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Date : 20140113


Dossier :

T-2217-12

Référence : 2014 CF 33

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

SVITLANA CHESHENCHUK

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la LCF] (la demande) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision datée du 29 octobre 2012 (la décision) par laquelle une déléguée du ministre de Citoyenneté et de l’Immigration (l’agente) a refusé d’octroyer la citoyenneté aux enfants adoptifs de la demanderesse en vertu du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi).

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse, Svitlana Cheshenchuk, qui a la citoyenneté canadienne et la citoyenneté ukrainienne, a adopté deux jeunes enfants en Ukraine dans le cadre d’une adoption nationale privée approuvée par un tribunal ukrainien le 11 août 2011. Elle a ensuite demandé que la citoyenneté canadienne soit octroyée à ses enfants adoptifs en vertu du paragraphe 5.1(1) de la Loi. Le premier volet de la présente demande a été soumis le 6 octobre 2011 alors que la demanderesse se trouvait toujours en Ukraine et la seconde partie a été présentée le 4 janvier 2012, après le retour de la demanderesse au Canada. Le 29 octobre 2012, la demande a été refusée par une agente de citoyenneté à l’ambassade du Canada à Kiev au motif que les adoptions n’avaient pas été effectuées conformément aux lois ukrainiennes.

 

[3]               La demanderesse est une médecin qui exerce la médecine familiale et possède une maison à Regina, en Saskatchewan. Elle est arrivée au Canada en 1998. Elle possède également un appartement à Vinnitsa, en Ukraine, où elle a de la famille et où elle affirme passer entre trois et six mois par année. En novembre 2010, elle a épousé Wojciech Ziarko, un citoyen canadien d’origine polonaise.

 

[4]               À un certain moment avant juin 2011, la demanderesse a soumis au ministère des Services sociaux de la Saskatchewan une demande d’autorisation en vue d’adopter des enfants provenant de l’Ukraine dans le cadre d’une adoption internationale. Elle a obtenu cette approbation à la suite d’une vérification de ses antécédents judiciaires et d’une étude du milieu familial. Elle n’a toutefois pas donné suite à sa demande d’adoption internationale. En juin 2012, elle s’est plutôt rendue en Ukraine et a entrepris des démarches pour procéder à une adoption nationale privée en tant que citoyenne et résidente ukrainienne. Elle a arrêté son choix sur deux enfants dans un orphelinat (un frère et une sœur âgés à l’époque de trois ans et de quatre ans respectivement) qui étaient enregistrés auprès des autorités locales chargées des adoptions nationales. Elle a suivi le processus exigé et les adoptions ont été officialisées aux termes d’une ordonnance judiciaire datée du 11 août 2011. Le 25 août 2011, les enfants sont allés vivre chez la demanderesse à son appartement de Vinnitsa. Le 30 août 2011 ou vers cette date, la demanderesse a commencé à se renseigner à l’ambassade du Canada à Kiev au sujet de la possibilité de demander des visas canadiens pour les enfants et, le 6 octobre 2011, elle a soumis le premier volet des demandes de citoyenneté canadienne. Elle est rentrée au Canada à la fin d’octobre 2011 et les enfants sont demeurés en Ukraine, où ils ont été pris en charge par une aide familiale résidante et par des membres de la famille de la demanderesse. La demanderesse a également présenté en juillet 2012 une demande de parrainage des enfants en vue de leur permettre d’obtenir la résidence permanente au Canada. Elle explique que cette demande a également été récemment refusée.

 

[5]               La version des faits entourant l’adoption des deux enfants diffère selon les parties. La demanderesse affirme pour sa part qu’elle et M. Ziarko ont commencé à avoir des problèmes conjugaux et qu’ils se sont séparés légalement alors qu’elle séjournait en Ukraine en juin 2011. Elle explique qu’elle est allée en Ukraine avec l’intention d’y demeurer de façon permanente et de s’occuper de sa mère malade. Comme il y a un surplus de médecins en Ukraine, elle a ouvert une entreprise de traduction, qui allait bien au départ, mais qui a périclité lorsque les enfants sont venus habiter avec elle et qu’elle s’est mise à manquer de temps pour son entreprise. La demanderesse a alors commencé à éprouver des difficultés financières et elle est revenue au Canada à la fin d’octobre 2011 pour reprendre l’exercice de la médecine dans la clinique où elle travaillait, où d’autres médecins avaient assuré l’intérim. M. Ziarko et elle se sont réconciliés et ont entrepris des démarches pour faire venir les enfants à Regina. La demanderesse affirme qu’elle a été très mal accueillie par les membres du personnel de l’ambassade du Canada lorsqu’ils ont appris qu’elle avait adopté deux enfants sans leur intervention ou celle d’organismes d’adoption s’occupant normalement de l’adoption internationale.

 

[6]               La version des faits du défendeur est tout à fait différente. Suivant le défendeur, la demanderesse s’est rendue en Ukraine en juin 2011 non pas dans l’intention d’y demeurer en permanence, mais bien dans celle de ramener avec elle les enfants au Canada et de contourner les lois ukrainiennes en matière d’adoption internationale. Les étrangers et les citoyens ukrainiens vivant à l’étranger doivent obtenir l’approbation du ministère ukrainien des Politiques sociales pour pouvoir adopter des enfants ukrainiens et ils ne peuvent adopter des enfants de moins de cinq ans, lesquels ne peuvent être adoptés que dans le cadre d’une adoption nationale. Suivant le défendeur, la demanderesse a fait de fausses déclarations au sujet de son état matrimonial et de son lieu de résidence pour pouvoir obtenir une adoption nationale qui ne respectait donc pas le droit ukrainien. L’ordonnance judiciaire approuvant les adoptions ne mentionne pas le fait que la demanderesse vit au Canada et, bien qu’elle mentionne un divorce antérieur obtenu en Ukraine, elle ne dit rien de son mariage à M. Ziarko ou de sa séparation d’avec ce dernier.

 

[7]               Au cours du traitement de la demande, l’agente a communiqué avec le ministère ukrainien des Politiques sociales et avec le ministère des Services sociaux de la Saskatchewan (Services à l’enfance et aux familles), dont le consentement était nécessaire dans le cas d’une adoption internationale, ainsi qu’avec les responsables des politiques, à l’Administration centrale de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), au Canada. Ces communications font partie du dossier de la présente instance, à l’exception de certaines communications échangées avec l’Administration centrale de CIC dont certains extraits ont été expurgés parce qu’ils renferment des conseils d’ordre juridique. Des communications ont également été échangées directement entre la demanderesse et le ministère ukrainien des Politiques sociales.

 

[8]               Dans une lettre, en date du 30 août 2012, adressée à la demanderesse, le ministère ukrainien des Politiques sociales a répondu en partie ce qui suit (traduction anglaise certifiée conforme versée au dossier de la demanderesse, à la page 19) :

[traduction]

Suivant les renseignements exposés dans votre lettre, vous êtes une citoyenne ukrainienne et vous vivez sur le territoire de l’Ukraine […] Selon l’article 21 du Règlement, l’enregistrement des citoyens ukrainiens vivant en permanence sur le territoire de l’Ukraine et souhaitant adopter un enfant est effectué par les autorités du lieu de résidence des citoyens en question chargées des services à l’enfance.

Compte tenu des renseignements qui précèdent, le ministère des Politiques sociales n’a aucune raison de procéder à votre enregistrement.

 

[9]               Voici un extrait d’une autre lettre, en date du 5 juillet 2012, que le ministère des Politiques sociales a adressée à l’ambassade du Canada (traduction anglaise, pages 19 et 20 du dossier certifié du tribunal [DCT]) :

[traduction]

Suivant l’article 21 du Règlement, l’enregistrement des citoyens ukrainiens résidant en Ukraine souhaitant adopter un enfant relève des autorités locales chargées des services à l’enfance.

Suivant la décision de la Cour de district de Kyyivskyy à Odesa [homologuant les adoptions] […] la citoyenne ukrainienne Cheshenchuk S.A. a, le 23 juin 2011, été enregistrée comme candidate à l’adoption auprès des services à l’enfance du conseil municipal de Vinnytsya et était célibataire au moment de l’adoption.

Vu ce qui précède, l’intéressée a adopté deux enfants mineurs, citoyens de l’Ukraine, en suivant la même procédure que celle prévue pour les citoyens ukrainiens résidant sur le territoire de l’Ukraine. En pareil cas, le consentement du ministère des Politiques sociales n’est pas exigé.

