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Date : 20131227


Dossier : T-132-13

 

Référence : 2013 CF 1289

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 décembre 2013

En présence de madame la juge Gagné

 

 

 

ENTRE :

GAELEN PATRICK CONDON

REBECCA WALKER ET

ANGELA PIGGOTT

 

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Ordonnance rendue oralement le 17 décembre 2013)

 

 

[1]               Le 13 décembre 2013, Mme Nicole Brittin (l’intervenante proposée), par l’entremise de ses avocats, qui travaillent pour Merchant Law Group LLP (Merchant), a déposé un avis de requête en intervention dans le cadre de la présente requête visant à obtenir que l’instance soit autorisée comme recours collectif. Dans le recours collectif envisagé, dont la demande d’autorisation a été déposée devant la Cour le 18 janvier 2013, les demandeurs, représentés par un consortium d’avocats, cherchent à obtenir une indemnisation pour des dommages qu’ils auraient subis en raison de la perte par le défendeur qui représente le gouvernement du Canada, plus précisément, le ministre des Ressources humaines et Développement des compétences Canada, d’un disque dur amovible sur lequel étaient stockés des renseignements personnels concernant 583 000 participants au Programme canadien de prêts aux étudiants (le groupe). Les participants en question résident dans l’une ou l’autre province du Canada, sauf dans la province du Québec.

 

[2]               Dans sa requête, datée du 9 décembre 2013, l’intervenante proposée demande à la Cour de reconnaître que, à titre de représentante proposée du groupe dans une instance semblable intentée devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, à savoir l’instance Nicole Brittin c The Minister of Human Resources and Skill Development Canada and The Attorney General of Canada, Saskatchewan, Q.B. n107 de 2013 (le recours Brittin), elle a qualité de plein droit pour être entendue dans la présente instance sur les questions concernant la portée de l’autorisation et les différences entre les deux recours collectifs.

 

[3]               Mme Brittin tient à souligner qu’elle reçoit présentement signification de tous les documents déposés à la Cour dans le cadre d’un deuxième recours collectif qui est actuellement intenté à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan par l’avocat des demandeurs (Melinda Horstman c Her Majesty The Queen in Right of Canada, Saskatchewan, Q.B. n1283 de 2013) (le recours Horstman).

 

[4]               À titre subsidiaire, Mme Brittin demande que la Cour, si elle conclut qu’elle n’a pas qualité de plein droit pour agir devant elle, rende une ordonnance :

         l’autorisation à intervenir en vertu de l’article 109 des Règles des Cours fédérales (les Règles) afin qu’elle puisse présenter des observations sur les questions de droit et de fait [traduction] « particulièrement en ce qui concerne le recours collectif susmentionné intenté en Saskatchewan par [elle] […] et la conduite de l’avocat du demandeur à la cour provinciale »;

         disposant qu’elle est réputée être une partie, mais qu’elle ne peut être assujettie à aucune ordonnance concernant les dépens, conformément à l’arrêt Campbell c Canada (Pocureur général), 2012 CAF 45;

         enjoignant qu’elle reçoive signification de tous les documents déjà déposés et de ceux qui doivent être déposés par les parties devant la Cour;

         prévoyant que, si la Cour accorde l’autorisation, les résidents de la Saskatchewan soient exclus du groupe de telle sorte que l’autorisation puisse être demandée dans le recours Brittin.

 

[5]               Comme je l’ai déjà précisé, la présente instance a été d’abord introduite devant la Cour le 18 janvier 2013. En ma qualité de juge chargé de superviser la gestion spéciale de l’instance, j’ai fixé, durant une conférence téléphonique tenue le 15 avril 2013, les dates d’audition de l’instance concernant l’autorisation aux 17 et 18 décembre 2013 à Toronto.

 

[6]               L’intervenante proposée n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi elle n’a déposé son avis de requête en intervention que dans la semaine précédant l’audience, pourtant elle a été avisée de la date de la présente audience durant la première semaine de juin 2013.

