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Date : 20140114

Dossier : T‑2242‑12

Référence : 2014 CF 37

 

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2014

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

 

BRIDGESTONE CORPORATION

 

 

 

demanderesse

 

ET

 

 

 

CAMPAGNOLO S.R.L.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Notre Cour est saisie d’un appel, interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi), d’une décision rendue le 26 septembre 2012 par un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission). La Commission a rejeté les motifs d’opposition avancés par la demanderesse (Bridgestone) et a autorisé l’enregistrement de la marque de commerce par la défenderesse (Campagnolo).

 

I.                   Faits et procédures

[2]               Bridgestone Corporation est une multinationale japonaise spécialisée dans la fabrication, connue surtout pour ses produits dans le secteur de l’automobile. Elle ne fabrique pas de produits pour vélo destinés à la vente au Canada.

 

[3]               Campagnolo est un fabricant italien de pièces et d’accessoires pour vélo de course en sentier et sur route, comme les freins et les braquets.

 

[4]               Potenza est le nom d’une ville du sud de l’Italie. Cette ville est la capitale de la province de Potenza et de la région de Basilicata.

 

[5]               Le 18 avril 2007, Campagnolo a présenté une demande d’enregistrement au Canada (no 1343755) pour la marque de commerce POTENZA (la marque de commerce POTENZA de Campagnolo) fondée sur l’emploi projeté au Canada en liaison avec les marchandises suivantes :

Pièces et accessoires de vélo, nommément pédales, déclenches rapides pour moyeu de roue et moyeux comportant la déclenche susmentionnés, dérailleurs arrière, dérailleurs avant, manivelles, plateaux et pédaliers, manivelles et roues dentées, pignons, cassettes, chaînes de transmission, entraînements ou mécanismes de commande pour dérailleurs avant ou dérailleurs arrière (mécaniques et électroniques), guide‑câbles, boutons et leviers de commande, axes et roulements pour manivelles et pour pédales, jeux de direction et paliers, douilles connexes, câbles et boîtiers, colliers de serrage, jeux de pédalier, ensembles de jeu de pédalier et ordinateurs de vélo pour détecter, surveiller et afficher les données sur le fonctionnement et le rendement, sauf le fonctionnement et le rendement des pneus, des freins, des roues, des jantes et des rayons.

 

La demande a été annoncée aux fins d’opposition le 17 février 2010.

 

[6]               Le 16 avril 2010, Bridgestone a produit une déclaration d’opposition à la demande de Campagnolo, suivant les alinéas 38(1)a), b), c) et d) de la Loi. Bridgestone fonde son opposition sur deux de ses marques de commerce : POTENZA (LMC268271), enregistrée le 16 avril 1982 et fondée sur l’emploi de celle-ci au Canada, depuis le 12 février 1982, en liaison avec des pneus, des tubes et des roues, et POTENZA RE92 (LMC380498), enregistrée le 22 février 1991 et fondée sur l’emploi, au Canada, en liaison avec des pneus et chambres à air depuis le 28 novembre 1988 [les marques de commerce Bridgestone POTENZA] .

 

[7]               Selon la déclaration d’opposition, la marque de commerce POTENZA de Campagnolo pose un risque de confusion avec les marques de commerce POTENZA de Bridgestone et, par conséquent, n’est pas enregistrable suivant les alinéas 12(1)d) et 16(3)a) de la Loi. Par sa déclaration d’opposition, Bridgestone soutient également que la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi.

 

[8]               La thèse de Bridgestone concernant la probabilité de confusion est fondée sur les facteurs recensés au paragraphe 6(5) de la Loi. Plus particulièrement, Bridgestone soutient qu’il existe une forte probabilité de confusion, compte tenu de la ressemblance entre les marques de commerce, le caractère distinctif inhérent des marques de commerce POTENZA de Bridgestone, la période pendant laquelle les marques de commerce POTENZA de Bridgestone ont été en usage et les similitudes entre les voies de commercialisation par lesquelles les marchandises pourraient être vendues.

 

[9]               Le 16 juillet 2010, Campagnolo a produit une contre‑déclaration à l’appui de sa demande d’enregistrement et en réponse à la déclaration d’opposition du 16 avril 2010.

