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Date : 20140106


Dossier :

IMM-11547-12

 

Référence : 2014 CF 4

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

A25

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               La présente demande s’ajoute à une série de demandes de contrôle judiciaire portant sur des demandes d’asile faites par des passagers arrivés au Canada à bord de l’un des deux navires transportant les demandeurs d’asile tamouls et qui ont accosté à la fin de 2009 et au milieu de 2010. En l’espèce, le défendeur était arrivé à bord du navire Ocean Lady.

 

[2]               Dans certains des cas, le demandeur d’asile avait un historique de problèmes avec les autorités du Sri Lanka avant son arrivée au Canada, parce qu’il avait été identifié comme Tamoul du nord et en raison de son possible lien avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Cependant, dans la présente affaire, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le récit du défendeur, concernant les incidents précédant son arrivée, n’était pas crédible. Par conséquent, le seul fondement de la demande d’asile était que le défendeur serait pris pour cible à son retour au Sri Lanka par les autorités, et ce, seulement en raison du fait qu’il était passager du navire.

 

[3]               La juge Gleason, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. A068, 2013 CF 1119, a effectué une analyse approfondie, analyse très utile d’ailleurs, des nombreuses décisions concernant des demandes d’asile similaires ainsi que des thèmes centraux abordés dans ces affaires. Je reprends à mon compte son raisonnement et ses conclusions.

Un des éléments centraux est que chaque affaire est un cas d’espèce et que chaque contrôle judiciaire porte sur les conclusions précises tirées par la SPR.

 

II.        LE CONTEXTE

[4]               Le défendeur est un Tamoul citoyen du Sri Lanka. Il a affirmé que, avant de quitter le Sri Lanka, lui et sa famille avaient été harcelés et détenus à maintes reprises par le Parti démocratique populaire de l’Eelam. Il a aussi affirmé qu’il avait été arrêté, interrogé, battu et détenu par la police sri-lankaise. Il a ensuite fui en direction de la Thaïlande, et c’est à partir de ce pays qu’il a voyagé au Canada à bord du navire Ocean Lady.

 

[5]               Le SPR a accueilli la demande d’asile du défendeur, en concluant qu’il « craint avec raison d’être persécuté au Sri Lanka du fait de motifs prévus dans la Convention, à savoir sa nationalité de jeune homme tamoul, et son appartenance à un groupe social, celui des jeunes hommes tamouls qui seraient soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET parce qu’ils se sont rendus au Canada à bord de l’Ocean Lady ».

 

[6]               Cette conclusion principale était étayée par un certain nombre de conclusions de fait :

                     Le défendeur n’était pas crédible en ce qui a trait à sa prétendue persécution alors qu’il était au Sri Lanka, mais il était crédible en ce qui a trait à son passage à bord du navire. Il n’y avait pas de preuve convaincante qui donnait à penser que le défendeur aurait été considéré comme ayant des liens avec les TLET avant son départ.

                     Le profil du défendeur a changé lorsqu’il a embarqué sur le navire Ocean Lady, parce que les TLET étaient identifiés comme les propriétaires et exploitants du navire et parce que certains passagers qui avaient des liens avec les TLET se trouvaient à bord du navire.

                     Les autorités sri‑lankaises auraient eu connaissance de la présence du défendeur sur le navire; par conséquent, elles le soupçonneraient d’appartenir aux TLET, d’avoir des liens avec cette organisation ou d’avoir des renseignements au sujet de celle‑ci.

                     La preuve d’expert ainsi qu’un rapport interne du gouvernement du Canada mentionnaient qu’un certain nombre de personnes à bord du navire Ocean Lady étaient soupçonnées d’être des membres des TLET.

                     Certains médias suggéraient que la GRC communiquait avec les autorités sri‑lankaises en vue de faire enquête sur l’identité et sur les antécédents des passagers. La GRC a nié cette information.

                     L’UNHCR recommandait d’assurer une protection continue des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET.

                     Des éléments de preuve étayaient que la torture et les disparitions avaient cours au Sri Lanka et que les fonctionnaires jouissaient de l’impunité.

                     D’autres éléments de preuve démontraient que les demandeurs d’asile qui avaient voyagé à bord des navires et qui avaient été renvoyés dans leur pays étaient détenus et subissaient des interrogatoires particuliers.

                     La preuve fournie par le Haut‑commissariat du Canada n’était pas convaincante, parce qu’elle avait comme source le gouvernement sri-lankais et qu’elle était partiale.

