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Date : 20131223


Dossier :

IMM-11690-12

 

Référence : 2013 CF 1285

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2013

 

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

MOHAMMAD SHABIR QURESHI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               En application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 24 mai 2012 et reçue le 5 octobre 2012, par laquelle un agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente qu’il avait soumise dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Il demande l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire pour réexamen.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

[3]               En 2010, le demandeur, M. Mohammad Shabir Qureshi, a présenté, du Pakistan, une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Il y indiquait qu’au cours des 10 ans précédant sa demande il avait acquis une expérience de travail continu à temps plein d’au moins un an relativement à la profession décrite au code 4131 de la CNP (enseignants/enseignantes au niveau collégial et autres instructeurs/instructrices de programmes de perfectionnement).

 

[4]               Aucune fonction essentielle n’est décrite à la CNP 4131. Les fonctions principales des enseignants/enseignantes au niveau collégial et autres instructeurs/instructrices de programmes de perfectionnement sont ainsi décrites :

Les enseignants au niveau collégial et autres instructeurs de programmes de perfectionnement exercent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes :

                     enseigner en suivant une démarche systématique faisant intervenir des exposés, des démonstrations, des discussions en groupe, des travaux en laboratoire, des ateliers, des séminaires, des études de cas, des travaux sur le terrain et des projets individuels ou en groupe;

                     préparer le programme ainsi que les plans de cours et le matériel d’enseignement;

                     préparer, administrer et noter les examens et les travaux afin d’évaluer les progrès des étudiants;

                     renseigner les étudiants sur les programmes d’études et les choix de carrière;

                     donner un enseignement individualisé, de type tutoriel ou correctif aux étudiants qui en ont besoin;

                     superviser les projets individuels ou de groupes, les stages de formation pratique, les travaux pratiques et la formation en cours d’emploi;

                     superviser les auxiliaires d’enseignement;

                     fournir, s’il y a lieu, des services de consultation aux organismes gouvernementaux, aux entreprises ou autres;

                     faire partie, s’il y a lieu, de comités traitant de questions telles que les budgets, la révision des programmes, les exigences des cours et les conditions d’obtention des diplômes.

Les enseignants au niveau collégial et autres instructeurs de programmes de perfectionnement sont spécialisés en particulier comme les arts visuels, l’hygiène dentaire, la soudure, les techniques de génie, les techniques policières, l’informatique, la gestion et les techniques d’éducation de la petite enfance.

 

[Souligné dans l’original]

 

[5]               Dans l’annexe 3, Immigration économique – Travailleurs qualifiés – fédéral, jointe à sa demande, le demandeur a indiqué, à l’égard de l’expérience professionnelle concernant la CNP 4131, qu’il avait un an d’expérience, mais moins de deux ans. Il a décrit ainsi les principales tâches qu’il avait accomplies : [traduction] « [t]ravaillé comme chargé de cours pour le Collège gouvernemental d’études supérieures de Kohat, au Pakistan, et enseigné les sciences politiques aux étudiants au baccalauréat ès arts en fonction du syllabus universitaire, en donnant des exposés et tenant des séminaires ».

 

[6]               Une attestation d’emploi du collège était jointe à la demande; elle indiquait que le demandeur avait été chargé de cours en sciences politique pendant le terme 2007-2008, et qu’il avait [traduction] « présenté des exposés en sciences politiques aux classes intermédiaires et régulières ».

 

[7]               L’agent a consigné au système mondial de gestion des cas [SMGC] les notes suivantes relativement à la demande :

[traduction] Bien que le code 4131 de la CNP corresponde à une profession mentionnée dans les instructions, je ne suis pas convaincu que l’intéressé a bien l’expérience se rattachant à cette profession : aucune des lettres de recommandation au dossier ne me convainc qu’il a accompli les tâches principales de cette profession. À l’annexe 3, l’intéressé a déclaré avoir 1 an d’expérience à l’égard de la CNP 4131. Selon la lettre de recommandation du Collège d’études supérieures de Kohat, l’intéressé a travaillé comme chargé de cours, mais aucune autre tâche n’y est décrite. Je ne suis donc pas convaincu qu’il est enseignant au niveau collégial au sens de la définition de la classification nationale des professions. Demande refusée.

