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Date : 20131223


Dossier : T-942-12

 

Référence : 2013 CF 1217

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2013

En présence de madame la juge Kane

 

ENTRE :

APOTEX INC.

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement et jugement rendus le 4 décembre 2013)

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 12 avril 2012 par laquelle la directrice générale de la Direction des produits thérapeutiques [DPT] de Santé Canada a refusé, au nom du ministre de la Justice, d’examiner la présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN] déposée par Apotex en vue d’obtenir un avis de conformité [AC] pour son médicament générique, Apo-Telmisartan.

 

Aperçu

[2]               Santé Canada réglemente et supervise le processus de présentation des drogues au Canada. Pour qu’un nouveau médicament soit approuvé, les fabricants de médicaments, comme la demanderesse, doivent déposer une présentation de drogue nouvelle [PDN] ou une présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN] conformément au Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 [le Règlement] pris en application de la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F‑27 [la Loi]. S’il juge que le médicament est sûr et efficace, le ministre de la Santé délivrera un avis de conformité, conformément au Règlement.

 

[3]               Le telmisartan est un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine utilisé dans le traitement de l’hypertension. Il est offert sur le marché sous le nom commercial de Micardis, et il s’agit du produit de référence canadien (PRC) ou, en d’autres termes, du premier produit à avoir été commercialisé au Canada. Plusieurs produits génériques ont également été approuvés.

 

[4]               Apotex cherche à commercialiser sa version générique de Micardis, soit Apo-Telmisartan, mais ne peut le faire tant qu’elle n’aura pas reçu un AC. Apotex fait valoir qu’Apo-Telmisartan est pharmaceutiquement équivalent au PRC (Micardis).

 

[5]               Selon Apotex, le seul ingrédient médicinal de son produit est le telmisartan, mais elle indique que les ingrédients non médicinaux, ou les excipients, comprennent de l’hydroxyde de potassium. Tout comme Micardis, Apo-Telmisartan est fabriqué par un procédé de granulation humide, lequel peut provoquer une interaction entre l’ingrédient médicinal et un excipient.

 

[6]               Apotex indique qu’une réaction acido-basique peut se produire dans Micardis, étant donné que l’ingrédient non médicinal utilisé dans le produit est l’hydroxyde de sodium et qu’une certaine portion du produit est convertie en un sel du telmisartan, le telmisartan sodique, dans la forme pharmaceutique finale (comme divulgué dans la lettre de rejet à l’examen préliminaire). Après l’ingestion, il se produit une dissociation, et le telmisartan (l’ingrédient médicinal) est absorbé dans l’organisme.

 

[7]               Le produit d’Apotex utilise de l’hydroxyde de potassium. Lors du procédé de granulation humide, cette réaction acido-basique peut survenir et convertir une certaine portion du telmisartan en un sel du telmisartan, en l’occurrence, le telmisartan potassique. Après l’ingestion, il y aurait aussi une dissociation, et le telmisartan (l’ingrédient médicinal) serait absorbé dans l’organisme.

 

[8]               Apotex admet que les ingrédients non médicinaux sont différents, mais souligne que l’ingrédient médicinal, au sens où le terme « ingrédient » devrait être interprété, est identique en substance et en quantité : il s’agit du telmisartan.

 

[9]               La DPT, qui a pris la décision pour le compte du ministre de la Santé, a déterminé que le produit final est différent parce que Micardis est en fait du telmisartan sodique et qu’Apo-Telmisartan est en fait du telmisartan potassique. Selon le ministre, l’ingrédient médicinal présent dans la forme pharmaceutique ou le produit à la fin du procédé de fabrication doit être identique à celui du PRC.

 

[10]           Apotex soutient que cette interprétation diffère de celles qui ont été adoptées précédemment et que le processus d’approbation n’est pas le même que celui auquel ont été soumis d’autres fabricants de génériques. En d’autres termes, Apotex prétend qu’elle a été traitée différemment et qu’on a adopté à son égard une interprétation distincte et inédite des dispositions et des définitions du Règlement par comparaison avec les autres fabricants de génériques.

 

[11]           Apotex soulève deux questions clés : le ministre de la Santé a-t-il mal interprété l’expression « ingrédient médicinal identique » dans la définition d« équivalent pharmaceutique »? Le ministre a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale dans le cadre du processus d’approbation, en ne respectant pas notamment la Politique en matière de révision.

 

[12]           À titre préliminaire, le ministre de la Santé a demandé la radiation de deux affidavits soumis par Apotex dans le cadre de la présente demande.

 

[13]           Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les affidavits que la demanderesse a cherché à faire admettre le seront partiellement. Bien que certaines irrégularités aient été constatées dans le processus d’approbation et l’application de la Politique en matière de révision, celles‑ci ne sauraient à elles seules ou cumulativement constituer un manquement à l’équité procédurale. Quant à la décision du ministre, à l’égard de laquelle il convient de faire preuve de déférence, et qui, en pareilles matières, est déléguée à la directrice générale [DG] de la Direction des produits thérapeutiques [DPT] de Santé Canada et prise par elle, elle n’est pas raisonnable. L’interprétation avancée par la DPT pour justifier le rejet de la PADN ne respecte pas les principes d’interprétation législative. De plus, il est évident que l’on a appliqué à l’égard d’Apotex une interprétation et un traitement différents que ceux auxquels ont eu droit d’autres fabricants de génériques. Les questions soumises au comité de révision étaient de portée étroite et éludaient l’enjeu essentiel soulevé par la demanderesse. La recommandation du comité visant à plus de clarté dans les définitions renvoie justement à la question qu’Apotex voulait voir aborder. La position du ministre est peut-être préférable d’un point de vue politique, mais le processus de PADN doit donner lieu à une approche cohérente, ce qui ne peut pas être le cas s’il est loisible au ministre d’interpréter le Règlement différemment suivant les circonstances particulières d’une affaire donnée ou la composition chimique du médicament concerné. La position défendue par le ministre pourrait et devrait être clairement indiquée dans le Règlement s’il entend effectivement en faire sa politique.

 

Le régime réglementaire

[14]           Le défendeur fait valoir que, dans la décision Reddy-Cheminor Inc c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 542, 233 FTR 271 [Reddy-Cheminor], le régime réglementaire en cause a été fidèlement résumé par la juge Layden-Stevenson; j’ai donc reproduit les paragraphes pertinents (6 à 12) :

[6]        L’annexe A jointe aux présents motifs présente les dispositions pertinentes du Règlement. Par souci de commodité, les présents motifs contiennent des extraits de dispositions spécifiques. Le paragraphe 30(1) de la LAD autorise le gouverneur en conseil à prendre, par règlement, les mesures nécessaires, notamment pour la vente de toute drogue; le mode de fabrication, de préparation et d’examen de toute drogue dans l’intérêt de la santé de l’acheteur ou du consommateur; les méthodes de fabrication, de préparation, de conservation, d’emballage, d’emmagasinage et d’examen de toute drogue nouvelle; la vente ou les conditions de vente de toute drogue nouvelle, et prévoir, pour l’application de la Loi, une définition de « drogue nouvelle ». Les dispositions relatives aux drogues nouvelles figurent à la partie C du titre 8 du Règlement.

 

[7]        Il est établi qu’il est interdit aux fabricants de drogues d’annoncer ou de vendre une drogue nouvelle au Canada sans obtenir au préalable un avis de conformité. Pour obtenir l’avis de conformité, le fabricant dépose auprès du ministre (en pratique, la DPT de Santé Canada) une présentation de drogue nouvelle en vertu de la partie C du titre 8 du Règlement. En particulier, le paragraphe C.08.002(1) prévoit qu’il est interdit de vendre une drogue nouvelle à moins que le fabricant ait déposé une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle que le ministre juge acceptable et qu’il ait obtenu un avis de conformité.

 

[8]        Le paragraphe C.08.002(2) définit le contenu exigé de la présentation de drogue nouvelle. La présentation de drogue nouvelle doit contenir notamment les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d’établir l’innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d’emploi recommandés, et des preuves substantielles de l’efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d’emploi recommandés. La preuve établit que ces renseignements sont généralement volumineux, allant de 100 à 300 volumes de données.

 

 

[9]        Le fabricant qui souhaite copier une drogue commercialisée sans avoir à fournir les volumineux rapports détaillés et preuves substantielles de son innocuité et de son efficacité clinique dispose d’une autre forme de présentation de drogue, appelée présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). La PADN exige l’utilisation d’un produit de référence canadien, c’est-à-dire une drogue dont l’innocuité et l’efficacité ont déjà été établies. Le produit de référence canadien est généralement un médicament de marque déposée dont la copie générique doit être un équivalent pharmaceutique. Le fabricant du médicament générique utilise le produit de référence canadien pour établir la bioéquivalence de sa drogue plutôt que d’évaluer directement l’innocuité et l’efficacité cliniques du médicament générique sur le fondement d’études cliniques exhaustives.

 

[10]      De manière spécifique, le paragraphe C.08.002.1(1) prévoit que le fabricant peut déposer une présentation abrégée de drogue nouvelle à l’égard d’une drogue nouvelle si, par comparaison à un produit de référence canadien, la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien. En général, les deux produits doivent être bioéquivalents, leur voie d’administration identique et les conditions thérapeutiques relatives à la drogue nouvelle doivent figurer parmi celles qui s’appliquent au produit de référence canadien.

 

[11]      Le paragraphe C.08.002.1(2) expose le contenu de la présentation abrégée de drogue nouvelle. La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment le matériel permettant d’établir que la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien et, si le ministre l’estime nécessaire, du matériel établissant que les drogues sont bioéquivalentes, notamment les éléments de preuve des études réalisées pour établir l’équivalence pharmaceutique et la bioéquivalence. Les termes « équivalent pharmaceutique » et « produit de référence canadien » sont définis à l’article C.08.001.1 de la façon suivante :

 

« produit de référence canadien » Selon le cas :

 

a) une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l’article C.08.004 et qui est commercialisée au Canada par son innovateur;

 

b) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, lorsqu’une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l’article C.08.004 ne peut être utilisée à cette fin parce qu’elle n’est plus commercialisée au Canada;

 

c) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, par comparaison à une drogue visée à l’alinéa a).

