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Date : 20131223

Dossier : T-447-09

Référence : 2013 CF 1283

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

LA FÉDÉRATION CANADO-ARABE (CAF)

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la Fédération canado‑arabe (la CAF) à l’encontre de la décision rendue par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’alors, M. Jason Kenney (le ministre), de ne pas conclure d’accord de financement aux termes du programme Cours de langue pour les immigrants au Canada (le CLIC) pour l’année 2009‑2010. Cette décision a été rendue par le ministre malgré le fait que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) avait auparavant conclu des accords de financement similaires avec la CAF pendant de nombreuses années; le plus récent de ces accords a expiré le 30 mars 2009, seulement quelques jours après que la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue.

 

[2]               Les motifs sous‑tendant la décision du ministre sont énoncés dans une lettre, datée du 18 mars 2009, que le sous‑ministre adjoint associé de CIC a adressée à Khaled Mouammar, président de la CAF à cette époque :

[traduction]

 

Comme vous le savez également, certaines déclarations que vous et d’autres dirigeants de la CAF avez faites publiquement ont soulevé de graves préoccupations. Ces déclarations comprenaient la fomentation de la haine et de l’antisémitisme ainsi que le soutien au Hamas et au Hezbollah, des organisations terroristes interdites.

 

La nature désobligeante de ces déclarations publiques – en ce qu’elles semblent refléter le soutien évident accordé par la CAF à des organisations terroristes et des positions qu’elle a prises qui sont probablement antisémites – soulève de sérieuses questions quant à l’intégrité de votre organisme et a ébranlé la confiance du gouvernement en la CAF en tant que partenaire convenable pour la prestation de services d’établissement aux immigrants.

 

Le contexte

La nature de la CAF

[3]               Les objectifs de la CAF, tels qu’ils sont énoncés dans ses lettres patentes, ont trait à la promotion des intérêts des Arabes et des communautés arabes au Canada de diverses manières, notamment [traduction] « [d]e promouvoir les liens et la compréhension mutuelle entre les sociétés, les organisations ainsi que les communautés arabes au Canada et les pays arabes […] de fournir de l’aide aux nouveaux immigrants au Canada provenant des pays arabes […] [et] de diffuser des informations au sujet des causes arabes et d’encourager le soutien de ces causes au Canada et dans les pays arabes, en particulier la cause du peuple palestinien qui souffre ».

 

[4]               Les activités de la CAF étaient partagées entre deux directions : Services d’établissement et soutien aux immigrants; Action communautaire. La direction Services d’établissement et soutien aux immigrants se consacrait à aider tant les immigrants arabes que ceux qui n’étaient pas arabes à s’intégrer dans la collectivité. La direction Action communautaire était vouée au renforcement des capacités, à la défense collective des droits et aux services communautaires.

 

[5]               La CAF exécutait deux programmes principaux par l’entremise de sa direction des services d’établissement : le CLIC, qui fournissait des cours d’anglais, langue seconde, aux immigrants, et le programme Atelier de recherche d’emploi (l’ARE). La plupart des immigrants qui participaient à ces programmes provenaient de pays non arabes. Le financement que la CAF recevait pour les deux programmes venait de CIC, par l’entremise d’arrangements dans le cadre d’ententes de contribution.

 

Les ententes de contribution de CIC

[6]               CIC a conclu des contrats avec la CAF et d’autres organismes à titre de fournisseurs de services privés pour la fourniture de services d’établissements à ceux qui immigrent au Canada. Les contrats prévoyaient l’allocation d’un financement au fournisseur de services pour des dépenses remboursables. Une dépense sans lien avec les programmes CLIC ou ARE ne pouvait être récupérée à partir des fonds affectés dans l’entente de contribution. Comme l’a fait remarquer le ministre dans ses mémoires, une partie à une entente de contribution ne retire pas d’avantage financier de l’entente; cependant, il peut y avoir des avantages indirects :

[traduction]

 

Les fonds fournis par le Canada par l’entremise de l’entente de contribution n’étaient aucunement destinés à profiter à la CAF. Un organisme peut retirer des avantages accessoires d’un financement relatif à l’établissement; par exemple, il peut y avoir une légitimité liée aux organisations qui reçoivent des fonds gouvernementaux, et il peut être possible de partager des coûts d’infrastructure dans le cadre du programme d’établissement. Le montant complet de l’entente de contribution, cependant, visait à profiter directement aux immigrants suivant les cours du CLIC.

 

[7]               Cela s’applique également à la présente demande, et la position du ministre est que le programme CLIC offre aux immigrants plus qu’une simple formation linguistique. Le ministre souligne qu’il est prévu que le programme fournisse également aux immigrants une initiation au mode de vie canadien, notamment à [traduction] « l’intégration sociale, économique, culturelle et politique », de sorte que le caractère approprié du fournisseur de programme à cet égard est crucial. La trousse de demande que CIC donne aux fournisseurs de services fait état de cette facette du programme :

[traduction]

 

En offrant une formation linguistique de base, en anglais ou en français, aux immigrants adultes, le CLIC facilite l’intégration sociale, culturelle, politique et économique des immigrants et des réfugiés qui arrivent au Canada. En outre, les cours du CLIC comprennent des informations qui aident les immigrants à comprendre le mode de vie canadien et, ainsi, à devenir au plus tôt des membres actifs de la société canadienne.

 

[8]               La CAF avait récemment négocié une entente de contribution et signé un contrat avec CIC pour la période du 1er avril 2007 au 31 mars 2009. Le 2 décembre 2008, CIC a écrit à toutes les parties, une fois le financement relatif au CLIC reçu à ce moment‑là, pour les informer qu’il y aurait un nouveau programme d’établissement, mais que sa mise en œuvre n’était pas encore terminée. Par conséquent, [traduction] « CIC [avait] décidé de prolonger les ententes de contribution actuelles relatives au CLIC jusqu’au 31 mars 2010 ». On a demandé à chaque fournisseur de services de présenter à CIC une demande d’autorisation budgétaire et de lui proposer des modifications aux activités, la demande d’autorisation budgétaire étant assujettie à un processus d’approbation.

 

[9]               Dans les renseignements accompagnant cet appel de demandes de modification, CIC a averti la CAF et d’autres demandeurs de ne pas tenir pour acquise l’approbation pour l’année 2009‑2010, tant et aussi longtemps qu’une telle approbation écrite de CIC n’aura pas été reçue :

[traduction]

 

Ne tenez pas pour acquis que votre demande de modification est approuvée, tant que vous n’aurez pas reçu d’avis écrit de CIC. Vous devrez assumer toutes les dépenses engagées avant la date approuvée de mise en place, lesquelles ne seront pas remboursées. Nous vous demandons également de ne pas embaucher d’employés ou de faire quelque engagement que ce soit, tant que vous n’aurez pas été avisé de l’approbation de CIC. Si votre demande est approuvée, elle servira alors de modification à l’entente de contribution, en vigueur actuellement, qui a été conclue entre votre organisme et Citoyenneté et Immigration Canada.

 

[10]           Le 9 décembre 2008, la CAF a présenté une proposition pour 2009‑2010. Le 12 février 2009, un agent d’établissement de CIC en a recommandé l’approbation. Dans sa recommandation, il a fait remarquer que [traduction] « [l]a Fédération canado‑arabe exécute un programme CLIC de bonne qualité » et que, malgré une demande d’augmentation des salaires de 2,5 p. 100, la proposition pour 2009‑2010 était inférieure de 50 000 $ à l’année précédente. L’agent d’établissement a expédié à la CAF, par courriel, une version définitive, non signée, de la nouvelle entente; cependant, étant donné la valeur du contrat proposé, il était nécessaire d’obtenir l’approbation finale du ministre ou de son délégué.

 

[11]           Rien dans le dossier ne démontre que CIC ait jamais déclaré qu’il y avait eu une approbation finale, et la CAF n’a jamais soutenu que c’était le cas. En fait, bien que les négociations contractuelles aient été menées à terme et que la proposition ait bénéficié de l’appui d’un agent d’établissement, celle‑ci devait tout de même être approuvée par un agent de révision, le gestionnaire local ainsi que le directeur régional avant que l’administration centrale de CIC et le bureau du ministre n’en soit avisés. Si le directeur régional appuyait la proposition, il avait le pouvoir d’approuver et de signer l’entente à cette étape; toutefois, la proposition de la CAF ne s’est jamais rendue à cette étape du processus. La proposition de la CAF avait été approuvée par un agent d’établissement le 12 février 2009 et un agent de révision le 16 février 2009, mais, avant qu’elle soit transmise à un gestionnaire local, l’administration centrale de CIC est intervenue et a soulevé des préoccupations quant à l’opportunité de continuer à financer la CAF.

 

Les faits qui ont précédé la nomination de monsieur Kenney à titre de ministre de CIC

[12]           M. Jason Kenney est devenu ministre de CIC, responsable de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le 30 octobre 2008. Il succédait à Mme Diane Finley. Le 7 août 2008, la ministre Finley a publié un communiqué de presse, dans lequel elle déclarait qu’« [a]fin d’aider les nouveaux arrivants à s’établir dans la collectivité torontoise de Scarborough, le gouvernement s’engage à verser plus de 10 millions de dollars au cours des deux prochaines années (soit jusqu’en 2010) à six organismes offrant des services d’établissement ». Le communiqué de presse énumérait ensuite les « six organismes qui se partager[aient] les fonds annoncés [ce jour‑là] ». La CAF faisait partie de ces organismes, et le chiffre adjacent à son nom était 2 544 815 $.