 

[Nous soulignons.]

 

 

[8]               La lettre de refus transmise au demandeur comportait le paragraphe suivant :

[traduction] Bien que le code de la CNP corresponde à la profession qui figure dans les instructions, les principales tâches que vous avez énumérées n’indiquent pas que vous exerciez toutes les fonctions essentielles et une partie appréciable des fonctions principales énoncées dans les descriptions des professions de la CNP.

 

[Nous soulignons.]

 

QUESTIONS EN CAUSE

[9]               La présente demande soulève les questions suivantes :

a.          La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’a pas démontré qu’il satisfaisait aux exigences de la CNP 4131 relativement à l’exercice des fonctions principales est‑elle raisonnable?

b.         Le demandeur aurait‑il dû recevoir une lettre relative à l’équité procédurale?

 

NORME DE CONTRÔLE

[10]           Selon le défendeur, les conclusions de fait d’un agent et les décisions factuelles sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Je lui donne raison. Voir, par exemple, Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268, au para 15.

 

ANALYSE

Question 1 : La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’a pas démontré qu’il satisfaisait aux exigences de la CNP 4131 relativement à l’exercice des fonctions principales est‑elle raisonnable?

 

[11]           Selon le demandeur, l’agent a changé les critères applicables en cours de route et sans l’en aviser. Il soutient, premièrement, qu’un critère erroné a été appliqué dans la lettre de refus, laquelle indiquait qu’il n’avait pas exercé « toutes les fonctions essentielles » de la profession, alors que la CNP énonce uniquement que les enseignants exercent « une partie ou l’ensemble » des fonctions principales. J’estime qu’il s’agit là d’une coquille dans la lettre, et que les mots [traduction] « fonctions essentielles » ont été écrits à la place de [traduction] « fonctions principales » par inadvertance. Qui plus est, la CNP 4131 n’énonce pas de fonction essentielle.

 

[12]           Le demandeur prétend aussi que l’agent n’a pas appliqué le bon critère en matière de fonctions principales, la lettre de refus indiquant qu’il n’avait pas exercé [traduction] « une partie appréciable des fonctions principales ». Comme on l’a vu, la CNP mentionne uniquement la condition que le demandeur ait exercé « une partie ou l’ensemble » des fonctions principales.

 

[13]           L’agent semble s’être fondé sur l’alinéa 80(3)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [RIPR], SOR/93-22, lequel énonce que le travailleur qualifié est considéré comme ayant acquis de l’expérience dans la profession ou le métier s’il a exercé une partie appréciable des fonctions principales décrites à la CNP :

 (3) Pour l’application du paragraphe (1), le travailleur qualifié, indépendamment du fait qu’il satisfait ou non aux conditions d’accès établies à l’égard d’une profession ou d’un métier figurant dans les descriptions des professions de la Classification nationale des professions, est considéré comme ayant acquis de l’expérience dans la profession ou le métier :

 

b) s’il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession ou du métier figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

[Nous soulignons]

 (3) For the purposes of subsection (1), a skilled worker is considered to have experience in an occupation, regardless of whether they meet the employment requirements of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, if they performed

 

 

 (b) at least a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all the essential duties.

 

 

[Emphasis added]

 

 

[14]           Selon la jurisprudence de notre Cour, « une partie ou l’ensemble » des fonctions principales décrites à la CNP s’entend au minimum d’« une partie » de ces fonctions, et la Cour a en outre précisé que cela signifie plus d’une fonction, c.‑à‑d. deux fonctions principales. Voir, par exemple, A’Bed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1027, et les décisions qui y sont citées (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 422 (1re inst.), Bhutto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1411 (1re inst.), et Agrawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 930)). Ces décisions ne semblent pas avoir examiné si l’alinéa 80(3)b), précité, exigeant qu’« une partie appréciable » des fonctions principales ait été exercée a préséance sur la condition de l’exercice d’« une partie ou [de] l’ensemble » de ces fonctions énoncée à la CNP.

 

[15]           Il convient toutefois de s’attarder à la relation existant entre le RIPR et les conditions énoncées à la CNP. Il appert de l’article 2 du RIPR que les descriptions figurant à la CNP proviennent du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences :

National Occupational Classification means the National Occupational Classification developed by the Department of Human Resources and Skills Development and Statistics Canada, as amended from time to time.

