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Date : 20140107

Dossier : IMM‑8117‑12

IMM‑1512‑13

 

Référence : 2014 CF 5

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

RUSTEM TURSUNBAYEV

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET

DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les présents motifs concernent deux demandes de contrôle judiciaire, fondées sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR],  visant deux décisions qui modifiaient en partie les conditions de mise en liberté du demandeur.

 

[2]               La demande dans le dossier IMM‑8117‑12 de la Cour concerne une décision rendue le 9 août 2012. Le dossier IMM‑1512‑13 de la Cour se rapporte à une décision rendue le 12 février 2013.

 

FAITS ET PROCÉDURES

 

[3]               Monsieur Tursunbayev est citoyen du Kazakhstan et de St‑Kits‑et‑Nevis et résident permanent au Canada. Sa famille immédiate et lui ont obtenu le droit d’établissement au Canada le 17 juillet 2009, et ils sont devenus résidents permanents en vertu du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral). Le 26 août 2011, Interpol a lancé une notice rouge demandant l’arrestation de M. Tursunbayev au motif qu’il faisait l’objet au Kazakhstan d’accusations de détournement de fonds et de corruption. M. Tursunbayev aurait détourné environ 20 000 000 $ US.

 

[4]               Le 4 janvier 2012, le Kazakhstan a demandé l’extradition de M. Tursunbayev. À la connaissance de la Cour, aucune procédure d’extradition n’avait été engagée à la date de l’audience. Le 9 janvier 2012, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a établi deux rapports, en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, au motif que M. Tursunbayev était interdit de territoire au Canada au sens des alinéas 37(1)a) et b) de la LIPR.

 

[5]               Le 8 février 2012, un mandat d’arrestation visant M. Tursunbayev a été lancé en vertu du paragraphe 55(1) de la LIPR. M. Tursunbayev a été arrêté et placé en détention le 10 février 2012. Après son arrestation, les motifs de sa détention ont été contrôlés trois fois, et chaque fois, M. Tursunbayev a été renvoyé en détention au motif qu’il se soustrairait vraisemblablement à son enquête.

 

[6]               La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue à l’issue du troisième contrôle des motifs de la détention de M. Tursunbayev a été accueillie le 2 mai 2012, et l’affaire a été renvoyée pour nouvelle décision : Tursunbayev c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 504.

[7]               Le 18 mai 2012, aux termes d’une nouvelle décision, il a été conclu que M. Tursunbayev présentait un risque de fuite, mais qu’il convenait quand même d’ordonner sa mise en liberté sous condition. M. Tursunbayev a été mis en liberté le 1er juin 2012, aux conditions suivantes :

         M. Tursunbayev était tenu de porter un dispositif de surveillance électronique;

         il ne pouvait pas quitter sa maison, même pas pour aller dans sa cour arrière, sauf en cas d’urgence médicale ou, moyennant un préavis de 48 heures et avec l’approbation préalable de l’ASFC, pour rencontrer son avocat ou un médecin;

         les rencontres avec des avocats ou des médecins étaient limitées à deux par semaine, et chaque absence devait durer au plus quatre heures;

         M. Tursunbayev devait être accompagné de sa caution, M. Dave Perry, et d’un autre enquêteur en tout temps lorsqu’il n’était pas chez lui.

 

 

[8]               Le 9 juillet 2012, M. Tursunbayev a présenté une demande, en vertu de l’article 38 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229, en modifications des conditions de sa mise en liberté. M. Tursunbayev a retiré la demande d’audience qu’il avait présentée et la décision a été rendue sur le fondement d’observations écrites puisqu’aucune date d’audience n’était disponible avant la mi‑août.