Par ailleurs, suivant l’article 21 du Règlement, c’est le ministère des Politiques sociales qui s’occupe d’enregistrer les citoyens ukrainiens résidant à l’étranger et les citoyens étrangers désirant adopter un enfant résidant en Ukraine.

En pareil cas, avant que le tribunal ne rende sa décision, le ministre des Politiques sociales doit consentir à l’adoption de l’enfant citoyen ukrainien par des citoyens enregistrés auprès du ministère des Politiques sociales.

[…]

Vu ce qui précède, le ministère des Politiques sociales ne peut accorder son consentement à l’adoption, par Mme Cheshenchuk S.A., d’enfants ayant la citoyenneté ukrainienne.

[10]           Le 24 juillet 2012, l’agente de citoyenneté a envoyé au ministère des Services sociaux de la Saskatchewan un courriel dans lequel elle lui demandait de clarifier sa position. Voici un extrait de ce courriel (p. 14 et 15 du DTC) :

[traduction]

En Ukraine, le ministère des Politiques sociales a compétence en matière d’adoption internationale en tant que service central chargé des adoptions. Suivant le jugement rendu en l’espèce au sujet de l’adoption, le ministère n’a pas approuvé l’adoption de ces deux enfants. Toutefois, après avoir consulté le personnel de l’Administration centrale de CIC, il a été confirmé que l’approbation du ministère ukrainien était nécessaire pour s’assurer que les exigences de l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté soient respectées avant d’octroyer la citoyenneté. Notre bureau a par conséquent expressément demandé au ministère ukrainien s’il pouvait confirmer qu’il approuvait ce dossier. Le ministère a confirmé qu’il ne pouvait consentir à l’adoption en question en raison du fait que les dispositions des lois ukrainiennes sur l’adoption internationale n’avaient pas été respectées [...] En l’espèce, la mère adoptive a procédé à l’adoption en tant que citoyenne ukrainienne résidant en Ukraine sans dévoiler le fait qu’elle était citoyenne canadienne et qu’elle habitait à l’extérieur de l’Ukraine et qu’elle avait l’intention de ramener les enfants avec elle au Canada après leur adoption.

Avant de rendre une décision définitive dans le présent dossier, nous tenons à accorder à la province la possibilité de confirmer sa position initiale ou de retirer sa lettre de non‑opposition.

 

[11]           Le ministère des Services sociaux de la Saskatchewan a répondu le même jour en déclarant que M. Ziarko l’avait informé que la demanderesse avait entrepris des démarches en vue de procéder à deux adoptions privées en Ukraine et a demandé une lettre de non‑opposition / non‑intervention. Sur la foi de ces renseignements, la « lettre de non-opposition » initiale a été remplacée par une « lettre de non-intervention » datée du 5 octobre 2011 au motif que le ministère [traduction] « ne se prononce pas sur les dossiers d’adoption privés ».

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[12]           La demanderesse a été avisée de la décision par une lettre, en date du 29 octobre 2012, signée par l’agente en tant que responsable du Programme d’immigration à l’ambassade du Canada en Ukraine. La lettre précisait que, vu les renseignements alors connus, force était de constater que les exigences énoncées à l’alinéa 5.1(1)c) n’avaient pas été respectées. La lettre se poursuivait comme suit :

[traduction]

Je ne suis pas convaincue que l’adoption a été effectuée conformément aux lois ukrainiennes régissant les adoptions internationales à défaut de consentement à cette adoption par le ministère des Politiques sociales de l’Ukraine. De plus, la province de destination a retiré sa lettre de non‑opposition datée du 17 janvier 2012 et a précisé qu’elle ne « pren[ait] pas position » sur ce dossier compte tenu des circonstances.

Bien que vous ayez indiqué que l’adoption avait été effectuée conformément aux lois locales sur les adoptions nationales et que, par conséquent, le ministère des Politiques sociales n’était pas l’autorité compétente dans votre cas, je ne suis pas convaincue que vous avez satisfait aux conditions exigées pour une telle adoption et que vous avez divulgué au juge qui a rendu la décision relative à l’adoption tous les renseignements relatifs à votre lieu de résidence permanente et votre état matrimonial.

Par conséquent, vous n’avez pu établir que votre enfant répondait aux exigences pour obtenir la citoyenneté canadienne et votre demande a été refusée.

 

[13]           On trouve également des notes détaillées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) de CIC et dans d’autres documents versés au dossier qui, en tant qu’éléments du dossier soumis à l’auteur de la décision, peuvent à juste titre être considérées comme faisant partie des motifs invoqués pour justifier la décision qui a été rendue (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15). Nous y reviendrons plus loin au besoin.

[14]           Les passages des notes du SMGC portant sur la question de savoir si les adoptions pouvaient être considérées comme des adoptions nationales valides revêtent un intérêt particulier. Dans les notes qu’elle a prises le jour même de la décision, le 29 octobre 2012, l’agente fait notamment observer ce qui suit :

[traduction]

 

        Mme Cheshenchuk n’a pas révélé au juge qu’elle était mariée, ce qui revient à faire de fausses déclarations au sujet de son état matrimonial et ce qui aurait pu inciter le juge à l’interroger sur son lieu de résidence permanent. Lorsque je lui ai demandé de donner des explications au téléphone, elle a répondu qu’elle se considérait comme séparée, ce qui n’est pas une explication crédible, étant donné qu’elle n’était pas légalement séparée et qu’elle est maintenant mariée.

        Mme Cheshenchuk n’a pas révélé son lieu de résidence permanente, contrairement aux exigences des lois ukrainiennes sur l’adoption. Elle a fait de fausses déclarations à ce sujet pour faciliter l’adoption des enfants à qui elle souhaite maintenant que l’on octroie la citoyenneté canadienne.

[…]

        Je suis particulièrement préoccupée en l’espèce par le fait que Mme Cheshenchuk a communiqué de faux renseignements au tribunal qui a prononcé l’adoption au sujet de son état matrimonial et de son lieu de résidence permanente. Compte tenu du fait que le juge ne disposait pas de renseignements véridiques sur son état matrimonial et son lieu de résidence, on peut à juste titre remettre en question la validité de la décision prononçant l’adoption elle‑même.

        La législation ukrainienne fait une distinction importante entre l’adoption nationale et l’adoption internationale. Mme Cheshenchuk affirme que, compte tenu du fait qu’elle était citoyenne ukrainienne, elle avait le droit d’adopter des enfants localement sans avoir à se soumettre au processus d’adoption internationale et sans avoir à demander l’autorisation du ministère des Politiques sociales. Elle a toutefois négligé de divulguer certains faits, tels que sa résidence permanente au Canada, qui l’auraient empêchée de se prévaloir de l’adoption nationale et qui auraient incité les autorités à s’assurer de l’intervention du ministère ukrainien des Politiques sociales. Le fait que l’adoption ait été accordée sur la foi de son affirmation qu’elle était une mère célibataire alors qu’elle était mariée pose également problème. Je considère également sans valeur sa déclaration selon laquelle les exigences de la législation nationale ukrainienne ont été respectées.

QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           La demanderesse soulève les questions suivantes en l’espèce :

a.                   Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’adoption n’était pas conforme aux lois ukrainiennes?

c.                   L’agente avait‑elle un parti pris?

d.                  L’agente a‑t‑elle privé la demanderesse de son droit à l’équité procédurale?

e.                   L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question que la Cour doit examiner est déjà bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

 

[17]           La demanderesse affirme que c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique aux questions d’équité procédurale (Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283 [Malik]) et à l’appréciation de la validité d’une ordonnance rendue par un tribunal étranger, alors que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux questions de fait. Elle affirme que, bien que le contenu du droit étranger soit une question de fait dont le contrôle s’exerce selon la norme de la décision raisonnable, les effets juridiques au Canada d’une ordonnance valide prononcée par une cour étrangère est une question de droit international privé qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Boachie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 672 au paragraphe 2 [Boachie]. Le défendeur affirme que la décision portant sur la conformité au droit étranger d’une adoption effectuée à l’étranger est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Bhagria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1015, au paragraphe 39 [Bhagria]; décision Boachie, précitée, au paragraphe 21).

 

[18]           Bien que le défendeur affirme à juste titre que la décision de l’agent des visas quant à la question de savoir si l’adoption est conforme au droit étranger est, en principe, assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable, l’existence d’une ordonnance par laquelle un tribunal étranger a approuvé l’adoption a d’importantes incidences lors du contrôle de cette décision par notre Cour. Dans l’affaire Bhagria, précitée, qu’invoque le défendeur, aucune ordonnance judiciaire de ce type n’avait été rendue. Dans ce jugement, la Cour dit clairement ce qui suit, au paragraphe 2 :

[…] Le contenu du droit étranger est une question de fait, dont le contrôle s’exerce selon la norme de la décision raisonnable, mais les effets juridiques au Canada d’une ordonnance valide prononcée par une juridiction étrangère est une question de droit international privé qui est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte.