 

[10]           Bridgestone a produit deux affidavits, l’un de la secrétaire du cabinet d’avocats (Mme Carla Edwards), l’autre du directeur de la propriété intellectuelle de Bridgestone (M. Eiji Mineki), ainsi que les copies certifiées conformes des marques de commerce POTENZA de Bridgestone.

 

[11]           Les pièces A à C jointes à l’affidavit de Mme Carla Edwards, consistent en des résultats d’une recherche effectuée sur le site Web de Canadian Tire au moyen des clés de recherche [traduction] « pneus de voiture », « pneus de vélo » et « accessoires pour vélo ». Les pièces D et E jointes à l’affidavit résultant d’une recherche effectuée sur le site Web de Costco Canada au moyen des clés de recherche [traduction] « accessoires pour vélo » et « pneus d’automobile ». Selon Bridgestone, il ressort de ces pièces que Canadian Tire et Costco vendent à la fois des pneus de voiture, des pneus de vélo et des accessoires pour vélo. Le décideur a accordé peu de poids à l’affidavit, au motif qu’il avait été souscrit par une secrétaire à l’emploi des avocats de Bridgestone et « qu’il intéresse directement la question de la probabilité de confusion entre les marques des parties et, plus particulièrement du recoupement des voies de commercialisation », en plus d’avoir une valeur probante limitée.

 

[12]           Monsieur Eiji Mineki, qui se trouve à Tokyo, affirme dans son affidavit que plusieurs versions des pneus d’automobile POTENZA ont été vendues au Canada depuis février 1982. De 2000 à 2010, Bridgestone a vendu 4 345 361 pneus de la marque POTENZA au Canada. De 1997 à 2010, plus de trois millions de pneus (soit 3 112 295) de la marque POTENZA RE92 ont été vendus au Canada. Depuis 1982, Bridgestone a dépensé plus de 64 000 $ en produits publicitaires (magazines) pour les marques POTENZA et POTENZA RE92.

 

[13]           Campagnolo a produit une contre‑déclaration le 19 juillet 2010 et, avec celle-ci, des affidavits du président de la Great Western Bicycle Company, M. Paul Haym, et du vice‑président de Cycles Marinoni Inc., M. Paolo Marinoni.

 

[14]           Great Western Bicycle Company se trouve à Vancouver. Il est distributeur de vélos et de pièces, d’accessoires, de vêtements et de lubrifiants pour vélo en provenance d’Europe et d’Amérique du Nord. Cette société est l’un des distributeurs des composantes pour vélo de course haut de gamme de Campagnolo depuis 1995. L’affidavit comprend des imprimés d’autres boutiques de vélos spécialisées et de magasins d’articles de sport haut de gamme à qui la société distribue ces produits.

 

[15]           Cycles Marinoni Inc. est une société québécoise en activité depuis 30 ans qui fabrique, distribue et vend au détail des vélos de course et des composantes connexes. Le déposant connaît très bien les produits de Campagnolo et les lieux où ils sont vendus au Canada, et l’industrie du vélo en général. Au Canada, les composantes haut de gamme pour vélo de course sont vendues exclusivement dans des boutiques de vélos spécialisées et dans des magasins d’articles de sport haut de gamme. On ne les retrouve pas dans les magasins où se vendent également des pièces pour véhicule motorisé.

 

[16]            Les affidavits de MM Marinoni et Haym portent que les produits de Campagnolo ne sont vendus que par des détaillants et des magasins d’articles de sports haut de gamme, et non par des magasins qui vendent des pièces pour véhicule motorisé.

 

[17]           Les déposants n’ont pas été contre-interrogés et la Commission n’a pas tenu d’audience.

 

[18]           Par les motifs qui suivent, je conclus que le présent appel doit être rejeté.

 

II.        Questions en litige

[19]           Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

A.    Les nouveaux éléments de preuve produits appellent‑ils l’application de la norme de contrôle de la décision correcte?

B.     La conclusion du registraire quant à l’absence de probabilité raisonnable de confusion était‑elle raisonnable?

 

III.       Norme de contrôle

[20]           La norme de contrôle applicable en matière d’appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi est celle de la décision raisonnable. Toutefois, si le juge conclut, après avoir examiné l’importance et la valeur probante des nouveaux éléments de preuve, qu’ils auraient pu avoir un effet déterminant sur la décision de la Commission, la norme de contrôle à suivre est celle de la décision correcte (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] ACF no 159, au paragraphe 51; Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd., 2006 CF 657, au paragraphe 10).