 

[7]               La commissaire a conclu que, si le défendeur était renvoyé au Sri Lanka, il serait identifié comme étant un passager du navire Ocean Lady par les autorités sri‑lankaises, il serait mis en détention avant que les autorités puissent établir s’il était membre ou non des TLET, s’il avait des renseignements au sujet des TLET, s’il participait aux activités des TLET à bord du navire et/ou s’il avait un rôle, et quel rôle, dans le trafic d’armes.

 

[8]               La commissaire a conclu à l’existence d’un lien avec un ou plusieurs motifs énoncés dans la Convention et elle a de plus conclu que le défendeur ne pourrait se prévaloir de la protection de l’État, parce que l’agent de persécution était l’État sri‑lankais lui‑même. La demande d’asile fondée sur l’article 97 n’a pas fait l’objet d’un examen.

 

III.       ANALYSE

[9]               Le demandeur s’opposait à la décision en raison de la conclusion d’existence d’un lien avec un motif énoncé à la Convention, et plus particulièrement, à l’égard de la question de savoir si le défendeur « appartenait à un groupe social en particulier ».

 

A.        La norme de contrôle applicable

[10]           La jurisprudence de la Cour en ce qui concerne la norme de contrôle applicable dans les affaires similaires à la présente tend à favoriser la norme de la « décision raisonnable », mais il n’y a pas unanimité au sein de la Cour à ce sujet.

 

[11]           À mon avis, il est nécessaire d’examiner attentivement les motifs de la décision pour établir si la SPR tirait une conclusion de droit, une conclusion de fait ou une conclusion mixte de fait et de droit, et quelle importance avait l’élément juridique de cette conclusion.

 

[12]           Je remarque que la commissaire n’a pas fait une réelle analyse du concept juridique « d’appartenance à un groupe social » et qu’elle a eu tendance à introduire d’autres éléments de l’article 96 (soit la nationalité) comme étant des éléments constitutifs du groupe social en question.

 

[13]           Compte tenu de la décision dans son ensemble, la commissaire a tiré une conclusion mixte de fait et de droit. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

 

[14]           La suggestion selon laquelle le simple fait d’être un passager sur le navire suffit pour qu’une personne appartienne à un groupe social pose problème en ce qui a trait à l’article 96. Cependant, la commissaire allait encore plus loin dans sa décision. Elle est parvenue à une décision en fonction de ce qui a été qualifié de « motifs mixtes », mais il s’agit en réalité d’une convergence de motifs.

 

[15]           Conformément à l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour doit examiner le dossier ainsi que les motifs pour établir si la décision peut être soutenue. Cela exige que la Cour se penche sur ce qui pourrait être appelé le « caractère véritable » des motifs – le cœur de la décision.

 

[16]           Lorsqu’ils sont examinés sous cet angle, les motifs pour accorder l’asile au défendeur reposaient sur la « nationalité », autant au sens de l’origine raciale ou ethnique du défendeur qu’au sens courant de nationalité. Le fait qu’il ait été identifié par les autorités comme faisant partie des TLET se rapporte à l’élément de l’opinion politique. Pour tirer cette conclusion, il n’est pas nécessaire de considérer l’opinion politique comme faisant implicitement partie de la décision ou de faire un renvoi en ce sens; les opinions politiques étaient un élément important de la décision.

 

[17]           Il n’est pas nécessaire, pour qu’un demandeur d’asile soit exposé à un risque de persécution en raison de ses opinions politiques dans un cas comme celui‑ci, que ce dernier ait les opinions politiques en question, mais simplement qu’il soit perçu par ses agents de persécution comme ayant de telles opinions.

 

[18]           Les motifs de la commissaire pour conclure que le défendeur avait une crainte fondée de persécution reposaient sur la race, sur la nationalité ainsi que sur les opinions politiques de ce dernier. L’élément « appartenance à un groupe social en particulier » peut facilement être séparé des autres motifs, dans la mesure où cet argument est vicié d’un point de vue juridique.

 

[19]           Compte tenu des conclusions de la commissaire qui sont exposées aux paragraphes 6 et 7 des présents motifs, cela constitue un fondement raisonnable à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’asile pouvait être octroyé au défendeur. La Cour n’a aucune raison d’intervenir dans la décision de la SPR.

 

[20]           Il n’y a pas de question à certifier, puisque le présent contrôle judiciaire repose non seulement sur des faits précis, mais aussi sur les motifs précis rendus dans la présente affaire.

 

IV.       CONCLUSION

[21]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-11547-12

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

c.

A25

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 8 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 6 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Leila Jawando

 

pour le demandeur

 

Robert Israel Blanshay

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 

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