 

Ainsi, la question de savoir si l’agente a commis une erreur en annulant en réalité l’ordonnance du tribunal ukrainien est assujettie en l’espèce à la norme de contrôle de la décision correcte. Hormis cet aspect, l’appréciation que l’agente a faite de la question de savoir si l’adoption était conforme au droit ukrainien est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable, conformément aux décisions Baghria et Boachie, précitées, et Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 822 (CF 1re inst) [Sinniah] (dans lesquelles la Cour a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable dans le contexte de la jurisprudence antérieure à l’arrêt Dunsmuir). Nous reviendrons plus loin sur cette distinction au regard des arguments des parties et des questions précises en litige en l’espèce.

 

[19]           Les questions d’équité procédurale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte (décision Malik, précitée, au paragraphe 23; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)Khosa, 2009 SCC 12, au paragraphe 43 [Khosa]).

 

[20]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêts Dunsmuir, au paragraphe 47, et Khosa, au paragraphe 59, précités). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

Attribution de la citoyenneté

 

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur.

 

L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

 

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

 

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

 

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

 

Adoptees — minors

 

5.1 (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

 

 

 

 

 

 

(a) was in the best interests of the child;

 

(b) created a genuine relationship of parent and child;

 

 

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

 

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

 

[22]           Les dispositions suivantes du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246, s’appliquent à la présente instance :

 

5.1 (1) La demande présentée en vertu du paragraphe 5.1(1) de la Loi relative à une personne qui est un enfant mineur à la date de la présentation de la demande doit :

 

a) être faite à l’intention du ministre, selon la formule prescrite et signée :

 

(i) soit par un citoyen qui est un parent de la personne,

 

(ii) soit par un parent non citoyen, ou le tuteur légal, de la personne;

 

b) être contresignée par la personne, si elle a quatorze ans révolus à la date de la présentation de la demande et si elle n’est pas incapable de saisir la portée de la demande en raison d’une déficience mentale;

 

c) être déposée, accompagnée des documents prévus au paragraphe (2), auprès du greffier.

 

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)c), les documents d’accompagnement sont les suivants :

 

a) le certificat de naissance ou, s’il est impossible de l’obtenir, une autre preuve établissant la date et le lieu de naissance de la personne;

 

b) une preuve établissant qu’un parent de la personne était un citoyen au moment de l’adoption;

 

c) dans le cas d’une demande présentée par un parent non citoyen ou le tuteur légal, une copie certifiée de l’ordonnance émanant d’un tribunal compétent, ou autre preuve établissant qu’il est le parent ou le tuteur légal de la personne;

 

d) si la personne a quatorze ans révolus à la date de la présentation de la demande et qu’elle ne l’a pas contresignée, une preuve établissant qu’elle est incapable d’en saisir la portée en raison d’une déficience mentale;

 

 

 

e) une preuve établissant que l’adoption a été faite le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsque la personne était un enfant mineur;

 

f) deux photographies de la personne correspondant au format et aux indications figurant dans la formule prescrite en application de l’article 28 de la Loi.

 

(3) Les facteurs ci-après sont considérés pour établir si les conditions prévues au paragraphe 5.1(1) de la Loi sont remplies à l’égard de l’adoption de la personne visée au paragraphe (1) :

 

a) dans le cas où la personne a été adoptée par un citoyen qui résidait au Canada au moment de l’adoption :

 

 

(i) le fait que les autorités compétentes de la province de résidence du citoyen au moment de l’adoption ont déclaré par écrit qu’elles ne s’opposent pas à celle-ci,

 

(ii) le fait que l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant;

 

 

b) dans le cas où la personne a été adoptée à l’étranger dans un pays qui est partie à la Convention sur l’adoption et dont la destination prévue au moment de l’adoption est une province :

 

 

(i) le fait que les autorités compétentes de ce pays et celles de la province de destination de la personne ont déclaré par écrit que l’adoption était conforme à cette convention,

 

 

(ii) le fait que les autorités compétentes de la province de résidence, au moment de l’adoption, du citoyen qui est le parent de la personne ont déclaré par écrit qu’elles ne s’opposent pas à l’adoption,

 

(iii) le fait que l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant;

 

 

c) dans les autres cas :

 

(i) le fait qu’une étude du milieu familial a été faite ou approuvée par les autorités compétentes,

 

 

(ii) le fait que le ou les parents, selon le cas, ont, avant l’adoption, donné un consentement véritable et éclairé à l’adoption,

 

(iii) le fait que l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant,

 

 

(iv) le fait que rien n’indique que l’adoption avait pour objet la traite de la personne ou la réalisation d’un gain indu au sens de la Convention sur l’adoption.

 

5.1 (1) An application made under subsection 5.1(1) of the Act in respect of a person who is a minor on the date of the application shall be

 

 

 

(a) made to the Minister in the prescribed form and signed by

 

 

(i) a citizen who is a parent of the person, or

 

(ii) a non-citizen parent, or a legal guardian, of the person;

 

(b) countersigned by the person if he or she has attained the age of 14 years on or before the date of the application and is not prevented from understanding the significance of the application because of a mental disability; and

 

(c) filed, together with the materials described in subsection (2), with the Registrar.

 

(2) For the purposes of paragraph (1)(c), the materials required by this section are

 

 

(a) a birth certificate or, if unobtainable, other evidence that establishes the person’s date and place of birth;

 

 

(b) evidence that establishes that a parent of the person was a citizen at the time of the adoption;

 

(c) in the case of an application made by a non-citizen parent or a legal guardian, a certified copy of an order of a court of competent jurisdiction, or other evidence, that establishes that the applicant is a parent or legal guardian of the person;

 

 

(d) in the case of a person who has attained the age of 14 years on or before the date of the application but has not countersigned the application, evidence that establishes that the person is prevented from understanding the significance of the application because of a mental disability;

 

(e) evidence that establishes that the adoption took place on or after January 1, 1947 and while the person was a minor; and

 

 

(f) two photographs of the person of the size and type shown on a form prescribed under section 28 of the Act.

 

 

 

(3) The following factors are to be considered in determining whether the requirements of subsection 5.1(1) of the Act have been met in respect of the adoption of a person referred to in subsection (1):

 

(a) whether, in the case of a person who has been adopted by a citizen who resided in Canada at the time of the adoption,

 

(i) a competent authority of the province in which the citizen resided at the time of the adoption has stated in writing that it does not object to the adoption, and

 

(ii) the pre-existing legal parent-child relationship was permanently severed by the adoption;

 

(b) whether, in the case of a person who has been adopted outside Canada in a country that is a party to the Hague Convention on Adoption and whose intended destination at the time of the adoption is a province,

 

(i) the competent authority of the country and of the province of the person’s intended destination have stated in writing that they approve the adoption as conforming to that Convention,

 

(ii) a competent authority of the province — in which the citizen who is a parent of the person resided at the time of the adoption — has stated in writing that it does not object to the adoption, and

 

(iii) the pre-existing legal parent-child relationship was permanently severed by the adoption; and

 

(c) whether, in all other cases,

 

(i) a competent authority has conducted or approved a home study of the parent or parents, as the case may be,

 

 

(ii) before the adoption, the person’s parent or parents, as the case may be, gave their free and informed consent to the adoption,

 

(iii) the pre-existing legal parent-child relationship was permanently severed by the adoption, and

 

(iv) there is no evidence that the adoption was for the purpose of child trafficking or undue gain within the meaning of the Hague Convention on Adoption.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La demanderesse

 

[23]           La demanderesse affirme qu’elle a respecté tous les critères légaux prescrits pour procéder à une adoption nationale en Ukraine et que cette adoption a été prononcée par un tribunal ukrainien après s’être assuré qu’elle respectait les critères en question. Elle affirme qu’elle est citoyenne à la fois du Canada et de l’Ukraine et qu’elle a des résidences dans les deux pays et qu’il lui était donc loisible de procéder par voie d’adoption nationale.

 

[24]           La demanderesse signale qu’en Ukraine, les adoptions peuvent être effectuées soit sous forme d’adoption internationale, soit sous forme d’adoption nationale privée. L’adoption internationale fait intervenir tant au Canada qu’en Ukraine des organismes d’adoption qui tirent d’importants profits de ces adoptions, en plus de faire intervenir le personnel de l’ambassade du Canada à Kiev. Il s’ensuit un processus long et coûteux. L’adoption nationale privée qui n’est offerte qu’aux citoyens ukrainiens ne fait pas intervenir d’organismes d’adoption ou d’ambassades. La demanderesse a opté pour la seconde option comme la loi lui permettait, selon elle, de le faire.