 

IV.       Analyse

A.     Les nouveaux éléments de preuve produits justifient‑ils l’application de la norme de contrôle de la décision correcte?

[21]           À l’appui de son appel, Bridgestone a produit les copies certifiées conformes d’autres marques de commerce, ainsi que quatre nouveaux affidavits, dont les auteurs sont Mme Cindy Shattler, M. Robert Gilpin, Mme Shantelle Garrick et M. Kazuto Maehara. Bridgestone soutient que ces éléments de preuve auraient eu un effet déterminant sur la décision de la Commission.

 

[22]           L’affidavit de Mme Cindy Shattler présente des éléments de preuve obtenus au moyen de recherches sur Internet et le relevé d’appels téléphoniques faits à des détaillants de vélos, illustrant que des accessoires et des composantes pour vélo sont vendus par une même société par les mêmes voies de commercialisation.

 

[23]           Campagnolo allègue que cet affidavit constitue du ouï‑dire irrecevable, et qu’il ne fait guère plus que d’affirmer qu’une société peut vendre à la fois des accessoires et des composantes pour vélo. Bridgestone soutient qu’il ne s’agit pas d’un témoignage d’opinion et qu’il ne porte sur aucune des questions controversées.

 

[24]           Je suis troublé par la position de Bridgestone, qui soutient d’une part, que cet affidavit constitue un élément de preuve important aux fins de la norme de contrôle, tout en soutenant, d’autre part, qu’il n’est ni matière à controverse ni suffisamment important aux fins de sa recevabilité. Bridgestone ne peut pas jouer sur les deux tableaux. En outre, lorsque la question lui a été posée, Bridgestone a été incapable d’expliquer pourquoi cet élément de preuve n’avait pas été présenté à la Commission.

 

[25]           Malgré ces incohérences, cet affidavit ne permet pas de répondre à la question de savoir si les produits pour automobile de Bridgestone portant les marques de commerce POTENZA de Bridgestone et les produits pour vélo de Campagnolo sont vendus par les mêmes voies de commercialisation. Par conséquent, je conclus que cet affidavit n’aurait pas eu d’effet déterminant sur la décision de la Commission.

 

[26]           L’affidavit de M. Robert Gilpin vise à illustrer que certaines chaînes de détaillants vendent à la fois des pièces et accessoires pour vélo et des produits pour automobile. Le déposant s’est rendu chez Canadian Tire et Walmart pour examiner leurs gammes de produits. Campagnolo soutient que cet élément de preuve, tout comme l’affidavit de Mme Shattler, aurait été peu susceptible d’avoir un effet déterminant sur la décision de la Commission en ce qui concerne les voies de commercialisation, étant donné qu’il ne fait état que de grandes chaînes de magasins de détail qui vendent à la fois des composantes pour automobile et pour vélo.

 

[27]           Je retiens la thèse de Campagnolo. Il ressort des témoignages de MM. Paul Haym et Paolo Marinoni rendus devant la Commission que la défenderesse vend des composantes pour vélo haut de gamme en liaison avec la marque de commerce POTENZA de Campagnolo, mais seulement dans les boutiques de vélo spécialisées et les magasins d’articles de sport haut de gamme. L’affidavit de M. Gilpin ne contredit pas ces témoignages; il n’aurait donc pas eu d’effet déterminant sur la décision du registraire.

 