[9]               Dans une décision datée du 9 août 2012, la Section de l’immigration a conclu que le risque de fuite que présentait M. Tursunbayev n’avait pas changé. Cependant, la demande a été accueillie en partie afin de permettre à un autre dirigeant de l’entreprise de sécurité engagée pour superviser la mise en liberté sous condition, M. Ron Wretham, d’accompagner le demandeur lors de ses sorties lorsque M. Perry n’était pas disponible. M. Wretham s’est vu imposer comme condition le dépôt d’un cautionnement en espèces de 50 000 $. À la demande du demandeur, la durée des sorties que celui‑ci était autorisé à effectuer pour rencontrer ses avocats à leurs bureaux a été haussé à 7 heures afin qu’il soit tenu compte du temps de déplacement, mais le nombre de ces rencontres a été limité à deux par semaine. Cela ne limitait pas les rencontres de M. Tursunbayev avec ses avocats chez lui. M. Tursunbayev s’est vu imposer comme condition de donner à l’ASFC un préavis de 48 heures de ses rencontres avec ses avocats.

 

[10]           La demande du demandeur de consulter un médecin sans donner à l’ASFC un préavis d’au moins 48 heures lorsque la visite chez le médecin n’avait pas pour objet le traitement d’une urgence médicale a été refusée. Les demandes d’autorisation d’effectuer des sorties familiales et de fréquenter un établissement d’enseignement ont également été refusées. Le demandeur s’est vu autoriser l’accès à sa cour arrière du lever au coucher du soleil, sous supervision directe, mais il n’a pas été autorisé à utiliser la piscine ni le spa en raison de préoccupations relatives aux effets que l’immersion dans l’eau pourrait avoir sur les transmissions du bracelet électronique que le demandeur était tenu de porter. Enfin, le demandeur n’a pas été autorisé à aller dans la cour avant de sa résidence.

 

[11]           La décision du 9 août 2012 est l’objet d’une demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM‑8117‑12 de la Cour.

 

 

[12]           Le 30 octobre 2012, M. Tursunbayev a déposé une autre demande fondée sur le paragraphe 38 des Règles de la Section de l’immigration en modification des conditions de sa mise en liberté. Il a demandé avec succès la tenue d’une audience, et l’audience a eu lieu le 19 décembre 2012.

 

[13]           La demande a été accueillie en partie aux termes par une décision datée du 12 février 2013. La demande du demandeur visant à permettre que les images vidéo de sa maison soient surveillées par le personnel de sécurité sur place afin que soient réduits les coûts a été accueillie. Sa demande d’autorisation d’effectuer des sorties sans la présence d’aucune de ses deux cautions et sa demande d’autorisation d’effectuer des sorties additionnelles ont toutes deux été refusées. Enfin, M. Tursunbayev a été autorisé à accéder à sa cour avant, mais les interdictions d’utiliser la piscine et le spa ont été maintenues.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES APPLICABLES :

[14]            

Mise en liberté par la Section de l’immigration

Release – Immigration Section

 (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

 

 (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

 

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité, criminalité ou criminalité organisée;

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality, criminality or organized criminality;

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger — autre qu’un étranger désigné qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause — n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger;

 

 

 

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national — other than a designated foreign national who was 16 years of age or older on the day of the arrival that is the subject of the designation in question — has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity; or

e) le ministre estime que l’identité de l’étranger qui est un étranger désigné et qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause n’a pas été prouvée.

 

(e) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national who is a designated foreign national and who was 16 years of age or older on the day of the arrival that is the subject of the designation in question has not been established.

[…]

 

 

[…]

 

Mise en détention par la Section de l’immigration

 

Detention – Immigration Division

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

 

Conditions

Conditions

 

(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.

(3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227.

 

DÉTENTION ET MISE EN LIBERTÉ

 

DETENTION AND RELEASE

Critères

 

Factors to be considered

 Pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation :

 

 For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

 

(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act;

 

     […]

 

     […]

Risque de fuite

 

Flight risk

 Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :

 For the purposes of paragraph 244(a), the factors are the following:

a) la qualité de fugitif à l’égard de la justice d’un pays étranger quant à une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale;

 

(a) being a fugitive from justice in a foreign jurisdiction in relation to an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament;

b) le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour;

 

(b) voluntary compliance with any previous departure order;

 

c) le fait de s’être conformé librement à l’obligation de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle;

 

(c) voluntary compliance with any previously required appearance at an immigration or criminal proceeding;

 

d) le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;

 

(d) previous compliance with any conditions imposed in respect of entry, release or a stay of removal;