 

[25]           Bien que la demanderesse ait joint à sa demande une ordonnance officielle par laquelle un tribunal ukrainien a prononcé les adoptions en question, l’agente a décidé que cette ordonnance n’était pas légalement valide et qu’elle avait été obtenue sur la foi de fausses déclarations. Il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Il est de jurisprudence constante au Canada qu’une adoption documentée par une ordonnance définitive émanant d’un tribunal étranger doit être présumée valide et que pareille ordonnance constitue la meilleure preuve que l’adoption a été effectuée en conformité avec le droit du pays en question (Re AR, [1982] OJ No 766, 139 DLR (3d) 149 (Cour just Ont); Re AP, [2002] OJ No 2373, 114 ACWS (3d) 669 (Cour just Ont); décision Sinniah, précitée). Un agent des visas canadien ne peut écarter une ordonnance d’adoption valide émanant d’une cour étrangère en raison d’une apparente irrégularité ou d’un défaut de se conformer à une des dispositions d’une loi étrangère, et les tribunaux reconnaîtront cette ordonnance, à moins que la preuve ne démontre clairement qu’elle a été obtenue frauduleusement (décision Boachie, précitée; Ogwebe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 77; décision Sinniah, précitée). La demanderesse cite la décision Boachie, précitée, et soutient que le même raisonnement s’applique en l’espèce :

31        Il s’agit plutôt de déterminer si la SAI est habilitée à se prononcer sur la question de savoir si une ordonnance valide d’une cour ghanéenne est conforme à certaines dispositions des lois du Ghana. La loi interdit clairement, à mon sens, ce genre d’examen, en l’absence de fraude. Il appartient à la cour d’appel du pays étranger concerné de se prononcer sur le bien-fondé d’une ordonnance judiciaire à la lumière d’une disposition isolée de la loi applicable. Il est de jurisprudence constante, dans la foulée de l’arrêt Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, 122 N.R. 81, le juge La Forest, que les tribunaux à qui l’on demande de reconnaître des jugements rendus à l’étranger sont tenus, en raison du principe de la courtoisie internationale, de donner effet à ces jugements. Il en va de même pour les tribunaux administratifs comme la SAI. C’est à la cour d’appel du Ghana qu’il appartient de décider si la cour ghanéenne a choisi de ne pas tenir compte ou de ratifier une irrégularité relative à la résidence qui remontait à une date antérieure à l’adoption.

[26]           Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse soutient que l’agente était tenue, en raison du principe de la courtoisie judiciaire, de reconnaître l’ordonnance du tribunal ukrainien. L’agente n’avait pas les connaissances spécialisées nécessaires pour contester la légalité de cette ordonnance et elle ne disposait d’aucun élément de preuve tendant à démontrer qu’il y avait eu fraude. Elle a par conséquent commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte de l’ordonnance du tribunal ukrainien, et sa décision devrait être annulée.

 

[27]           La demanderesse affirme également que l’agente a fait preuve d’un parti pris, qu’elle était fermement convaincue dès le début de l’examen de la demande que l’adoption n’était pas valide et qu’elle a affirmé que la demanderesse avait contourné les lois ukrainiennes sur les adoptions internationales. Elle a fait observer le 18 janvier 2012 qu’elle n’était pas convaincue que l’adoption avait été effectuée conformément à la législation ukrainienne et elle a par la suite démontré pendant tout le déroulement du processus qu’elle avait adopté une approche unilatérale orientée exclusivement vers le refus de la demande. Elle a déclaré que l’adoption ne respectait pas l’esprit de la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (la Convention de La Haye sur l’adoption), ce qui est une allégation fausse et grave, compte tenu du fait que la Convention porte sur la traite d’enfants, ce qui n’est de toute évidence pas le cas en l’espèce. Dans ses notes, l’agente a formulé des allégations de fraude et de fausses déclarations contre la demanderesse, et ce, sans preuve, et elle a remis en question la décision du tribunal ukrainien. L’approche qu’a adoptée l’agente trahit les préjugés qu’elle avait dès le départ à l’égard de la demanderesse et démontre que son idée était déjà faite. Dans le cadre d’un processus administratif, une crainte de partialité est une question qui met en jeu l’équité procédurale et qui doit être tranchée indépendamment de la question de savoir si la décision rendue était raisonnable et appropriée eu égard à l’ensemble des faits (Fletcher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 909).

 

[28]           En matière d’adoption, le rôle que jouent les agents des visas se compare à celui d’un juge de la citoyenneté : ils exercent une fonction judiciaire qui requiert de leur part un degré élevé d’équité procédurale (décision Bhagria, précitée). Dans le cas qui nous occupe, l’agente a accusé la demanderesse de ne pas avoir révélé son lieu de résidence ou son état matrimonial dans le cadre du processus d’adoption. Si l’agente disposait d’éléments de preuve à ce propos, elle avait l’obligation de les divulguer à la demanderesse. Comme elle remettait en question la crédibilité de la demanderesse, l’agente aurait dû lui faire part de ses doutes et lui offrir la possibilité de répondre. Son omission de le faire constitue un manquement à l’équité procédurale.

 

[29]           Enfin, l’agente a, selon la demanderesse, commis une erreur dans son appréciation de la preuve. L’agente a fait observer que les adoptions n’étaient pas conformes à la législation ukrainienne en matière d’adoption internationale alors qu’il ne s’agissait pas d’une adoption internationale, mais bien d’une adoption nationale. La législation ukrainienne régissant les adoptions internationales ne s’appliquait pas. Les adoptions nationales relèvent du Bureau des services à l’enfance et l’approbation de ce bureau a été obtenue. Le ministère des Politiques sociales n’avait pas compétence et la demanderesse a obtenu de ce ministère une lettre le confirmant.

 

[30]           Au cours de l’instance judiciaire relative à l’adoption, la demanderesse a répondu avec honnêteté à toutes les questions posées par le tribunal. Ainsi que l’ordonnance du tribunal le précise, elle a satisfait à tous les critères prévus par le droit ukrainien pour pouvoir être autorisée à adopter les enfants en question. Ces critères ne prévoient rien au sujet de renseignements à communiquer quant aux lieux de résidence situés à l’extérieur de l’Ukraine ou du fait que l’intéressé possède aussi une autre citoyenneté. La demanderesse aurait volontiers fourni ces renseignements s’ils avaient fait partie des critères d’adoption ou si le tribunal les lui avait demandés. Il est de jurisprudence constante qu’une personne peut avoir plus d’une résidence (Thomson c Minister of National Revenue, [1946] RCS 209) et, dans le présent contexte, seul le domicile ukrainien comptait. On a interrogé la demanderesse à ce sujet et elle n’avait à fournir au tribunal que des renseignements sur son domicile ukrainien, sa situation financière et ses antécédents judiciaires, de même que tout autre renseignement concernant les enfants. Le juge ukrainien a également été régulièrement informé au sujet de l’état matrimonial de la demanderesse : au moment où l’ordonnance a été prononcée, la demanderesse était légalement séparée de son mari, bien qu’ils se soient ultérieurement réconciliés après qu’elle soit rentrée au Canada. L’agente ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que la demanderesse avait fait de fausses déclarations à quelque étape que ce soit du processus d’adoption.

 

[31]           Comme l’Ukraine n’est pas un des pays signataires de la Convention de La Haye, la situation de la demanderesse n’est pas visée par l’alinéa 5.1(3)c) du Règlement. Les facteurs pertinents étaient donc les suivants :

i) une étude du milieu familial a été faite ou approuvée par les autorités compétentes,

(ii) le ou les parents, selon le cas, ont, avant l’adoption, donné un consentement véritable et éclairé à l’adoption,

(iii) l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant,

(iv) rien n’indique que l’adoption avait pour objet la traite de la personne ou la réalisation d’un gain indu au sens de la Convention sur l’adoption.

 

[32]           Tous ces critères ont été respectés. Le refus de l’agente d’accorder la citoyenneté était déraisonnable, parce qu’elle a appliqué à une adoption nationale dans un pays non-signataire de la Convention de La Haye des critères qui ne valent que pour les adoptions internationales. L’ordonnance d’adoption a été accordée conformément aux lois ukrainiennes par un tribunal ukrainien et elle est légale.