 

[7]               Dans son affidavit souscrit le 9 décembre 2013, l’intervenante proposée attire l’attention de la Cour sur trois questions afin de justifier son intervention devant elle :

         Premièrement, elle remet en question le caractère approprié de la conduite de l’avocat des demandeurs dans les deux recours collectifs envisagés en Saskatchewan. Elle prétend qu’ils ont présenté une requête en suspension du recours Brittin sans informer le juge qui présidait l’instance du fait que, le 9 juillet 2013, trois jours avant l’audition de la requête en question, ils avaient intenté leur recours concurrent, à savoir le recours Horstman. Par conséquent, elle déclare qu’elle a des [traduction] « doutes quant à leurs intentions » devant la Cour ;

         Deuxièmement, elle s’attarde longuement sur la vaste expérience de Merchant en ce qui concerne la gestion de recours collectifs. En outre, et contrairement au cabinet pour lequel l’avocat des demandeurs travaille, Merchant a des bureaux en Saskatchewan. L’intervenante proposée, bien qu’elle n’ait pas suffisamment étayé ses observations, estime que Merchant sera mieux à même de représenter le groupe que l’avocat des demandeurs. Elle craint aussi que l’avocat du défendeur travaille de concert avec l’avocat des demandeurs afin d’obtenir une suspension du recours Brittin, comme cela s’est produit dans les huit autres recours collectifs intentés devant les cours supérieures provinciales, et qui ont été suspendus en attendant l’issue de la requête en autorisation présentée à la Cour.

         Troisièmement, elle a été informée par son avocat du fait que la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan constituait le meilleur forum pour intenter le présent recours, étant donné que les lois de la Saskatchewan – les lois et la common law provinciales ainsi que l’equity – offrent des mesures de redressement qui ne peuvent pas être obtenues à la Cour fédérale.

 

[8]               Selon les Règles, l’intervenante proposée n’a pas qualité pour être entendue en l’espèce. Selon les critères énoncés à l’article 334.16 des Règles, les questions sur lesquelles elle cherche à être entendue (obtenir justice et obtenir l’autorisation du recours collectif envisagé en Saskatchewan) n’ont rien à voir avec l’audition de la requête en autorisation.

 

[9]               Dans l’intervalle, l’intervenante proposée n’explique pas, dans son avis de requête en intervention et dans son affidavit, de quelle manière sa participation dans le présent dossier aidera la Cour à trancher toute question de fait et de droit ayant trait à l’autorisation. Au contraire, elle cherche à convaincre la Cour que son avocat serait mieux à même de représenter ses intérêts et ceux des membres du groupe de la Saskatchewan, et que la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan est un meilleur forum pour intenter ce recours collectif national, étant donné que le recours Brittin envisage aussi l’obtention d’une autorisation pour le compte d’un groupe national.

 

[10]           Il est sans équivoque que la Cour a compétence pour entendre un recours collectif intenté par un groupe national à l’encontre du gouvernement fédéral. En toute déférence pour l’opinion contraire, la Cour est, selon moi, le meilleur forum pour entendre la présente affaire. La présente requête en autorisation présentée par les demandeurs a été introduite avant le 21 janvier 2013, date à laquelle le recours Brittin a été déposé à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan. Depuis lors, elle s’est poursuivie à titre d’instance à gestion spéciale pour laquelle il a été établi un calendrier clair que les parties ont suivi. Les deux parties ont fourni à la Cour des observations complètes et bien étayées relativement à l’autorisation. Compte tenu du contexte exposé ci‑dessus, si la Cour devait exclure les membres du groupe de la Saskatchewan et, peut‑être plus tard des membres de groupes d’autres provinces en se fondant sur des motifs semblables, elle perdrait inexplicablement sa compétence en l’espèce.

 

[11]           Compte tenu de ce qui précède, même l’intervenante proposée devrait reconnaître qu’il est tout à fait compréhensible que le défendeur préfère contester un seul recours collectif intenté devant la Cour que huit recours collectifs semblables introduits devant des forums différents, avec le risque que des décisions incompatibles soient rendues.