 

« équivalent pharmaceutique » S’entend d’une drogue nouvelle qui, par comparaison à une autre drogue, contient les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques, sous des formes posologiques comparables, mais pas nécessairement les mêmes ingrédients non médicinaux.

 

« spécifications » S’entend de la description détaillée d’une drogue nouvelle et de ses ingrédients, notamment :

 

a) la liste des propriétés et des qualités des ingrédients qui ont trait à la fabrication et à l’emploi de la drogue nouvelle, y compris leur identité, leur activité et leur pureté;

 

 

(Non souligné dans l’original.)

Canadian reference product" means

 

(a) a drug in respect of which a notice of compliance is issued pursuant to section C.08.004 and which is marketed in Canada by the innovator of the drug,

 

(b) a drug, acceptable to the Minister, that can be used for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics, where a drug in respect of which a notice of compliance has been issued pursuant to section C.08.004 cannot be used for that purpose because it is no longer marketed in Canada, or

 

 

 

(c) a drug, acceptable to the Minister, that can be used for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics, in comparison to a drug referred to in paragraph (a);

 

 

"pharmaceutical equivalent" means a new drug that, in comparison with another drug, contains identical amounts of the identical medicinal ingredients, in comparable dosage forms, but that does not necessarily contain the same non-medicinal ingredients;

 

 

"specifications" means a detailed description of a new drug and of its ingredients and includes

 

(a) a statement of all properties and qualities of the ingredients that are relevant to the manufacture and use of the new drug, including the identity, potency and purity of the ingredients,

 

(My emphasis)

 

[12]      Lorsqu’une présentation remplit les conditions de la partie C du titre 8, un avis de conformité est délivré en vertu de l’article C.08.004. La délivrance d’un avis de conformité à l’égard d’une PADN, en plus d’autoriser le fabricant à vendre ou à annoncer une drogue nouvelle, constitue une déclaration que la drogue nouvelle est un équivalent du produit de référence canadien et elle aide les provinces et les autres parties intéressées à identifier l’acceptabilité de la drogue nouvelle comme substitut du produit de référence canadien.

 

Chronologie de la PADN

[15]           La chronologie des mesures prises à ce jour quant à la PADN déposée par Apotex à l’égard du Apo-Telmisartan établit le contexte nécessaire aux présents motifs.

 

[16]           Apotex a soumis une PADN pour Apo-Telmisartan le 16 décembre 2010. Le 4 avril 2011, la DPT de Santé Canada lui a transmis un Avis d’insuffisance lors de l’examen préliminaire et lui a demandé de démontrer que l’ingrédient médicinal contenu dans ses comprimés était identique à celui du Micardis.

 

[17]           La lettre, adressée par Valerie Walker (DPT) à M. John Hems, directeur des renseignements réglementaire, Apotex, indiquait :

[traduction]
« […] commentaires relatifs à une insuffisance lors de l’examen préliminaire :

 

1. Nous vous demandons de fournir les résultats d’une enquête démontrant que l’ingrédient médicinal d’Apo-Telmisartan est identique à celui du PRC Micardis®, fabriqué par Boehringer Ingelheim. Il faudra établir que le produit innovant et les comprimés d’Apo-Telmisartan contiennent du telmisartan sous une même forme chimique. Il est à noter que le telmisartan est un acide carboxylique et que le procédé de fabrication du médicament proposé comporte une étape de granulation humide, au cours de laquelle la substance médicamenteuse est mise en présence d’hydroxyde de potassium en excès dans de l’alcool méthylique; par conséquent, une conversion en un sel de potassium est probable. Toutefois, le produit innovant Micardis® contient une base différente, à savoir de l’hydroxyde de sodium, selon le CPS. Nous vous informons que, pour satisfaire à l’exigence énoncée à l’article C.08.001.1 du Règlement sur les aliments et drogues, un produit générique doit contenir “les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques” que le produit de référence canadien (PRC), conformément à la politique de la DPT intitulée Interprétation de l’expression “Ingrédient médicinal identique”, 2003 ».

 

[18]           Apotex a répondu le 17 mai 2011 et a fourni les résultats des analyses sur lesquelles elle s’est fondée pour établir que le telmisartan est présent sous une même forme chimique dans Apo-Telmisartan et dans le PRC. Apotex a notamment précisé ce qui suit :

[traduction]
Les résultats des études montrent sans équivoque que le procédé de fabrication des comprimés d’Apo-Telmisartan ne fait intervenir aucune réaction chimique entre l’ingrédient actif et l’hydroxyde de potassium utilisé dans le cadre d’un procédé de granulation humide dans de l’alcool méthylique. L’espèce chimique de l’ingrédient actif présent dans les comprimés d’Apo-Telmisartan est le telmisartan, lequel est équivalent sur le plan pharmaceutique à l’ingrédient actif présent dans Micardis, le produit de référence canadien.

 

[19]           Le 21 juin 2011, la DPT a envoyé une lettre de rejet à l’examen préliminaire dans laquelle elle indiquait que le médicament d’Apotex était rejeté parce qu’il n’était pas conforme au Règlement ou à la politique de 2003 de la DPT concernant l’interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique ».

 

[20]           La lettre du 21 juin a été envoyée par Andy Hus (DPT) à John Hems (Apotex). Y figuraient notamment les passages suivants :

[traduction]
Nous avons examiné attentivement votre réponse à notre Avis d’insuffisance lors de l’examen préliminaire daté du 4 avril 2011 et nous considérons que votre réponse est incomplète et non concluante […]

 

Il n’y avait, dans votre réponse, aucun détail ni aucune observation concernant les techniques analytiques, les étapes suivies pour la préparation de l’échantillon ou les résultats. De plus, il est difficile de déterminer à partir de vos données si votre produit médicamenteux ou le produit de référence canadien contiennent un ingrédient pharmaceutique actif pur ou un mélange d’espèces chimiques (un mélange de sel de potassium et d’acide libre ou de sel de sodium et d’acide libre. Par conséquent, les données présentées n’établissent pas de façon concluante que votre produit médicamenteux contient « les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques » et qu’il est pharmaceutiquement équivalent au produit de référence canadien. 

 

[21]           Le 25 août 2011, Apotex a demandé que la lettre de rejet à l’examen préliminaire fasse l’objet d’une révision, conformément à la politique en cette matière, en plus d’énoncer deux questions qu’elle jugeait litigieuses et d’exposer les motifs de sa contestation.

 

[22]           Tout d’abord, Apotex s’est opposée à la lettre de rejet à l’examen préliminaire, dans laquelle il était indiqué que sa réponse à l’avis d’insuffisance lors de l’examen préliminaire était incomplète et non concluante. Selon Apotex, il s’agit d’une affirmation incorrecte : « [traduction] Les études que nous avons fournies montraient de façon concluante que la fraction active, le telmisartan, était identique dans les deux produits, et il s’agit exactement de ce qui est revendiqué sur l’étiquette des deux produits. »

 

[23]           Ensuite, Apotex s’est opposée à la conclusion formulée dans la lettre de rejet à l’examen préliminaire, selon laquelle les données fournies ne permettaient pas d’établir de façon concluante que le produit d’Apotex contenait les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques, comme l’exigeait le Règlement. Apotex a notamment indiqué ce qui suit :

[traduction]

« Il semble, en l’occurrence, que la position de la DPT est que le produit générique doit non seulement être produit par un procédé qui utilise le même ingrédient actif qui se trouve dans le PRC et qui figure sur l’étiquette, mais que l’ingrédient actif présent dans le produit médicamenteux final doit également être l’objet des mêmes associations ioniques (sel ou sels) que le PRC, même si l’ingrédient actif est dissous avec d’autres substances ioniques lors de la fabrication du produit médicamenteux. La question en litige est de savoir si cette interprétation de l’article C.08.001 et de la politique est correcte. »

 

[24]           Le 26 septembre 2011, la DPT a informé Apotex qu’un comité de révision serait constitué et lui a demandé de proposer le nom d’un candidat. Apotex a fait part de ses commentaires sur les candidats proposés par la DPT et, en janvier 2012, les parties se sont entendues sur les trois membres du comité.

 

[25]           Le 7 février 2012, Apotex a soumis au comité un résumé des faits et les questions qu’elle souhaitait voir examiner.

 

[26]           Apotex a tout d’abord demandé des précisions de la part de la DPT sur des questions connexes et a fait remarquer que la question qui serait adressée au comité dépendrait dans une certaine mesure de la réponse de la DPT. Apotex a préparé les questions suivantes pour le comité en l’absence de telles précisions :

[traduction]

1.    Le cas échéant, quels sont les éléments de différence entre Apo-Telmisartan et les exemples présentés dans notre demande de révision qui ont mené la DPT à prendre une décision différente et à rejeter Apo-Telmisartan lors de l’examen préliminaire?

 

2.    À la lumière du point précédent et de la demande de révision formulée par Apotex, le comité est-il d’accord pour dire que la PADN concernant Apo-Telmisartan est acceptable et peut faire l’objet d’un examen?

 

3.     Le comité est-il d’accord avec l’affirmation selon laquelle le fondement approprié pour déposer une PADN devrait être que le produit présenté contienne le même ingrédient actif (IPA) que le PRC, sans qu’il soit nécessaire de prouver que les associations ioniques entre l’ingrédient actif et un ou divers excipients ioniques sont identiques dans le produit proposé et le PRC?

 

[27]           Les questions ont été révisées à la suite des commentaires formulés par le Bureau des sciences pharmaceutiques [BSP]; Apotex les a acceptées le 7 février 2012, et a aussi fourni au comité des renseignements contextuels.