 

e) le fait de s’être dérobé au contrôle ou de s’être évadé d’un lieu de détention, ou toute tentative à cet égard;

 

(e) any previous avoidance of examination or escape from custody, or any previous attempt to do so;

 

f) l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes qui mènerait vraisemblablement l’intéressé à se soustraire aux mesures visées à l’alinéa 244a) ou le rendrait susceptible d’être incité ou forcé de s’y soustraire par une organisation se livrant à de telles opérations;

(f) involvement with a people smuggling or trafficking in persons operation that would likely lead the person to not appear for a measure referred to in paragraph 244(a) or to be vulnerable to being influenced or coerced by an organization involved in such an operation to not appear for such a measure; and

 

g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada.

(g) the existence of strong ties to a community in Canada.

 

 

Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229.

 

Immigration Division Rules, SOR/2002‑229.

Demande à la Section

 

Application to the Division

 (1) Sauf indication contraire des présentes règles, toute demande est faite selon la présente règle.

 (1) Unless these Rules provide otherwise, an application must follow this rule.

 

Forme de la demande et délai

Time limit and form of application

 

(2) Toute demande peut être faite oralement ou par écrit. Elle est faite soit le plus tôt possible, soit dans le délai prévu par la Loi ou par les présentes règles.

 

 

(2) The application must be made orally or in writing, and as soon as possible or within the time limit provided in the Act or these Rules.

Demande faite oralement

 

Procedure in oral application

(3) La Section établit la marche à suivre dans le cas de chaque demande faite oralement.

 

(3) For an application made orally, the Division determines the applicable procedure.

[…]

 

[…]

Cas non prévus

 

No applicable rule

 Dans le cas où les présentes règles ne contiennent pas de dispositions permettant de régler une question qui survient dans le cadre d’une affaire, la Section peut prendre toute mesure nécessaire pour régler la question.

 In the absence of a provision in these Rules dealing with a matter raised during the proceedings, the Division may do whatever is necessary to deal with the matter.

 

QUESTIONS EN LITIGE 

 

[15]           Plusieurs questions ont été soulevées dans les documents accompagnant chacune des demandes de modification. Certaines des modifications refusées aux termes de la décision du 9 août 2012 ont été accordées par la décision du 12 février 2013. D’autres ont été refusées aux termes de la première décision et n’ont pas été réitérées par la deuxième demande. Je conviens avec le défendeur que les questions découlant des modifications qui ont été accordées et de celles qui n’ont pas été reprises sont maintenant sans objet. La Cour ne doit pas exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur ces questions à moins qu’elle n’estime qu’il y a une raison suffisante de le faire : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, [1989] ACS no 14. J’estime qu’aucune raison suffisante ne justifie d’examiner les questions maintenant sans objet.

 

[16]           Une troisième catégorie de demandes a été refusée par les deux décisions, par exemple la permission d’effectuer des sorties additionnelles pour fréquenter un établissement d’enseignement ou pour passer du temps avec des parents en compagnie d’autres personnes que les cautions et l’autorisation d’utiliser le spa et la piscine à la résidence du demandeur. Le demandeur soutient que certaines questions sont toujours controversées, notamment en ce qui concerne le critère à appliquer, les éléments de preuve à prendre en compte et les explications requises pour rechercher si les conditions de la mise en liberté doivent être modifiées ou non. Le défendeur convient qu’un différend concret et tangible subsiste entre les parties quant aux modifications refusées aux termes de la décision du 12 février 2013.

 

[17]           Je n’ai pas l’intention de discuter le bien‑fondé de chacune des modifications demandées. Cependant, je conviens avec le demandeur que les modifications refusées dans les deux décisions constituent toujours des questions en litige entre les parties. Ces questions peuvent être discutées de concert par l’examen des questions suivantes :

  1. Quel est le critère à appliquer pour rechercher si les conditions de la mise en liberté doivent être modifiées?

 

  1. Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en s’appuyant sur des motifs insuffisants?

 

 

  1. Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en tirant des conclusions sans tenir compte des éléments de preuve?

