jointe à cet affidavit est une feuille de calcul qui résume les certificats de réclamation émis par Worldspan ainsi que les paiements, totalisant 20 651 924,05 $, qui ont été versés à Worldspan entre les mois de mars 2007 et d’avril 2010. Dans chacun des exemples qui précèdent, fait remarquer Comerica, les montants affectés ou réclamés et payés au moyen des certificats de réclamation constituaient les avances dont le droit à celles-ci n’était pas acquis.

 

[87]           Comerica soutient également que, dans une hypothèque de navire, un compte courant doit être interprété de manière large et il prévoit des avances futures (Edgar Gold, Aldo Chircop et Hugh Kindred, Essentials of Canadian Maritime Law (Toronto : Irwin Law, 2003) à la page 246 [Gold]). De plus, d’après Comerica, le protonotaire n’a pas tenu compte de son observation selon laquelle un document de garantie, consistant simplement en une hypothèque de navire en forme légale, sera interprété et exécuté conformément aux principes de common law portant sur les hypothèques de navire et aux dispositions des lois applicables (Royal Bank of Scotland c Golden Trinity (Navire), 2004 CF 795, au paragraphe 20 [Royal Bank of Scotland]), ou qu’une hypothèque se présentant sous la forme d’un compte courant peut tout englober, y compris les fonds utilisés dans des avances (Governor and Company of the Bank of Scotland c Nel (Le), [2001] 1 CF 408, aux paragraphes 20 à 22 [Le Nel]). Offshore soutient qu’une hypothèque sous forme de compte courant garantit une obligation qui n’est pas créée par l’hypothèque et qu’elle ne peut pas garantir des avances.

 

[88]           À mon sens, la décision Le  Nel, précitée, est utile pour comprendre ce que sont les hypothèques sous forme de compte courant. Dans cette affaire, le protonotaire Hargrave en a fait la description suivante :

[20]      J’examinerai le cas échéant d’autres conditions pertinentes de la garantie que la banque détient sur Le Nel et sur les autres navires en vertu de l’hypothèque grevant la flotte. Toutefois, je ferai ici remarquer qu’il s’agit d’une hypothèque sous la forme d’un compte courant, soit un document qui peut servir de garantie générale. De l’avis de la Bank of Scotland, l’hypothèque garantit le prêt initial, le compte courant existant entre la Bank of Scotland et le propriétaire de la flotte dont faisait partie Le Nel ainsi que les intérêts. L’hypothèque relative au compte courant dont Le Nel est grevé s’applique à première vue à une vaste gamme de créances, y compris les avances que la Bank of Scotland a consenties au fil du temps au propriétaire ou pour le compte du propriétaire. Selon le deuxième paragraphe de l’acte hypothécaire, l’hypothèque garantit le paiement de :

 

[traduction] […] toutes les sommes qui à l’heure actuelle sont dues au créancier hypothécaire sur le compte courant, y compris toutes les sommes qui sont dues au créancier hypothécaire en vertu du contrat de prêt et de l’acte d’engagement ou qui deviendront dues, au titre du principal et des intérêts ou à quelque autre titre, ainsi que les frais, charges, dépenses et autres sommes liées à la création, à la préservation, au maintien, à la protection, à la réalisation ou à une tentative de réalisation de la présente garantie [. . .]

 

[21]      Cette conception large de l’étendue de la garantie fournie par une hypothèque relative à un compte courant est non seulement conforme à la pratique des avocats spécialisés en droit maritime et à l’intention des parties, les opérations conclues entre la Bank of Scotland et les propriétaires de la flotte grevée d’une hypothèque étant considérées dans leur ensemble, mais elle correspond aussi à l’avis exprimé par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’arrêt Cleveland v. Boak et al. (1906), 39 N.S.R. 39, dont deux passages pertinents sont ci-après cités [aux pages 43 à 45]:

 

[traduction] La partie demanderesse soutient que, selon le libellé des attendus, l’hypothèque visait à garantir « les sommes avancées et devant être avancées à des fins liées à la navigation et au commerce » et qu’elle n’était pas destinée à s’appliquer aux approvisionnements fournis par la partie défenderesse, et ne s’applique pas à pareils approvisionnements, ou aux approvisionnements fournis à la partie demanderesse que la partie défenderesse a obtenus d’autres commerçants. Même si l’acte hypothécaire est peut-être mal rédigé, il est évident, compte tenu de l’opération conclue entre les parties dans son ensemble, que la demanderesse avait en fait l’intention d’accorder à la partie défenderesse une garantie sur son navire à l’égard du compte courant, ce qui comprenait les sommes consenties et les approvisionnements fournis, quels qu’ils soient.