[28]           L’affidavit de Mme Shantelle Garrick comprend des renseignements tirés du site Web de Michelin qui illustrent que celle-ci vend précisément des pneus de vélo et des pneus d’automobile, et qui permettent d’affirmer généralement que les sociétés de pneus peuvent vendre à la fois des pneus de vélo et des pneus d’automobile. Campagnolo soutient que ces renseignements peuvent être inadmissibles. Elle soutient qu’ils sont inadmissibles parce qu’on ne sait pas qui est l’employeur de la déposante et parce que les renseignements ont été obtenus au moyen d’un appel téléphonique au centre du service à la clientèle de Michelin et de la visite d’un seul site Web, alors que rien ne prouve que les Canadiens fréquentent ce site. Campagnolo soutient par ailleurs que même si l’affidavit était recevable, il ne permet pas d’établir si le fait pour une société de vendre à la fois des pneus d’automobile et des pneus de vélo est une pratique commerciale courante; si ces produits sont vendus par les mêmes voies de commercialisation; ni la manière dont il se rapporte à l’emploi projeté par Campagnolo de sa marque de commerce POTENZA et à l’emploi par Bridgestone de ses marques de commerce POTENZA en liaison avec des produits automobiles. Je conviens que l’affidavit ne fait que reprendre des éléments de preuve déjà produits devant la Commission. Par conséquent, il n’aurait pas eu d’effet déterminant sur la décision (Vivat Holdings Limited c Levi Strauss & Co (2005), 41 CPR (4th) 8 (CF 1re instance), au paragraphe 27).

 

[29]           Au paragraphe 30 de la décision, la Commission constate que même en présence d’éléments prouvant qu’il est pratique courante pour des détaillants de vendre à la fois des pneus de voiture et des accessoires pour vélo, « le type probable de commerce envisagé par la Requérante s’effectuerait auprès de boutiques de vélos spécialisées et de magasins d’articles de sport haut de gamme, lesquels sont peu susceptibles de vendre des pneus et des accessoires pour véhicules motorisés ».

 

[30]           Il ressort de l’affidavit de M. Kazuto Maehara que Bridgestone vend des pneus et des chambres à air pour motocyclettes au Canada portant les marques de commerce BATTLAX, EXEDRA et SPITFIRE. Il indique que la filiale japonaise de Bridgestone vend des composantes pour pneus de vélo et des accessoires pour vélo au Japon sous la marque de commerce ANCHOR. Bridgestone soutient qu’elle n’est pas limitée à la vente de pneus d’automobile en liaison avec ses marques de commerce POTENZA telles qu’elles sont enregistrées et qu’elle n’est pas limitée aux marchandises qu’elle vend actuellement au Canada.

 

[31]           Campagnolo soutient que ce témoignage ne fait que reprendre le contenu de l’affidavit de M. Eiji Mineki joint à la demande d’opposition. Elle soutient qu’il ne ressort nullement des éléments de preuve que Bridgestone vend des pneus ou des accessoires pour vélo au Canada portant les marques de commerce POTENZA au Canada.

 

[32]           À mon avis, l’affidavit de M. Kazuto Maehara n’ajoute rien d’une valeur suffisamment probante qui aurait eu un effet déterminant sur la décision de la Commission selon laquelle les parties vendent au Canada, des marchandises distinctes qui empruntent différentes voies de commercialisation ne se chevauchant pas.

 

[33]           Les autres éléments de preuve nouveaux de Bridgestone consistent en neuf enregistrements de marque de commerce certifiés (dont les marques de commerce POTENZA de Bridgestone déjà soumises à la Commission) et d’une demande d’enregistrement. Ces éléments de preuve ont été produits en vue d’établir qu’il est fréquent que des fabricants emploient une même marque de commerce pour des pneus d’automobile et des produits pour vélo. Parmi les sept enregistrements de marque de commerce nouvellement déposés, seulement deux concernent explicitement à la fois les pneus d’automobile et les pneus de vélo. Bridgestone soutient que si le consommateur de Canadian Tire voit un pneu de marque de commerce POTENZA dans un magasin où se trouvent également des pièces pour vélo de marque de commerce POTENZA, il est probable qu’il confonde ces marques de commerce.

 

[34]           Cependant, je conclus que le petit nombre d’enregistrements déposés est insuffisant pour établir qu’une telle pratique est courante et que cela n’ajoute rien d’important aux éléments déjà produits devant la Commission (les marques de commerce POTENZA de Bridgestone) (Kellogg Salada Canada Inc c Maximum Nutrition Ltd (1992), 43 CPR (3d) 349 (CAF)). Je ne crois pas non plus qu’il ressort des enregistrements supplémentaires produits que les commerçants sont reconnus pour employer la même marque de commerce pour les automobiles ou les vélos, la taille de la représentation de la marque sur les enregistrements étant trop petite.