 

[28]           Le préambule des questions renvoyait aux exigences énoncées aux articles C.08.002.1 et C.08.001.1 du Règlement et à la politique de 2003 concernant l’interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique ». Les questions révisées se lisaient ainsi :

[traduction
1.         L’ingrédient médicinal contenu dans Apo-Telmisartan, tel que décrit dans la PADN numéro de contrôle 143046, est-il identique à celui du produit de référence canadien, Micardis (Boehringer Ingelheim Ltd)?

 

Le cas échéant

 

2.         Apotex a-t-elle fourni assez de renseignements sur le caractère identique de l’ingrédient médicinal pour justifier d’accepter la PADN pour examen?

 

[29]           Le comité de révision s’est réuni le 5 mars 2012. Apotex et le BSP de Santé Canada ont eu l’occasion de formuler des commentaires après les présentations et les questions. Le comité a tenu ensuite une séance à huis clos.

 

[30]           La DG, Barbara Sabourin, n’était pas présente puisqu’elle a pris congé au début de l’audience en indiquant que M. Stewart la remplacerait. Ce dernier a assisté à toute l’audience.

 

[31]           Le 12 avril 2012, la DG informait Apotex par lettre qu’elle avait accepté la recommandation du Bureau des sciences, qui avait examiné le rapport du comité, à savoir de maintenir le rejet de la PADN. La lettre était accompagnée du rapport du comité.

 

[32]           Dans son rapport, le comité a répondu à la première question d’Apotex, soulignant que la lettre de rejet à l’examen préliminaire datée du 21 juin 2011, ainsi que les commentaires précédents au sujet des insuffisances observées lors de l’examen préliminaire, avaient informé Apotex de la conversion et lui avaient indiqué qu’elle devait établir qu’Apo-Telmisartan contenait du telmisartan sous une même forme chimique. Le comité a ensuite indiqué ce qui suit :

[traduction]

À la lecture de la lettre de rejet et des commentaires relatifs aux insuffisances décelées à l’examen transmis par la Direction des produits thérapeutiques, le promoteur aurait dû comprendre que l’expression « ingrédient médicinal identique » renvoyait à la substance active telle qu’elle apparaît dans le produit final et non à la substance active de départ (IPA, selon l’OMS).

 

(Je souligne)

 

[33]           D’après les commentaires précédents formulés par le comité, je considère que l’expression « le promoteur aurait dû comprendre » visait la société Apotex. Le comité a poursuivi en affirmant ce qui suit :

[…]

En conséquence, le comité conclut que le promoteur n’a pas démontré que l’ingrédient médicinal d’Apo-Telmisartan est identique à celui du produit de référence canadien.

 

Cependant, le comité est unanime à penser que le glossaire de la politique actuelle (Interprétation de l’expression « Ingrédient médicinal identique » 2003-07-03) devrait comprendre une définition d’« ingrédient médicinal » afin d’éviter d’éventuelles erreurs d’interprétation. Dans la politique en question, il faudrait établir une distinction claire entre la substance active de départ (l’IPA, selon la définition de l’OMS) et l’« ingrédient médicinal », que l’on définit comme étant la substance active telle qu’elle apparaît dans le produit final. Une définition claire du terme « ingrédient médicinal » devrait permettre d’éviter de futures erreurs d’interprétation.  

 

Selon l’évaluation réalisée par le comité, l’information fournie par Apotex répond aux exigences en matière de BPF pour ce qui est de la substance active de départ, le telmisartan (l’IPA, selon la définition de l’OMS). Cependant, le promoteur n’a pu établir le caractère identique de l’ingrédient médicinal, selon la définition donnée ci-dessus. 

 

[34]           Le comité termine avec la recommandation suivante :

[traduction]

Dans l’Avis daté du 23 juillet 2003 au sujet de l’interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique », le terme « ingrédient médicinal » devrait être défini clairement comme étant la substance active telle qu’elle apparaît dans le produit final. Cela permettrait d’éviter toute confusion de la part des promoteurs lorsque la substance active de départ (l’IPA, selon la définition de l’OMS) peut subir des modifications chimiques lors du procédé utilisé pour fabriquer la forme pharmaceutique finale. 

 

[35]           Le 18 avril 2012, Apotex a demandé par écrit à la DPT d’annuler sa décision. Cette dernière a répondu que sa décision du 12 avril 2012 était finale.

 

Norme de contrôle

[36]           Apotex soutient que la norme de contrôle est celle de la décision correcte puisque la question en litige relève de l’interprétation du Règlement, en ce sens qu’il s’agit d’une question d’interprétation législative et de droit.

 

[37]           Bien que la question litigieuse porte sur l’interprétation du Règlement, cette interprétation est inextricablement liée aux enjeux scientifiques soulevés et à certaines questions relevant de l’expertise de la DPT de Santé Canada.

 

[38]           Dans la décision Reddy-Cheminor, la Cour s’est livrée à une analyse de la norme de contrôle applicable et a conclu que c’était celle du caractère manifestement déraisonnable qui devait s’appliquer à une décision semblable à celle de l’espèce.

 

[39]           La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision Reddy-Cheminor (voir 2004 CAF 102, 319 NR 185) et a déclaré, au paragraphe 8, au sujet de la norme de contrôle :

[8]        Deuxièmement, je conviens avec la juge Layden-Stevenson que, suivant la méthode pragmatique et fonctionnelle, un degré élevé de retenue doit être exercé à l’égard de la décision faisant l’objet d’une révision. La procédure d’approbation des drogues est un domaine complexe et technique de l’administration publique ayant des répercussions directes sur la santé des Canadiens. Il faut, pour déterminer si deux produits contiennent des « ingrédients médicinaux identiques », posséder des connaissances scientifiques et une expérience dans le domaine de la réglementation plutôt que des connaissances du droit ou des principes juridiques.

 

[40]           Je signale aussi que la demanderesse, qui cherche à faire admettre des affidavits d’expert pour assister la Cour, soutient que les questions en jeu concernant l’interprétation du Règlement, les pratiques antérieures en matière d’approbation des médicaments et la science ou la chimie liées à la production pharmaceutique, dépassent les connaissances ordinaires de la Cour. La demanderesse ne peut donc pas s’opposer à la norme de contrôle qui reconnaît la même réalité. Je comprends bien qu’Apotex estime que le litige porte avant tout sur l’interprétation du Règlement – c’est-à-dire une question de droit – plutôt que sur une question mixte de fait et de droit – mais à mon avis, c’est de ce deuxième aspect qu’il s’agit.

 

[41]           Depuis l’arrêt Dunsmuir (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190), la norme de contrôle qui s’applique à une décision de fait et de droit, qui requiert aussi des connaissances scientifiques pour éclairer l’élément factuel, est celle de la raisonnabilité.

 

[42]           Apotex a également soulevé des questions d’équité procédurale concernant le processus d’approbation, et notamment le respect de la Politique en matière de révision. Les questions d’équité procédurale appellent la norme de la décision correcte.

 

Les questions en litige

[43]           À titre préliminaire, le défendeur a demandé que deux affidavits soumis par la demanderesse soient radiés. La requête a été instruite en même temps que la demande de contrôle judiciaire.

 

[44]           Apotex a soulevé des questions intéressant le caractère raisonnable de la décision et l’équité procédurale.

 

Question préliminaire – Les affidavits de la demanderesse

[45]           Le défendeur a demandé que soient radiés les affidavits du Dr Kibbe et de Mme Wehner déposés par la demanderesse, pour plusieurs motifs, notamment parce qu’ils n’avaient pas été présentés au décideur et qu’ils contenaient des arguments et des opinions.

 

[46]           Le défendeur soutient que les affidavits du Dr Kibbe et de Mme Wehner sont inutiles et hors de propos, et qu’ils constituent une preuve d’expert extrinsèque dont ne disposait pas la DPT ou le comité de révision (c.-à-d. le décideur). Par ailleurs, ils contiennent des opinions et visent à interpréter les dispositions du Règlement, alors que c’est l’un des principaux enjeux du présent contrôle judiciaire.

 

[47]           Le défendeur ne conteste pas les affidavits de M. Sherman, PDG d’Apotex, ni celui de M. Goldberg, directeur scientifique de cette même entreprise, car ces documents lui paraissent éclairer le point de vue de la demanderesse sur le processus d’approbation ainsi que les procédés de fabrication du médicament d’Apotex, et offrir d’autres renseignements utiles à la Cour.

 

[48]           Le défendeur fait valoir que les seuls documents que la Cour doit examiner dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire sont ceux dont disposait le décideur (Première Nation d’Ochapowace (Bande indienne no 71) c Canada (Procureur général), 2007 CF 920, au paragraphe 9, 316 FTR 19) [Première Nation d’Ochapowace].

 

[49]           Il invoque également la décision Laboratoires Abbott Ltée c Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, au paragraphe 37, [2009] 3 RCF 547 [Abbott] :

[37]      Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la règle générale veut que le dossier soumis à la Cour fédérale ne contienne aucune preuve documentaire dont l’auteur de la décision visée par le contrôle n’a pas été saisi. C’est au nom de l’efficacité du système judiciaire que cette règle existe. Lors d’une demande de contrôle judiciaire, contrairement au recours originaire (comme une demande en interdiction faite en vertu du Règlement AC), la Cour fédérale n’est pas la première instance décisionnelle, elle examine plutôt la décision de quelqu’un d’autre, en l’espèce, le ministre. Si, faute d’avoir précédemment présenté les meilleurs arguments au ministre, les parties à une demande de contrôle judiciaire de la décision de ce dernier pouvaient espérer produire des éléments de preuve additionnels à la Cour fédérale afin d’attaquer la décision du ministre, cela entraînerait un gaspillage des ressources judiciaires.