 

[13]           Mohamed Boudjenane, directeur administratif national de la CAF, déclare dans son affidavit que cette annonce a amené la CAF à croire qu’elle obtiendrait du financement pour 2009‑2010 et que la finalisation des détails ne serait qu’une simple formalité :

[traduction]

 

À l’origine le financement devait se poursuivre pendant deux ans, mais, au cours de la deuxième année, en 2008, il y a eu une annonce que cela se prolongerait pour une troisième année jusqu’en 2010. La ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Diane Finley, l’a annoncé publiquement le 7 août 2008… C’est certainement le fondement sur lequel la CAF exerçait ses activités. Sara Amash, la gestionnaire de projet et de programme pour la CAF, et moi avions tous les deux été amenés à croire que le financement pour 2009‑2010 continuerait selon ce qui avait été approuvé antérieurement et que la finalisation des détails du contrat pour cette année‑là n’était plus qu’une simple formalité.

 

[14]           En revanche, Lee Bartlett, le directeur des opérations des Services d’établissement pour les bureaux de Toronto et de York de CIC, déclare dans son affidavit, souscrit le 22 septembre 2009, que la ventilation du chiffre de 2 544 815 $ dans le communiqué de presse de la ministre est composée du financement octroyé à la CAF pour deux programmes, soit le CLIC et le Programme d’établissement et d’adaptation des immigrants (le PEAI), selon le tableau qui suit, et que cela n’a rien à voir avec le financement relatif au CLIC pour 2009‑2010 :

 

AF1 07/08

AF2 08/09

AF3 09/10

TOTAL

CLIC

1 045 782 $

1 037 505 $

S/O

2 083 287 $

PEAI

130 804 $

166 581 $

164 179 $

461 564 $

 

[15]           Dans le tableau de M. Bartlett, le financement totalise 2 544 851 $ — soit 46 $ de plus que le financement annoncé par la ministre pour la CAF. Néanmoins, je conclus que le communiqué de presse n’aurait pas pu amener la CAF à croire qu’elle avait obtenu le financement relatif au CLIC pour 2009‑2010, comme l’a allégué M. Boudjenane. Le financement pour 2009‑2010 dont il était question dans le communiqué de presse concernait le financement relatif au PEAI. M. Bartlett a été contre‑interrogé sur son affidavit et son témoignage était solide lorsqu’il déclarait que le chiffre ne comprenait pas le financement relatif au CLIC pour 2009‑2010, parce qu’aucune décision n’avait été prise quant à la prolongation des ententes précédentes relatives au CLIC et qu’aucune annonce de ce genre n’avait non plus été faite au moment du communiqué de presse :

[traduction]

 

En août 2008, il n’y a même pas eu de négociations ou d’appel de propositions quant à une prolongation et aucune décision n’a même été prise ou annoncée quant à la manière dont nous prolongerions le CLIC pour 2009‑2010, et l’entente relative au CLIC qui était en vigueur en août pour la CAF couvrait les années 2007‑2008 et 2008‑2009, alors que l’entente relative au PEAI pour la CAF couvrait les années 2007‑2008 à 2009‑2010, inclusivement.

 

[…]

 

[L]a ministre n’aurait pas fait pas une annonce selon laquelle des ententes ont été conclues quant au financement, tant qu’une telle entente n’aurait pas été pas en place. […] [L]a ministre n’aurait pas pu avoir fait une annonce concernant le CLIC, pour l’année 2009‑2010, pour la CAF si nous n’avions même pas – ou CIC, désolé, n’avait même pas, à ce moment‑là, établi le processus pour conclure d’autres ententes et, également, n’avait pas reçu de proposition de la CAF à cette étape, relativement aux montants qu’elle solliciterait pour de nouvelles ententes quant au CLIC en 2009‑2010.

 

La position du ministre quant au financement public

[16]           Alykhan Velshi, le directeur des communications du ministre, déclare dans son affidavit que, depuis qu’il a commencé à travailler pour le ministre en 2007 (celui‑ci était à ce moment‑là le secrétaire d’État au Multiculturalisme), le ministre était d’opinion que la Couronne ne devrait pas financer certains organismes :

[traduction]

 

[A]lors que les citoyens et les organismes privés sont libres d’exprimer leurs opinions, aucun particulier ni organisme n’a droit à une aide financière des contribuables. Par conséquent, les groupes faisant la fomentation de la haine, dont l’antisémitisme, ou qui excusent le terrorisme et la violence, ne devraient pas bénéficier que quelque reconnaissance officielle ou subvention que ce soit de la part de l’État.

 

[17]           M. Velshi souligne un certain nombre de déclarations publiques que le ministre a faites et qui appuient cette affirmation. Par exemple, le 17 février 2009, lors d’une conférence tenue à Londres, en Angleterre, le ministre a prononcé un discours, dans lequel il a fait la déclaration suivante :

[traduction]

 

Il y a des organismes au Canada, tout comme en Grande‑Bretagne, qui ont leur part de l’attention médiatique et de notoriété publique, mais qui, tout en exprimant des sentiments haineux, s’attendent à être traités comme des interlocuteurs respectables dans les débats publics.

 

[…]

 

Je pense également au leader de la Fédération canado‑arabe, qui a notoirement fait circulé un courriel lorsque mon collègue, le porte‑parole de l’opposition en matière d’affaires étrangères, Bob Rae, se présentait à la course au leadership de son parti, lequel courriel appelait les gens à voter contre M. Rae en raison de l’engagement d’Arlene Perly Rae au sein de la communauté juive du Canada. La même personne, le même organisme, la Fédération canado‑arabe a, la semaine dernière, fait circuler – notamment parmi l’ensemble des parlementaires – des vidéos comprenant de la propagande, dont l’inculcation de la haine, sur des enfants par des organismes tels le Hamas et le Jihad islamique.

 

Ces organismes et d’autres sont libres, dans les limites de notre droit et conformément à nos traditions relatives à la liberté d’expression, de faire connaître leur opinion, mais ils ne devraient pas s’attendre à recevoir des ressources de l’État, du soutien des contribuables ou toute autre forme de respect officiel de la part du gouvernement ou des organes de notre État.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Une semaine plus tard, le 24 février 2009, au cours de la période des questions, on a questionné le ministre au sujet du financement de certains organismes. Le député posant la question a déclaré que « […] récemment, la Fédération canado-arabe a fait circuler des vidéos d’organisations terroristes interdites telles que le Hamas et le Jihad islamique, a traité Israël d’ “État raciste” et a attaqué la femme d’un député parce qu’elle est active dans la communauté juive ». Il a ensuite demandé ceci : « Quelle est la position du gouvernement sur l’octroi à ces groupes de subventions? » Le ministre a répondu : « [L]e gouvernement du Canada devrait adopter une politique de tolérance zéro à l’égard des groupes qui excusent le terrorisme, la violence, la haine et l’antisémitisme. […] Nous pensons que ces groupes ne doivent recevoir aucun soutien financier des contribuables pour nourrir l’extrémisme. » Le ministre a exprimé des sentiments semblables lors d’entrevues radiophoniques qu’il a accordées les 2 et 6 mars 2009.

 

[19]           Le 10 mars 2009, devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, le ministre a exposé ses motifs pour refuser de prolonger le financement de la CAF pour 2009‑2010 :

[…] Le premier jour de mon arrivée à Patrimoine canadien comme secrétaire d’État responsable du programme de multiculturalisme, j’ai eu un breffage sur les subventions et contributions. J’ai dit aux fonctionnaires que je voulais être sûr que nous ne versions pas des subventions et contributions à des organisations qui excusent ou font l’apologie de la violence ou du terrorisme, à des organisations qui sont terroristes ou répandent la haine. J’ai mentionné, en particulier, M. Mohamed Elmasry, du Canadian Islamic Congress, parce qu’il a déclaré que les Israéliens de plus de 18 ans sont des cibles légitimes à éliminer.

 

J’ai mentionné ensuite, en particulier, M. Khaled Mouammar, président de la Fédération canado-arabe — c’est une discussion que j’ai eue avec mes fonctionnaires en janvier 2007 — parce qu’il a fait circuler, lors du congrès à la direction du Parti libéral de 2006, un tract attaquant Bob Rae, un membre respecté de ce Parlement, à cause du rôle de sa femme dans la communauté juive. Suite à la distribution de ce tract, le sénateur libéral Yoine Goldstein a qualifié ce texte de « saleté raciste ». J’estimais alors, et je n’ai pas changé d’avis depuis, que nous ne devons pas financer des organisations qui promeuvent l’extrémisme ou la haine — en l’occurrence, la haine des Juifs en particulier — ou qui soutiennent publiquement une organisation terroriste interdite, illégale.

 

M. Mouammar a multiplié en public les expressions de soutien au Hamas et au Hezbollah, deux organisations terroristes essentiellement antisémites qui sont interdites et illégales. Il a qualifié Israël d’État raciste et a appelé à la destruction d’Israël comme État juif. À mon sens, ces propos et d’autres dépassent les bornes.

 

Est-ce que je préconise de rendre l’octroi de subventions et de contributions à des ONG conditionnelles aux opinions politiques de leurs dirigeants? Non, absolument pas. Chacun est libre de dire ce qu’il veut dans les limites de nos lois. Les gens sont libres de critiquer des ministres ou le gouvernement. Mais je ne pense pas que nous ayons une obligation de verser des subventions à des individus qui utilisent leurs organisations comme plates-formes pour promouvoir l’extrémisme ou la haine ou faire l’apologie du terrorisme.