 

[35]           Je conclus qu’aucun des nouveaux éléments de preuve de Bridgestone n’apporte de changement important en sa faveur : ils ne font que compléter les éléments de preuve produits devant la Commission. En conséquence, par les motifs exposés ci-dessus, je conclus qu’aucun de ces affidavits n’ont d’effet déterminant sur la décision de la Commission, pas plus qu’ils ne modifient de manière importante les éléments de preuve produits devant la Commission, portant que les parties vendent au Canada des marchandises distinctes qui empruntent différentes voies de commercialisation ne se chevauchant pas.

 

[36]           Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

B.  La conclusion du registraire quant à l’absence de probabilité raisonnable de confusion était‑elle raisonnable?

[37]           Le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demande satisfait aux exigences de la Loi pèse initialement sur Campagnolo. Il revient ensuite à Bridgestone, de « … produire des preuves à l’appui des allégations de non‑respect qu’[elle] a formulées. Ce fardeau de la preuve suppose [qu’elle] doit produire des éléments de preuve suffisants pour convaincre le juge des faits que les faits allégués sont véridiques... » (John Labatt Ltd c Molson Co, [1990] ACF no 533 (CF 1re instance), à la page 4; Christian Dior, SA c Dion Neckwear Ltd, 2002 CAF 29).

 

[38]           La Commission conclu que Bridgestone s’était acquittée de son fardeau initial, ses enregistrements étant conformes.

 

Critère en matière de confusion

[39]           Une marque de commerce peut être enregistrée si elle ne crée pas une confusion avec une marque de commerce déposée (article 12 de la Loi).

 

[40]           Le consommateur est le « consommateur occasionnel plutôt pressé » (Mattel Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, au paragraphe 58; Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20).

 

[41]           Le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances, dont les facteurs recensés au paragraphe 6(5) de la Loi. Il n’est pas tenu d’accorder un poids égal à tous les facteurs, lesquels ne sont pas exhaustifs. Ces facteurs sont les suivants :

Éléments d’appréciation

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

What to be considered

(5) In determining whether trade‑marks or trade‑names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade‑marks or trade‑names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade‑marks or trade‑names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade‑marks or trade‑names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

[42]           Bridgestone soutient qu’il est [traduction] « difficile d’imaginer » des marchandises plus similaires que celles vendues par Bridgestone et celles visées par la demande d’enregistrement de la marque de commerce POTENZA de Campagnolo. Bridgestone soutient que la première impression du consommateur serait la confusion et que Campagnolo n’a produit aucun élément de preuve en sens contraire. Le principal motif d’opposition invoqué par Bridgestone était fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi, à savoir la probabilité de confusion entre la marque de commerce POTENZA de Campagnolo et les marques de commerce POTENZA de Bridgestone.

 

[43]           La Commission a retenu les thèses de Bridgestone en ce qui concerne les facteurs recensés aux alinéas 6(5)a), b) et e) de la Loi, mais a souligné que ces facteurs n’étaient pas déterminants. Ces facteurs ne sont pas controversés en l’espèce.

 

[44]           La Commission a conclu que les marques de commerce sont identiques en ce qui concerne le son et la présentation et, étant donné cette forte ressemblance, le facteur prévu à l’alinéa 6(5)e) de la Loi joue en faveur de Bridgestone. De même, la Commission a tiré une conclusion favorable à Bridgestone en ce qui concerne l’alinéa 6(5)a), qui porte sur le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux et de la mesure dans laquelle ils sont devenus connus. La Commission a conclu que Bridgestone avait enregistré, sur la base de leur emploi, la marque POTENZA au Canada depuis 12 février 1982 et la marque POTENZA RE92 depuis le 28 novembre 1988. La Commission a également reconnu que Bridgestone a dépensé plus de 64 000 $ en produits publicitaires et qu’elle a vendu plus de 5 millions de pneus de la marque POTENZA et plus de 3 millions de pneus de la marque POTENZA RE92 au Canada depuis 1997. En revanche, la Commission a conclu que nul élément ne tendait à établir que la marque de commerce POTENZA de Campagnolo avait été employée ou était connue au Canada. Pour ces motifs, la Commission s’est prononcée en faveur de Bridgestone quant à l’alinéa 6 (5)b) de la Loi, soit la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage.