 

[50]           Le défendeur affirme que les affidavits d’experts ne satisfont pas aux critères énoncés dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, [1994] ACS no 36 [Mohan] et touchant la pertinence, la nécessité d’aider le juge des faits, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. Le défendeur ne se prononce pas sur la qualité d’expert des auteurs des affidavits. Ses préoccupations principales concernent la pertinence et le caractère nécessaire des affidavits.

 

[51]           Le défendeur soutient que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour s’intéresse au caractère raisonnable de la décision et aux questions d’équité procédurale qui sont d’ordre juridique, et non aux aspects techniques ou scientifiques. Il conteste la position d’Apotex selon laquelle cette preuve d’expert aidera la Cour à apprécier le caractère raisonnable de la décision. On ne saurait présenter d’opinion sur cette question ni d’argument juridique sur l’interprétation du Règlement, puisque c’est à la Cour de se prononcer là‑dessus.

 

[52]           La demanderesse, Apotex, rétorque que, même si la question visée par le contrôle judiciaire est d’ordre juridique, c’est-à-dire qu’elle a trait à l’interprétation, elle concerne un processus scientifique et doit être éclairée par des connaissances de ce type, les deux aspects étant intégralement liés. Les parties ont une connaissance profonde du processus d’approbation et de fabrication de médicaments ainsi que des différentes réactions chimiques, mais la Cour n’a pas la même connaissance et la terminologie spécialisée employée ne lui est pas familière. Apotex fait valoir que la Cour doit chercher à interpréter l’expression « ingrédient médical identique » figurant dans le Règlement, ce qu’elle ne peut pas faire sans les connaissances contextuelles supplémentaires qu’offrent les auteurs des affidavits.

 

[53]           Apotex reconnaît que Mme Wehner exprime dans son affidavit une opinion sur le sens du Règlement et que ces parties du document devraient être radiées, mais elle prétend qu’autrement, les deux affidavits renseigneront la Cour.

 

[54]           Apotex reconnaît aussi qu’en règle générale, les seuls documents qu’il convient d’examiner lors d’un contrôle judiciaire sont ceux dont disposait le décideur (citant Première Nation d’Ochapowace), mais elle fait valoir que le défendeur ne s’est pas opposé à l’admission des affidavits Sherman ou Goldberg, alors que ceux-ci n’avaient pas été soumis au décideur. Qui plus est, le défendeur a déposé l’affidavit d’Andrew Adams.

 

[55]           En outre, Apotex soutient qu’il y a des exceptions à la règle, notamment lorsque des questions scientifiques sont en jeu (Alberta Wilderness Association c Canada (Ministre de l’Environnement), 2009 CF 710, 349 FTR 63) [Alberta Wilderness] et que l’affidavit aidera le décideur (Abbott, précité, au paragraphe 39).

 

[56]           Apotex cite l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, 428 NR 297 [Association des universités], qui fait état des exceptions à la règle tout en précisant que la liste de ces exceptions demeure ouverte.

 

[57]           Apotex avance que les affidavits du Dr Kibbe et de Mme Wehner relèvent d’une de ces exceptions parce qu’ils fournissent des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire.

 

[58]           Dans l’arrêt Association des universités, la Cour d’appel fédérale a dit :

[20]      Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif (nous avons déjà expliqué cette différence de rôle aux paragraphes 17 et 18). En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

 

a)         Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (voir, par ex. Succession de Corinne Kelley c. Canada, 2011 CF 1335, aux paragraphes 26 et 27; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 39 et 40; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273, au paragraphe 9). On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. En l’espèce, les demanderesses invoquent cette exception en ce qui concerne la plus grande partie de l’affidavit de M. Juliano.

 

b)         Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale (voir, par ex. Keeprite Workers’ Independent Union c. Keeprite Products Ltd., (1980) 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)). Ainsi, si l’on découvrait qu’une des parties a versé un pot-de-vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot-de-vin pour appuyer un argument fondé sur l’existence d’un parti pris.

 

c)         Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l'absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Keeprite, précitée)

 

[59]           Apotex ajoute que les affidavits satisfont au critère d’admissibilité énoncé dans l’arrêt Mohan : la preuve est pertinente parce qu’elle fournit des renseignements qui permettront à la Cour d’interpréter l’expression « ingrédient médical identique »; il est nécessaire d’exposer à la Cour les notions scientifiques qui lui permettront de déterminer si le ministre de la Santé a pris une décision raisonnable; par ailleurs, il n’existe aucune règle d’exclusion.

 

Les affidavits sont partiellement admis

[60]           Je reconnais que, lorsque les circonstances du contrôle judiciaire l’autorisent, comme en l’espèce, et que les questions juridiques et scientifiques sont intimement liées, la Cour peut tirer profit des affidavits d’experts dont ne disposait pas le décideur afin de saisir les éléments contextuels et les notions importantes qui dépassent autrement ses connaissances ou ne figurant pas au dossier.

 

[61]           Certaines parties des affidavits du Dr Kibbe et de Mme Wehner relèvent directement de l’exception à la règle générale énoncée dans l’arrêt Association des universités, puisqu’elles contiennent des renseignements généraux permettant à la Cour de comprendre les questions soulevées par le contrôle judiciaire.

 

[62]           J’estime que la présentation des deux affidavits par la demanderesse n’a pas porté préjudice au défendeur puisque ce dernier a eu amplement le temps de contre-interroger les auteurs de ces documents, et qu’il l’a d’ailleurs fait.

 

[63]           De plus, un grand nombre des renseignements contenus dans les affidavits sont les même que ceux contenus dans les affidavits de MM. Sherman et Goldberg, qui n’ont pas suscité d’objections. Je note aussi que M. Adams, qui a déposé un affidavit pour le défendeur, commente des passages des affidavits contestés. De plus, les parties ont présenté des observations écrites et orales sur les questions abordées dans ces documents. D’un point de vue pratique, bien que le défendeur s’oppose validement à ce que les affidavits ne faisant pas partie du dossier soumis au décideur soient invoqués, et que les opinions qu’ils contiennent se rapportent à la question dont la Cour est saisie, la teneur de ces deux affidavits nous est déjà autrement connue.

 

[64]           Cependant, je ne crois pas que les opinions exprimées dans les affidavits tombent sous le coup des exceptions énoncées dans Abbott et Alberta Wilderness, et je n’oublie pas la mise en garde formulée dans l’arrêt Association des universités. Les opinions en cause sont peut‑être pertinentes, mais elles ne sont pas nécessaires – ou du moins ne le sont plus – puisque des positions analogues ont été défendues dans les arguments écrits et les observations orales, et que des passages particuliers de ces affidavits visent justement à les étayer. De plus, dans la mesure où ces opinions contiennent des arguments juridiques, elles concernent la question dont la Cour est saisie.

 

[65]           J’ai examiné les deux affidavits : ils comportent l’un et l’autre une quantité importante de renseignements touchant le processus d’approbation, la formulation des médicaments (c.-à-d. le cadre chimique, qui n’est pas contesté et qui est évoqué dans les autres affidavits et les arguments), ainsi que l’expérience de leurs auteurs en ce qui a trait à l’approbation d’autres médicaments.

 

[66]           Le défendeur a refusé de m’indiquer les parties des affidavits du Dr Kibbe et de Mme Wehner qui lui paraitraient acceptables. J’ai donc relevé les parties des deux affidavits qui exprimaient des opinions, notamment sur l’interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique », et je les ai exclues.

 

[67]           Dans l’affidavit du Dr Kibbe, sont radiés les paragraphes 23, 43 à 52 et 54.

 

[68]           Dans l’affidavit de Mme Wehner, sont radiés les paragraphes 16, 30, 36 à 42, 49, 50, 54 à 62, 66 et 67 (son opinion quant à l’interprétation), ainsi que les paragraphes 76 à 80 (son opinion quant à la bioéquivalence). Comme je l’ai déjà mentionné, Apotex a reconnu que les paragraphes qui exprimaient son opinion ne devraient pas être admis. Je signale aussi que les paragraphes 43 à 48 contiennent des renseignements déjà connus du défendeur, à savoir que Micardis est mal nommé et qu’en fait il devrait être désigné comme du telmisartan sodique.

 

Apotex a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

[69]           Apotex soutient qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale, principalement parce que la politique en matière de révision n’a pas été respectée : elle a demandé un processus informel, les questions soumises au comité ont été dénaturées, la DG n’a pas assisté à l’audience, mais a pourtant rendu la décision, Apotex n’a pas reçu le rapport du comité et n’a pas pu soumettre des observations à ce sujet avant que la DG ne rende sa décision.

 

[70]           D’après le défendeur, l’équité procédurale exige que la partie soit au fait des questions litigieuses, qu’elle ait la possibilité de répondre et que des motifs suffisants lui soient fournis à l’appui de la décision. Eu égard à l’ensemble du processus, ces exigences lui paraissent avoir été respectées : Apotex a eu tout le loisir de présenter des observations durant le processus d’approbation, et notamment celui qui se rapporte au révision; la DPT a examiné la PADN et a adéquatement motivé sa décision; elle a aussi offert à Apotex l’opportunité de répondre à chaque étape.

 

Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale

[71]           La politique en matière de révision (Ligne directrice à l’intention de l’industrie : Révision des décisions finales sur les présentations de drogues pour usage humain) a été mise à jour la dernière fois en 2006 : ce document est public. La politique s’applique à un éventail de présentations de drogues, y compris les PADN, de même qu’à tous les promoteurs et à la DPT. Elle est décrite comme un processus formel de résolution des différends et énonce les rôles et responsabilités de toutes les parties, y compris la DG, le promoteur de présentation de drogue, le Bureau des sciences et le Comité consultatif scientifique ou le comité de révision.

 

[72]           D’après la politique, la DG est chargée d’établir le processus de traitement des demandes de révision, et de se prononcer sur le rôle et la composition du Comité consultatif scientifique ou du comité de révision. La DG doit rendre la décision après la révision.