 

C’est le point de vue que j’ai énoncé en janvier 2007 à Patrimoine Canada. De ce fait, nous n’avons accordé aucun financement à ces organisations. C’est aussi le point de vue que j’ai exprimé récemment à la conférence de Londres sur l’antisémitisme. Je l’ai fait savoir aussi à mes fonctionnaires. J’ai demandé à mon ministère de trouver des façons d’englober la promotion de la haine ou l’apologie du terrorisme dans les critères selon lesquels sont évalués les demandeurs de subventions ou contributions.

 

L’opinion du ministre sur la CAF

[20]           Le ministre connaissait manifestement la CAF avant d’être nommé ministre de CIC; toutefois, il n’a été informé du fait que CIC finançait la CAF que le 2 février 2009. Dès qu’on l’a mis au courant, le ministre a envoyé un courriel à son chef de cabinet, lui exprimant ainsi sa position concernant la CAF et l’accord de financement :

[traduction]

 

[…] Je ne suis pas certain quant à savoir qui, dans notre bureau, pilote le dossier sur le financement relatif à l’établissement.

 

De toute façon, veuillez demander au ministère de nous fournir les renseignements complets sur la contribution qui a été honteusement approuvée par notre gouvernement pour la Fédération canado-arabe radicale et antisémite.

 

Il s’agit du groupe dont le président a attaqué Bob Rae du fait que sa femme était juive, et qui, maintenant, me traite de [traduction] « prostitué professionnel ». (Je pense que c’est mieux que d’être un amateur!)

 

J’aimerais connaître le statut de leur entente de contribution avec CIC pour voir s’ils sont en défaut à quelque égard que ce soit. Je veux que l’on prenne tous les moyens légaux pour mettre fin à cette entente de financement honteuse et pour s’assurer qu’elle ne sera pas renouvelée.

 

[Renvois dans Internet omis.]

 

[21]           La décision faisant l’objet du contrôle ne fait pas état de la conduite ou des faits que le ministre a pris en compte pour prendre sa décision de ne pas financer la CAF. Dans son témoignage, Alykhan Velshi, le directeur des communications du ministre, a affirmé que les déclarations sous‑tendant la conclusion selon laquelle les déclarations de la CAF [traduction] « comprenaient la fomentation de la haine et de l’antisémitisme ainsi que le soutien au Hamas et au Hezbollah, des organisations terroristes interdites », incluaient les six sujets qui suivent.

 

1.  La circulaire relative à Bob Rae

[22]           En 2006, au cours du congrès à la direction du Parti libéral, le président de la CAF, Khaled Mouammar, en utilisant son compte de courriel personnel, a fait suivre un tract qui attaquait Bob Rae et son épouse pour une question d’engagement au sein de la communauté juive. La circulaire avait été, à l’origine, produite et envoyée par courriel par un homme lié à la CAF. La circulaire contient le texte suivant au‑dessus d’une photo de Bob Rae :

[traduction]

 

Bob Rae était un orateur principal pour le [Jewish National Fund of Canada], un groupe qui, selon les universitaires israéliens, est complice de crimes de guerre et de nettoyage ethnique.

 

L’épouse de M. Rae est une vice‑présidente du [Congrès juif canadien], un groupe de pression qui soutient le régime d’apartheid d’Israël et son mur d’apartheid illégal.

 

Le président Carter a condamné l’apartheid israélien.

 

Bob Rae appuie l’apartheid israélien.

 

N’élisez pas un chef qui soutient l’apartheid!

 

[23]           La Presse canadienne a fait état de la distribution aux délégués de la circulaire relative à Bob Rae : [traduction] « Bob Rae a été la cible d’attaques antisémites au cours de la course à la direction du Parti libéral, entre autres parce que son épouse est juive. » Lorsque la Presse canadienne a communiqué avec elle, la CAF a nié avoir produit et distribué la circulaire, mais elle a ensuite publié un communiqué de presse qui affirmait ceci : [traduction] « La CAF croit que les Canadiens ont le droit de connaître les renseignements factuels fournis » dans la circulaire.

 

[24]           Dans son témoignage, M. Velshi a déclaré que la circulaire relative à Bob Rae faisait partie du fondement de la décision du ministre, puisqu’elle attaquait M. Rae en raison de l’engagement de son épouse dans la communauté juive, en particulier au sein du Congrès juif canadien. Selon M. Velshi, la circulaire relative à Bob Rae était antisémite et représentait, par conséquent, une forme de haine.

 

2.  Les rassemblements de janvier 2009

[25]           En janvier 2009, la CAF, conjointement avec d’autres organismes, a organisé plusieurs rassemblements au cours desquels quelques manifestants (qui n’étaient pas liés à la CAF) tenaient des pancartes insultantes et criaient des slogans répugnants. Quelques participants ont été vus tenant des écriteaux qui assimilaient les Israéliens aux nazis, certains criant des vulgarités comme ceci : [traduction] « Enfant juif, tu vas mourir en sacrament. Le Hamas vient te chercher. Va te faire foutre. » Des drapeaux du Hezbollah flottaient en arrière‑plan et des écriteaux comparaient le sionisme au nazisme et au terrorisme.

 

[26]           C’est au cours d’un de ces rassemblements que M. Mouammar a décrit le ministre, entre autres, comme une pute de guerre professionnelle :

[traduction]

 

Nous avons des politiciens qui sont des putes professionnelles qui appuient la guerre [c.‑à‑d. le conflit israélo‑palestinien], comme l’a affirmé Norman Finkelstein lors de cette conférence à l’Université de Toronto. Il y a, il y a des gens comme Peter Kent de l’autre côté de la rue, comme Jason Kenney, comme Michael Ignatieff, qui n’avaient rien d’autre à dire, alors qu’Israël assassinait des femmes et des enfants avec des bombes au phosphore brûlant leur chair, la seule chose que ces, ces politiciens professionnels, qui sont des putes, des putes de guerre, la seule chose qu’ils avaient à dire, c’était qu’Israël avait le droit de se défendre en tuant des femmes et des enfants avec des bombes à phosphore.

 

Le ministre nie que cette injure désobligeante ait provoqué sa décision ou qu’elle y ait joué un rôle. Étant donné qu’il avait fait des déclarations concernant le financement accordé à la CAF par le gouvernement dès 2007, rien ne permet de remettre en question son affirmation.

 

3.  La conférence du Caire de 2007

[27]           Ali Mullah, vice-président de la CAF à cette époque, a assisté à la conférence du Caire, qui se décrivait elle‑même comme une [traduction] « conférence de paix internationale ». Y étaient présentes de nombreuses personnes d’origines diverses, dont quelques participants juifs. À cette conférence, il y avait aussi des délégués du Hamas, du Hezbollah, de la Jemaah Islamiyya et du Front de libération de la Palestine — quatre organisations se trouvant sur la liste canadienne des organisations terroristes. Bien qu’on ait rapporté que la CAF avait envoyé M. Mullah en tant que délégué, il fut ensuite confirmé qu’il y assistait à titre personnel, et non comme représentant de la CAF.

 

4.  La distribution de liens provenant d’organisations terroristes

[28]           Le 2 février 2009, le ministre a appris que la CAF, dans son Daily Gaza Bulletin et sa page Web, avait des liens vers des sites Web qui affichaient des vidéos contenant des images d’agents du Hamas en entraînement et représentant des drapeaux du Hamas et du Jihad islamique. La CAF affirme qu’elle n’a jamais approuvé le contenu des vidéos dans les liens qu’elle affichait et transmettait; elle attirait plutôt l’attention des lecteurs sur les faits afin qu’ils puissent former leur propre opinion les questions en cause.

 

5.  Les honneurs faits à Zafar Bangash

[29]           La CAF, lors du gala célébrant son 40e anniversaire, a fait honneur à Zafar Bangash, qui, par ailleurs, n’est pas lié à la CAF. M. Bangash, dans le passé, a fait référence aux Canadiens en disant qu’ils étaient [traduction] « infidèles ou non croyants » et a parlé des attaques du 11 septembre d’une façon qui ne montrait pas de compassion pour les victimes.

 

6.  Le concours de rédaction

[30]           La CAF a parrainé un concours de rédaction (avec deux autres organismes) sur le [traduction] « nettoyage ethnique » de la Palestine. Le moment choisi pour ce concours coïncidait avec le 60e anniversaire de l’établissement d’Israël en tant qu’État. Le ministre prétend que l’utilisation du terme [traduction] « nettoyage ethnique » suppose que le peuple juif se livre au génocide et que cela constitue de l’antisémitisme.

 

[31]           Ensemble, ces six incidents formaient le fondement de la décision du ministre.

 

Les demandes de la CAF visant à rencontrer le ministre

[32]           Le 2 mars 2009, le président de la CAF a écrit au ministre pour lui demander une rencontre :

[traduction]

 

Il importe que le lien de collaboration que la CAF a avec vous et le ministère de l’Immigration soit fondé sur le respect mutuel et une action proactive des deux côtés au profit de l’ensemble des communautés canado‑arabes. La CAF sollicite donc une rencontre avec vous en présence d’autres Canado‑arabes intéressés. Cette rencontre serait une belle occasion d’améliorer et de consolider notre lien de collaboration.

 

Le ministre n’a pas répondu.