 

Le défendeur

 

[33]           Le défendeur soutient que l’agente avait des motifs raisonnables de conclure que l’ordonnance d’adoption avait été obtenue sur la base d’éléments de preuve inexacts ou faux qui ont joué un rôle déterminant dans la décision du tribunal et que, par conséquent, l’ordonnance d’adoption était fondée sur une irrégularité suffisamment grave pour en justifier l’annulation.

 

[34]           En droit ukrainien, seuls les citoyens ukrainiens résidant de façon permanente en Ukraine peuvent se prévaloir du processus d’adoption nationale et adopter des enfants de moins de cinq ans. Les étrangers et les citoyens ukrainiens vivant à l’étranger doivent soumettre au ministre des Politiques sociales une demande d’approbation de l’adoption projetée. La demanderesse a dissimulé le fait qu’elle était également une citoyenne canadienne, qu’elle était mariée à un Canadien et qu’elle vivait au Canada. Elle a présenté une demande d’adoption fondée sur le fait qu’elle était une résidente ukrainienne vivant dans un appartenant à Vinnitsa et qu’elle n’était pas mariée. La demanderesse a été priée d’expliquer la situation au ministère des Politiques sociales et a demandé leur approbation, mais il ressort à l’évidence de la réponse du ministère qu’elle n’a pas révélé le fait qu’elle était une résidente canadienne.

 

[35]           Dans la décision Sinniah, précitée, la Cour a expliqué, au paragraphe 9, que bien qu’« un jugement obtenu par fraude ou irrégularité puisse être infirmé, ce n’est pas toutes les irrégularités qui justifient l’annulation d’une ordonnance ». Il s’ensuit qu’un agent de la citoyenneté canadienne doit avoir de très bonnes raisons pour décider qu’une ordonnance d’un tribunal étranger approuvant une adoption n’est pas conforme aux lois étrangères. En l’espèce, l’agente avait des bonnes raisons de conclure que l’ordonnance d’adoption avait été obtenue sur le fondement d’une grave irrégularité.

 

[36]           Suivant les renseignements fournis à l’agente par le ministère des Politiques sociales, un citoyen et résident du Canada est, qu’il soit aussi ou non un citoyen de l’Ukraine, considéré comme un étranger lorsqu’il s’agit d’adopter un enfant ukrainien, et il ne peut adopter un enfant de moins de cinq ans. Cette règle de droit vise à s’assurer que les enfants en question demeurent en Ukraine. L’agente a conclu de façon raisonnable que l’ordonnance que la demanderesse avait obtenue n’aurait pas été rendue si cette dernière avait divulgué le fait qu’elle était une citoyenne canadienne résidant au Canada. Cette irrégularité n’était pas une simple question accessoire comme dans l’affaire Sinniah, précitée, ni une question préliminaire dont le tribunal n’avait pas à se préoccuper, comme c’était le cas dans l’affaire Boachie, précitée; elle touche directement à la question de la compétence du tribunal ukrainien pour prononcer l’ordonnance en question. Elle a privé le gouvernement ukrainien du droit d’évaluer et d’approuver la demande d’adoption d’enfants âgés de moins de cinq ans présentée par une demanderesse qui avait l’intention de les amener hors du pays.

 

[37]           L’agent a par ailleurs relevé deux contradictions importantes entre la demande de citoyenneté et l’ordonnance d’adoption qui ont justifié les réserves qu’elle a exprimées. Il est écrit, dans la demande, que la demanderesse habite à Regina, alors que les documents déposés à l’appui de la demande d’ordonnance d’adoption précisent que la demanderesse vit en Ukraine et n’est pas mariée.

 

[38]           Compte tenu du cours laps de temps écoulé entre l’arrivée de la demanderesse en Ukraine et sa demande d’adoption, de la brève période écoulée entre le prononcé de l’ordonnance d’adoption et la décision de la demanderesse de ramener les enfants avec elle au Canada et du fait que la demanderesse vivait principalement au Canada depuis de nombreuses années, exerçait la médecine à Regina, avait présenté une demande d’adoption internationale depuis Regina et avait épousé un homme qui vivait à Regina, il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse n’était pas une résidente permanente de l’Ukraine et qu’elle n’avait pas le droit de présenter une demande d’adoption nationale en Ukraine.

 

[39]           Les questions de savoir si la demanderesse a présenté des faits inexacts au tribunal ukrainien ou si ce tribunal a fondé sa décision sur des renseignements faux ou insuffisants sont des questions de fait assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Il était raisonnable de la part de l’agente de conclure, vu l’ensemble de la preuve, que la demanderesse n’avait pas l’intention de résider en permanence en Ukraine ou, tout au plus, n’avait eu cette intention que de façon éphémère. Compte tenu de cette appréciation raisonnable des faits, la décision que l’agente a finalement rendue était raisonnable et justifiée.

 

[40]           Le défendeur affirme également qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis en l’espèce. Les premières notes consignées par l’agente dans le SMGC le 18 janvier 2012 ne permettent pas de penser qu’elle avait un parti pris. Ces notes révèlent que l’agente avait des réserves raisonnables en raison du fait que la demanderesse, qui semblait être une résidente de Regina, en Saskatchewan, et qui était mariée à un Canadien, avait obtenu une ordonnance d’adoption en déclarant être une résidente de l’Ukraine et être célibataire. L’agente n’a pas tranché immédiatement la question pour autant. Elle a plutôt décidé de consulter le gouvernement ukrainien et le personnel de CIC chargé des politiques pour ensuite faire part à la demanderesse de ses réserves et de lui offrir la possibilité d’y répondre. Après avoir examiné les nouveaux renseignements fournis par le gouvernement ukrainien et par la demanderesse, l’agente a décidé de refuser d’octroyer la citoyenneté.

 

ANALYSE

 

[41]           Compte tenu du fait que les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui s’applique aux questions qui me sont soumises, il y a lieu de formuler d’entrée de jeu quelques autres observations à la lumière des arguments présentés par les parties sur les faits et le droit. À mon avis, la contestation vise essentiellement trois types de conclusions tirées par l’agente.

 

[42]           En premier lieu, l’agente a tiré des conclusions au sujet de ce que la législation ukrainienne exigeait tant dans le cas des adoptions nationales que dans celui des adoptions internationales en se fondant en grande partie sur les conseils et les renseignements qu’elle avait obtenus du gouvernement ukrainien. La demanderesse affirme qu’elle avait le droit de recourir au processus d’adoption nationale d’enfants de moins de cinq ans en Ukraine, alors que le défendeur soutient le contraire. Pour les besoins de la présente audience de contrôle judiciaire, les conclusions relatives à la teneur de la législation ukrainienne constituent des conclusions de fait assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (décisions Boachie, au paragraphe 2, et Bhagria, au paragraphe 39, précitées).

 

[43]           Deuxièmement, l’agente a tiré des conclusions sur le déroulement du processus d’adoption. Elle a notamment conclu que la demanderesse avait omis de communiquer certains renseignements et avait soumis des renseignements erronés au cours de ce processus. Il s’agit là de conclusions de fait qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53).

 

[44]           Enfin, l’agente a tiré une conclusion sur l’effet que l’on devait donner à l’ordonnance par laquelle le tribunal ukrainien avait approuvé les adoptions en se fondant sur les conclusions de fait susmentionnées. Plus précisément, l’agente a conclu qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, l’ordonnance en question ne permettait pas de savoir si les adoptions étaient conformes à la législation ukrainienne. Elle a en effet conclu que l’on pouvait ne pas tenir compte de l’ordonnance du tribunal ukrainien ou l’annuler. À mon avis, il s’agit là d’une conclusion à laquelle la norme de la décision correcte s’applique (décision Boachie, précitée, au paragraphe 2). Autrement dit, l’agente devait appliquer le bon critère pour déterminer s’il y avait lieu d’annuler l’ordonnance du tribunal ukrainien et elle devait appliquer ce critère correctement.

 

[45]           Saisie des demandes de citoyenneté des enfants, l’agente avait l’obligation de vérifier si les adoptions avaient été effectuées en conformité avec les lois en vigueur dans le pays où elles avaient eu lieu et avec celles du pays de résidence du citoyen qui a présenté la demande d’adoption (voir l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi).

 

[46]           Au moment où le second volet des demandes de citoyenneté a été présenté, la demanderesse résidait et travaillait à Regina depuis un certain temps et elle habitait avec son mari, qui n’était pas Ukrainien.