 

[73]           S’agissant de l’observation d’Apotex voulant que le processus ait été inéquitable ou irrégulier parce que le comité s’est réuni une première fois sans que la DG ne participe à la révision, la politique ne prévoit pas un tel processus en deux étapes. Comme le précise la section 5.3 de la politique, les options consistent à renvoyer les questions en litige à un groupe d’experts externe, à ce que le Bureau les examine ou à combiner les deux; certaines questions peuvent être renvoyées à un groupe et d’autres être examinées par le Bureau. C’est la DG qui décide en définitive du processus à suivre.

 

[74]           Contrairement à ce que suggère Apotex, la politique ne prévoit pas deux étapes, mais plutôt deux options. Dans le cas présent, la DG a décidé que le comité de révision se saisirait des deux questions. D’ailleurs, la demande de révision soumise par Apotex le 25 août 2012 indique clairement : [traduction] « Si la DPT n’est pas disposée à faire droit à la demande sans la renvoyer à un groupe, nous demandons qu’elle la renvoie de toute urgence. »

 

[75]           La politique cite des exemples de questions susceptibles d’être renvoyées à un groupe externe et d’autres « qu’il n’y a généralement pas lieu d’envoyer à [un tel] groupe ». Cette catégorie inclut les questions mettant principalement en jeu des politiques ou des procédures réglementaires.

 

[76]           Apotex estime que la question de l’interprétation du Règlement en est une de politique réglementaire, et qu’à ce titre elle n’aurait pas dû être renvoyée à un groupe; elle note que la politique précise que le renvoi de telles questions n’est généralement pas indiqué. C’est toutefois la DG qui choisit le processus. Il n’existe manifestement aucune règle absolue interdisant de renvoyer les questions d’interprétation à un groupe. Comme nous l’avons déjà signalé, les parties ont des positions divergentes quant à savoir si les questions s’attachent davantage à la science ou à l’interprétation. Cependant, les questions soumises au groupe relèvent des deux domaines. En fait, Apotex a fait valoir, à l’égard de ses affidavits, que les questions juridiques ou d’interprétation étaient inextricablement liées aux enjeux scientifiques, et que la Cour avait donc besoin de l’aide des experts.

 

[77]           Apotex semble avoir demandé la constitution d’un comité de révision et consenti à celui‑ci; elle a même proposé des candidats.

 

[78]           En ce qui concerne l’argument d’Apotex voulant qu’elle n’ait pas pu présenter directement à la DG des observations sur le rapport du comité avant qu’elle ne rende sa décision, la politique ne prévoit pas que le promoteur puisse présenter de façon répétée des observations, notamment sur les avis adressés à la DG après l’audience. En vertu de la politique, le Bureau des sciences examine le rapport du comité et prépare des recommandations à l’intention de la DG.

 

[79]           La politique prévoit également que la décision sera envoyée au promoteur avant d’être diffusée, mais uniquement pour vérifier que les renseignements signalétiques ou exclusifs ont été retirés, et pour permettre à celui-ci de s’en assurer. Ce n’est pas une occasion de se livrer à un examen, de formuler des commentaires ou de présenter d’autres observations.

 

[80]           Ce qui est troublant c’est que la DG n’a pas assisté à l’audience alors qu’elle a signé la décision, et que le comité, allègue-t-on, a été invité à examiner la question du caractère identique de l’ingrédient médicinal dans le produit final.

 

[81]           En ce qui concerne l’absence de la DG, Barbara Sabourin, je note qu’elle a été remplacée par le Dr Stewart, qui a participé à l’audience et entendu toutes les observations. Le Dr Stewart a appuyé la recommandation du comité et la lettre de Mme Sabourin indique : [traduction] « Le Dr Stewart a examiné le rapport et accepté la recommandation qui y était faite, tout comme moi. »

 

[82]           Bien qu’il semble y avoir ici une irrégularité, Apotex a été entendue par ceux qui ont pris la décision puisque Mme Sabourin a agi sur les conseils du comité, du Bureau des sciences et du Dr Stewart, qui était présent.

 

Les questions soumises au comité éludaient l’enjeu essentiel

[83]           Quant à l’allégation selon laquelle on a invité le comité à examiner le caractère identique de la forme pharmaceutique finale, alors que c’était justement la question sur laquelle il devait se prononcer, je ne crois pas que cela fasse clairement intervenir l’équité procédurale. Cela concerne davantage le caractère raisonnable de la décision quant à l’interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique », étant donné que le comité n’a pas traité la question de la manière proposée et espérée par Apotex, et que le ministre s’est pourtant appuyé sur son avis.

 

[84]           Bien qu’Apotex ait participé à la rédaction des questions, la conclusion à laquelle est parvenu le comité semble laisser entendre qu’Apotex avait toujours su que le caractère identique de l’ingrédient médicinal serait évalué dans la forme pharmaceutique finale. Cette approche ne tient pas compte des difficultés qu’Apotex a soumises au comité, comme elle l’indiquait dans ses présentations précédentes et dans le libellé de ses questions, et comme elle l’avait souligné dans les documents de référence présentés au comité, qui faisaient état d’approbations antérieures pour lesquelles on s’était fondé sur le caractère identique de l’ingrédient de départ. Ainsi, il est clair que la question était de savoir si l’on se fonderait sur l’ingrédient de départ ou sur la forme pharmaceutique finale pour juger du caractère identique de l’ingrédient.

 

[85]           Les questions (présentées au paragraphe 28) ont été diluées ou précisées, mais le comité aurait dû comprendre que les questions, telles qu’elles étaient formulées, englobaient le véritable enjeu, c’est-à-dire de savoir si le caractère identique de l’ingrédient médicinal devait être déterminé au départ ou à la fin.

 

[86]           En s’attardant exclusivement sur la question à portée étroite, sans tenir compte du contexte général, le comité n’a pas permis de déterminer quelle interprétation il fallait donner à la disposition en cause. La recommandation du comité montre que la question n’était pas réglée et que des clarifications étaient nécessaires.

 

[87]           Étant donné que la DPT a indiqué à Apotex qu’une conversion était probable et qu’Apotex savait que son ingrédient non médicinal (la base) n’était pas le même que celui utilisé pour la fabrication de Micardis, et compte tenu de l’expérience d’Apotex en tant que fabricant de médicaments génériques, celle-ci n’aurait vraisemblablement pas maintenu que les ingrédients médicinaux étaient identiques si elle n’avait pas été persuadée que la définition d’ingrédient médicinal identique renvoyait aux ingrédients de départ.

 

La décision était-elle raisonnable? Le ministre a-t-il mal interprété l’expression « ingrédient médicinal identique » dans la définition des équivalents pharmaceutiques à l’article C 08.001.1 du Règlement sur les aliments et drogues?

[88]           Apotex soutient que le ministre a mal interprété la définition, et en particulier le sens de l’expression « ingrédient médicinal identique »; elle invoque à cet égard plusieurs arguments touchant les principes d’interprétation législative ainsi que le manque de cohérence et de crédibilité de la position du ministre.

 

[89]           Le défendeur fait valoir que la décision est raisonnable; le Règlement a été interprété conformément aux principes d’interprétation législative et à l’objet de la Loi. Il prétend que la décision Reddy-Cheminor est comparable à plusieurs égards et qu’elle restreint significativement la portée des questions litigieuses.

 

La décision Reddy-Cheminor est-elle comparable?

[90]           Apotex soutient que le défendeur fait trop grand cas de la décision Reddy-Cheminor : les questions soulevées dans cette affaire étaient différentes et les conclusions qu’en tire le défendeur sont inapplicables.

 

[91]           Reddy-Cheminor a cherché à faire évaluer sa présentation concernant l’oméprazole en fonction de l’oméprazole magnésien (le PRC). Reddy-Cheminor a fait valoir que le ministre ne devait pas déterminer si l’ingrédient médicinal était identique à partir de la forme pharmaceutique, mais en se fondant plutôt sur la forme du médicament dans l’organisme (in vivo). Le ministre a jugé que les composés étaient des ingrédients médicinaux différents et qu’ils n’étaient pas équivalents sur le plan pharmaceutique.

 

[92]           La Cour a estimé que la substance ne pouvait être évaluée en fonction d’un métabolisme in vivo. La juge Layden-Stevenson a dit ceci, au paragraphe 62 :

[62]      En troisième lieu, Reddy ne laisse pas entendre que les drogues en question contiennent des ingrédients médicinaux identiques, mais plutôt que ces substances, une fois métabolisées, se transforment en une même substance. Comme c’est cette substance qui produit l’effet thérapeutique, Reddy fait valoir que les deux produits contiennent le même ingrédient médicinal. Reddy renvoie toujours aux [traduction] « faits qui existent en l’espèce » . J’interprète cette mention comme faisant référence au fait que Reddy s’appuie sur l’approche du ministre à l’égard du LOSEC d’AstraZeneca. Mais Reddy n’a pas droit de s’appuyer sur le mode d’approbation du produit de référence canadien pour pallier les insuffisances de sa PADN. De plus, je pense comme le défendeur que le ministre ne peut évaluer les spécifications d’une substance qui peut être produite in vivo par le métabolisme. L’exigence de la loi est de considérer, comme ingrédient médicinal, l’ingrédient contenu dans la drogue.

 

[93]           En l’espèce, le telmisartan n’est pas métabolisé : il s’agit de l’ingrédient médicinal qui est absorbé et de l’ingrédient médicinal qui se retrouve dans l’organisme. Selon Apotex, les expressions « l’ingrédient contenu dans le médicament » ou « contenu dans le produit pharmaceutique » renvoient uniquement à l’ingrédient médicinal utilisé dans la fabrication, c’est‑à‑dire au telmisartan.