 

[33]           La lettre ne précise pas pourquoi elle a été envoyée à ce moment‑là; toutefois, il convient de noter qu’elle a été envoyée deux semaines après le discours du ministre à Londres ou il a déclaré, en parlant de la CAF et d’autres organismes, que, bien qu’ils aient le droit à la liberté d’expression dans les limites du droit, [traduction] « ils ne devraient pas s’attendre à recevoir des ressources de l’État, du soutien des contribuables ou toute autre forme de respect officiel de la part du gouvernement ou des organes de notre État ».

 

[34]           Voilà la toile de fond où se situent les questions qui suivent.

 

Les questions en litige

[35]           Les six questions soulevées par la CAF dans son mémoire écrit peuvent être ramenées à une analyse qui traitera des quatre questions suivantes :

a.                   Le ministre avait‑il, à l’égard de la CAF, une obligation d’équité procédurale et, le cas échéant, a‑t‑il manqué à cette obligation?

b.                  La décision du ministre de ne pas conclure d’accord de financement avec la CAF aux termes du programme CLIC est‑elle entachée d’une crainte raisonnable de partialité?

c.                   Le droit à la liberté d’expression garanti à la CAF par le paragraphe 2b) de la Charte entrait‑il en jeu; le cas échéant, a‑t‑on violé ce droit, et la violation se justifiait‑elle?

d.                  La décision du ministre était‑elle raisonnable?

 

1.  Le ministre avait‑il, à l’égard de la CAF, une obligation d’équité procédurale?

[36]           La CAF soutient que le ministre avait une obligation d’équité à son égard, car :

1.                  une obligation d’équité est imposée à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne : Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, à la page 653 (Cardinal);

2.                  la CAF recevait du financement du programme CLIC sans aucun problème depuis douze ans consécutifs;

3.                  la CAF avait une attente légitime que le financement soit renouvelé, en raison de ses antécédents auprès de CIC et parce que le contrat pour 2009‑2010 avait été négocié et qu’on attendait l’approbation finale;

4.                  l’approbation finale avait traditionnellement été une formalité par suite de la négociation des modalités du contrat, et le ministre est rarement intervenu à quelque étape que ce soit.

 

[37]           Le ministre soutient qu’il n’a aucune obligation d’équité envers la CAF, car :

1.                  la relation entre la CAF et CIC était de nature purement contractuelle et le gouvernement n’a aucune obligation d’équité lorsqu’il exerce ses droits contractuels de la même façon qu’un citoyen ordinaire : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 103 et 104 (Dunsmuir);

2.                  la période de financement aux termes du dernier accord signé entre CIC et la CAF pour la fourniture de services relatifs au CLIC a expiré le 31 mars 2009, aucun nouvel accord n’a été signé et la CAF a été expressément avisée qu’il ne fallait pas tenir l’approbation pour acquise;

3.                  Rien n’oblige CIC à conclure un nouvel accord avec quelque partie que ce soit, ou à renouveler un accord existant qui expire, simplement parce qu’il s’agit d’une institution gouvernementale.

 

[38]           Ce qui suit constitue les motifs de ma conclusion selon laquelle le ministre n’a aucune obligation d’équité procédurale à l’égard de la CAF. En résumé, c’est parce que la nature de la relation était strictement commerciale. Rien dans la loi ne prévoit l’imposition d’obligations relatives à l’équité procédurale en ce qui concerne les ententes de contribution, et il n’y a pas non plus de stipulation contractuelle énoncée dans l’appel de propositions ou dans les ententes de contribution mêmes qui prescrit que les organismes fournisseurs de services soient traités dans le respect de l’équité procédurale. Enfin, le fait d’accorder des droits procéduraux dans ce qui est, pour l’essentiel, qu’un contexte strictement commercial occasionnerait un fardeau excessif pour le ministre, en particulier lorsque la fenêtre pour rendre une décision est étroite et qu’il y a de plus grandes considérations en matière de politique publique que le ministre doit soupeser. Dans un tel contexte, les droits des parties sont mieux protégés par l’appréciation d’une cour de révision quant au caractère raisonnable de la décision, et non par le développement de droits procéduraux lorsqu’il n’y en a aucun qui existe par ailleurs.

 

[39]           Pour déterminer s’il y a lieu d’appliquer une obligation procédurale à la décision faisant l’objet du contrôle, il faut d’abord établir quelle est la nature de la relation entre la personne touchée et l’organisme public.

 

[40]           Dans l’arrêt Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, à la page 669, la Cour suprême du Canada, s’appuyant sur les motifs du juge LeDain dans l’arrêt Cardinal, à la page 653, a déclaré que la question de savoir si une obligation d’agir équitablement existe dépendra « de l’examen de trois facteurs : (i) la nature de la décision qui doit être rendue par l’organisme administratif en question, (ii) la relation existant entre cet organisme et le particulier, et (iii) l’effet de cette décision sur les droits du particulier ».

 

[41]           Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 114, la Cour suprême a pris acte d’une exception à cet énoncé de principe général (l’exception de l’arrêt Dunsmuir). L’arrêt Dunsmuir concernait le congédiement d’un employé provincial :

Les principes formulés dans l’arrêt Knight relativement à l’obligation générale d’équité à laquelle est tenu l’organisme public dont la décision touche les droits, les privilèges ou les biens d’une personne demeurent valables et importants.  Toutefois, dans la mesure où les juges majoritaires n’ont pas tenu compte de l’effet déterminant d’un contrat d’emploi, l’arrêt ne devrait pas être suivi.  L’employé qu’un contrat protège contre le congédiement injuste devait pouvoir exercer un recours en droit privé, et non en droit public.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           La CAF soutient que l’exception de l’arrêt Dunsmuir ne s’applique pas à la relation entre la CAF et CIC. La CAF s’appuie sur l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504 (Mavi), pour affirmer que l’exception de l’arrêt Dunsmuir à l’obligation d’équité était censée être étroite et spécifique à un contexte d’emploi et que, par conséquent, elle ne s’applique pas en l’espèce. Plus particulièrement, dans l’arrêt Mavi, la Cour suprême a jugé, au paragraphe 51, que :

Il n’y a pas la moindre ressemblance entre la situation en l’espèce et l’exception de portée passablement étroite qui, dans l’arrêt Dunsmuir, soustrait le contrat d’emploi à l’application de l’équité procédurale.  Les juges majoritaires soulignent eux‑mêmes dans cet arrêt :

 

Cette conclusion n’affaiblit pas l’obligation générale faite aux décideurs administratifs d’agir avec équité.  Elle reconnaît plutôt que dans le contexte particulier du renvoi de la fonction publique, c’est le droit contractuel, et non le droit public, qui préside au règlement des différends.  [Je souligne; par. 82.]

 

Dans Dunsmuir, la Cour n’entend pas réduire par ailleurs l’obligation d’équité procédurale dans l’exercice du pouvoir de l’administration, et elle ne le fait pas.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[43]           À mon avis, l’exception de l’arrêt Dunsmuir n’est pas aussi étroite que le soutient la CAF. Je m’appuie en cela sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Irving Shipbuilding Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 RCF 488 (Irving Shipbuilding), dans lequel, au paragraphe 60, le juge Evans a déclaré au nom de la Cour, en faisant référence à l’arrêt Dunsmuir, que le raisonnement général formulé dans cette affaire « tient à ce que lorsque la Couronne conclut un contrat, ses droits et obligations, ainsi que les recours dont elle dispose, doivent généralement être déterminés par le droit des contrats ». Je souscris également à l’énoncé fait par le juge Evans, au paragraphe 45, selon lequel « [l]’obligation d’équité en common law n’est pas autonome, mais elle est imposée selon la situation particulière dans laquelle la décision administrative contestée a été prise ».

 

[44]           Dans l’arrêt Mavi, contrairement à l’arrêt Irving Shipbuilding, bien que la relation des parties était régie par un contrat, elle était aussi inextricablement fondée sur la loi, comme la Cour suprême l’a fait remarquer au paragraphe 2 :

Les instances à l’origine du pourvoi ont été engagées par huit répondants qui niaient toute responsabilité résultant de leurs engagements.  Comme je l’explique ci‑après, l’engagement constitue un contrat valide, mais, par ailleurs, des dispositions législatives fédérales déterminent sa forme, le régissent et le complètent.  La dette qui en résulte n’est pas seulement contractuelle, mais aussi légale, de sorte que son recouvrement n’est pas uniquement assujetti au droit contractuel privé.  Dans la présente affaire, la Cour doit décider si, lorsqu’il entreprend de recouvrer une telle créance légale, l’État doit respecter l’équité procédurale et, dans l’affirmative, dans quelle mesure il y est tenu.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

À mon avis, le fait que les contrats étaient fondés sur la loi distingue l’arrêt Mavi de l’arrêt Irving Shipbuilding et de la présente espèce. Les engagements dont il était question dans l’arrêt Mavi n’étaient pas d’une nature strictement contractuelle. En fait, dans l’arrêt Mavi, la Cour suprême a fait la distinction d’avec l’arrêt Dunsmuir sur ce fondement, en déclarant, au paragraphe 47 :

Les procureurs généraux invoquent la nature essentiellement contractuelle des réclamations pour contester l’existence d’une obligation d’équité procédurale envers les répondants.  Ils avancent que l’arrêt Dunsmuir écarte l’équité procédurale lorsqu’un contrat s’applique.  Or, en l’espèce, le droit d’action de l’administration est essentiellement d’origine législative, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Dunsmuir.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[45]           Contrairement à l’affaire Mavi, on ne peut pas, en l’espèce, affirmer que, en ce qui concerne la relation des parties, « des dispositions législatives fédérales déterminent sa forme, l[a] régissent et l[a] complètent », ou que la cause d’action est essentiellement légale. Le manuel relatif à l’établissement — un guide fourni aux agents d’établissement pour l’appréciation des demandes de financement — énonce que [traduction] « [e]n créant le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration en 1950, le gouvernement fédéral a fait des provisions dans ses prévisions budgétaires annuelles pour des versements à des organismes sans but lucratif, dans le but de fournir des services d’établissement à ceux qui immigrent au Canada ». Ces programmes d’établissement sont visés par les objets énoncés à l’article 3 de la Loi, plus particulièrement celui « de promouvoir l’intégration des résidents permanents au Canada ». Les parties n’ont souligné aucune autre disposition législative applicable au financement relatif au CLIC. Pa conséquent, il n’existe aucune disposition régissant l’équité procédurale concernant la possible prolongation de la durée d’une entente de contribution existante.