 

 

NORME DE CONTRÔLE 

 

[18]            Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si le critère juridique approprié a été appliqué pour rechercher si les conditions de mise en liberté doivent être modifiées est la norme de la décision correcte. Il reconnaît que la norme applicable aux autres questions est celle de la décision raisonnable.

 

[19]           Je conviens avec le défendeur que les décisions relatives aux demandes de modification sont essentiellement factuelles et qu’elles commandent donc, en général, la retenue : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Lai, 2007 CF 1252 au paragraphe 17, [2007] ACF no 1603; Ahmed Isse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 405 au paragraphe 15, [2011] ACF no 563.

 

 

[20]           Les agents de la Section de l’immigration qui statuent sur des demandes de modification possèdent une expertise considérable. Comme notre Cour l’a observé par la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2003 CF 1225, au paragraphe 42, [2003] ACF no 1548 [Thanabalasingham], confirmée par 2004 CAF 4 :

42     Tout comme les deux autres sections qui composent la SAI, la Section de l’immigration est un tribunal administratif qui possède certaines compétences spécialisées. Cependant, contrairement aux deux autres sections de la SAI, les commissaires de la Section de l’immigration ne sont pas nommés par le gouverneur en conseil. En tant que fonctionnaires de carrière, ils sont en mesure d’acquérir des compétences poussées au fil des ans. En fait, en matière de contrôle des motifs de la détention, d’anciens arbitres qui sont devenus commissaires de la Section de l’immigration ont vraisemblablement acquis de nombreuses années d’expérience en traitant des problèmes semblables sous le régime des paragraphes 103(6) et (7) de l’ancienne Loi. Cette « expertise institutionnelle » (arrêt Dr Q, précité, au paragraphe 29) milite en faveur d’une certaine retenue. Cela est particulièrement vrai lorsqu’on considère que, dans le cas de certains des critères énumérés dans le Règlement (comme la durée probable de la détention de l’intéressé), des commissaires de la Section de l’immigration possèdent incontestablement de meilleures connaissances et compétences que notre Cour. Cette compétence spécialisée milite en faveur d’une plus grande retenue, surtout en ce qui concerne les questions de fait.

 

[21]           On relève une certaine jurisprudence enseignant que les questions de droit qui se posent en l’espèce doivent être examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c B046, 2011 CF 877 au paragraphe 32. Cependant, la question du critère à appliquer n’est pas d’une importance capitale pour le système juridique, et elle n’est pas étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 55 [Dunsmuir].

 

[22]           Étant donné que les décisions rendues à l’issue de l’examen des motifs de détention sont essentiellement factuelles (Thanabalasingham, précitée, au paragraphe 10), je conclus que la norme déférente applicable aux décisions du commissaire est celle de la décision raisonnable. Selon cette norme, la décision doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

 

Quel critère doit être appliqué pour déterminer si les conditions de mise en liberté doivent être modifiées?

 

 

[23]           La détention sous le régime de la LIPR met en jeu le droit à la liberté garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, (R‑U), 1982, c 11 (la Charte), et, pour cela, elle doit être imposée en conformité avec les principes de justice naturelle. L’objectif de la détention en matière d’immigration n’est pas de punir, mais plutôt d’assurer le respect de la LIPR : Canada c B072, 2012 CF 563 au paragraphe 33. La loi ne prévoit pas de procédure particulière en ce qui concerne l’examen des requêtes en modification des conditions de mise en liberté, mais l’article 49 des Règles de la Section de l’immigration permet à la Section de l’immigration de « prendre toute mesure nécessaire pour régler la question » lorsqu’il n’y a aucune règle applicable.

 

[24]           Le demandeur soutient qu’à défaut de procédure spécifique, la Cour doit s’inspirer des principes qui ont été dégagés dans le cadre de l’examen des motifs de détention découlant d’un certificat de sécurité et qui sont énoncés dans des décisions telles que Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350; Harkat (Re), 2009 CF 241, [2009] ACF no 316; Almrei (Re), 2009 CF 3, [2009] ACF no 1; et Jaballah (Re), 2007 CF 379, [2007] ACF no 518.

