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Date : 20131219


Dossier : T-642-13

 

Référence : 2013 CF 1273

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

SHAKER IRANI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’un appel présenté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi), de la décision du 18 février 2013 du juge de la citoyenneté Wong, qui a rejeté la demande de citoyenneté canadienne de M. Irani au motif qu’il ne respectait pas les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[2]               M. Irani est citoyen de l’Iran. Il a déménagé au Canada le 20 juillet 2004, et, grâce au parrainage de son épouse, le statut de résident permanent lui a été octroyé le 24 juin 2006. Il a demandé la citoyenneté canadienne le 7 août 2009; la « période pertinente » dont il faut tenir compte pour calculer le nombre de jours où M. Irani a été physiquement présent au Canada s’échelonne donc du 7 août 2005 au 7 août 2009.

 

[3]               M. Irani allègue que des erreurs de fait ont mené le juge à croire qu’il avait fait de fausses déclarations factuelles, et que l’omission du juge de lui faire part de ses doutes ont amené ce dernier à appliquer le critère de la présence physique plutôt que le critère qualitatif établi dans la décision Koo (Re), [1993] 1 CF 286, [1992] ACF no 1107 (la décision Koo).

 

La preuve relative aux absences du Canada

[4]               Dans sa demande de citoyenneté, M. Irani a déclaré avoir voyagé à l’extérieur du Canada à deux reprises pour un total de 305 jours d’absence; il aurait donc été physiquement présent au Canada pendant 995 jours, soit 100 jours de moins que le minimum de 1 095 jours prévu par la Loi.

 

[5]               Dans le questionnaire sur la résidence qu’on lui a par la suite demandé de fournir, M. Irani a déclaré avoir voyagé à l’extérieur du Canada à quatre reprises pour un total de 378 jours; il aurait donc été physiquement présent au Canada pendant 922 jours, soit 173 jours de moins que le minimum de 1 095 jours prévu par la Loi.

 

[6]               Le juge a interrogé M. Irani et il a conclu, sur le fondement des documents et de l’entrevue, qu’il n’était pas convaincu [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, que la déclaration initiale ou le questionnaire sur la résidence refl[était] avec exactitude le nombre de jours où [M. Irani avait été], dans les faits, physiquement présent au Canada ». Il a conclu que M. Irani n’avait pas été franc au sujet de ses absences du Canada.

 

[7]               Le juge a affirmé ce qui suit : [traduction] « [Votre] omission de déclarer des absences du Canada, alors que votre passeport et d’autres documents tels des relevés de carte de crédit visant la période pertinente révèlent le contraire, jette un doute important sur la véracité de votre demande, et ce doute n’a pas été dissipé par des éléments de preuve documentaire ». Le juge a fait remarquer que, selon la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Dhaliwal, 2008 CF 797, « le fait que celui qui demande la citoyenneté a fait de fausses déclarations permet de douter de sa crédibilité, ce qui est susceptible d’avoir des incidences sur la valeur à accorder aux éléments de preuve qu’il présente ». Voici ce que le juge a écrit par la suite : [traduction] « Dans les circonstances, j’estime qu’il convient d’être strict et d’appliquer le critère établi par le juge Muldoon, et je conclus que vous n’avez pas été en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que vous avez été physiquement présent au Canada pendant au moins 1 095 [jours] durant la période pertinente. »

 

[8]               Dans le présent appel, M. Irani admet maintenant que, selon les timbres apposés dans son passeport, il a en fait séjourné à l’extérieur du Canada 160 jours avant qu’il devienne résident permanent et 456 jours depuis qu’il est résident permanent. En application de l’alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi, on calcule une demi‑journée pour chaque jour complet de résidence au Canada avant l’octroi du statut de résident permanent. Selon le défendeur, compte tenu de cette admission d’absence, M. Irani n’a été physiquement présent au Canada que pendant 764,5 jours, soit 330,5 jours de moins que le minimum prévu par la Loi.

 

Les questions en litige

[9]               M. Irani soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale, parce que le juge ne lui a pas demandé d’expliquer les autres absences que le juge aurait – à tort, semble‑t‑il – trouvées. M. Irani affirme aussi que les erreurs ont incité le juge à appliquer le critère du compte strict des jours, critère qu’il a qualifié de [traduction] « punitif », plutôt que le critère plus permissif établi dans la décision Koo.

 

Analyse

[10]           Je suis d’accord avec M. Irani : le juge a commis une erreur lorsqu’il a examiné les dates des timbres apposés dans son passeport. Le juge a compris qu’un timbre d’entrée à Amsterdam où il y était inscrit « 06.04.07 » signifiait que M. Irani y était entré le 6 avril 2007, mais il a par la suite affirmé que ce même timbre montrait que M. Irani y était de nouveau entré le 4 juin 2007. Le juge, de façon semblable, a aussi estimé qu’un timbre de sortie d’Amsterdam où il y était inscrit « 09.04.07 » révélait que M. Irani avait quitté Amsterdam le 4 septembre 2007, alors qu’en fait M. Irani avait quitté Amsterdam le 9 avril 2007.