 

[46]           En l’espèce, au moment où le ministre a rendu sa décision, la relation des parties était purement contractuelle. La CAF était partie à un contrat de financement relatif au CLIC avec CIC, contrat se terminant le 31 mars 2009. Aucune stipulation dans ce contrat ne prévoyait le renouvellement automatique ou le prolongation de la durée. Cependant, en raison de cette relation contractuelle, on a invité la CAF à présenter une proposition de modification du contrat afin d’en prolonger la durée d’une année. On a informé la CAF que son contrat avec CIC serait prolongé jusqu’au 31 mars 2010, sous réserve qu’une demande soit déposée et [traduction] « approuvée ». Malgré le fait que les négociations pour 2009‑2010 avaient été menées à terme, il demeure qu’aucun contrat de financement pour 2009‑2010 n’avait été approuvé ou signé, et on avait clairement fait savoir à la CAF, tant dans les Guidelines for Amendments: Language Instruction for Immigrants to Canada (LINC) 2009-2010 (les Lignes directrices pour les modifications : Cours de langues pour les immigrants au Canada (CLIC) 2009‑2010) que dans les paragraphes 4.6 et 12.5 de l’entente de contribution 2007‑2009, qu’elle ne devrait pas s’attendre à recevoir quelque financement additionnel que ce soit après le 31 mars 2009, jusqu’à ce qu’elle ait été avisée par écrit que la demande de modification pour prolonger la durée du contrat existant avait été approuvée.

 

[47]           Dans les documents envoyés à la CAF, CIC ne s’engageait aucunement à modifier le contrat existant. La lettre de CIC mentionnant que la durée de l’entente de contribution existant de la CAF pouvait être prolongée ressemble à une demande de présentation d’une proposition, et, comme il a été décidé dans l’arrêt Irving Shipbuilding, on peut prétendre qu’elle crée un contrat lorsque le destinataire répond. En l’espèce, le contrat ne contient aucune promesse expresse que les parties qui répondent seront traitées de manière équitable sur le plan procédural.

 

[48]           La CAF souligne qu’il n’y avait rien dans la trousse de documents qui mentionnait que les organismes que le ministre considérait comme étant antisémites ou partisans du terrorisme n’obtiendraient pas de prolongation de durée de leur contrat. De même, la trousse ne contenait rien indiquant qu’il y aurait une approbation automatique de la part du ministre, même si ses fonctionnaires étaient par ailleurs satisfaits de la proposition.

 

[49]           Par conséquent, dans la mesure où la relation des parties était de nature commerciale et contractuelle, rien dans le dossier ne donne à penser que le ministre avait quelque obligation que ce soit de s’engager auprès de la CAF au sujet de ses préoccupations avant de rendre sa décision de ne pas prolonger la durée du contrat existant. Il n’y a aucun fondement, ni légal ni contractuel, permettant à la Cour d’imposer au ministre une obligation d’équité procédurale.

 

Une obligation d’équité implicite

[50]           La question demeure quant à savoir s’il existe une obligation tacite quelconque relative à l’équité procédurale. Je conclus qu’il n’y en a aucune en l’espèce pour un certain nombre des motifs que la Cour d’appel fédérale a prononcés dans l’arrêt Irving Shipbuilding lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait aucune obligation d’équité implicite.

 

[51]           Premièrement, il s’agit essentiellement d’une relation commerciale, malgré le fait que le fournisseur de services ne tire aucun profit de l’entente. Comme l’a déclaré le juge Evans au paragraphe 46 de l’arrêt Irving Shipbuilding : « […] il serait en règle générale inapproprié d’incorporer une obligation provenant du droit public conçue dans le contexte de l’exécution des fonctions gouvernementales conformément à des pouvoirs conférés uniquement par la loi dans une relation de nature principalement commerciale, régie par un contrat ».

 

[52]           Deuxièmement, si on accordait à la CAF des droits procéduraux dans ce contexte, cela ouvrirait la porte à chaque demandeur n’ayant pas obtenu une entente de contribution lui donnant le droit à au moins un avis que sa proposition ne serait pas acceptée ainsi qu’une occasion de répondre aux motifs à l’appui. Une telle obligation imposée au ministre retarderait indûment ses décisions dans un processus où, comme en l’espèce, il n’y a pas beaucoup de temps pour rendre une décision. En outre, cela ouvre la porte à ce que le juge Evans a appelé un « déferlement alarmant de poursuites de la part de titulaires de droits procéduraux éventuels ». Lorsque le nombre de personnes sollicitant du financement excède les fonds disponibles, tout changement dans la décision du ministre conduit automatiquement au refus subséquent de la demande d’un demandeur. Si l’équité procédurale est étendue au premier demandeur essuyant un refus, les mêmes mesures de sauvegarde doivent être accordées aux demandeurs subséquents n’ayant pas eu gain de cause.

 

[53]           Troisièmement, comme l’a soutenu le ministre, une décision sur les programmes de financement relatif à l’établissement des immigrants au Canada implique des considérations plus générales en matière de politique publique; ce qui est en jeu ne se limite pas à la relation entre le fournisseur de services et CIC. Ceux qui s’inscrivent dans le programme CLIC doivent être initiés aux modes de vie canadiens et, par conséquent, le caractère approprié du fournisseur de programme est crucial. La question de savoir si un organisme en particulier est plus approprié pour agir en tant que modèle des valeurs canadiennes dans le cadre de la fourniture de services d’établissement (même lorsque son programme de formation langue seconde est par ailleurs tout à fait acceptable) n’est pas quelque chose qui est assujetti au contrôle judiciaire pour des motifs procéduraux. Les intérêts du demandeur — dans la mesure où il a des intérêts — sont protégés contre le processus décisionnel arbitraire selon la norme de la raisonnabilité, et non en lui octroyant l’équité procédurale.

 

[54]           Même la relation entre CIC et la CAF était d’une nature autre que celle d’un contrat commercial, et même si l’exception de l’arrêt Dunsmuir était interprétée comme s’appliquant aussi étroitement que le soutient la CAF, j’aurais néanmoins conclu que CAF n’avait pas de droit, de privilège ou de bien touché par la décision qui serait suffisant pour imposer au ministre une obligation d’équité.

 

[55]           Dans l’arrêt Cardinal, la Cour suprême du Canada a jugé qu’une obligation d’équité était imposée à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne. Ce principe a été relevé dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Knight, où elle a déclaré que l’effet de la décision sur les droits de la personne était un facteur à examiner pour décider si une obligation d’équité s’applique. Dans l’arrêt Wells c Terre‑Neuve, [1999] 3 RCS 199 (Wells), la Cour suprême a, encore une fois, réaffirmé le concept qu’un droit, un intérêt ou un privilège doit être en jeu pour qu’on impose une obligation d’équité, lorsqu’elle a déclaré ceci, à la page 224 : « Il n’existe aucun intérêt acquis en jeu donnant lieu à un devoir d’équité (Knight, précité). L’intimé n’a établi l’existence d’aucun fondement sur lequel il aurait pu former une attente raisonnable d’être consulté dans le processus. »

 

[56]           Bien que les commentaires faits par la Cour suprême dans l’arrêt Wells aient été orientés vers la question de l’équité procédurale dans le contexte d’une nouvelle nomination d’un fonctionnaire après un licenciement licite, le message est tout de même instructif — pour qu’il y ait une obligation d’équité, il faut que quelque intérêt valable soit susceptible d’être touché par la décision. En l’espèce, la CAF (ou tout autre fournisseur de services dans ce domaine) n’a pas de droit au financement relatif au CLIC. Bien que le ministre ait concédé que la CAF peut tirer des avantages indirects des ententes de contribution, comme une légitimité accrue de l’organisme du fait de sa relation contractuelle avec le gouvernement ou le partage des coûts d’infrastructure avec les autres activités de la CAF, je conclus qu’il n’existe pas de privilèges ou d’intérêts suffisants pour faire entrer en jeu une obligation d’équité.

 

[57]           Si la légitimité ajoutée qui résulte du fait même de passer un contrat avec le gouvernement constitue un intérêt suffisant pour imposer des obligations relatives à l’équité procédurale, pratiquement toute partie qui a un contrat avec le gouvernement, quel qu’il soit, acquerra tout à coup des droits procéduraux. En outre, ce qui fait, en partie, que le ministre a décidé de ne pas continuer de financer la CAF était qu’il ne pensait pas qu’il était approprié que le gouvernement semble soutenir, approuver ou légitimer un organisme pouvant être considéré comme antisémite ou pouvant soutenir le terrorisme.