« Classification nationale des professions » Le document intitulé Classification nationale des professions élaboré par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences et Statistique Canada, avec ses modifications successives.

 

Par conséquent, bien que les énoncés de la CNP guident les agents dans la sélection des candidats qualifiés, il y aurait normalement lieu de penser que le RIPR a préséance sur eux. Les mots « une partie appréciable » du Règlement devraient donc l’emporter sur les mots « une partie ou l’ensemble » figurant dans la description de la CNP.

 

[16]           On peut lire, dans Sullivan on the Constructions of Statutes, 5th ed (Ottawa: LexisNexis Canada Inc., 2008), aux pages 623‑624 :

[traduction] L’exercice d’un pouvoir légal de formuler des directives d’interprétation ne produit pas nécessairement des directives ayant valeur de texte de loi. Dans Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), par exemple, la Cour d’appel fédérale a jugé que les directives formulées en vertu de l’article 159 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, lequel prévoyait que le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié peut « en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions […] donne[r] des directives écrites aux commissaires », étaient de nature uniquement administrative et ne constituaient pas un texte de loi. Dans ses motifs rédigés au nom des juges majoritaires, le juge Evans a signalé les avantages découlant du recours à des directives et à d’autres « instruments législatifs non contraignants ».

 

[17]           Quoi qu’il en soit, c’est à l’audience que le demandeur a soulevé pour la première fois la question de l’exigence de la « partie appréciable » mentionnée dans la lettre de refus, et le défendeur a élevé une objection. Si je n’avais pas été convaincu que le demandeur avait omis de fournir des renseignements indiquant qu’il avait exercé deux des fonctions principales énumérées, j’aurais ajourné l’instruction pour permettre la production d’observations concernant la question de la préséance des conditions énoncées à la CNP sur les exigences réglementaires. Comme j’en ai fait mention, cette question ne semble pas s’être posée en jurisprudence et, compte tenu de la hiérarchie normale des textes de loi, il n’est pas clair que l’exigence réglementaire de la « partie appréciable » ne devrait pas avoir prépondérance.

 

[18]           Je conviens toutefois avec le défendeur que les seules références figurant dans la documentation soumise à l’agent (l’attestation du Collège gouvernemental d’études supérieures de Kohat) indiquent que le demandeur n’a exercé que la fonction de présentation d’exposés, et aucune des autres fonctions principales décrites à la CNP.

 

[19]           En outre, point non déterminant mais contribuant néanmoins au caractère raisonnable de la décision, il ressort de l’énoncé qui clôt la liste des fonctions principales que les instructeurs visés devraient enseigner des compétences professionnelles « comme les arts visuels, l’hygiène dentaire, la soudure, les techniques de génie, les techniques policières, l’informatique, la gestion et les techniques d’éducation de la petite enfance ». Il appert des renseignements relatifs à l’emploi fournis par le demandeur qu’il a donné des cours de connaissances générales, portant sur les sciences politiques.

 

[20]           J’estime donc que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré qu’il satisfaisait aux conditions de la CNP 4131 relativement à l’exercice des fonctions principales était raisonnable.

 

Question 2 : Le demandeur aurait‑il dû recevoir une lettre relative à l’équité procédurale?

[21]           Le demandeur a également fait valoir qu’une telle lettre aurait dû lui être envoyée.

 

[22]           Je ne suis pas de cet avis. Le rejet d’une demande pour simple insuffisance de preuve n’est pas subordonné à l’obligation d’envoyer une lettre relative à l’équité procédurale ou d’autrement informer les demandeurs des lacunes de leur demande (voir Kamchibekov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1411). L’équité peut imposer une obligation d’informer l’intéressé de l’existence de préoccupations lorsque l’agent des visas se fait une impression défavorable d’éléments de preuve fournis par ce dernier (voir, par exemple, Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, et Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, aux para 22 et 23). Ce n’est pas la situation en l’espèce.

 

CONCLUSION

[23]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[24]           Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-11690-12

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD SHABIR QURESHI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 9 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 23 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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