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Date : 20140107


Dossier :

IMM-2289-13

 

Référence : 2014 CF 10

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

SINGH, IQBAL

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Aperçu

[1]               Les difficultés qui font intervenir l’exercice du pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire doivent généralement surpasser ce qui découle « du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps » (Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 101 ACWS (3d) 995, 10 Imm LR (3d) 206). La Cour ne croit pas que le demandeur a fourni suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que le fait de devoir quitter le Canada justifierait une exception aux termes de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 chap. 27 [la LIPR].

 

II. Introduction

[2]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire, aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR, d’une décision d’une agente d’immigration, datée du 12 novembre 2012, rejetant sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la demande CH], aux termes de l’article 25 de la LIPR.

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur, M. Iqbal Singh, est un citoyen de l’Inde d’origine sikhe âgé de 58 ans. Il réside à Amritsar, au Punjab, depuis novembre 1996.

 

[4]               Le demandeur soutient que, en avril 1996, un militant sikh s’est présenté à son domicile et a ordonné à sa famille de le nourrir et de l’héberger sous la menace d’une arme.

 

[5]               Après cet incident, le demandeur affirme que la police, le soupçonnant d’être le complice de militants sikhs, a commencé à faire enquête à son sujet. Il souligne qu’il a été arrêté en juin 2000, en octobre 2001 et en juin 2002 en raison de son affiliation perçue avec des éléments militants sikhs.

 

[6]               M. Singh est venu au Canada, de l’Inde, le 3 septembre 2002. Il a demandé l’asile le 8 octobre 2012.

 

[7]               Le 29 août 2003, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de M. Singh, concluant qu’il n’avait pas établi son identité et qu’il avait une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à l’extérieur du Punjab.

 

[8]               Le 6 janvier 2004, M. Singh a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision, qui a été rejetée.

 

[9]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire en 2007, 2008 et 2009. Les trois demandes ont été rejetées.

 

[10]           Le 6 février 2012, le demandeur a demandé un examen des risques avant renvoi [ERAR], demande qui été rejetée le 7 décembre 2012. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant cette demande (IMM‑2224‑13).

 

[11]           Le 27 mars 2013, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la troisième décision CH rendue par Citoyenneté et Immigration Canada, le 12 novembre 2012, qui est la demande sous‑jacente dont est saisie la Cour.

 

IV. Décision visée par le contrôle

[12]           Dans sa décision, l’agente a établi que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de montrer que les conditions dans son pays auraient pour lui personnellement des conséquences défavorables directes et entraîneraient pour lui des difficultés excessives.

 

[13]           L’agente a pris en compte les éléments de preuve documentaire soumis par le demandeur, y compris divers articles et rapports sur les conditions générales en Inde; toutefois, elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve documentaire satisfaisants selon lesquels le demandeur serait ciblé par la police pour quelque raison que ce soit ou connaîtrait des difficultés excessives par rapport à la population générale en Inde.

 

[14]           L’agente a également examiné l’établissement du demandeur au Canada et a conclu que, même s’il vit au Canada depuis plus de 10 ans et y a constamment travaillé, il n’avait pas montré que le fait de quitter son emploi et la communauté au Canada équivaudrait à des difficultés inhabituelles ou excessives. L’agente a jugé que le degré d’établissement du demandeur correspond  à celui auquel l’on s’attendrait après un séjour de10 ans au Canada.

 

[15]           L’agente a aussi souligné que toute la famille du demandeur – dont son épouse, ses deux enfants et ses trois sœurs – est toujours en Inde; par conséquent, elle a jugé que le demandeur bénéficierait d’un soutien s’il se rétablissait en Inde. Elle a aussi conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants du demandeur que celui‑ci rentre en Inde étant donné que les enfants recevraient l’amour et le soutien de leurs deux parents.

 

V. Question en litige

[16]           L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne s’exposerait pas à des difficultés inhabituelles ou excessives s’il rentrait en Inde?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[17]           Les dispositions législatives suivantes de la LIPR sont pertinentes :

25.      (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25.      (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

VII. Position des parties

[18]           Le demandeur soutient que l’agente a conclu de façon déraisonnable qu’il ne serait pas personnellement exposé à des risques de difficultés s’il rentrait en Inde, mais qu’il connaîtrait le même type de risques généralisés que le reste de la population. Il estime que le risque personnalisé n’est pas une condition applicable à la notion de difficultés dans une demande CH.

 

[19]           De plus, le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de son degré d’établissement au Canada parce que celui‑ci correspond à ce qui est attendu des demandeurs d’asile qui restent au Canada pendant un certain temps.

 

[20]           Le défendeur soutient que l’agente a clairement évalué et examiné tous les facteurs pertinents dans la demande CH du demandeur et a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels celui-ci s’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait demander la résidence permanente à partir de l’Inde. Le demandeur n’a pas établi en quoi il serait directement et personnellement visé par la situation décrite dans les éléments de preuve documentaire objectifs qu’il a fournis à l’appui de sa demande.