 

[47]           L’agente avait donc l’obligation de vérifier s’il avait été satisfait aux critères prévus à l’alinéa 5.1(1)c). Elle a découvert que la demanderesse n’avait pas procédé à une adoption internationale, mais qu’elle avait obtenu une adoption nationale en Ukraine. Il s’ensuit que l’agente avait l’obligation de déterminer comment une citoyenne canadienne résidant à Regina au moment des demandes de citoyenneté avait réussi à obtenir une adoption nationale en Ukraine.

 

[48]           L’agente s’est alors adressée au gouvernement ukrainien, et le ministère des Politiques sociales l’a informée que la législation ukrainienne exigeait que l’adoption des enfants par des citoyens ukrainiens vivant à l’étranger soit approuvée par le ministère et lui a expliqué que les personnes ayant la double citoyenneté n’étaient pas considérées comme des citoyens ukrainiens résidant à l’étranger, mais bien comme des étrangers.

 

[49]           Vu ces renseignements obtenus du gouvernement ukrainien, on a demandé à la demanderesse d’obtenir le consentement nécessaire du ministère des Politiques sociales de l’Ukraine, mais celui‑ci a refusé d’accorder ce consentement au motif qu’il ne s’agissait pas d’une adoption nationale.

 

[50]           Ayant été informée par le gouvernement ukrainien du fait que les personnes ayant la double nationalité étaient assimilées à des étrangers, l’agente avait l’obligation de vérifier si l’adoption nationale des enfants s’était déroulée en conformité avec les lois du pays où ces adoptions avaient eu lieu. En d’autres termes, compte tenu des renseignements fournis par le gouvernement ukrainien sur les personnes admissibles à adopter des enfants de moins de cinq ans en Ukraine, comment la demanderesse, une personne ayant la double nationalité vivant et travaillant au Canada et mariée à un non-Ukrainien résidant au Canada, pouvait‑elle réussir à adopter deux enfants ukrainiens de moins de cinq ans en vertu du processus d’adoption nationale ?

 

[51]           L’agente a donc entrepris des démarches pour se renseigner au sujet de la demanderesse et d’autres personnes. Ces démarches se sont échelonnées sur une très longue période de temps.

 

[52]           Au bout du compte, l’agente a conclu que la demanderesse avait réussi à adopter les enfants dans le cadre d’une adoption nationale parce qu’elle s’était fait passer pour une résidente ukrainienne. La demanderesse n’avait pas expliqué ou révélé qu’elle était également une résidente du Canada, qu’elle avait la double citoyenneté canadienne et ukrainienne et qu’à toute l’époque en cause, elle était mariée à un résident canadien non ukrainien qui vivait à Regina, où la demanderesse exerce la médecine.

 

[53]           La demanderesse a tenté de justifier de diverses façons les moyens qu’elle avait pris pour procéder à ces adoptions. Elle affirme qu’à l’époque, elle avait pendant un certain temps envisagé de résider et de travailler en Ukraine, mais qu’elle avait rapidement dû renoncer à cette idée. Elle affirme également qu’elle était séparée de son mari, qui demeurait à Regina, et qu’une séparation légale n’est pas reconnue par la loi en Ukraine, de sorte qu’elle a déclaré aux autorités ukrainiennes qu’elle était divorcée. Elle a expliqué qu’elle avait déjà obtenu le divorce d’un premier mari en Ukraine et il semble qu’elle ait fourni les documents attestant ce premier divorce en Ukraine comme preuve de son état matrimonial d’alors. Suivant la preuve, la demanderesse s’est servie de ses papiers de divorce antérieurs pour faire la preuve de son état matrimonial sans divulguer son mariage subséquent à M. Ziarko (transcription du contre-interrogatoire de la demanderesse sur son affidavit [Transcription], Dossier du défendeur, aux pages 148 et 149). Je ne dispose d’aucune explication de la demanderesse au sujet de ce qu’elle a dit aux autorités ukrainiennes et au tribunal ukrainien en ce qui a trait à sa double citoyenneté. Il semble qu’elle se soit fait passer pour une citoyenne ukrainienne résidant à temps plein en Ukraine (Transcription, Dossier du défendeur, aux pages 149 et 150). La demanderesse va jusqu’à admettre ces faits dans son argumentation en déclarant que les critères d’adoption nationale [traduction] « ne prévoient rien au sujet de renseignements à communiquer quant aux lieux de résidence situés à l’extérieur de l’Ukraine ou du fait que l’intéressé possède aussi une autre citoyenneté ». La demanderesse ajoute qu’elle aurait [traduction] « fourni ces renseignements s’ils avaient fait partie des critères d’adoption ou si le tribunal les lui avait demandés ». Elle affirme que [traduction] « seul le domicile ukrainien comptait », sans plus (mémoire de la demanderesse, à la page 15). Il semble qu’elle ait également fait de fausses déclarations au sujet de son état matrimonial.

 

[54]           La demanderesse affirme que ces questions n’ont aucune importance, car rien ne permet de penser que, si le tribunal ukrainien avait eu le portrait global de la situation, cela aurait changé quoi que ce soit, ajoutant qu’on ne peut émettre des hypothèses sur ce que le tribunal ukrainien aurait fait.

 

[55]           Il me semble que cette façon de voir méconnaît les éléments de preuve non contestés suivant lesquels les personnes ayant la double nationalité ne sont pas considérées comme des citoyens ukrainiens, mais bien comme des étrangers aux fins de l’adoption (Dossier du défendeur, à la page 106), et que le ministère des Politiques sociales doit approuver l’adoption des enfants ukrainiens par les étrangers (DCT, à la page 19). Comme la demanderesse n’a pas obtenu cette approbation, l’adoption ne pouvait avoir été effectuée en conformité avec les lois du pays où l’adoption avait lieu.

 

[56]           Si l’on écarte pour le moment les questions d’équité procédurale, la Cour doit trancher les questions suivantes :

a)                  L’agente disposait‑elle de suffisamment d’éléments de preuve pour ne pas tenir compte de l’ordonnance par laquelle du tribunal ukrainien avait officialisé l’adoption nationale des enfants;

b)                  Si l’agente disposait de motifs suffisants pour ne pas tenir compte de l’ordonnance du tribunal ukrainien, la conclusion de l’agente suivant laquelle l’adoption n’était pas conforme aux lois de l’Ukraine était‑elle raisonnable?

[57]           Il est de jurisprudence constante que le critère à respecter pour annuler une ordonnance d’un tribunal étranger ou pour ne pas en tenir compte est exigeant. Dans la décision Boachie, précitée, par exemple, la Cour a résumé la jurisprudence pertinente de la manière suivante :

26           La décision de principe sur la question de la légitimité des adoptions à l’étranger a été rendue par la juge Dawson dans l’affaire Sinniah, précitée. La juge Dawson explique le statut d’une ordonnance d’adoption rendue à l’étranger aux paragraphes 8 et 9 de ses motifs :

¶8        La meilleure preuve que l’adoption est conforme aux lois d’un pays est une ordonnance ou un jugement définitif à cet effet parce que, malgré que l’un ou l’autre puisse faire l’objet d’un appel ou être infirmé, un jugement règle définitivement la question entre les parties et les personnes qui leur sont associées, et constitue à l’égard des tiers une preuve probante de l’existence du jugement, de sa date et de ses effets juridiques. Voir : Halsbury’s Laws of England (4th) volume 37 au paragraphe 1224.

¶9        Bien qu’un jugement obtenu par fraude ou irrégularité puisse être infirmé, ce n’est pas toutes les irrégularités qui justifient l’annulation d’une ordonnance. De même, comme le dit l’ouvrage Halsbury’s Laws of England (4th) volume 37, au paragraphe 1210 : [traduction« Un jugement qui a été obtenu par fraude soit en cour soit de l’une ou l’autre des parties peut être annulé s’il est contesté au cours d’une nouvelle instance alléguant et prouvant la fraude. Dans ce genre d’instance, il n’est pas suffisant de simplement alléguer la fraude sans donner de détails, et la fraude doit être reliée à des questions qui à première vue constitueraient une raison d’infirmer le jugement si elles étaient établies par la preuve, et non pas à des questions qui sont simplement incidentes. La Cour exige que des arguments irréfutables soient établis avant d’annuler un jugement pour ce motif et l’instance pourra être suspendue ou rejetée comme étant vexatoire à moins que la faute alléguée ait une chance raisonnable de succès et qu’elle ait été découverte après le jugement. [renvois omis]         [Non souligné dans l’original.]