 

[...]

 

On ne saurait soutenir que l’expression « compte courant » s’entendait uniquement des sommes avancées. Telle qu’elle était employée, cette expression se rapportait clairement aux sommes consenties à titre d’avances ainsi qu’aux articles qui chaque année étaient et avaient été imputés aux comptes courants, qui devaient tous être réglés le 31 décembre de chaque année. En interprétant un instrument comme celui-ci, il faut tenir compte de la nature et de la suite des opérations conclues entre les parties.

 

[22]      Compte tenu de la nature générale d’une hypothèque se rapportant à un compte courant ainsi que des faits de la présente espèce, j’ai conclu que les parties pertinentes du compte de prêts, le compte courant, y compris les paiements effectués par suite de la saisie afin de permettre que les navires de la flotte continuent à être exploités, ainsi que les intérêts sont garantis par l’hypothèque relative au compte courant grevant la flotte, y compris Le Nel. Il a été soutenu, et je n’accorderais pas à ces arguments une plus grande importance, que la garantie hypothécaire était en soi invalide ou enregistrée d’une façon irrégulière. Compte tenu des facteurs applicables et des circonstances dans leur ensemble, il n’y a pas réellement lieu de douter de la validité et de l’efficacité de la garantie hypothécaire. Je traiterai maintenant des sommes qui seraient garanties, ce qui est une question plus complexe.

 

[89]           Le principe d’interprétation contractuelle applicable est qu’il y a lieu de déterminer l’intention des parties en se fondant sur l’ensemble des documents pertinents (WH Hotel, précitée). En l’espèce, cette intention, comme il est indiqué à l’article 4.1, était que les paiements versés par M. Sargeant seraient [traduction] « décomptés » du prix d’acquisition final, mais qu’ils seraient de la nature d’avances et que Worldspan n’acquerrait pas le droit à ces paiements avant la livraison et l’acceptation du navire. Selon l’article 12 du contrat de construction, Worldspan a accordé à M. Sargeant une garantie de rang prioritaire sur le navire de façon à garantir toutes les sommes avancées ou payées au constructeur en vertu du contrat de construction. Les sommes « avancées » étaient les paiements mensuels. Il s’ensuit donc que ces sommes constituaient le compte courant garanti par l’hypothèque de constructeur, même en l’absence d’une mention explicite d’un tel compte dans le contrat de construction, car la seule explication raisonnable était que les parties entendaient que le compte courant soit constitué des avances. Comme cela été le cas dans l’affaire Cleveland v Boak citée dans la décision Le Nel, précitée, selon moi, pour les avances, Worldspan entendait accorder à M. Sargeant une garantie sur le navire au moyen de l’hypothèque de constructeur. On ne peut pas non plus faire valoir de manière raisonnable qu’un compte courant n’englobe pas les avances futures (voir aussi Gold, précité, à la page 246).

 

[90]           Offshore soutient qu’il existe une explication commerciale pour laquelle le droit aux sommes avancées n’a pas été acquis, à part une obligation implicite de remboursement : Worldspan conservait le titre de propriété du navire, qui était destiné à l’exportation, parce que s’il y avait acquisition du droit aux paiements avant la livraison, il aurait fallu dans ce cas que M. Sargeant paie la taxe de vente (Loi sur la taxe d’accise, LRC, 1985, c E‑15, paragraphe 168(9)). C’est peut-être bien le cas, mais aucun affidavit ni aucune autre preuve n’ont été soumis au protonotaire à l’appui de cet argument.

 

Les détails de l’hypothèque de constructeur

[91]           Un autre élément du raisonnement du protonotaire reposait sur son opinion selon laquelle on exigeait dans le formulaire d’hypothèque type des précisions sur l’opération qui permettaient de déterminer le montant à payer et les « délais de paiement », et ni l’hypothèque de constructeur ni le contrat de construction ne contenaient de telles précisions.