 

[58]           Le partage des coûts d’infrastructure n’est, de même, pas un intérêt suffisant pour imposer une obligation globale d’équité au ministre. En l’espèce, l’avantage financier réel tiré par la CAF ne peut être significatif — elle louait déjà un immeuble distinct pour ses autres activités et la majorité du personnel affecté au CLIC ne jouait aucun rôle additionnel dans les autres activités de la CAF. En outre, le financement pour le programme CLIC était offert selon le principe du recouvrement des coûts pour les dépenses liées au programme CLIC seulement. Cela limitait de façon efficace la mesure dans laquelle les coûts non liés au programme pouvaient être remboursés. D’un autre côté, comme je l’ai déjà mentionné, le fait d’imposer au ministre une obligation d’équité restreindrait sa capacité de rendre promptement des décisions générales, fondées sur des politiques. L’intérêt du public l’emportait largement sur tout intérêt accessoire que la CAF peut avoir eu pour un ministre ayant le pouvoir discrétionnaire de rendre des décisions rapidement, par opposition à un autre qui est paralysé par la procédure.

 

[59]           Pour ces motifs, je conclus que la CAF n’avait pas droit à l’équité procédurale relativement à la décision du ministre de ne pas accepter sa proposition et prolonger la durée de son entente de contribution avec CIC aux termes du programme CLIC.

 

La teneur de l’obligation d’équité

[60]           Si j’avais conclu qu’elle avait droit à l’équité procédurale, j’aurais décidé que la présente affaire ne commandait rien de plus que les protections procédurales minimales et que ces exigences étaient remplies. Les cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, que la Cour doit examiner pour déterminer quels droits procéduraux l’obligation d’équité requiert dans un contexte en particulier, vont tous vers une telle conclusion.

 

[61]           La décision de ne pas approuver une prolongation du financement de la CAF relatif au CLIC ne s’apparente pas au processus décisionnel judiciaire. Cela relève d’un pouvoir discrétionnaire et purement administratif. Bien qu’il ne soit pas possible d’interjeter appel d’une telle décision, rien n’empêche la CAF de demander un financement dans l’avenir, et cela, selon moi, indique une obligation d’équité moins lourde.

 

[62]           Malgré le fait que le financement relatif au CLIC constituait à peu près 74 p. 100 du budget annuel de la CAF, le financement relatif au CLIC n’était pas crucial pour les activités de la CAF, puisque la fourniture de la formation du CLIC ne faisait pas partie de son mandat principal, et les ententes de contribution ne généraient pas non plus de revenus pour les activités de la CAF, puisque le financement était offert par transfert selon le principe du recouvrement des coûts. La CAF n’avait aucune attente légitime qu’il y ait prolongation de la durée du contrat. En fait, les déclarations du ministre l’avaient informée du fait que le financement était menacé. En outre, la CAF n’avait aucune attente légitime dans le processus — au contraire, on avait expressément dit à la CAF de ne pas escompter une approbation avant d’en avoir été avisée par écrit et, par le fait même, de n’engager aucune dépense ni embaucher du personnel tant qu’elle n’aurait pas reçu l’approbation finale. Quoique l’approbation ait semblé être une formalité dans le passé, cela ne change pas le fait que le ministre a toujours eu un pouvoir discrétionnaire ultime.

 

[63]           Enfin, le choix de la procédure utilisée par CIC et l’exigence d’une approbation par le ministre, en fonction de la valeur du contrat, appartiennent au ministre. Tous ces facteurs montrent que, en l’espèce, de faibles protections procédurales auraient été appropriées.

 

[64]           Si elle avait eu droit à l’équité, à mon avis, voici les droits procéduraux dont la CAF aurait eu le droit de bénéficier : (1) de connaître les raisons pour lesquelles le ministre n’avait pas approuvé sa proposition, (2) de connaître les préoccupations du ministre à cet égard et le fait que ces préoccupations pouvaient conduire à un refus d’approbation d’un futur financement, et (3) d’avoir la possibilité de répondre à ces préoccupations.

 

[65]           En l’espèce, la CAF a reçu une lettre exposant les motifs de la décision du ministre. Le ministre soutient que les deux autres critères ont été remplis. Il affirme que la CAF était au courant de ses préoccupations et qu’elle a eu l’occasion d’y répondre. L’avis et la réponse, affirme‑t‑il, c’étaient les nombreuses déclarations que lui et les représentants de la CAF avaient faites publiquement.

 

[66]           Le ministre a fait de nombreuses déclarations publiques exposant en détail les positions et activités particulières de la CAF dont il prétend avoir tenu compte pour rendre sa décision. Il a aussi établi clairement que le financement de la CAF relatif au CLIC était menacé en raison de ces positions et activités. En outre, la CAF était au courant des préoccupations spécifiques du ministre, elle les a examinées et y a répondu au moyen de plusieurs déclarations et communiqués de presse. Lors d’une entrevue à la radio qui a eu lieu le 17 février 2009, près d’un mois avant la décision, l’interviewer a dit directement à M. Mouammar que le ministre était [traduction] « prêt à couper net le financement fédéral du plus grand groupe arabe au Canada », parce que [traduction] « les groupes dont les leaders disent des choses intolérantes ou haineuses ne devraient pas obtenir du financement des contribuables ». M. Mouammar a répondu ceci :

[traduction]

 

Cela n’appartient pas à Jason Kenney, et c’est aux contribuables canadiens de décider à qui va cet argent pour fournir de tels services d’établissement, et non à Jason Kenney. Son approche en est une qui est vraiment fasciste. Il menace les gens en disant que vous ne pouvez pas critiquer les politiques du gouvernement, et, si vous le faites, il vous est donc interdit de recevoir du financement du programme relatif aux services d’établissement, lequel ne relève pas de lui, parce que, comme je le disais, c’est l’argent des contribuables.

 

[67]           On n’a fourni aucune source à l’appui de la proposition selon laquelle les déclarations publiques donnent un avis du genre qui est requis pour remplir l’obligation d’équité procédurale. Toutefois, je ne vois aucun principe permettant de nier le caractère adéquat d’un avis donné au moyen de déclarations publiques, pourvu qu’elles comportent suffisamment de détails, que le destinataire en a connaissance et qu’il y répond. En l’espèce, je conclus qu’on a satisfait à toutes les exigences et que l’avis était adéquat.

 

[68]           Je ne peux pas voir comment l’équité du processus décisionnel aurait pu être améliorée si le ministre avait expédié à la CAF un avis officiel exposant les détails des déclarations et préoccupations mêmes qu’il avait énoncées publiquement et s’il lui avait donné l’occasion d’y répondre. L’objet de l’avis avait été clairement signifié, comme l’a démontré la réponse faite par M. Mouammar lors de l’entrevue du 17 février 2009. De plus, la CAF ne laisse pas entendre qu’elle aurait pu ou qu’elle aurait effectivement offert une réponse différente de celle qu’elle a donnée publiquement.

 

[69]           À mon avis, la CAF connaissait les préoccupations du ministre et la conséquence pouvant en résulter. La CAF a répondu publiquement à ces préoccupations. Le ministre était au fait des réponses publiques lorsqu’il a rendu sa décision. Les trois critères de l’obligation d’équité étaient donc remplis dans ces circonstances particulières. Si j’avais conclu autrement, en fonction de ces faits, j’aurais jugé le manquement comme ayant été technique et sans conséquence, et le résultat comme n’étant pas susceptible d’être différent, à la lumière du discours public des parties. Pour ces motifs, je n’aurais pas exercé mon pouvoir discrétionnaire dans le but d’accorder une mesure de redressement à la CAF.

 

2.  La décision du ministre était‑elle entachée d’une crainte raisonnable de partialité?

[70]           Quelles que soient les autres exigences possibles de l’obligation d’équité en matière de protections procédurales, lorsque l’équité s’applique, le décideur doit, dans tous les cas, agir de manière objective et ne doit pas susciter de crainte raisonnable de partialité. Du fait que j’ai conclu qu’aucune obligation d’équité ne s’appliquait dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir si la décision était entachée d’une crainte raisonnable de partialité. Cependant, pour le cas où une cour de révision déciderait qu’il y avait effectivement lieu d’appliquer le principe d’équité, je dois fournir mon appréciation des allégations de partialité avancées par la CAF.

 

[71]           Le critère à appliquer pour décider si un décideur administratif est partial variera selon la nature de l’organe de décision : Newfoundland Telephone Co c Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623, aux pages 637 à 640 (Newfoundland Telephone).

 

[72]           Dans l’arrêt Davis c Guelph (City), 2011 ONCA 761, 345 DLR (4th) 1, au paragraphe 71, la Cour d’appel de l’Ontario a résumé la manière de déterminer le critère approprié pour la partialité :

[traduction]

 

À l’extrémité judiciaire de l’échiquier décisionnel, le critère traditionnel de la « crainte raisonnable de partialité » s’appliquera dans toute sa rigueur. À l’autre bout de l’échiquier, toutefois – où la décision est plus de nature administrative, politique ou législative – les cours ont jugé qu’un critère plus souple, connu comme étant le critère de « l’esprit fermé » s’applique.

 

[Renvois omis.]