 

[27]           Dans l’affaire Sinniah, précitée, le défendeur affirmait que la décision était entachée d’une irrégularité parce que le demandeur avait produit à la Cour une fausse adresse et de faux renseignements au sujet de sa famille, et n’avait pas tenu compte de l’effet juridique d’une ordonnance valablement prononcée par un tribunal du Sri Lanka. La juge Dawson a estimé, aux paragraphes 12 et 13, que le défendeur avait de façon déraisonnable ignoré l’effet juridique d’une ordonnance rendue par une juridiction étrangère :

¶12      Dans les circonstances, je conclus qu’il était manifestement déraisonnable pour elle d’ignorer l’effet juridique d’une ordonnance définitive d’une cour de justice et de décider, en l’absence d’une preuve probante, qu’une ordonnance prononcée par une cour du Sri Lanka était insuffisante pour établir le fait que l’adoption avait été faite conformément au droit du Sri Lanka.

¶13      L’agente des visas ne pouvait pas simplement spéculer sur l’effet d’irrégularités apparentes qui étaient accessoires aux faits dont était saisi le tribunal du Sri Lanka à l’appui de la demande.

 

[28]           Les parties ont invoqué la décision Ogwebe, précitée, la juge Mactavish, sur laquelle la SAI s’est fondée et dont elle a cité le paragraphe 9, que voici :

 

¶9        De plus, la présomption de la validité est une présomption réfutable. En l’espèce, il existait des preuves que la loi nigériane impose des exigences de résidence aux éventuels parents adoptifs ainsi qu’à l’enfant. Comme l’enfant n’avait pas résidé au Nigeria depuis des années, et que les éventuels parents adoptifs résidaient au Royaume-Uni au moment de l’adoption, il était tout à fait raisonnable de la part de l’agente des visas de vouloir vérifier que les exigences de résidence imposées par la loi nigériane avaient été respectées

 

[29]           La juge Mactavish a tenu ces propos alors qu’elle était appelée à déterminer si l’agente des visas avait agi de mauvaise foi. Elle a estimé que l’agente des visas n’avait pas agi de mauvaise foi parce qu’il y avait des raisons de s’interroger sur l’authenticité de l’ordonnance de la cour nigériane, lorsqu’on tenait compte de l’ensemble des faits de l’affaire, et notamment des réponses douteuses que les demandeurs eux-mêmes avaient données. La juge Mactavish n’entendait pas rendre moins exigeant le critère à respecter pour contester la validité d’une ordonnance rendue par un tribunal étranger. La décision Ogwebe, précitée, fait suite au jugement Sinniah, précité, qui exige des éléments de preuve convaincants de fraude pour pouvoir contester une ordonnance judiciaire.

 

[30]           En l’espèce, les deux parties conviennent que l’authenticité de l’ordonnance rendue par la cour ghanéenne n’est pas remise en question. Il n’y a pas d’allégation de fraude.

 

[31]           Il s’agit plutôt de déterminer si la SAI est habilitée à se prononcer sur la question de savoir si une ordonnance valide d’une cour ghanéenne est conforme à certaines dispositions des lois du Ghana. La loi interdit clairement, à mon sens, ce genre d’examen, en l’absence de fraude. Il appartient à la cour d’appel du pays étranger concerné de se prononcer sur le bien-fondé d’une ordonnance judiciaire à la lumière d’une disposition isolée de la loi applicable. Il est de jurisprudence constante, dans la foulée de l’arrêt Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, 122 N.R. 81, le juge La Forest, que les tribunaux à qui l’on demande de reconnaître des jugements rendus à l’étranger sont tenus, en raison du principe de la courtoisie internationale, de donner effet à ces jugements. Il en va de même pour les tribunaux administratifs comme la SAI. C’est à la cour d’appel du Ghana qu’il appartient de décider si la cour ghanéenne a choisi de ne pas tenir compte ou de ratifier une irrégularité relative à la résidence qui remontait à une date antérieure à l’adoption.

 

[32]           L’ordonnance d’adoption prononcée en 2006 par la Cour supérieure de la Haute Cour de justice du Ghana parle d’elle-même : la Cour avait entendu les observations du directeur du Bien-être social du Ghana, qui est autorisé, par la Children’s Act du Ghana, à formuler ses observations et ses recommandations à l’agent de probation. Ces fonctionnaires étaient certainement au courant des faits essentiels concernant la demanderesse par rapport aux exigences légales de l’adoption.

 

[33]           La Cour tient par ailleurs compte de l’article 2 de la Children’s Act, qui prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant a préséance sur toute autre disposition de cette loi. La cour ghanéenne n’était donc pas tenue de suivre à la lettre une disposition explicite de la Children’s Act comme celle exigeant trois mois de résidence (paragraphe 67(3) de la Children’s Act, 1998). Le directeur du Bien-être social et l’agent de probation ont vraisemblablement recommandé l’adoption parce qu’ils estimaient que cette mesure était dans l’intérêt supérieur de l’enfant, étant donné que l’enfant devait être adoptée par sa tante au Canada et jouirait des avantages qu’offre le Canada.

 

[34]           La Cour est convaincue que l’adoption était « conforme au droit » du Ghana au sens de l’alinéa 117(3)d) de la LIPR.

 

[35]           En ce qui concerne la décision de l’agent des visas suivant laquelle la demanderesse n’avait pas créé « un véritable lien affectif parent-enfant », la SAI a décidé de ne pas examiner cette question, puisqu’elle confirmait la décision en appel sur l’autre question. Cette façon de faire du commissaire ne saurait être encouragée, parce qu’elle risque de retarder considérablement le processus légal. L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour le pouvoir de prendre toute mesure qu’elle estime indiquée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, après examen de la preuve soumise à la SAI, la Cour conclut ce qui suit :

 

1.                  Rien ne permet de penser que la présente adoption était motivée par un but illégitime, tel que la traite des enfants;

2.                  Suivant la preuve médicale, la demanderesse est incapable, malgré ses nombreuses tentatives, de concevoir un enfant au Canada;

3.                  La demanderesse et son conjoint de fait ont adopté l’enfant en question parce qu’il s’agit de la fille du frère de la demanderesse et qu’elle ressemble même à la demanderesse;

4.                  La demanderesse a subvenu aux besoins de sa fille adoptive au Ghana et continue d’y subvenir;

5.                  La fille adoptive vit avec la mère de la demanderesse au Ghana et croit que la demanderesse est sa mère biologique.

 

Pour ces motifs, il existe des éléments de preuve tendant à démontrer l’existence d’un véritable lien affectif mère-enfant dans la mesure du possible, compte tenu du fait qu’elles vivent dans des pays différents.

 

[36]           La SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’effet juridique de l’ordonnance de la cour ghanéenne en l’absence d’éléments de preuve clairs tendant à démontrer l’existence d’une fraude. La Cour renverra donc l’affaire à la SAI pour qu’elle rende une nouvelle décision qui sera conforme aux présents motifs, en donnant pour directive à la SAI et à l’agent des visas ou à l’agent d’immigration, de traiter la présente affaire de façon accélérée, étant donné que la demanderesse aurait pu avoir sa fille avec elle au Canada il y a trois ans.

 

[58]           Ainsi que le défendeur le souligne :

[traduction]

Le ministère des Politiques sociales de l’Ukraine avait clairement expliqué qu’un citoyen du Canada, qu’il soit également ou non un citoyen de l’Ukraine, était considéré comme un étranger lorsqu’il s’agit d’adopter des enfants ukrainiens. La réglementation ukrainienne vise à limiter l’adoption internationale d’enfants de moins de cinq ans pour garder ces enfants en Ukraine. L’agente de citoyenneté a conclu de façon raisonnable que l’ordonnance que la demanderesse avait obtenue n’aurait pas dû être rendue et qu’elle ne l’aurait pas été si la demanderesse avait révélé qu’elle était une citoyenne canadienne résidant au Canada, et ce, même si elle a des liens avec l’Ukraine et qu’elle a passé du temps en Ukraine.

 

[59]           Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme ce qui suit :

[traduction]

Cette irrégularité n’est pas une question accessoire comme dans l’affaire Sinniah ou une question préliminaire dont le tribunal n’avait pas à se préoccuper comme dans l’affaire Boachie. En l’espèce, l’irrégularité commise touche directement la compétence du tribunal régional pour prononcer l’ordonnance et elle a eu pour effet de priver le gouvernement ukrainien du droit d’évaluer et d’approuver la demande d’adoption d’enfants âgés de moins de cinq ans par une personne qui avait l’intention de les amener hors du pays.

 

 

[60]           La demanderesse soutient que l’agente a formulé des hypothèses de fait au sujet de la demande d’adoption en décidant qu’elle n’était pas valide. Elle ajoute que l’agente ne possédait pas les connaissances spécialisées nécessaires pour contester la légalité de cette ordonnance d’une cour étrangère et qu’elle ne disposait d’aucune preuve de fraude, de sorte que ses conclusions sont incorrectes.