 

[45]           La Commission était parfaitement consciente des facteurs qui allaient dans le sens de Bridgestone et elle les a pris en considération. Suivant la norme de la décision raisonnable, il ne revient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve ou de substituer son opinion à celle de la Commission.

 

Les alinéas 6(5)c) et d) : le genre de marchandises et la nature du commerce

[46]           Le présent appel porte principalement sur l’analyse de la confusion à laquelle s’est livrée la Commission à l’égard des facteurs recensés aux alinéas 6(5)c) et d) de la Loi. Ces facteurs ont amené la Commission à rejeter l’opposition de Bridgestone.

 

[47]           Bridgestone souitent que l’analyse de la confusion faite par la Commission relativement aux alinéas 6(5)c) et d) rend sa décision susceptible d’examen, par les motifs qui suivent.

 

[48]           En premier lieu, la similitude entre les marchandises irait dans le sens de la thèse de Bridgestone.

 

[49]           En deuxième lieu, Bridgestone soutient que la confusion est probable, parce que ses marchandises pourraient être vendues par les mêmes voies de commercialisation que celles empruntées par Campagnolo. Selon Bridgestone, comme la demande de Campagnolo ne prévoit pas de restrictions quant aux voies de commercialisation projetées, il y aurait confusion. C’est pourquoi Bridgestone allègue que si Campagnolo ne vend actuellement ses marchandises que dans des magasins spécialisés haut de gamme, rien ne l’empêchera, à l’avenir, de vendre ses produits dans les magasins où sont actuellement vendus les pneus Bridgestone.

 

Le genre de marchandises

[50]           Au moyen du Catalogue des produits de 2009 de Campagnolo (le catalogue de 2009) et son index, Bridgestone a démontré que Campagnolo vend une technologie de roues et des systèmes de freinage sous la marque de commerce SKELETON. En outre, Bridgestone soutient qu’il importe peu que les pneus, les freins, les roues, les jantes et les rayons soient exclus de l’enregistrement de la marque de commerce de Campagnolo, étant donné que le consommateur ordinaire ne verra pas la différence. Par conséquent, soutient-elle, Campagnolo avait le fardeau de prouver qu’il n’y aurait vraisemblablement aucune confusion, et elle le l’a pas fait.

 

[51]           Seules quelques parties du catalogue de 2009 ont été produites, et celles qui l’ont été ne militent pas en faveur de la thèse de Bridgestone.

 

[52]           Campagnolo soutient que les descriptions des marques de commerce suffisent pour établir qu’il n’y aura aucune confusion entre ces marques de commerce, étant donné que les marques de commerce de Bridgestone visent les pneus, les chambres à air et les roues, et la marque de commerce de Campagnolo exclut expressément les pneus, les freins, les roues, les jantes et les rayons. En outre, Campagnolo fait valoir que Bridgestone ne vend ni ne distribue des vélos de course ni des composantes pour vélo de course au Canada, ni à l’étranger, en liaison avec les marques de commerce POTENZA de Bridgestone.

 

Voies de commercialisation

[53]           Bridgestone soutient que ses enregistrements indiquent qu’elle peut vendre des pneus et des roues pour vélo en empruntant les mêmes voies de commercialisation, et que Campagnolo n’a produit aucun élément de preuve en sens contraire. Le fardeau incombe à Campagnolo et, selon Bridgestone, Campagnolo ne s’en est pas acquittée. Bridgestone fait valoir que le seul élément de preuve fourni par Campagnolo s’applique aux pratiques de distribution actuelles, et non à ses plans pour l’avenir. Bridgestone soutient que le fait que Campagnolo vend actuellement des composantes pour vélo haut de gamme dans des magasins spécialisés ne signifie pas qu’elle ne mettra pas en marché une gamme de produits dans les grandes chaînes de magasins par la suite, étant donné que l’enregistrement de Campagnolo ne contient aucune restriction quant aux voies de commercialisation. Bridgestone soutient que le registraire a commis une erreur en n’examinant que les voies de commercialisation actuelles, alors qu’il aurait dû examiner les voies de commercialisation futures.