 

[73]           De plus, dans l’arrêt Cie pétrolière Impériale Ltée c Québec (Ministre de l’Environement), [2003] 2 RCS 624, aux pages 646 et 647, la Cour suprême du Canada déclarait ceci :

Le raisonnement de l’appelante traite ainsi le ministre, à toutes fins utiles, comme un juge de l’ordre judiciaire, que son intérêt personnel dans une affaire rendrait apparemment partial aux yeux d’un tiers objectif et correctement informé.  On oublie alors que le contenu de l’obligation d’impartialité, tout comme celui de l’ensemble des règles d’équité procédurale, est susceptible de varier pour s’adapter au contexte de l’activité d’un décideur administratif et à la nature de ses fonctions […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[74]           La CAF soutient, sans donner de détails, que la norme de contrôle appropriée est la crainte raisonnable de partialité, et non le critère de l’esprit fermé. Le ministre affirme qu’il s’agissait d’une décision rendue en fonction des politiques — il a exercé un pouvoir discrétionnaire étendu, a soupesé les intérêts opposés et a rendu une décision concernant une relation commerciale — et, par conséquent, la norme plus élevée de l’esprit fermé est appropriée.

 

[75]           Je conviens avec le ministre que le critère de l’esprit fermé est la norme appropriée servant à juger sa décision, parce que le ministre est un représentant démocratiquement élu et que cette décision en particulier se trouve dans le contexte de l’administration de la Loi. La question à poser est de savoir si le ministre avait préjugé de l’affaire « de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté » : Assoc. Des résidents du Vieux St‑Boniface Inc c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170, à la page 1197. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’esprit du ministre était fermé.

 

[76]           Le ministre affirme qu’il ne s’était pas fait une idée avant le 18 mars 2010 et qu’il a été objectif au moment de rendre sa décision. On a attiré l’attention de la Cour sur des commentaires qu’il avait faits lors de nombreuses entrevues à la radio qui ont conduit à la décision, dont ce qui suit :

a.       Dans une entrevue donnée le 2 mars 2009, le ministre a clairement dit à l’animateur qu’il n’avait pas encore pris de décision;

b.      Le ministre a déclaré dans une entrevue, le 14 mars 2009, que, si la moralité de la CAF devait changer et s’il devait y avoir une nouvelle direction plus proche des valeurs canadiennes, il serait [traduction] « […] parfaitement à l’aise avec le fait que [la CAF] soit une partenaire pour la prestation de services ».

 

[77]           Le ministre soutien que, bien qu’il ait exprimé des opinions bien arrêtées avant de rendre sa décision, ces déclarations ne montrent pas que sa position ne pouvait pas changer. Il rappelle à la Cour que, dans l’arrêt Newfoundland Telephone, la Cour suprême du Canada a déclaré, à la page 639, que « le membre d’une commission qui remplit une fonction d’élaboration des politiques ne devrait pas être exposé à une accusation de partialité du seul fait d’avoir exprimé avant l’audience des opinions bien arrêtées ».

 

[78]           Cependant, les déclarations publiques du ministre ne font partie que de la preuve qu’il faut examinée pour décider s’il avait un esprit fermé à l’égard de la CAF. Les déclarations faites en privé sont souvent plus révélatrices de l’état d’esprit d’une personne que les déclarations publiques. Cela peut se révéler particulièrement vrai dans le cas de personnages politiques.

 

[79]           Je conviens avec la CAF que le courriel du ministre, daté du 2 février 2009, dans lequel il demande [traduction] « les renseignements […] sur la contribution qui a été honteusement approuvée par notre gouvernement pour la Fédération canado-arabe radicale et antisémite » [non souligné dans l’original] est particulièrement éloquent. Il ajoute qu’il veut [traduction] « que l’on prenne tous les moyens légaux pour mettre fin à cette entente de financement honteuse et pour s’assurer qu’elle ne sera pas renouvelée ». [Non souligné dans l’original.]

 

[80]           Toute personne raisonnable lisant cela conclurait que le ministre avait déjà son idée sur la question du financement futur de la CAF; son seul intérêt était de prendre les moyens pour atteindre l’objectif final de mettre fin à la relation que CIC avait avec la CAF.

 

[81]           Je conclus, malgré les déclarations faites publiquement par le ministre et les prétentions contraires, que ce qu’il a fait en privé révélait qu’il n’examinerait pas vraiment les observations de la CAF — que tous les efforts déployés par la CAF, allant jusqu’à faire des changements à la direction, étaient futiles. Son esprit était fermé.

 

3.  Le droit de la CAF à la liberté d’expression a‑t‑il été violé?

[82]           Il ne fait aucun doute, et cela n’a pas été contesté par le ministre, que les activités de défense collective des droits de la CAF constituent une forme d’expression protégée. De plus, l’activité d’expression entourant le programme CLIC est également protégée. Néanmoins, je conclus qu’il n’a pas été porté atteinte à la liberté d’expression de la CAF.

 

[83]           Dans l’arrêt Baier c Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 RCS 673 (Baier), la Cour suprême du Canada établissait la façon dont on devait déterminer si un droit invoqué est un droit positif à une tribune ou à un avantage en particulier, ou un droit négatif de ne pas être assujetti à des mesures gouvernementales restreignant la liberté d’expression. Le droit invoqué est un droit positif si le gouvernement doit légiférer ou prendre d’autres mesures pour appuyer ou permettre une activité expressive; il s’agit d’un droit négatif si ce qu’on cherche, c’est de ne pas être assujetti à des mesures gouvernementales restrictives quant à une activité qu’on serait autrement libre d’exercer sans appui ou habilitation de la part du gouvernement.

 

[84]           La CAF prétend qu’en annulant son financement relatif au CLIC, le Minister a restreint sa liberté d’expression relativement au conflit israélo‑palestinien et que, par conséquent, ce qui est invoqué est un droit négatif standard de liberté d’expression. La CAF demande qu’il soit interdit au ministre de restreindre son activité d’expression qu’elle serait autrement libre d’exercer. Pour sa part, le ministre allègue qu’un droit positif est invoqué, parce que la CAF cherche à obtenir un droit positif à des fonds pour son programme CLIC et, par extension, son activité d’expression.

 

[85]           Je conviens avec le ministre que le droit invoqué est un droit positif pour trois motifs.

 

[86]           Premièrement, seule l’activité d’expression par l’entremise du programme CLIC est en jeu du fait de la décision de couper le financement. Il n’y a aucun lien entre l’interruption du financement pour la formation relative au CLIC et le fait, pour la CAF, de continuer à défendre les droits collectifs entourant le conflit israélo‑palestinien. Le financement provenant de l’entente de contribution ne devait servir qu’aux dépenses liées au programme CLIC, et pour aucune autre fin. La CAF n’a été remboursée que pour les coûts admissibles réellement engagés pour fournir les services pendant la durée du contrat — les fonds n’étaient pas fournis pour que la CAF les utilise comme elle l’entendait. Il convient de noter que le contrat CLIC de la CAF n’a pas pris fin en raison de son discours; il n’a simplement pas été prolongé. En outre, l’autre entente de contribution de la CAF concernant le PEAI s’est poursuivie. De plus, le programme CLIC était géré par la direction Services d’établissement de la CAF, laquelle est tout à fait distincte de sa direction de défense des droits collectifs. Pour l’essentiel, les deux sont complètement indépendantes, exerçant même leurs activités à partir de deux emplacements géographiques différents. Ces facteurs démontrent la séparation qui existe entre les activités de la CAF liées au CLIC et celles relatives à la défense des droits collectifs.

 

[87]           Deuxièmement, le programme CLIC est une tribune créée par le gouvernement. Puisque, pour avoir accès au programme CLIC, il est nécessaire d’être habilité par le gouvernement, cela indique l’invocation d’un droit positif.

 

[88]           Troisièmement, l’arrêt Baier établit clairement que le droit invoqué ne devient pas négatif simplement du fait que le demandeur a historiquement eu accès à la tribune d’expression avant que la législation ou la décision lui en enlève le droit. En l’espèce, l’accès qu’a eu la CAF au programme CLIC pendant 12 ans avant la décision du ministre ne transforme pas automatiquement le droit invoqué en un droit négatif. Dans l’arrêt Baier, la Cour suprême du Canada déclarait ceci : « Conclure autrement équivaudrait à dire qu’une fois que le gouvernement a légiféré pour créer une tribune, il ne peut jamais la modifier ou la supprimer sans contrevenir à l’al. 2b) et devoir justifier de tels changements au regard de l’article premier. »

 

[89]           Dans l’arrêt Baier, on a jugé que le demandeur doit établir les facteurs suivants pour pouvoir revendiquer un droit positif au titre de l’alinéa 2b) de la Charte :

1.      la demande doit reposer sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis;

2.      le demandeur doit démontrer que l’exclusion du régime légal constitue une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée par l’al. 2b) ou que l’objet de l’exclusion était de faire obstacle à une telle activité;

3.      l’État doit pouvoir être tenu responsable de toute incapacité d’exercer une liberté fondamentale.

 

[90]           Dans l’arrêt Baier, une loi avait été adoptée, laquelle empêchait les employés d’écoles de briguer un poste de conseiller de tout conseil scolaire, sauf s’ils avaient obtenu un congé et avaient démissionné de leur poste d’enseignant s’il étaient élus. L’Alberta Teachers’ Association alléguait que cela portait atteinte à la liberté d’expression des employés. Elle faisait valoir que le rôle de conseiller était une tribune unique pour la défense des droits collectifs entourant les questions liées à l’éducation et que, par conséquent, cela constituait une liberté fondamentale.