 

[94]           Le défendeur affirme que, dans la décision Reddy-Cheminor, la Cour a reconnu que les différents sels de l’ingrédient médicinal ne sont pas identiques et ne répondent pas à la définition d’« équivalent pharmaceutique »; il cite le paragraphe 25 :

[25]      Quant à la position de Reddy, à savoir qu’après ingestion et métabolisation toutes les formes d’oméprazole se transforment en un métabolite, le sulfénamide (ingrédient produisant l’effet thérapeutique), et que les ingrédients médicinaux de l’oméprazole (produit de base) et de l’oméprazole magnésien (sel) sont identiques, elle ne convainc pas le ministre. Dans la meilleure des hypothèses, cette position donne à penser que les deux drogues sont des équivalents thérapeutiques. Le défendeur fait remarquer que Reddy ne conteste pas que le produit de base et le sel sont des substances différentes.

 

[95]           Le défendeur reconnaît que la question en litige dans l’affaire Reddy-Cheminor n’est pas identique, mais souligne que la Cour a rejeté l’argument selon lequel deux produits doivent être considérés comme contenant un même ingrédient médicinal si les ingrédients médicinaux sont convertis en la même substance dans l’organisme. Selon le défendeur, la conclusion qu’il faut tirer de Reddy-Cheminor est que la comparaison des ingrédients médicinaux doit se faire dans la forme pharmaceutique finale et non dans l’organisme.

 

Les faits de l’affaire Reddy-Cheminor sont distincts des faits de l’espèce

[96]           Dans l’affaire Reddy-Cheminor, les ingrédients de départ étaient différents. La Cour a conclu qu’il n’était pas possible d’évaluer le caractère identique des produits après une transformation in vivo.

 

[97]           Je ne pense pas que les conclusions tirées dans l’affaire Reddy-Cheminor aident à résoudre les questions en litige dans la présente affaire, lesquelles concernent surtout l’interprétation des définitions et la question de savoir si le caractère identique doit être déterminé au départ ou à la fin.

 

Les principes d’interprétation législative appuient-ils l’interprétation préconisée par le ministre?

[98]           Apotex soutient que les principes fondamentaux d’interprétation législative trouvent à s’appliquer, que les termes doivent être lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21, [1998] ACS no 2).

 

[99]           Apotex fait valoir que le terme « ingrédient » désigne normalement l’élément de départ et que, lorsque les ingrédients sont combinés pour former quelque chose d’autre, ils cessent d’être des ingrédients et deviennent des composés ou un mélange.

 

[100]       De façon analogue, il faudrait donner au terme « ingrédient médicinal » utilisé dans la définition d’« équivalent pharmaceutique » son sens ordinaire. Apotex fait valoir que, selon le sens ordinaire, il est clair que le telmisartan est l’ingrédient médicinal de départ. Même s’il est vrai que du telmisartan sodique peut se former et se retrouver dans la forme pharmaceutique finale, ou les comprimés, de Micardis et que du telmisartan potassique peut se retrouver dans la forme pharmaceutique finale, ou les comprimés, d’Apo-Telmisartan, ni le sodium ni le potassium ne sont des ingrédients médicinaux; l’ingrédient médicinal des deux produits est plutôt le telmisartan.

 

[101]       Apotex soutient également que, si l’intention des rédacteurs/législateurs était de déterminer le caractère identique de l’ingrédient médicinal dans le produit final, le Règlement aurait alors employé un langage clair, plutôt que de parler d’« ingrédients ».

 

[102]       Le défendeur présente l’interprétation qu’il préconise et fait valoir que, lorsque des transformations surviennent au cours du procédé de fabrication, il serait plus juste de déterminer l’équivalence pharmaceutique en comparant les formes pharmaceutiques finales. En pesant bien ses mots, le défendeur avance que, selon cette interprétation, Apo-Telmisartan contient du telmisartan potassique, une substance différente de celle qui est présente dans le PRC Micardis, qui contient du telmisartan sodique. Par conséquent, l’ingrédient médicinal n’est pas identique.

 

[103]       L’interprétation du défendeur s’appuie aussi sur la définition de l’« équivalent pharmaceutique » figurant dans le Règlement, que nous reproduisons ici par souci de commodité :

« équivalent pharmaceutique » S’entend d’une drogue nouvelle qui, par comparaison à une autre drogue, contient les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques, sous des formes posologiques comparables, mais pas nécessairement les mêmes ingrédients non médicinaux.

 

[104]       Le défendeur soutient que le terme « ingrédient médicinal » renvoie à ce qui est contenu dans le nouveau médicament et que la référence à une « forme pharmaceutique comparable » laisse entendre que l’équivalence pharmaceutique doit être déterminée en fonction de la forme pharmaceutique finale du médicament.

 

[105]       Le défendeur invoque aussi la définition du mot « ingrédient » proposée par le dictionnaire et fait valoir que ce terme peut avoir deux sens; la définition est assez large pour couvrir les éléments qui entrent dans la fabrication de quelque chose et les éléments qui sont contenus dans quelque chose.

 

[106]       Le défendeur conclut que, si l’on tient compte du régime réglementaire global, l’interprétation juste est que le mot « ingrédient » s’entend de ce qui est présent dans le produit final.

 

Le terme « ingrédient » a un sens ordinaire

[107]       J’estime que l’argument du défendeur sur le sens du mot « ingrédient » est tortueux et inutile.

 

[108]       Il est vrai que l’ingrédient peut désigner l’élément de départ autant que la chose contenue dans le produit final, mais il doit s’agir d’une seule et même chose. Suivant une interprétation courante et non scientifique, les ingrédients originaux demeurent les ingrédients et ne désignent pas les mélanges qu’ils peuvent finir par former.

 

[109]       La définition mentionne simplement « contient les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques ». Je ne puis concilier l’argument du défendeur voulant qu’un médicament puisse contenir un ingrédient (c.-à-d. l’ingrédient ajouté au départ) avec l’idée que le produit final puisse être l’ingrédient ou que les ingrédients puissent aussi être les autres composés créés dans le produit final.

 

[110]       Pour faire une simple analogie boulangère (comme l’a fait le défendeur), la même quantité de blancs d’œufs et de sucre peut constituer les ingrédients de différents produits, par exemple une tarte et un gâteau. Nul ne peut prétendre que ces deux ingrédients contenus dans la tarte et le gâteau ne sont pas identiques, pourtant les blancs d’œufs et le sucre de la tarte forment une meringue, ou encore créent la saveur et la texture des biscuits. Si l’on se demandait quels ingrédients la tarte contient, la réponse ne serait pas la meringue, mais le sucre et les blancs d’œufs.

 

[111]       L’observation du défendeur laisse entendre que le ministre peut choisir de comparer l’ingrédient médicinal dans la forme pharmaceutique finale ou au départ, selon que des transformations surviennent durant la fabrication. Un tel choix ne garantit pas la cohérence du processus d’approbation et défavorise les fabricants de médicaments génériques qui soumettent une PADN; il fait ressortir le manque de clarté de la définition.

 

[112]       Le sens ordinaire des termes n’étaye pas l’approche du ministre.

 

Les termes identiques utilisés dans le Règlement devraient-ils recevoir le même sens?

[113]       Apotex soutient que, selon le principe d’interprétation législative voulant que, dans une loi, les mêmes mots doivent avoir le même sens et que les mots différents doivent avoir des sens différents, seuls les ingrédients médicinaux de départ doivent être identiques. Par conséquent, l’expression « ingrédients médicinaux » doit recevoir le même sens tout au long de la LAD, et la seule interprétation cohérente possible est que seul l’ingrédient de départ doit être identique.

 

[114]       Pour étayer sa position selon laquelle il s’agit ici de l’ingrédient de départ et non de la forme pharmaceutique finale, Apotex a relevé plusieurs dispositions du Règlement contenant le mot « ingrédients ». Elle cite les alinéas C.08.002.1(3)b) et c), qui énoncent l’obligation de fournir des échantillons à la fois des ingrédients de la drogue nouvelle et de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente; le paragraphe C.08.002(2), qui exige que la présentation contienne une liste quantitative des ingrédients de la drogue nouvelle ainsi que les spécifications relatives à chaque ingrédient; le paragraphe C.08.002(4), en vertu duquel le promoteur fournit sur demande des échantillons des ingrédients; et l’alinéa C.01.004(1)c), en vertu duquel l’étiquette doit indiquer la liste quantitative des ingrédients médicinaux.

 

[115]       En ce qui concerne l’exigence énoncée au paragraphe C.08.002(2), Apotex allègue qu’il est impossible de fournir une liste quantitative des ingrédients qui se trouvent dans le produit final. Il n’est possible de le faire qu’avec les ingrédients de départ, car il est impossible de déterminer le taux de formation d’un sel, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun moyen de déterminer quelle quantité d’un ingrédient médicinal est convertie en un sel. Seul le telmisartan peut être mesuré, et non son sel. Même sous forme de sel, le telmisartan demeure l’ingrédient médicinal; il ne subit aucune dégradation, il n’est pas métabolisé et il demeure inchangé.

 

[116]       Apotex a fait également valoir qu’il n’aurait pas été possible pour les autres fabricants de génériques de quantifier la teneur en sel de leur produit final.

 

[117]       Apotex soutient que l’interprétation avancée par la DPT ne peut pas être correcte, car elle rendrait la conformité impossible. La seule manière dont un fabricant générique peut se conformer au Règlement est de faire référence aux ingrédients de départ qui peuvent être quantifiés.

 

[118]       Durant son contre-interrogatoire par Apotex, M. Adams, qui a déposé un affidavit pour Santé Canada, a convenu que les ingrédients seraient analysés avant d’être incorporés au produit final, ce qui concerne à la fois les ingrédients médicinaux et non médicinaux (voir les paragraphes 24 à 26).

 

[119]        En ce qui concerne les alinéas C.08.002.2(3) b) et c), selon lesquels les fabricants doivent fournir à la fois des échantillons des ingrédients et de la forme pharmaceutique finale, Apotex soutient que ce serait impossible si la position du ministre l’emportait. Le sel est incorporé dans le comprimé, et un échantillon de l’ingrédient – le sel, qui n’est pas l’ingrédient médicinal – ne pourrait être fourni. Seul un échantillon de l’ingrédient médicinal pourrait être fourni.