 

[92]           Dans l’arrêt Hoban Construction c Alexander, 2012 BBCA 75, au paragraphe 47, la Cour a conclu que les principes d’interprétation contractuelle exigent que l’on détermine si le contrat fait état des intentions des parties quant à [traduction] « l’essentiel de leur entente ». Dans cette affaire, la Cour a conclu que le juge de première instance, lors de l’interprétation des documents contractuels, n’avait pas utilisé les principes applicables et avait plutôt insisté sur des questions de forme pour miner le caractère exécutoire des documents, plutôt que d’essayer d’en déterminer le sens. La Cour a ajouté que les lacunes, telles qu’une mention inexacte du type d’actions et l’absence d’une date d’achèvement, étaient de peu d’importance pour un examen du caractère exécutoire des contrats, sauf s’ils rendaient les conditions essentielles des contrats à ce point vagues et incertaines qu’elles étaient impossibles à interpréter. Tant que l’objet du contrat était clair, il importait peu que les actions n’aient pas été décrites correctement.

 

[93]           La Cour a par ailleurs déclaré :

[traduction
[55]      Le juge de première instance n’a pas fait tous les efforts qu’il aurait pus pour donner effet aux intentions des parties en examinant le fond, et non simplement la forme. Au lieu d’essayer de dégager un sens de la manière dont les parties avaient exprimé leur intention contractuelle comme l’exige la jurisprudence, le juge a interprété le document en recourant à une approche par trop formaliste et littérale […].

 

[94]           En l’espèce, l’hypothèque de constructeur est un contrat type et il comporte des instructions qui obligent l’utilisateur à indiquer qu’il existe un compte courant entre le débiteur hypothécaire et le créancier hypothécaire et à décrire la nature de l’opération, ce qui inclut la manière de déterminer le montant du principal et des intérêts dus à date fixe, ainsi que le mode et la date du paiement. Il a été inscrit en réponse qu’il existe un compte courant aux termes du contrat de construction, daté du 29 février 2008, entre le créancier hypothécaire et le débiteur hypothécaire, et que ce contrat précise les obligations ainsi garanties. Dans ce formulaire, le débiteur hypothécaire convient ensuite de payer les sommes dues sur la garantie aux dates et de la manière indiquées et il hypothèque les parts relatives au navire de façon à mieux garantir les paiements.

 

[95]           À mon avis, l’hypothèque de constructeur n’exigeait pas plus de détails que ceux qui ont été fournis : il existait un compte courant et le contrat de construction spécifiait les obligations que garantissait l’hypothèque de constructeur. Il n’était pas nécessaire de préciser le montant dû ou la « date du paiement », comme l’a conclu le protonotaire; cela pouvait plutôt se faire par renvoi à un document sous-jacent. À cet égard, il y avait suffisamment de détails dans le contrat de construction, par la voie du certificat de réclamation et du processus de vérification prescrit, pour déterminer le montant potentiellement dû à une date quelconque, soit le solde des avances. Comme il a été mentionné plus tôt, si l’on applique les principes d’interprétation contractuelle, les parties entendaient accorder à M. Sargeant une garantie sur le navire, sous la forme de l’hypothèque de constructeur, pour ce qui était du droit non acquis aux avances.

 

[96]           De plus, dans la décision Neves c Kristina Logos (2001), 220 FTR 15 (1re instance), modifiée pour un motif différent par 2002 CAF 502, aucun taux d’intérêt n’avait été inclus dans le formulaire d’hypothèque prescrit par la loi; cependant, pour éviter que la détermination de l’ordre de priorité mène à un enrichissement sans cause, la Cour en avait appliqué un. Dans cette situation-là, dans le contexte général de l’opération ainsi que de l’interprétation du contrat de construction et de l’hypothèque de constructeur, toute absence de détails était une question de forme plutôt que de fond.

 

[97]           Il est également difficile de voir en quoi, dans la présente affaire, l’hypothèque de constructeur n’avait que pour seul objet de garantir la livraison du navire, comme Offshore l’a fait valoir. Le contrat de construction indique expressément qu’une garantie de rang prioritaire sur le navire, comme le confirmait l’hypothèque de constructeur, avait pour objet de [traduction] « garantir les sommes qu’il [le propriétaire] avance ou verse au constructeur dans le cadre du présent contrat ». Il ne dit pas qu’elle avait pour objet de garantir la livraison du navire. De plus, Worldspan était tenue, de par les dispositions du contrat de construction, de livrer le navire. Si elle ne le faisait pas, pour cause de défaut ou de perte totale, la suite était alors prévue par les dispositions du contrat de construction. Il est difficile d’imaginer que Worldspan déciderait simplement, en violation des obligations que lui imposait le contrat de construction, de conserver le navire une fois achevé ou de le vendre à une tierce partie, et que l’hypothèque de constructeur était destinée à éviter une telle situation et, plutôt, à [traduction] « garantir la livraison » d’une certaine façon. Et même si l’on souscrivait à la logique de Worldspan, si c’était là l’intention visée, celle-ci aurait échoué parce que, si l’hypothèque de constructeur ne garantit pas une dette, alors elle est essentiellement inopérante, soit pour garantir la livraison, soit autrement. Le libellé du contrat de construction et de l’hypothèque de constructeur était peut-être bien maladroit (décision Le Nel, précitée), mais je ne suis pas disposée à conclure que cette dernière était inopérante.