 

[54]           Bridgestone s’appuie sur la jurisprudence Mr. Submarine Ltd c Amandista Investments Ltd (1987), 19 CPR (3d) 3 (CAF) (Mr Submarine), laquelle enseignerait que la confusion doit être examinée prospectivement. L’appelante avait allégué la contrefaçon à l’occasion de l’affaire Mr Submarine, affaire dans laquelle la marque de commerce était employée par Mr. Subs’n Pizza et par Mr. 29 Min Dubs’n Pizza, commerces exerçant leurs activités à Dartmouth, en Nouvelle‑Écosse, depuis 1975. Ces entreprises exerçaient principalement leurs activités au moyen d’un système de commandes téléphoniques, et leurs pizzas représentaient 75 p. 100 des ventes. Mr Submarine avait une franchise dans la région de Halifax. Le passage cité à l’audience se trouve à la page 8 de l’arrêt. Je ne crois pas que l’on puisse extrapoler de ce passage que, l’ors d’une procédure d’opposition, la Commission est tenue d’examiner toutes les marchandises et tous les lieux concevables où de telles marchandises pourraient être vendues, pour savoir s’il y a confusion. L’affaire Mr. Submarine portait sur la contrefaçon, et ce passage confirmait que Mr. Submarine n’était pas restreinte aux seuls endroits au Canada où elle détenait des franchises, et à la seule vente de sandwichs de la façon dont elle les vendait à ce moment.

 

[55]           La Cour d’appel fédérale a récemment donné d’autres précisions à l’occasion de l’affaire Movenpick Holdings AG c Exxon Mobil Corp, 2013 CAF 6, au paragraphe 6, où elle cite avec approbation les observations du registraire : « L’état déclaratif des services des parties respectives doit être examiné avec l’objectif de déterminer le genre d’entreprise ou de commerce que les parties ont vraisemblablement eu l’intention d’établir plutôt de répertorier tous les commerces que le libellé pourrait englober [McDonald’s Corp. c Coffee Hut Stores Ltd., (1994), 55 CPR (3d) 463 (CF 1re inst)]. »

 

[56]           Je conclus que le registraire a appliqué les directives de la Cour d’appel lorsqu’il a tenu compte de toutes les voies de commercialisation prévisibles et habituelles dans lesquelles les produits seraient vendus, plutôt que toutes les voies de commercialisation hypothétiques.

 

[57]           Aux paragraphes 28 à 30, le registraire s’est exprimé en ces termes :

[28] En l’espèce, les marchandises de la Requérante se composent de pièces et d’accessoires pour vélo, tandis que les marchandises de l’Opposante se composent de pneus, de chambres à air et de roues pour automobile. J’estime que les pièces et accessoires pour vélo de la Requérante sont fondamentalement différents des pneus, des chambres à air et des roues vendus par l’Opposante. Il importe également de souligner que l’état déclaratif des marchandises de la Requérante exclut formellement les pneus, les freins, les roues, les jantes et les rayons.

 

[29] Relativement aux voies de commercialisation des parties, la Requérante a produit en preuve les affidavits de Paul Haym et Paolo Marinoni, tous deux membres de la direction d’entreprises canadiennes spécialisées dans la vente de vélos au détail, respectivement situées à Vancouver et à Québec. Les déposants affirment tous deux que leurs magasins agissent comme distributeurs des produits de la Requérante au Canada depuis de nombreuses années et que les marchandises de la Requérante, y compris des composantes haut de gamme pour les vélos de course tels des dérailleurs, des pédaliers, des pignons et des dispositifs de freinage, sont distribuées et vendues au Canada par l’intermédiaire de boutiques de vélos spécialisées et de magasins d’articles de sport haut de gamme.

 

[30] L’Opposante allègue que sa preuve démontre que Canadian Tire et Costco vendent à la fois des pneus d’auto, des pneus de vélo et des accessoires pour vélo. Or, comme je l’ai mentionné précédemment, je n’ai accordé que peu de poids à cet élément de preuve. Même s’il m’était possible de tenir pleinement compte de cet élément de preuve, la preuve produite par la Requérante démontre que le type probable de commerce envisagé par la Requérante s’effectuerait auprès de boutiques de vélos spécialisées et de magasins d’articles de sport haut de gamme, lesquels sont peu susceptibles de vendre des pneus et des accessoires pour véhicules motorisés.