 

[120]       Lors de son contre-interrogatoire, M. Adams a admis qu’il ne serait pas possible de fournir des échantillons des ingrédients présents dans la forme pharmaceutique finale, par exemple dans un comprimé, car on ne peut désassembler un comprimé.

 

[121]       Apotex fait remarquer que les autres fabricants génériques se heurteraient à la même impossibilité, mais qu’on ne leur a pas demandé de se conformer à l’interprétation que le ministre préconise à présent.

 

[122]       Apotex ajoute qu’en vertu des dispositions sur l’étiquetage du Règlement, à savoir le sous-alinéa C.01.004 (1)c)(iv), le fabricant de médicaments vendus au Canada doit indiquer sur l’étiquette « une liste quantitative de tous les ingrédients médicinaux de la drogue […] ».

 

[123]       Bien que Micardis et les génériques homologués contiennent en fait du telmisartan sodique, le seul ingrédient médicinal figurant sur l’étiquette est le telmisartan. Selon Apotex, étant donné que les fabricants de ces produits n’ont pas été tenus d’indiquer sur l’étiquette que leur produit contenait du telmisartan sodique, le ministre de la Santé a dû comprendre que l’ingrédient médicinal était l’ingrédient de départ, à savoir le telmisartan.

 

[124]       Le défendeur fait valoir que son interprétation concorde avec le régime réglementaire général, ce qui est pertinent dans le cas des questions d’interprétation législative.

 

[125]       En ce qui concerne l’usage de l’expression « ingrédient médicinal » dans d’autres parties du Règlement, le défendeur convient qu’à l’alinéa C.08.002.1(3)b) et aux paragraphes C.08.002(2) et C.08.002(4), elle s’entend davantage de l’élément entrant dans la fabrication du médicament (c.-à-d. l’ingrédient de départ), ce qui n’empêche pas d’employer l’expression « ingrédient médicinal » ailleurs pour désigner ce qui est présent dans la forme pharmaceutique finale, comme à l’alinéa C.01.004(1)c).

 

L’expression « ingrédients médicinaux » devrait avoir un sens uniforme dans le Règlement

[126]       Le principe voulant que les mêmes termes aient le même sens n’appuie pas la position du défendeur selon laquelle l’expression « ingrédients médicinaux » peut avoir un sens différent en divers endroits du même règlement. Ceci est tout à fait contraire aux principes d’interprétation législative.

 

[127]       S’il tient compte des conventions élémentaires de rédaction ainsi que du sens ordinaire, le lecteur ne peut pas parvenir à la position du ministre.

 

[128]       Si ce sont des interprétations différentes que l’on souhaite, alors ce sont des mots distincts qu’il faut utiliser ou des exceptions explicites qu’il faut prévoir.

 

L’objet de la Loi appuie-t-il la position du ministre?

[129]       Apotex fait valoir que l’objet de la Loi et du Règlement est d’assurer la mise en marché de médicaments sûrs et efficaces afin d’améliorer l’état de santé de la population (AstraZeneca Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé) 2006 CSC 49, au paragraphe 12, [2006] 2 RCS 560), ce que permettra son médicament.

 

[130]       Ce même principe a été repris dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 322, au paragraphe 29, 443 NR 291 [Apotex] :

[29] Or, le raisonnement d’Apotex ne tient pas compte de l’objet de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27 (la Loi) et du Règlement. La Cour suprême du Canada enseigne que cet objet consiste à « encourager la mise en marché de médicaments efficaces et non nocifs de façon à améliorer l’état de santé de la population » (AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, au paragraphe 12). La responsabilité première de la ministre sous le régime de la Loi et du Règlement est de veiller à la santé et au bien‑être des Canadiens.

 

[131]       Apotex soutient que l’utilisation d’excipients (les ingrédients non médicinaux) n’a pas d’incidence sur l’innocuité et l’efficacité. Qui plus est, après l’approbation de la PADN au stade préliminaire, l’efficacité et l’innocuité du médicament seront évaluées à des étapes ultérieures du processus.

 

[132]       Apotex convient que le ministre doit pouvoir examiner les conséquences des transformations, et elle croit que comparer les ingrédients médicinaux identiques au départ ne l’empêche pas de le faire. Si la drogue est acceptée à l’étape préliminaire, le ministre a encore la possibilité d’évaluer l’innocuité et l’efficacité liées à l’utilisation de l’hydroxyde de potassium.

 

[133]       Apotex souligne que le ministre ne passe pas en revue les ingrédients non médicinaux à l’étape de l’examen préliminaire, mais au cours d’une étape ultérieure, par exemple pour évaluer les questions relatives à la toxicité, à la tolérance et à la stabilité.

 

[134]       Le défendeur voudrait nuancer l’observation d’Apotex concernant l’objet de la Loi et du Règlement, et estime qu’une interprétation adéquate de celui-ci doit tenir compte de ce qu’écrivait la juge Dawson dans la même décision (Apotex) au paragraphe 30 :

[30] Lorsque la ministre exerce son pouvoir discrétionnaire de délivrer un avis de conformité, en vertu de l’article C.08.004, elle doit être convaincue de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue concernée. Rien dans le libellé du Règlement n’appelle la conclusion contraire, et on en arriverait à un résultat absurde, à mon avis, si on interprétait le Règlement d’une manière obligeant la ministre à délivrer un avis de conformité même sans qu’elle ne soit convaincue de l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue.

 

[135]       Selon le défendeur, l’interprétation d’Apotex pourrait faire en sorte qu’un médicament soit déclaré équivalent à Micardis même lorsque le ministre n’est pas convaincu de son innocuité et de son efficacité. Bien qu’aucun élément de preuve ni aucune allégation n’indiquent que tel est le cas, le défendeur fait valoir que l’utilisation d’un autre sel pourrait avoir une incidence sur l’innocuité du produit et qu’il ne faudrait pas empêcher le ministre de chercher à déterminer si un ingrédient médicinal subit une modification chimique quelconque lors de la fabrication du médicament.

 

[136]       Le défendeur renvoie également à la politique de l’ingrédient médicinal identique, selon laquelle les sels ne sont pas considérés comme identiques sur le plan chimique aux formes ionisées des fractions actives.

 

[137]       Le défendeur offre encore une définition qui serait appropriée pour le ministre, et indique que : [traduction] « Au minimum, la définition d’“équivalent pharmaceutique” devrait être interprétée comme signifiant que, lorsque le ministre croit qu’une transformation survient lors de la fabrication d’une forme pharmaceutique finale, il doit être en mesure de se renseigner au sujet du caractère identique de l’ingrédient médicinal sur le plan chimique dans la forme pharmaceutique finale avant de se prononcer sur ce point ».

 

[138]       Le défendeur soutient que suivant cette interprétation, il serait loisible au ministre d’utiliser l’ingrédient pharmaceutique actif de départ s’il y a lieu. Or, dans certains cas, comme en l’espèce, il peut rejeter la PADN s’il n’est pas convaincu que les ingrédients médicinaux présents dans la forme pharmaceutique finale sont identiques, et une telle décision est raisonnable.

 

L’objet de la Loi ne permet pas de résoudre l’interprétation de l’expression « ingrédients médicinaux identiques »

[139]       L’objet de la Loi n’est pas contesté. Cependant, le mot l’indique, l’étape préliminaire est un prélude et non pas l’étape finale du processus d’approbation. Rien n’empêche le ministre de s’enquérir de l’innocuité et de l’efficacité du médicament ou de l’éventualité de transformations durant le processus de fabrication.

 

[140]       La question litigieuse concerne l’interprétation de l’expression « ingrédients médicinaux identiques » à l’étape préliminaire. Le défendeur a soulevé des questions hypothétiques au sujet de l’innocuité. D’après la preuve d’Apotex, l’utilisation d’ingrédients non médicinaux, et en particulier de l’hydroxyde de potassium comme excipient, ne soulève aucune préoccupation à ce chapitre. Quoi qu’il en soit, l’innocuité et l’efficacité seraient évaluées aux étapes suivantes de l’approbation.

 

[141]       Je n’accepte pas la proposition du défendeur selon laquelle le ministre devrait avoir la possibilité d’adopter une approche différente en fonction des circonstances. S’il s’agit de ce que le ministre fait en réalité ou de ce qu’il devrait faire, il faudrait modifier les définitions de façon à indiquer que la comparaison des ingrédients devrait se faire avec la forme pharmaceutique selon les transformations qui surviennent après l’association des ingrédients médicinaux et non médicinaux.

 

[142]       L’article 4 des Principes directeurs de la politique de Santé Canada intitulée Interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique » 2003, prévoit :

L’expression « ingrédient médicinal identique » pourrait être interprétée au sens strict pour désigner des ingrédients médicinaux identiques sur les plans physique et chimique. Toutefois, aux termes du Règlement, seule « l’identité chimique » des ingrédients médicinaux est prise en compte pour la détermination de l’équivalence pharmaceutique. Des produits pharmaceutiques qui sont des équivalents pharmaceutiques devraient contenir des ingrédients médicinaux identiques sur le plan chimique, mais pas nécessairement sur le plan physique […]

 

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, les ingrédients médicinaux contenant la même fraction active sont classés comme des ingrédients médicinaux identiques ou non identiques selon les principes directeurs suivants :

 

4.3 Les différents complexes, esters et sels d’une même fraction active sont considérés comme non identiques.

 

[143]       Dans son affidavit, M. Adams a commenté l’utilisation de certains termes au paragraphe 46. Il indique notamment qu’il n’existe pas de définition commune pour certains termes, comme « ingrédients médicinaux », « fractions actives » et « ingrédients médicinaux actifs ». Il indique que, selon la politique de l’ingrédient médicinal identique, le terme « fraction active » exclut les esters et les sels, et que cette définition est distincte de celle d’« ingrédient médicinal », qui comprend les esters et les sels. Il indique également que, lorsqu’il n’y a aucune transformation in situ, l’IPA est identique à l’ingrédient médicinal, mais que cela n’est pas le cas lorsqu’il y a une transformation in situ, et que l’ingrédient médicinal est alors différent de l’IPA.