 

[98]           Quant à l’argument selon lequel la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada ne permet à un débiteur hypothécaire que de vendre un navire en cas de défaut de l’hypothèque et qu’il n’existe aucune obligation légale de remboursement, il paraît évident que la vente du navire dans une telle situation a pour but de rembourser la dette hypothécaire, quelle que soit la manière dont elle a été avancée. De plus les parties, dans le cadre d’un contrat passé entre elles, pourraient prévoir implicitement ou explicitement des modalités de remboursement – et c’est ce qu’elles font habituellement. Selon moi, cet argument est infondé.

 

[99]           Compte tenu de la matrice factuelle, c’est l’explication de Comerica qui est la plus plausible : l’hypothèque de constructeur avait pour objet de garantir les droits prioritaires de M. Sargeant sur le navire par rapport à des tiers dans des circonstances comme celles-ci, où les dispositions du contrat de construction ne régissent pas la manière de disposer du navire entre Worldspan et M. Sargeant parce qu’il a été saisi par des tiers et qu’il sera vendu par la Cour.

 

[100]       En conclusion, je suis d’avis que le fait que le protonotaire n’a pas appliqué les principes d’interprétation contractuelle de façon à déterminer l’intention véritable des parties en prenant pour base l’ensemble de l’opération et la matrice factuelle pertinente, et d’une manière qui ne donnerait pas lieu à une absurdité sur le plan commercial, relativement à l’absence d’un « fonds » créé en vue de rembourser l’hypothèque de constructeur, était une erreur manifeste et dominante qui a amené à conclure erronément que l’hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ou aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison. Ayant interprété le contexte général dans lequel s’inscrit le contrat de construction, je conclus que l’hypothèque de constructeur garantissait le droit non acquis aux avances qui étaient de la nature d’un prêt ou d’une dette potentielle, ainsi qu’une obligation de remboursement en cas de non‑livraison, dans les circonstances décrites dans la présente décision.

 

3)         Le protonotaire a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de la demande subsidiaire de M. Sargeant visée à l’alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales?

 

[101]       M. Sargeant soutient que le protonotaire a omis de prendre en considération les principes juridiques pertinents et de les appliquer à sa demande subsidiaire, visée à l’alinéa 22(2)n).

 

[102]       Dans sa décision, le protonotaire a déclaré que pour les motifs indiqués aux paragraphes 60 à 64 des observations écrites supplémentaires d’Offshore, observations qu’il a fait siennes, l’argument de M. Sargeant selon lequel il pouvait faire valoir l’existence d’une hypothèque en equity ou d’une demande visée à l’alinéa 22(2)n) était « de nulle importance ».

 

[103]       Ces observations supplémentaires sont les suivantes :

[traduction

60.             Une hypothèque en equity est un instrument qui ne transfère pas la propriété légale du bien au créancier hypothécaire, mais qui crée [seulement] en equity une charge sur ce bien. [Helmey c. Helmy 2000 CanLII 22452 (CS Ont.), au paragraphe 104.]

 

61.             Si l’article 12.1 du contrat de construction a bel et bien pour objet de créer une hypothèque en equity, cela nous ramène dans ce cas à la même question : quelle est l’obligation garantie?

 

62.             Dans le cas présent, une hypothèque en equity ne peut avoir pour objet que de garantir les obligations du constructeur jusqu’à la livraison du navire, mais elle ne crée à aucun moment une obligation de rembourser les avances car le contrat de construction n’impose pas une telle obligation au constructeur.

 

63.             N’importe quelle hypothèque en equity sera assujettie aux conditions du contrat de construction. Aux termes de l’article 12.1, toute garantie sera donc subordonnée aux obligations qu’impose le contrat de construction à M. Sargeant envers Worldspan.