 

[58]           Qui plus est, je conclus que la clientèle avertie de Campagnolo qui achète ces composantes pour vélo de course sait vraisemblablement faire la différence entre le pneu de vélo Campagnolo et le pneu de vélo Bridgestone, si Bridgestone devait un jour vendre des pneus de vélo au Canada. Selon les affidavits de MM. Paul Haym et Paolo Marinoni, des éléments de preuve ont été présentés au décideur qui confirmaient que personne n’avait communiqué avec leur entreprise à propos de produits fabriqués par Bridgestone.

 

[59]           Par ces motifs, je conclus que l’argument de Bridgestone, au paragraphe 55 de la présente décision, doit être rejeté.

 

[60]           La norme de la décision raisonnable applicable en l’espèce a été examinée par le juge Yves de Montigny à l’occasion de l’affaire Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, au paragraphe 47 :

Lorsque c’est cette norme qui s’applique, ainsi que la Cour suprême nous le rappelle dans Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 (CanLII), 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 [Mattel], la question à laquelle il convient de répondre est celle de savoir si la décision de la Commission peut résister à un examen « assez poussé » et si elle n’est pas « manifestement erronée » (au paragraphe 40). Compte tenu de l’expertise que possèdent les membres de la Commission, qui sont appelés chaque jour à décider si les marques de commerce dont l’enregistrement est demandé créent ou non de la confusion, il convient de ne pas modifier à la légère les décisions qu’ils rendent. Voici comment a été décrit, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, le rôle que joue la Cour lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

 

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[61]           Après examen minutieux, je conclus que la décision de la Commission était circonstanciée et raisonnable. La Commission a conclu que le genre des marchandises respectives des parties était fondamentalement distinct. En outre, la Commission a conclu que les voies de commercialisation n’étaient pas susceptibles de chevauchement, dans la mesure où, vu la nature spécialisée des produits POTENZA de Campagnolo, même s’ils étaient vendus par le même détaillant, ne seraient pas vendus dans le même rayon. Par conséquent, la Commission a conclu que le risque de confusion était très faible ou inexistant.

 

Autres motifs d’opposition

[62]           Bridgestone soutient que les différences entre les dates pertinentes portent sur la probabilité de confusion entre la marque de commerce POTENZA de Campagnolo et les marques de commerce POTENZA de Bridgestone.

 

[63]           Selon la Commission, « [l]e fait que les dates pertinentes diffèrent n’a pas [...] d’incidence notable sur la conclusion quant à la probabilité de confusion entre les marques des parties ». À l’audience, Bridgestone a fait valoir que la date pertinente est celle de la présente décision, sans toutefois appuyer cette affirmation par la jurisprudence. J’estime que la décision du décideur concernant les dates pertinentes était justifiable et raisonnable.

 

[64]           La Commission a également rejeté un autre motif d’opposition soulevé par Bridgestone, qui alléguait que Campagnolo n’avait pas rempli les obligations que lui impose l’alinéa 30i) de la Loi. La Commission a rejeté cet argument au motif que Bridgestone ne peut obtenir gain de cause relativement à un motif fondé sur l’alinéa 30i) qu’en présence d’éléments de preuve portant que la partie requérante a agi de mauvaise foi. La Commission n’a pas conclu à la mauvaise foi. La décision de la Commission de rejeter cet argument était raisonnable vu l’absence de preuve de mauvaise foi de la part de Campagnolo.

 

[65]           En conclusion, je ne saurais conclure que la Commission a commis une erreur. Le raisonnement de la Commission était justifiable, transparent et intelligible, et sa décision appartient aux issues possibles et acceptables. L’appel est rejeté.

 

[66]           Les parties ont convenu du montant des dépens, si des dépens sont adjugés.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

1.         REJETTE l’appel;

2.         ADJUGE en faveur la défenderesse Campagnol S.R.L. des dépens de 7 000 $, y compris les débours, payables immédiatement, conformément à l’entente intervenue entre les parties.

 

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, jurilinguiste

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2242‑12

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                     BRIDGESTONE CORPORATION c
CAMPAGNOLO S.R.L.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 janvier 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Adams

 

POUR LA REQUÉRANTE

Dan Cameron

Megan Langley Grainger

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RICHES, McKENZIE & HERBERT LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA REQUÉRANTE

BERESKIN & PARR LLP

Avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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