 

[144]       À mon avis, le texte de la politique de l’ingrédient médicinal identique, qui ne précise pas à quel moment il faut déterminer le caractère identique, le témoignage de M. Adams, et la recommandation ultime du comité de révision, confirment que le sens précis de plusieurs expressions, comme « ingrédients médicinaux identiques », n’est pas clair. En l’espèce, il est inutile de compter sur l’objet de la Loi pour éclairer le sens de la définition. L’expression exige une interprétation claire et cohérente, qui n’a toujours pas été donnée.

 

La position du ministre est-elle incohérente?

[145]       Apotex soutient que le ministre lui a imposé une interprétation qu’il n’a pas appliquée dans le cadre de l’approbation d’autres produits génériques contenant du telmisartan.

 

[146]       Apotex fait valoir que, même si le ministre a reconnu que Micardis et les génériques homologués sont convertis en telmisartan sodique, il autorise toujours que l’étiquette de ces produits indique que l’ingrédient médicinal est le telmisartan.

 

[147]       Lors de son contre-interrogatoire, M. Adams a reconnu que l’étiquette du PRC, Micardis, et des génériques devrait indiquer que le produit contient du telmisartan sodique et que Santé Canada avait discuté de ce point avec Boehringer, le fabricant de Micardis, en 2008, mais qu’il n’y avait pas eu de suivi.

 

[148]       Il a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Je dirais que nous avons quelques préoccupations au sujet de l’ingrédient médicinal. Nous en avons discuté avec Boehringer. Nous leur avons demandé de mener d’autres études pour préciser la nature de l’ingrédient médicinal présent dans le produit final.

 

Nous n’avons – ils ne l’ont pas fait. Nous n’avons pas pu déterminer de façon concluante que – excusez-moi – que l’étiquette est incorrecte, c’est-à-dire que le produit est mal étiqueté.

 

[149]       Il a ajouté ce qui suit en réponse à des questions plus pointues :

[traduction]

Je crois que vous avez tout à fait raison, il est dit que nous croyons qu’il s’agit de telmisartan sodique. Alors, oui, nous croyons que l’étiquette devrait indiquer qu’il s’agit de telmisartan sodique.

 

[150]       Apotex soutient que le ministre n’aurait pas permis une telle erreur d’étiquetage à moins qu’il ait considéré, comme par le passé, que l’ingrédient médicinal était l’ingrédient de départ, en l’occurrence le telmisartan.

 

[151]       Apotex ajoute que le paragraphe 9(1) de la Loi interdit d’étiqueter une drogue d’une manière trompeuse ou mensongère, notamment en ce qui a trait à sa composition.

 

[152]       Apotex prétend que le ministre perd en crédibilité en autorisant d’une part cette erreur dans le cas du Micardis et d’autres génériques, et en soutenant d’autre part que d’approuver l’Apo-Telmisartan et d’exiger que l’étiquette indique s’il s’agit de telmisartan potassique créerait une certaine confusion sur le marché.

 

[153]       Apotex soutient également qu’aucun des autres fabricants de génériques n’a dû démontrer que son produit final contenait les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques. Apotex avance que la position du ministre, selon laquelle les fabricants des autres produits génériques n’étaient pas tenus de le faire parce qu’il s’opérait une conversion complète, est en contradiction avec l’affirmation du ministre. S’il y avait effectivement eu une conversion complète, il n’aurait pas été nécessaire de demander à Apotex quelle était l’espèce chimique qui était présente dans le PRC Micardis comme on l’a fait dans la lettre de rejet à l’examen préliminaire.

 

[154]       Apotex explique que les fabricants des autres produits génériques n’ont pas été tenus d’indiquer les quantités du sel (et elle rappelle que cela aurait été impossible). Dans son contre-interrogatoire, M. Adams indique que cela n’était pas nécessaire, car il y avait une conversion complète. Apotex avance qu’il n’existe aucune preuve de ce fait et que cette réponse est également incohérente étant donné le texte de la lettre de rejet à l’examen préliminaire.

 

[155]       Aucun élément de preuve n’a été fourni par le ministre pour indiquer que la question relative au sel avait été prise en considération lors de l’homologation des autres produits génériques. Il n’existe aucune preuve au sujet du fait que le fabricant du PRC, Micardis, et les autres fabricants précisent les quantités de telmisartan sodique afin qu’il soit possible de déterminer si les quantités sont identiques.

 

[156]       Selon Apotex, la teneur en sel n’a aucun effet sur le médicament que reçoivent les patients et, lors de son contre-interrogatoire, M. Adams a convenu que, dans le sang, l’ingrédient médicinal serait le telmisartan.

 

[157]        Quant à l’emploi de l’expression « ingrédient médicinal » dans d’autres parties du Règlement, surtout en ce a trait à l’étiquetage, le défendeur soutient que la politique en cette matière appuie l’interprétation voulant que l’ingrédient médicinal désigne l’ingrédient contenu dans le produit final.

 

[158]       Le défendeur fait remarquer que la politique de l’ingrédient médicinal identique a été publiée en 2003, c’est-à-dire après l’approbation du Micardis en 1999. Si cette approbation avait été postérieure à la politique de 2003, il aurait été plus exact et conforme aux règles de nomenclature de mentionner le telmisartan sodique sur l’étiquette. De plus, comme nous l’avons mentionné, la DPT a soulevé la question de l’étiquetage auprès du fabricant de Micardis en 2008, mais n’y a pas donné suite, car il n’y avait aucune préoccupation quant à l’innocuité, et que le « telmisartan » était alors reconnu comme un nom usuel.

 

[159]       Le défendeur affirme que l’objectif global de Santé Canada est l’innocuité des médicaments et que ce serait mal employer ses ressources limitées que de s’entêter sur une question d’étiquetage avec un fabricant de médicaments.

 

[160]       Le défendeur admet que, dans le cas des premiers génériques, il n’y avait pas d’exigence voulant que l’ingrédient médicinal soit identique dans le produit final, car les transformations in situ n’étaient pas prises en considération. On sait maintenant qu’une réaction se produit, alors les ingrédients médicinaux doivent être comparés dans les produits finaux.

 

[161]       Le défendeur fait valoir que la DPT a approuvé le nom usuel « telmisartan » en 1999 et que, étant donné que tous les autres génériques qui contenaient du telmisartan sodique étaient identiques à Micardis, il avait été décidé que l’étiquette de ces produits pouvait également n’afficher que le nom « telmisartan ».

 

[162]       Le défendeur convient qu’il ne serait pas incorrect d’utiliser le nom usuel « telmisartan sodique » pour le PRC et les génériques approuvés à ce jour, mais que ce ne serait pas forcément pratique puisque les consommateurs utilisent le nom usuel.

 

La position du ministre est incohérente

[163]       Comme l’a reconnu le défendeur, le PRC Micardis est actuellement mal étiqueté; il s’agit de telmisartan sodique et le produit devrait être étiqueté comme tel, ainsi que l’exigent le Règlement et la Loi. De même, tous les génériques approuvés à ce jour devraient être étiquetés comme du telmisartan sodique.

 

[164]       Le ministre (la DPT) ne semble pas cohérent dans son interprétation du Règlement, notamment des dispositions concernant l’étiquetage. Il lui revient de décider s’il convient ou non de consacrer des ressources limitées à une question d’étiquetage, en l’absence de préoccupations touchant l’innocuité. Cependant, c’est là un autre exemple de l’approche incohérente réservée à Apotex par rapport à ses prédécesseurs.

 

La recommandation du comité

[165]       Comme nous l’avons déjà mentionné, le comité de révision n’a pas résolu la question sous-jacente de savoir à quel moment il faut déterminer le caractère identique. Cependant, il reconnaît dans sa recommandation l’existence d’une certaine « confusion » et d’un manque de clarté. Apotex en a payé le prix et n’aurait probablement pas poursuivi sa PADN si la question avait été résolue au préalable ou si une politique énonçait clairement que l’exigence du Règlement concerne le caractère identique du produit final.

 

[166]       Comme indiqué dans la chronologie, le comité a recommandé ce qui suit :

[traduction]

Dans l’Avis daté du 23 juillet 2003 au sujet de l’interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique », le terme « ingrédient médicinal » devrait être défini clairement comme étant la substance active telle qu’elle apparaît dans le produit final. Cela permettrait d’éviter toute confusion de la part des promoteurs lorsque la substance active de départ (l’IPA, selon la définition de l’OMS) peut subir des modifications chimiques lors du procédé utilisé pour fabriquer la forme pharmaceutique finale.

 

Conclusion

[167]       Pour les motifs qui précèdent, la décision du ministre concernant l’interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique » dans la définition d’équivalent pharmaceutique à l’article C.08.001.1 du Règlement sur les aliments et drogues n’est pas raisonnable lorsqu’elle est examinée à la lumière de la norme établie dans l’arrêt Dunsmuir. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et les dépens sont adjugés à la demanderesse.

 

[168]       La question des dépens sera tranchée après que la Cour aura reçu les observations des avocats à ce sujet.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et les dépens sont adjugés à la demanderesse. La décision du ministre de ne pas accepter la PADN en vue d’un examen est donc annulée et doit être réexaminée.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-942-12

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c LE MINISTRE DE LA SANTÉ et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 17 JUIN 2013

 

MOTIFS PUBLICS DU
JUGEMENT ET JUGEMENT :    LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 23 DÉCEMBRE 2013

 

 

COMPARUTIONS :

H.B. Radomski

Daniel G. Cohen

POUR LA demanderesse

 

Abigail Brown

Eric Peterson

pour les défendeurS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES défendeurS

 

 

 

 

 

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