 

[91]           La Cour suprême du Canada a rejeté cette caractérisation en déclarant que « revendiquer un rôle tout à fait particulier n’est pas la même chose que revendiquer une liberté fondamentale. La demande des appelants, telle qu’ils l’ont formulée, se fonde sur l’accès à un régime légal précis, celui des conseils scolaires » (au paragraphe 44). De même, l’accès de la CAF au financement relatif au CLIC est une tribune particulière créée par le gouvernement, et non une liberté fondamentale.

 

[92]           Dans l’arrêt Baier, la Cour suprême déclarait également que, même si l’éligibilité à un poste de conseiller était une liberté fondamentale, la supprimer ne constituerait pas une ingérence importante dans la liberté d’expression, parce que, même sans le poste, les enseignants pouvaient toujours se livrer à des activités de défense des droits collectifs entourant les questions relatives à l’éducation. Il y a une analogie avec la situation de la CAF : même sans accès au programme CLIC, la CAF peut toujours défendre les droits collectifs entourant le conflit israélo‑palestinien, et elle continue de le faire. L’interruption du financement relatif au CLIC n’a pas créé d’« incapacité » d’exercer des activités d’expression et n’a pas affecté de façon importante les activités d’expression de la CAF.

 

[93]           En résumé, il n’existe pas de droit positif au financement, parce que le droit d’administrer le programme CLIC n’est pas fondé sur une liberté fondamentale. De même, les efforts déployés par la CAF pour la défense des droits collectifs ne sont pas affectés de manière importante, parce que la CAF a continué d’exprimer ses idées sur le conflit israélo‑palestinien, malgré qu’elle ne recevait pas de financement pour la formation relative au CLIC.

 

[94]           Puisque j’ai conclu qu’il n’y avait pas de manquement à l’alinéa 2b) de la Charte, je n’ai pas besoin de procéder à une analyse relative à l’article premier.

 

4.  La décision du ministre était‑elle raisonnable?

[95]           Il n’existe pas de précédent quant à la norme applicable pour contrôler une décision (ministérielle ou non) de rejeter une demande de financement aux termes du programme CLIC. Après avoir fait l’analyse énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, je conclus que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité. Les facteurs à examiner sont : (i) l’existence d’une clause privative, (ii) la possession, par le décideur, d’une expertise spéciale et (iii) la nature de la question à trancher.

 

[96]           Premièrement, aucune clause privative n’est en jeu, et il n’y a donc pas de raison de faire montre, à l’égard du ministre, d’une déférence accrue.

 

[97]           Deuxièmement, on peut faire valoir que le ministre ne possède aucune expertise particulière pertinente en ce qui a trait à la question de savoir si la CAF devrait se voir ou non accorder du financement pour administrer le programme CLIC, et cela nécessite donc peu de déférence. Le ministre est toutefois un représentant élu qui rend des décisions dans le cadre de l’administration de la Loi, lesquelles impliquent des considérations de politiques plus générales, et, par conséquent, on devrait faire montre d’une déférence à son égard, du fait du poste qu’il occupe. Ce facteur favorise la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[98]           Troisièmement, la nature de la question à trancher va aussi dans le sens de la raisonnabilité. En l’espèce, il s’agit d’une décision commerciale à orientation prédéterminée qui a été rendue dans l’intention de donner effet aux objets généraux de la Loi. Il n’y a pas de question de droit essentielle liée à l’importance du système juridique. Il faut donc faire montre de beaucoup de retenue.

 

[99]           Par conséquent, la norme applicable en l’espèce est la raisonnabilité. Le fait qu’il s’agit d’une décision générale fondée sur des politiques rendue par un représentant élu justifie un haut degré de retenue à l’égard de sa décision.

 

[100]       La norme de contrôle de la raisonnabilité exige seulement que la décision du ministre appartienne aux issues possibles acceptables pour éviter qu’elle soit annulée.

 

[101]       Pour apprécier si la décision appartient à cette catégorie, il faut d’abord déterminer correctement ce qui doit faire l’objet de cette appréciation. Les parties ne caractérisent pas la décision du ministre de la même manière. La CAF soutient que la décision du ministre est que la CAF est antisémite et appuie les organisations terroristes, et que c’est cette décision qui est déraisonnable. Quant au ministre, il soutient qu’il a décidé de ne pas distribuer des ressources limitées pour financer la CAF, parce qu’elle n’est pas un organisme fournisseur de services convenable, car elle semble être impliquée dans l’extrémisme, ce qui va à l’encontre des valeurs canadiennes; il ajoute que cette décision était raisonnable.

 

[102]       Dans la lettre du 18 mars 2009, on y déclarait que le ministre avait décidé de ne pas renouveler le financement de la CAF, parce que :

[traduction]

 

Certaines déclarations que vous et d’autres dirigeants de la CAF avez faites publiquement ont soulevé de graves préoccupations. Ces déclarations comprenaient la fomentation de la haine et de l’antisémitisme ainsi que le soutien au Hamas et au Hezbollah, des organisations terroristes interdites.

 

La nature désobligeante de ces déclarations publiques – en ce qu’elles semblent refléter le soutien évident accordé par la CAF à des organisations terroristes et des positions qu’elle a prises qui sont probablement antisémites – soulève de sérieuses questions quant à l’intégrité de votre organisme et a ébranlé la confiance du gouvernement en la CAF en tant que partenaire convenable pour la prestation de services d’établissement aux immigrants.

[Non souligné dans l’original.]

 

[103]       Sur la base du libellé exprès de la décision‑lettre, je souscris à la caractérisation que le ministre en a faite. La question qui doit être tranchée est de savoir s’il était ou non raisonnable de continuer à financer le programme CLIC de la CAF, parce qu’il s’agit d’un organisme qui semble être antisémite et soutenir des organisations terroristes. Je conclus qu’en l’espèce, la décision du ministre appartient aux issues acceptables.

 

[104]       La CAF a déposé de nombreux affidavits d’universitaires, de professeurs de droit, de groupe de défense des droits des juifs et de gens ayant collaboré étroitement avec la CAF, qui déclaraient n’avoir jamais été témoins d’antisémitisme, de fomentation de la haine ou de soutien au terrorisme de la part de la CAF. Bien que cette preuve soit probante, elle doit être examinée à la lumière des opinions et des éléments de preuve contraires qui se trouvent au dossier concernant la question de savoir ce qui constitue de l’antisémitisme ainsi que la preuve sur la façon dont les autres Canadiens ont perçu les actions de la CAF. La seule chose qui ressorte clairement du dossier, c’est qu’il n’y a pas de consensus.

 

[105]       La Cour n’est pas tenue de régler la question de ce que constitue l’antisémitisme, parce que le ministre n’a pas affirmé que la CAF était antisémite, il a plutôt dit que les déclarations publiques qui avaient été faites [traduction] « sembl[aient] refléter le soutien évident accordé par la CAF à des organisations terroristes et des positions qu’elle a[vait] prises qui [étaient] probablement antisémites ». [Non souligné dans l’original.] Le ministre n’a pas à prouver que la CAF est antisémite, mais seulement qu’elle puisse sembler être antisémite. La preuve au dossier est abondante pour démontrer que, bien que nombreux soient ceux qui ne considèrent pas les actions de la CAF comme étant antisémites, y compris des personnes d’origine juive, il y en a de nombreux autres qui sont d’avis contraire, dont un ancien président de la CAF. Dans ce contexte, il est particulièrement important de faire montre de retenue à l’égard de la décision du ministre.

 

[106]       Quant aux six sujets spécifiques sur lesquels le ministre s’est appuyé, la CAF soutient que cela s’est produit sans son autorisation, que les personnes en cause n’étaient pas des représentantes officielles de la CAF à ce moment‑là, ou que la CAF n’a pas appuyé ou approuvé les actions et le contenu en question. Dans de nombreux cas, cette défense fait fi de la maxime suivante : « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es. » Simplement dit, la CAF ne peut se dissocier complètement du contenu de liens Web qu’elle inclut dans sa documentation, ou des commentaires de ses dirigeants, de la distribution qu’ils font de documents ou de leur présence à des réunions ou à des conférences.

 

[107]       L’ensemble des déclarations et des actions que le ministre a invoquées peut, selon moi, conduire raisonnablement quelqu’un à se faire l’idée que la CAF semble soutenir des organisations que le Canada a déclaré être des organisations terroristes et qui sont probablement antisémites. Hormis le fait que le ministre même soit de cet avis, le dossier est rempli d’articles de presse et de déclarations d’autres personnes qui vont dans le même sens, tout cela appuyant le fait qu’il n’était pas déraisonnable pour le ministre de tirer cette conclusion.

 

[108]       Pour ces motifs, la décision rentre dans la norme de la raisonnabilité, comme l’a décrite l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

Les dépens

[109]       Le ministre a droit aux dépens. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le quantum, elles doivent en aviser la Cour dans les trente (30) jours de la présente décision. Le ministre devra alors fournir ses observations écrites sur les dépens, lesquelles ne dépasseront pas dix (10) pages, dans les dix (10) jours suivants, et la CAF devra fournir sa réponse écrite dans les vingt (20) jours de la réception des observations du ministre.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

1.                  la demande est rejetée;

2.                  les dépens sont accordés au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-447-09

 

INTITULÉ :                                      LA FÉDÉRATION CANADO‑ARABE (CAF) c               

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                                                                          

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             DU 28 AU 30 MAI 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 23 DÉCEMBRE 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

Hadayt Nazami

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mary Matthews

Nur Muhammed-Ally

Eleanor Elstub

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JACKMAN & ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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