 

[12]           En outre, lorsqu’on lui a demandé d’énoncer les droits et/ou les mesures de redressement prévus par les lois de la Saskatchewan qui ne sont pas par ailleurs prévus par d’autres ressorts du Canada (y compris celui de la Cour), l’avocat agissant pour le compte de l’intervenante proposée relativement à la requête présentée par celle‑ci n’a pas pu répondre à la Cour, puisqu’il n’est pas membre du Barreau de la Saskatchewan. L’avocat des demandeurs a laissé entendre que, compte tenu du fait que cet argument a également été présenté à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, l’intervenante proposée parle vraisemblablement du Privacy Act [loi sur la protection des renseignements personnels] de la Saskatchewan (Privacy Act, RSS 1978, c P‑4), qui prévoit des dommages‑intérêts punitifs en cas de violation intentionnelle d’un droit à la protection de la vie privée. Toutefois, contrairement à la plaidoirie figurant dans leur déclaration commune, les demandeurs ne soutiennent plus devant la Cour que le défendeur a intentionnellement violé leur vie privée, étant donné qu’une telle conclusion ne serait pas étayée par les faits en l’espèce.

 

[13]           En outre, les juges de la Cour appliquent régulièrement la common law et le droit civil, et accordent des mesures de redressement en equity lorsque cela est nécessaire. En fait, je tiens à souligner que les demandeurs en l’espèce se fondent sur certaines dispositions du Code civil du Québec – même si aucun membre du groupe n’est résident du Québec – simplement parce que le disque dur amovible a été perdu à Gatineau, au Québec. La question de savoir si ces dispositions s’appliquent ou non au recours collectif envisagé exigera une analyse fondée sur le droit international privé québécois.

 

[14]           Dans une audience concernant l’autorisation, la Cour s’intéresse à l’identité du représentant du groupe proposé, à sa capacité de représenter les meilleurs intérêts des membres du groupe et à l’absence de conflit d’intérêts. La Cour n’est pas intéressée par quelque [traduction] « compétition » que ce soit entre les avocats concurrents qui cherchent à obtenir une autorisation de leurs recours collectifs respectifs. Il n’appartient pas à la Cour d’évaluer quel avocat est le plus expérimenté et le plus compétent pour représenter les demandeurs dans un recours collectif. Bien que l’intervenante proposée laisse entendre que les demandeurs ne représentent pas ses intérêts de façon adéquate, elle affirme néanmoins qu’il y a eu conduite négligente semblable de la part du défendeur et, mis à part les dommages-intérêts punitifs susmentionnés, elle demande une indemnisation pour les dommages qui en auraient résulté. Par conséquent, je ne vois pas comment les demandeurs ne peuvent pas représenter de façon équitable et adéquate ses intérêts ou ceux des autres membres du groupe de la Saskatchewan, comme l’exige le sous‑alinéa 334.16(1)e)(i) des Règles.

 

[15]           De plus, si l’avocat des demandeurs s’est comporté d’une manière inappropriée devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, il appartient à cette cour de remédier à la situation. Je tiens à souligner, toutefois, qu’il a fait preuve d’une bonne conduite devant la Cour.

 

[16]           Malheureusement, la Cour a consacré beaucoup de temps précieux à l’audition de la requête présentée par l’intervenante proposée, laquelle requête a détourné le débat des trois objectifs d’une instance en recours collectif, qui consistent à favoriser i) l’accès à la justice, ii) une économie des ressources judiciaires et iii) une modification du comportement (de la part du défendeur).

 

[17]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la requête en intervention sera rejetée, les dépens étant adjugés en faveur des demandeurs et du défendeur.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.      la requête en intervention est rejetée;

2.      les dépens de 750 $, y compris les frais et les débours, sont adjugés en faveur des demandeurs et du défendeur, respectivement.

 

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-132-13

 

INTITULÉ :

R GAELEN PATRICK CONDON, REBECCA WALKER ET ANGELA PIGGOTT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :            LEs 17 et 18 DÉCEMBRE 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :                        LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 27 DÉCEMBRE 2013

 

COMPARUTIONS :

Ward K. Branch

Ted Chamey

Samantha Schreiber

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Paul Vickery

Catharine Moore

 

Eli Karp

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ward K. Branch

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Ted Chamey

Toronto (Ontario)

Samantha Schreiber

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Paul Vickery

Ottawa (Ontario)

Catharine Moore

Ottawa (Ontario)

 

Eli Karp

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE

 

 

 

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