 

64.             Une fois que le navire est livré conformément aux conditions du contrat de construction, cette garantie cesse d’exister. Subsidiairement, si le navire est vendu selon les conditions du contrat de construction, cette garantie cesse d’exister, et la seule obligation envers M. Sargeant est le paiement (le cas échéant) du produit de la vente (à titre d’obligation de nature personnelle).

 

[Non souligné dans l’original.]

D’après ces observations, la décision ne traite donc pas de la demande subsidiaire visée à l’alinéa 22(2)n), pas plus qu’elle n’explique pourquoi cela était inutile.

 

[104]       M. Sargeant soutient que l’alinéa 22(2)n) établit que toute demande découlant d’un contrat de construction, de réparation ou d’équipement d’un navire est du ressort de la Cour. L’article 43 de la Loi sur les Cours fédérales, qui précise à quel moment la compétence que confère l’article 22 peut être exercée en matière réelle, confirme qu’une demande tombant sous le coup de l’alinéa 22(2)n) peut être exercée en matière réelle. La réclamation de M. Sargeant à l’encontre de Worldspan découle du contrat de construction et, de ce fait, elle relève de la compétence maritime de la Cour. Worldspan n’est pas parvenue à achever la construction du navire, en violation des obligations que lui imposait le contrat de construction, comme le confirme l’affidavit du 13 octobre 2011 de M. Sargeant.

 

[105]       Offshore soutient que les affidavits déposés pour le compte de M. Sargeant et de Comerica à la suite de l’ordonnance relative à la procédure de réclamation de la Cour fédérale indiquaient que les frais de construction avaient augmenté, ce qui avait mené à la résiliation du contrat, et que M. Sargeant et/ou Comerica avaient avancé la somme de 21 millions pour les travaux de construction, garantie par une hypothèque. Aucune demande de dommages-intérêts pour manquement au contrat de construction n’a été déposée, et aucun détail n’a été fourni sur le manquement. Aucune demande de livraison, possession ou propriété n’a été déposée. C’est donc dire que toute demande présentée en vertu de l’alinéa 22(2)n) est prescrite par l’ordonnance relative à la procédure de réclamation, à l’exception du fait que la somme de 21 millions de dollars a été avancée et qu’il s’agit d’une obligation de dette que Worldspan doit rembourser. L’alinéa 22(2)n) confère à la Cour la compétence pour traiter de certaines questions, mais il ne crée pas de cause d’action. Le protonotaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que les demandes fondées sur une hypothèque en equity ou l’alinéa 22(2)n) sont « de nulle importance ».

 

[106]       Il ne fait aucun doute que la Cour a compétence sur les demandes découlant d’un contrat de construction de navire :

22. …

 

Compétence maritime

 

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

 

 

n) une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d’équipement d’un navire;

22. …

 

Maritime jurisdiction

 

(2) Without limiting the generality of the subsection (1), for greater certainty, the Federal Court has jurisdiction with respect to the following:

 

(n) any claim arising out of a contract relating to the construction, repair or equipping of a ship;

 

 

(Voir R c Cdn Vickers Ltd. [1980] 1 CF 266 (CA) [Cdn Vickers]; Canadian General Electric Co c La Reine, [1979] 2 CF 410 (CA); Comfact Corporation c Navire « Hull 171 », 2012 CF 1161; FC Yachts, précitée).

 

[107]       Il ne fait aucun doute non plus que la compétence que confère l’alinéa 22(2)n) peut être exercée en matière personnelle et en matière réelle :

Compétence en matière personnelle

 

43. (1) Sous réserve du paragraphe (4), la Cour fédérale peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière personnelle dans tous les cas.

 

Compétence en matière réelle

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), elle peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d’autres biens, ou sur le produit de leur vente consigné au tribunal.

 

Jurisdiction in personam

 

 

43. (1) Subject to subsection (4), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 may in all cases be exercised in personam.

 

 

Jurisdiction in rem

 

(2) Subject to subsection (3), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 may be exercised in rem against the ship, aircraft or other property that is the subject of the action, or against any proceeds from its sale that have been paid into court.

 

 

[108]       Il est vrai aussi que ces dispositions on trait à la compétence qu’a la Cour pour traiter de cette question, mais qu’elles ne créent pas de cause d’action.