 

[11]           Le juge a soupçonné M. Irani d’avoir séjourné aux États‑Unis en octobre 2006 et d’avoir omis de le mentionner dans sa demande. Le juge a souligné que l’un des relevés de carte de crédit de M. Irani montrait qu’un montant avait été versé au compte de sa carte de crédit le 16 octobre 2006 par un restaurant à Dallas, au Texas. Dans l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre du présent appel, M. Irani a expliqué que le restaurant appartenait à l’un de ses amis, que ce dernier lui avait emprunté de l’argent et qu’il s’agissait de la façon la plus simple de lui rembourser le montant. M. Irani affirme qu’il n’était pas physiquement présent au restaurant lorsque la somme a été versée au compte de sa carte de crédit. Je suis prêt à accorder le bénéfice du doute à M. Irani.

 

[12]           Enfin, le fait que, selon le passeport iranien expiré de M. Irani, la résidence de ce dernier se trouvait aux États‑Unis a également soulevé un doute chez le juge. M. Irani aurait peut‑être été en mesure de dissiper les doutes du juge si ce dernier lui en avait fait part.

 

[13]           Néanmoins, bien que le juge ait commis une erreur dans le calcul du nombre de jours d’absence, M. Irani admet maintenant avoir fait de fausses déclarations quant à ses absences, et ce, tant dans sa demande initiale que dans le questionnaire sur la résidence. Selon le témoignage de M. Irani, ce dernier a fait à au moins deux reprises des fausses déclarations quant au nombre de jours pendant lesquels il a été présent au Canada; M. Irani affirme toutefois qu’il s’agissait d’erreur de bonne foi, et non de tentatives délibérées d’induire quiconque en erreur. Le juge a donc fait observer qu’il avait [traduction] « constaté qu’il était difficile d’établir le nombre de jours exacts où [le demandeur avait été] physiquement présent pendant la période pertinente, parce que [son] passeport révélait des absences non déclarées. » Le juge faisait alors référence à des absences autres que celles maintenant admises par M. Irani, mais il s’agissait tout de même d’une observation juste.

 

[14]           Ce sont les fausses déclarations de M. Irani qui ont mené le juge à appliquer le critère du compte strict des jours, et il en avait le droit. Dans de telles circonstances, les faits dont le juge avait été saisi étaient identiques à ceux de l’affaire Dhaliwal, et le juge l’a justement citée pour affirmer qu’il faut tenir compte des fausses déclarations dans l’appréciation de la crédibilité et de la preuve. Quoi qu’il en soit, « les juges de la citoyenneté ne sont pas tenus de justifier leur choix de critère » (Idahosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 739, paragraphe 14). Le juge de la citoyenneté doit seulement appliquer le critère de façon uniforme. En outre, je souscris à l’observation que le juge Crampton a formulée au paragraphe 24 de la décision Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 576, selon laquelle « il convient tout particulièrement de faire preuve de déférence envers la décision du juge de la citoyenneté d’appliquer l’un ou l’autre des trois critères qui sont reconnus depuis si longtemps dans la jurisprudence de notre Cour » [non souligné dans l’original], puisque la jurisprudence sur cette question est partagée.

 

[15]           Dans ces circonstances, le fait que le juge ait appliqué le critère du compte strict des jours ne constitue pas, à mon avis, une erreur justifiant l’infirmation de la décision.

 

[16]           En outre, si l’on se fie au calcul actuel du nombre de jours où M. Irani était présent au Canada, il lui manque encore plus de jours que ce que le juge avait estimé.

 

[17]           En résumé, je conclus que le juge a commis une erreur en omettant de faire part de ses doutes à M. Irani en ce qui a trait aux timbres apposés dans son passeport, à l’inscription dans son relevé de carte de crédit et à la déclaration visant son pays de résidence qui se trouvait dans son passeport iranien. Puisqu’il n’en était pas au courant, M. Irani n’a pas eu l’occasion de dissiper les doutes du juge. Cependant, il ne s’agissait pas en définitive d’erreurs graves, car M. Irani admet maintenant que les deux calculs qu’il avait présentés dans sa demande de citoyenneté et dans le questionnaire sur la résidence étaient inexacts et, de son propre aveu et comme le révèle le nouveau compte des jours d’absence dans le cadre de la présente demande, M. Irani n’atteint toujours pas le nombre de jours minimum prévu par la Loi. Par conséquent, je suis d’avis que le juge n’aurait pas rendu une décision différente s’il n’avait pas commis ces manquements à l’équité procédurale.

 

[18]           L’appel sera rejeté. Le défendeur a droit aux dépens, que je fixe à 2 000 $, somme qui avait été convenue entre les parties.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté et que les dépens, fixés à 2 000 $, sont adjugés au défendeur.

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-642-13

 

INTITULÉ :

SHAKER IRANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :           LE 5 DÉCEMBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                           LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :                   LE 19 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Fadi Yachoua, Darryl W. Larson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

François Paradis

 

pOUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FADI YACHOUA

Embarkation Law Group

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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