 

[21]           De plus, le défendeur estime qu’il était raisonnablement loisible à l’agente de tirer cette conclusion à l’égard de l’établissement du demandeur. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve pour montrer qu’il s’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait rompre ses liens avec le Canada. Les éléments de preuve figurant au dossier montrent que le demandeur bénéficierait d’un fort soutien familial s’il rentrait en Inde étant donné qu’il retrouverait toute sa famille, y compris son épouse et ses enfants.

 

VIII. Norme de contrôle

[22]           La norme de contrôle applicable aux questions relatives à la décision d’un agent à l’égard d’une demande CH est celle de la décision raisonnable (Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, au paragraphe 18).

 

[23]           Par conséquent, la Cour n’interviendra pas si la décision est justifiée, transparente et intelligible et si elle « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

IX. Analyse

[24]           Il est bien établi en droit que les difficultés doivent être personnalisées pour que soit rempli le critère applicable à une exception en vertu de l’article 25; par conséquent, une allégation de risque ou de difficultés doit se rapporter aux conditions qui auraient une incidence néfaste directe sur le demandeur; il doit nécessairement y avoir un lien entre les éléments de preuve à l’appui du risque généralisé et ceux à l’appui du risque personnalisé (Ramaischrand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 441, 388 FTR 109; Dorlean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1024; on renvoie également à Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 802, au paragraphe 33; Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6, 338 FTR 224). Il incombe au demandeur de montrer l’existence d’un tel lien.

 

[25]           Le chapitre IP 5 du guide de Citoyenneté et Immigration Canada sur le traitement des demandes, intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire », prévoit aussi expressément que les conditions défavorables au pays qui sont énoncées dans une demande CH doivent avoir une incidence néfaste directe sur le demandeur (s. 5.16, à la p. 17).

 

[26]           En l’espèce, la Cour estime que l’agente a conclu de manière de raisonnable que les conditions défavorables en Inde n’entraîneraient pas pour le demandeur des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si celui‑ci devait demander la résidence permanente à partir de son pays d’origine.

 

[27]           En évaluant la possibilité que les conditions défavorables en Inde propres aux Sikhs aient une incidence néfaste directe sur le demandeur et, le cas échéant, l’ampleur de celles-ci, l’agente a conclu à bon droit que toute incidence n’atteindrait pas le niveau justifiant une exception. Cette conclusion est totalement étayée par les éléments de preuve. Comme l’a souligné le défendeur, il n’y a au dossier aucun élément de preuve montrant que le demandeur s’exposerait personnellement à des difficultés s’il rentrait en Inde avec des titres de voyage qui ne sont pas en règle ou que celui‑ci serait ciblé par la police à son retour au Punjab. En fait, le demandeur, lui‑même, dans son mémoire, déclare qu’il [traduction] « ne s’expose  à aucun risque personnalisé, et n’a aucune crainte valide », et, comme il est indiqué dans le même paragraphe, au début [traduction] « les conditions défavorables alléguées au pays sont les mêmes pour tous dans le pays où il serait renvoyé » (au paragraphe 30) [non souligné dans l’original]. De l’avis de la Cour, cette déclaration ne dénote pas une crainte raisonnable de difficultés en Inde, à quelque degré que ce soit. La Cour n’est pas persuadée, alors, de l’existence d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[28]           La Cour ne peut pas non plus souscrire à l’affirmation du demandeur selon qui l’agente n’a pas tenu compte de façon déraisonnable de son degré d’établissement au Canada. Il ressort clairement des motifs fournis par l’agente que celle‑ci a examiné minutieusement l’établissement du demandeur, y compris sa famille, son emploi et l’intérêt supérieur de ses enfants, pour rendre sa décision. L’agente a souligné que le demandeur avait montré un certain degré d’établissement au Canada (il gagnait sa vie, payait ses impôts, etc.); cependant, elle a constaté que ce degré d’établissement équivaut à celui auquel l’on s’attendrait de tout réfugié dans des circonstances analogues. C’est aussi l’avis de la Cour. Les difficultés qui font intervenir l’exercice du pouvoir discrétionnaire concernant des motifs d’ordre humanitaire doivent généralement surpasser ce qui découle « du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps » (Irimie, précité). La Cour ne croit pas que le demandeur a fourni suffisamment d’éléments de preuve pour montrer en quoi le fait de devoir quitter le Canada justifierait une exemption en vertu de l’article 25 de la LIPR.

 

[29]           À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle. Il incombait au demandeur d’établir l’existence de motifs CH pour justifier une exception en vertu de la LIPR, et celui-ci n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants à cet égard.

 

X. Conclusion

[30]           Même si Me Renaud Guérin a représenté son client avec diligence et détermination, l’affaire, compte tenu des éléments de preuve, ne se prête pas à une conclusion où la Cour accueillerait la demande de contrôle judiciaire. Pour tous les motifs mentionnés plus haut, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée, sans question de portée générale à certifier.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-2289-13

 

INTITULÉ :

SINGH, IQBAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 18 DÉcembRe 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                   LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :

                                                            LE 7 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Renaud Guérin

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Geneviève Bourbonnais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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