 

[109]       L’affidavit de M. Sargeant, daté du 13 octobre 2011, indique qu’il étaye la demande que dépose ce dernier à l’encontre du navire, laquelle [traduction] « découle de paiements qui ont été faits par moi ou pour mon compte, selon mes directives et pour mon bénéfice au propriétaire légal du navire, la défenderesse Worldspan Marine Inc., d’un montant total de 20 965 924,05 $ […] en vue de la construction du navire, ainsi que de la garantie sur le navire que Worldspan m’a accordée à l’égard de ces paiements, le tout décrit plus en détail ci-après. » L’affidavit décrit ensuite le contrat de construction, y compris le fait que Worldspan a entrepris de concevoir, de construire, d’équiper, de mettre à l’eau et d’achever le navire, ainsi que de le vendre et de le livrer à M. Sargeant, de même que la garantie accordée aux termes du contrat de construction. Le reste de l’affidavit décrit les paiements versés en rapport avec la construction du navire.

 

[110]       Il est vrai que l’affidavit ne fait pas valoir de demande de [traduction] « livraison, possession ou propriété » comme le prétend Offshore, mais, à mon sens, cela n’est pas obligatoire pour étayer une demande déposée en vertu de l’alinéa 22(2)n), qui autorise toute demande découlant d’un contrat lié à la construction d’un navire. En l’espèce, la demande vise le recouvrement des avances faites en vue de la construction du navire aux termes du contrat de construction de navire. À mon avis, il s’agit là d’un motif suffisant pour fonder une demande en matière réelle déposée en vertu de l’alinéa 22(2)n). La Cour a confirmé la compétence que lui confère cette disposition sur les demandes découlant d’un contrat de construction de navire (demandes Cdn Vickers et FC Yachts, précitées).

 

[111]       Comme le protonotaire n’a pas motivé son refus de prendre en considération la demande subsidiaire fondée sur l’alinéa 22(2)n), il est impossible de déterminer s’il a commis une erreur dans son évaluation. Cependant, le fait de ne pas traiter de la question est une erreur de droit, qui est soumise à la norme de la décision correcte. Comme la norme de contrôle qui s’applique aux pures questions de droit est celle de la décision correcte, il est loisible à un tribunal d’appel de remplacer l’opinion du juge de première instance par la sienne propre (Housen, précitée). Cela étant, comme la position subsidiaire est fondée, selon moi, il y a lieu d’examiner la position de M. Sargeant et de Comerica à l’audience sur l’ordre de priorité.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.             L’appel est accueilli.

2.             L’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 5 mars 2013, qui conclut que l’hypothèque de constructeur accordée à Harry Sargeant III, à l’encontre du navire défendeur « QE014226C010 », aux termes d’un accord de construction de navire passé entre Harry Sargeant III et la défenderesse Worldspan Marine Inc. en date du 29 février 2008, ne crée aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’est pour en garantir la livraison, est infirmée.

3.             Les dépens liés à la requête seront payés à chacun des appelants, M. Sargeant et Comerica, dans le cadre de la présente requête, par la défenderesse Offshore, soit la somme de 1 500 $, débours et taxes compris.

 

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Judge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1226-10

 

INTITULÉ :                                      OFFSHORE INTERIORS INC. c WORLDSPAN MARINE INC., CRESCENT CUSTOM YACHTS INC., LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « QE014226C010 » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR CE NAVIRE, AINSI QUE LE NAVIRE « E014226C010 » ET WOLRIDGE MAHON LIMITED, EN SA QUALITÉ D’AGENT DÉSIGNÉ POUR LA CONSTRUCTION DU NAVIRE DÉFENDEUR « QE014226C010 », HARRY SARGEANT III, MOHAMMED ANWAR FARID AL-SALEH, ET COMERICA BANK

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 6 et 7 mai 2013

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 décembre 2013

 

COMPARUTIONS :

W. Gary Wharton

 

POUR LA DEMANDERESSE
OFFSHORE INTERIORS INC.

 

John Bromley

Kieran Siddall

 

POUR L’INTERVENANT
HARRY SARGEANT III

 

John McLean

Scott Andersen

 

POUR L’INTERVENANTE
COMERICA BANK

 

Dionysios Rossi

Graham Walker

 

POUR L’INTERVENANT
MOHAMMED ANWAR FARID AL-SALEH

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE
OFFSHORE INTERIORS INC.

 

Bull Housser LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’INTERVENANT
HARRY SARGEANT III

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’INTERVENANTE
COMERICA BANK

 

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’INTERVENANT
MOHAMMED ANWAR FARID AL-SALEH

 

 

 

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