 

 

[25]           Le demandeur soutient que l’agent qui examine une requête en modification des conditions de mise en liberté, alors que le risque de fuite a joué un rôle déterminant dans l’imposition des conditions, doit d’abord rechercher si l’intéressé continue de poser un risque de fuite, et, le cas échéant, il doit évaluer les répercussions des modifications proposées sur le risque de fuite. Le demandeur soutient que, tout comme dans le cadre des procédures relatives aux détentions fondées sur un certificat de sécurité, c’est au ministre qu’il incombe de justifier qu’il est nécessaire d’imposer certaines conditions, et il cite en ce sens la décision Harkat, précitée, au paragraphe 35. Il affirme qu’une analogie peut être opérée avec le droit pénal. Tout comme dans le cadre d’une procédure en examen des motifs de détention criminelle, le commissaire doit s’assurer que les conditions imposées ne portent que minimalement atteinte au droit à la liberté de l’intéressé, et que l’objectif des conditions est atteint : R c Mukpo, 2012 NSSC 107, [2012] NSJ no 132; et R c MacLean, [2010] OJ no 2639 (CS Ont). Les conditions de mise en liberté ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la menace que pose l’intéressé, et elles doivent être adaptées à sa situation, étant donné qu’elles limitent sa liberté : Re Almrei, 2009 CF 3, au paragraphe 282, [2009] ACF no 1.

 

[26]           Le défendeur soutient que, bien que la LIPR soit muette quant au critère applicable à la modification des conditions de mise en liberté, la Section de l’immigration peut s’inspirer de ce qui est exigé – un changement important dans les circonstances – en matière de certificats de sécurité. Le défendeur soutient que en cette matière, la Cour a indiqué que les contrôles ne visent pas à modifier radicalement les conditions originales, mais plutôt à régler des problèmes imprévus : Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 416, au paragraphe 46, [2007] ACF no 540. Le fardeau incombe à la partie qui demande une mesure de redressement.

 

[27]           La Cour d’appel fédérale a discuté le processus d’examen des motifs de détention dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, aux paragraphes 9 à 13, 16 et 24 [Thanabalasingham CAF] :

9     La question à se poser alors est celle de l’importance qui doit être accordée, lors des contrôles subséquents, aux décisions antérieures. Comme il est clairement établi dans ses observations de vive voix, le ministre n’affirme pas que les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne ont un caractère liant lors des contrôles des motifs de la détention subséquents. Plutôt, le ministre affirme qu’un commissaire doit, pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, énoncer des motifs clairs et convaincants.

10     Les décisions rendues à l’égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l’opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés. Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

11     La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et d’évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l’admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l’encontre d’une décision antérieure.

12     La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est‑à‑dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

13     Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention.

 

[…]

16     Il incombe toujours au ministre de démontrer qu’il existe des motifs qui justifient la détention ou le maintien de la détention. Cependant, une fois que le ministre a établi prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention d’une personne, la personne doit présenter une certaine preuve contraire sinon elle risque d’être maintenue en détention. Le ministre peut établir une preuve prima facie de différentes façons, y compris en se fondant sur les motifs de décisions antérieures. Selon ce qu’elle a déclaré dans ses motifs au paragraphe 75, la juge Gauthier estime :

[. . .] que le fardeau d’établir le maintien de la détention est imposé, à l’origine, à la personne qui demande une telle ordonnance, en l’occurrence le ministre, mais que ce fardeau revient au défendeur si l’arbitre estime solides ou convaincants les motifs justifiant le maintien en détention retenus lors des contrôles antérieurs.

[…]

24     Les motifs de la juge Gauthier sont énoncés de façon logique et claire. Je suis entièrement convaincu qu’elle a correctement appliqué aux conclusions tirées par M. Iozzo les normes de contrôle appropriées et qu’elle a correctement interprété le droit applicable. Je réponds à la question certifiée de la façon suivante:

Lors de tout contrôle des motifs de la détention effectué suivant les article 57 et 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27, la Section de l’immigration doit rendre une nouvelle décision quant à la question de savoir si une personne détenue devrait être maintenue en détention. Bien que le fardeau de preuve puisse être déplacé pour incomber au détenu une fois que le ministre a établi prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention, il incombe en fin de compte toujours au ministre, lors de tels contrôles des motifs de la détention, d’établir que la personne détenue constitue un danger pour la sécurité publique au Canada ou qu’elle risque de se soustraire à la justice. Cependant, les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l’immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures.