 

[61]           Suivant la lecture que je fais du dossier, l’agente a fondé cet aspect de sa décision sur les renseignements non ambigus qu’elle avait obtenus du ministère des Politiques sociales de l’Ukraine et suivant lesquels, en droit ukrainien, seuls les citoyens résidant en permanence en Ukraine peuvent se prévaloir du processus d’adoption nationale pour adopter des enfants de moins de cinq ans (dossier du défendeur, aux pages 106 et 107; DCT, aux pages 19 et 20 et 97 à 100). Les étrangers, y compris ceux qui se trouvent dans la position de la demanderesse et qui ont la double citoyenneté, doivent soumettre une demande au ministère des Services sociaux de l’Ukraine en vue de l’adoption projetée. La demanderesse a reconnu en contre-interrogatoire que seuls les citoyens ukrainiens résidant en Ukraine peuvent se prévaloir du processus d’adoption nationale, qui est le seul processus qui permet l’adoption d’enfants ukrainiens de moins de cinq ans (Transcription, Dossier du défendeur, à la page 157).

 

[62]           Il ressort clairement des notes prises par l’agente lors de son examen qu’elle était légitimement préoccupée par le fait que, lorsqu’elle avait obtenu l’ordonnance du tribunal ukrainien, la demanderesse n’avait pas révélé sa résidence au Canada, sa citoyenneté canadienne ou le fait qu’elle était mariée à un non-Ukrainien vivant au Canada.

 

[63]           En contre-interrogatoire, la demanderesse a expliqué que, lorsqu’elle s’était rendue en Ukraine en juin 2011, elle avait l’intention d’y demeurer pour de bon. Elle s’est toutefois rapidement ravisée, ce qui n’explique cependant pas comment elle a pu obtenir l’ordonnance d’adoption alors qu’elle avait également la citoyenneté canadienne, ni la raison pour laquelle elle n’a pas révélé le fait qu’elle était mariée à M. Ziarko, qui vit à Regina.

 

[64]           La demanderesse affirme qu’elle était légalement séparée de M. Ziarko lorsqu’elle se trouvait en Ukraine, mais elle n’a soumis aucun élément de preuve pour le confirmer. Il est toutefois évident qu’à l’époque en cause, la demanderesse était mariée à M. Ziarko et que ce mariage existe toujours.

 

[65]           Il me semble que l’agente avait de bonnes raisons de conclure qu’une grave irrégularité avait permis à la demanderesse d’obtenir l’ordonnance d’adoption ukrainienne. Suivant les éléments de preuve dont l’agente disposait, la demanderesse n’aurait pas pu obtenir son ordonnance d’adoption si elle avait révélé qu’elle était une citoyenne canadienne qui vivait au Canada depuis de nombreuses années. L’ordonnance d’adoption mentionne que la demanderesse vit en Ukraine et n’est pas mariée.

 

[66]           La demanderesse a par la suite admis qu’elle était mariée à l’époque où elle avait obtenu l’ordonnance d’adoption; pourtant, elle a affirmé au tribunal ukrainien qu’elle était divorcée. La demanderesse avait déjà obtenu un divorce, mais pas de M. Ziarko. Elle était mariée lorsqu’elle a dit au tribunal ukrainien qu’elle était divorcée. Les raisons pour lesquelles la demanderesse a fait de fausses déclarations au sujet de son état matrimonial et a produit des documents de divorce concernant son mariage antérieur sont assez évidentes. Elle souhaitait manifestement éviter toute enquête sur sa double nationalité et sur ses liens avec Regina. Elle voulait se faire passer pour une ressortissante ukrainienne résidant en permanence en Ukraine.

 

[67]           Je ne pense pas que l’on puisse qualifier ces irrégularités d’accessoires au sens de la décision Sinniah, précitée, ou de questions préliminaires au sens de la décision Boachie, précitée.

 

[68]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ces irrégularités entachent la validité de l’ordonnance prononcée par le tribunal ukrainien. Le tribunal ukrainien ne disposait pas de renseignements essentiels qui lui auraient permis d’exercer sa compétence et de rendre l’ordonnance sollicitée et le gouvernement ukrainien a été privé de son droit d’évaluer et d’approuver l’adoption d’enfants de moins de cinq ans dans une situation dans laquelle la demanderesse, une citoyenne canadienne, avait l’intention d’amener les enfants avec elle hors du pays. Ce sont là des préoccupations sérieuses. Les explications de la demanderesse pour justifier ses actes ne sont pas convaincantes et, en tout état de cause, n’expliquent pas pourquoi elle a dit au tribunal ukrainien qu’elle était divorcée. J’estime que, dans le cas qui nous occupe, le critère rigoureux qui doit être respecté pour pouvoir annuler un jugement étranger pour cause de « fraude ou irrégularité » a été satisfait. Non seulement l’ordonnance par laquelle le tribunal ukrainien a approuvé l’adoption n’a pas été rendue en conformité avec les lois ukrainiennes relatives aux adoptions nationales, mais encore elle a été rendue sur la foi de fausses déclarations graves de la demanderesse. La présente situation est différente de celle que la Cour a examinée dans l’affaire Boachie, précitée.

 

[69]           Ainsi que le défendeur l’explique :

[traduction]

Compte tenu du cours laps de temps écoulé entre l’arrivée de la demanderesse en Ukraine et sa demande d’adoption, de la brève période écoulée entre le prononcé de l’ordonnance d’adoption et la décision de la demanderesse de ramener les enfants avec elle au Canada, et du fait que la demanderesse vivait principalement au Canada depuis de nombreuses années, exerçait la médecine à Regina, avait présenté une demande d’adoption internationale depuis Regina et avait épousé un homme qui vivait à Regina, il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse n’était pas une résidente permanente de l’Ukraine et qu’elle n’avait pas le droit de demander une adoption nationale en Ukraine.

 

[70]           La demanderesse affirme également que l’agente avait un parti pris, qu’elle l’a privée de son droit à l’équité procédurale et qu’elle a commis une erreur dans son appréciation de la preuve. J’ai examiné chacun de ces motifs et je ne trouve aucun élément de preuve les appuyant. L’agente n’a pas adopté une approche unilatérale au cours de son analyse. En conformité avec son devoir, elle a donné suite aux réserves que lui inspirait le dossier. Elle a fait part de ces réserves à la demanderesse et a obtenu son consentement pour faire un suivi auprès des autorités ukrainiennes. Le dossier révèle qu’il y a eu de nombreux appels téléphoniques et courriels qui ont permis à la demanderesse d’être parfaitement mis au courant des préoccupations exprimées et qu’elle s’est vue offrir amplement la possibilité de faire valoir son point de vue, de donner sa version des faits et d’expliquer comment l’agente devait y donner suite à son avis.

 

[71]           Je dois conclure que l’agente disposait en l’espèce de suffisamment d’éléments de preuve pour ne pas tenir compte de l’ordonnance du tribunal ukrainien et que l’agente a tiré la bonne conclusion à cet égard. Qui plus est, la conclusion de l’agente suivant laquelle les adoptions n’étaient pas conformes au droit ukrainien était raisonnable, vu l’ensemble des faits de l’espèce et le dossier dont elle disposait.

 

[72]           La seule vraie préoccupation en l’espèce est le sort des enfants. La demanderesse affirme que le rejet de leur demande de citoyenneté canadienne leur causera un préjudice et les pénalisera injustement, en plus de les priver d’une vie de famille normale. Il ne s’agit toutefois pas de questions dont je suis régulièrement saisi dans le cadre de la présente demande. On ne peut faire l’économie de la législation ukrainienne sur les adoptions étrangères en invoquant un présumé « bien supérieur » que la Cour n’a aucun moyen d’apprécier. La demanderesse allègue que la décision de l’agente est sévère et injustifiée. Mais c’est la demanderesse qui a choisi la procédure pour effectuer les adoptions. Les irrégularités qui ont par la suite été révélées et qui laissent entrevoir que la demanderesse a omis de divulguer des faits qui étaient extrêmement importants dans le cadre du processus d’adoption nationale sont exclusivement imputables à la demanderesse. C’est elle qui est responsable de la situation dans laquelle les enfants se retrouvent maintenant.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande et ADJUGE les dépens au défendeur.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-2217-12

 

INTITULÉ :

SVITLANA CHESHENCHUK c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 9 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 13 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Henri Chabanole

POUR LA demanderesse

 

 

Michael Brannen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Merchant Law Group LLP

Regina (Saskatchewan)

POUR La demanderesse

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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