 

 

[28]           Afin de justifier le maintien en détention d’un résident permanent ou d’un étranger aux termes de l’article 58 de la LIPR, la Section de l’immigration doit conclure que le ministre a établi les motifs énoncés aux alinéas (1)a) à e). A cet égard, le motif invoqué au soutien du maintien en détention du demandeur était qu’il se soustrairait vraisemblablement à un contrôle, à une enquête, à son renvoi du Canada ou à une procédure pouvant mener à la prise d’une mesure de renvoi. En bref, un risque de fuite. Le fardeau d’établir ce risque incombait au ministre.

 

[29]           Lorsque la Section ordonne la mise en liberté de la personne détenue, elle peut imposer, en vertu du paragraphe 58(3), les conditions qu’elle estime nécessaires, comme elle l’a fait en l’espèce. En matière de demande de modification de ces conditions, les principes consacrés par l’arrêt Thanabalasingham CAF, précité, jouent. Lorsque l’intéressé a été mis en liberté sous condition, son droit à la liberté est encore en jeu. Il incombe au ministre de convaincre le commissaire que la personne continue de poser un risque de fuite. Pour s’acquitter de ce fardeau de preuve, le ministre peut s’appuyer sur des décisions antérieures, et le commissaire doit faire état de motifs clairs et convaincants de s’écarter de ces décisions antérieures. Il n’est pas nécessaire, selon moi, que le commissaire réévalue le risque de fuite posé par le demandeur à l’égard de chaque modification demandée avant d’examiner si les modifications proposées accroîtraient ce risque.

 

[30]           Je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire que le demandeur fasse la preuve d’un changement important dans les circonstances lorsqu’il demande que les conditions de son ordonnance de mise en liberté soient modifiées, bien qu’un tel changement puisse être très pertinent au regard de la demande. Il se peut qu’avec le passage du temps et la preuve que le demandeur s’est conformé aux conditions imposées, le commissaire soit plus enclin à reconnaître que l’objectif visé par les conditions imposées peut être réalisé par des restrictions moins strictes : Harkat, précitée, au paragraphe 35. L’exigence d’un changement important dans les circonstances imposerait une condition préalable inutile et déraisonnable à l’examen d’une demande de modifications.

 

[31]           Cependant, si le demandeur n’appuie pas sa demande de modification sur des éléments de preuve suffisants pour convaincre le commissaire que les modifications demandées n’accroîtront pas le risque, le commissaire ne peut consentir aux modifications demandées. Ainsi, le demandeur doit s’acquitter du fardeau de présentation et du fardeau ultime de démontrer , à la satisfaction du commissaire, que les conditions en question ne sont plus nécessaires pour garantir le respect de la Loi.

 

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en s’appuyant sur des motifs insuffisants?

 

[32]           S’agissant de la décision du 9 août 2012, le demandeur soutient que le commissaire n’a pas expliqué pourquoi certaines des modifications demandées ont été accordées alors que d’autres ont été refusées. Il affirme que la « seule explication possible » tient aux quelques phrases où le commissaire explique que le risque de fuite du demandeur était limité lorsque sa mobilité était limitée. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait que, lorsque le demandeur se déplace, il est accompagné par une caution et un enquêteur, et qu’il fait aussi l’objet d’une surveillance électronique constante. En outre, la décision ne précise pas pourquoi, si le demandeur est déjà autorisé à faire deux sorties par semaine, il ne pourrait pas être autorisé à faire d’autres sorties préalablement approuvées.

 

[33]           Le demandeur soutient que, dans la décision du 12 février 2013, le commissaire a manqué de cohérence dans son appréciation des modifications proposées. Aucune explication n’a été donnée quant à savoir pourquoi certaines sorties pouvaient être permises tandis que d’autres, non. Le commissaire a en outre commis une erreur, soutient le demandeur, en n’énonçant pas expressément ses conclusions quant à savoir si chacune des modifications proposées accroissait ou non le risque de fuite du demandeur et en n’expliquant pas pourquoi il rejetait les témoignages des cautions sur la question des antécédents de conformité du demandeur. Par exemple, le commissaire n’a pas expliqué pourquoi des sorties additionnelles accroîtraient le risque de fuite, contrairement à ce que les cautions avaient affirmé dans leurs témoignages. Par ailleurs, le commissaire n’a pas discuté expressément les éléments de preuve selon lesquels les gardiens de sécurité verraient clairement le demandeur lorsque celui‑ci serait dans le spa ou dans la piscine.

 

[34]           Le défendeur soutient que le commissaire a estimé que le demandeur posait un risque de fuite et qu’il a évalué chaque modification proposée à la lumière de ce risque. Il a autorisé certaines modifications après avoir conclu que cela ne « compromettrait pas les conditions de la mise en liberté », qui visaient à atténuer le risque de fuite. Il s’ensuit nécessairement que les modifications proposées que le commissaire a rejetées accroîtraient le risque de fuite. Le défendeur soutient qu’étant donné les éléments de preuve crédibles selon lesquels – avec ses ressources et son désir de ne pas quitter le Canada – le demandeur pourrait « prendre le maquis » plutôt que de se présenter à une enquête ou pour son renvoi, il était loisible au commissaire de maintenir les conditions de mise en liberté qui atténuaient le risque de fuite tout en accordant au demandeur une certaine liberté. Vu ces considérations, le demandeur doit être autorisé à rencontrer des professionnels de la santé et des conseillers juridiques. Cependant, le fait que ces sorties soient autorisées n’implique pas nécessairement que des sorties additionnelles auraient également dû l’être, surtout si le but de celles‑ci est de permettre au demandeur de socialiser avec des membres de sa famille. Des antécédents de conformité ne signifient pas, affirme le défendeur, que le risque de fuite – principale préoccupation du ministre – a été atténué.

 

[35]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a observé à l’occasion de l’affaire Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, aux paragraphes 11 à 17, les motifs énoncés par un décideur administratif doivent répondre à plusieurs objectifs, notamment permettre à une cour réformatrice de s’assurer que la décision satisfait au critère relatif à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47. Le décideur n’est pas tenu de discuter toutes et chacune des questions dont il est saisi : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 16.

 

[36]           Le juge doit éviter d’aborder le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste, et la perfection n’est pas la norme. Nous devons rechercher si « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » : le juge Evans dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, [2011] 2 RCF 221, au paragraphe 164, confirmé par 2011 CSC 57, et cité avec approbation dans Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 18.

 

[37]           En l’espèce, il ressortait clairement de l’ensemble du dossier présenté au commissaire, qui comprenait notamment les décisions antérieures, que chaque demande de modification serait examinée en fonction de l’incidence que la modification proposée pourrait avoir, si elle était autorisée, sur le risque de fuite que posait le demandeur. Je conclus que le commissaire a examiné les éléments de preuve dont il disposait avant de conclure que le risque de fuite n’avait pas diminué, et qu’il s’est ensuite penché sur les modifications aux conditions de mise en liberté qui étaient demandées en tenant compte du risque de fuite. La raison principale pour laquelle le commissaire a refusé d’augmenter le nombre de sorties autorisées était que les enquêteurs qui accompagneraient le demandeur à ces occasions n’avaient pas le même intérêt que les cautions à veiller au respect des conditions, et que d’accéder à ces demandes accroîtrait donc le risque de fuite.

 

[38]           Bien que le commissaire n’ait pas affirmé expressément que les inquiétudes que soulevait l’usage du spa et de la piscine se rapportaient à la correspondance provenant de la société fournisseur du bracelet électronique, il ressort clairement du dossier que c’est la raison pour laquelle le commissaire a refusé ces demandes. La Cour serait peut‑être arrivée à une conclusion différente, compte tenu de la preuve selon laquelle la piscine et le spa se trouveraient en tout temps directement à la vue des gardiens de sécurité, mais ce n’est pas le rôle de la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve.

 

[39]           Le commissaire aurait pu mieux expliquer les motifs pour lesquels il accédait à certaines demandes et en refusait d’autres. Il est cependant impossible de dire qu’il y a une absence telle de motifs que les décisions du commissaire ne sont pas justifiées, transparentes et intelligibles à telle enseigne qu’elles ne sont pas raisonnables.

 

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en tirant des conclusions sans tenir compte des éléments de preuve?

 

[40]           Le demandeur soutient que la durée de son assujettissement passé et futur aux conditions, attribuable aux procédures légales actuellement en cours visant à contester son statut de résident permanent, milite fortement en faveur de la modification de l’ordonnance prévoyant sa mise en liberté, conformément à ses demandes. Le demandeur soutient qu’aucun motif ne justifiait la conclusion du commissaire portant que les conditions proposées accroîtraient le risque qu’il s’enfuie. Ses antécédents de conformité, ainsi que les témoignages des cautions, considérées auparavant comme crédibles et fiables, ont été écartés, prétend-il. Selon l’alinéa 245d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, le fait de s’être conformé aux conditions était un facteur à prendre en compte dans l’examen du risque de fuite fondé sur les dispositions de la Loi relatives au contrôle des motifs de détention.

 

[41]           Le demandeur soutient qu’il n’a pas été déclaré qu’il constituait un danger pour le public ni une menace à la sécurité nationale. Il est détenu au seul motif que l’on avait conclu qu’il présentait un risque de fuite. Le demandeur ajoute que plusieurs décisions de la Cour jettent un doute sur les éléments de preuve du gouvernement et sur la question de savoir si l’enquête aura lieu. Il soutient que ces facteurs militent fortement en faveur d’un assouplissement des conditions de sa mise en liberté.

 

[42]           Je rejette la thèse du demandeur portant que le commissaire a tiré des conclusions sans tenir compte des éléments de preuve. Le commissaire a retenu le témoignage de la caution selon lequel le demandeur se conformait aux conditions de l’ordonnance de mise en liberté. Cependant, il était loisible au commissaire de conclure que le risque de fuite n’était pas atténué par les antécédents de conformité malgré cet élément de preuve. Je conviens avec le défendeur que le fait que le demandeur a respecté les conditions imposées à ce jour ne fait que démontrer l’efficacité du régime de conditions, et non que les conditions de mise en liberté du demandeur doivent être assouplies pour récompenser ses antécédents de conformité. Voir Mahjoub (Re), 2011 CF 506, au paragraphe 60.

 

[43]           Quant à la décision de refuser que le demandeur soit admis à se déplacer sans ses cautions, le commissaire n’a pas écarté les éléments de preuve présentés dans le témoignage de la caution, il a simplement estimé qu’ils n’étaient pas convaincants. De même, le commissaire n’a pas méconnu le témoignage de la caution en rapport avec la demande d’accès du demandeur à sa piscine et à son spa. Il ressort des motifs que le commissaire était préoccupé par les éléments de preuve indiquant que la force du signal du dispositif de surveillance électronique était réduite sous l’eau et que des alarmes étaient déclenchées. Enfin, j’estime que le commissaire n’avait pas à tenir compte, au moment de tirer ses conclusions, de la durée de la détention occasionnée par la procédure contentieuse en cours. La jurisprudence enseigne clairement qu’il s’agit là d’un facteur « neutre » : Muhammad c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 203, au paragraphe 14, [2013] ACF no 207.

 

[44]           Par ces motifs, je ne vois aucune raison de modifier les décisions rendues. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

LA COUR:

1.      rejette les demandes dans les dossiers IMM‑8117‑12 et IMM‑1512‑13 de la Cour

2.      déclare qu’aucune question n’est certifiée;

3.      dit que les présents motifs du jugement et le jugement seront versés aux deux dossiers.

 

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM‑8117‑12

IMM‑1512‑13

 

INTITULÉ :

RUSTEM TURSUNBAYEV

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 9 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:

                                                            LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 7 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

Tara McElroy

pour le demandeur

 

Bernard Assan

Teresa Ramnarine

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

 

 

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