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Date : 20131223

Dossier : IMM-7620-13

Référence : 2013 CF 1286

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Roy

                                         

ENTRE :

YAZHKOVAN BALAZUNTHARAM

 

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Dans une décision datée du 4 novembre 2013, le défendeur, par l’intermédiaire de son représentant, a conclu que le demandeur pouvait être renvoyé au Sri Lanka en raison de ses nombreuses activités criminelles au Canada et en dépit du fait qu’il avait obtenu le statut de réfugié une quinzaine d’années auparavant.

 

[2]               Le demandeur semble avoir obtenu l’asile en raison de sa participation aux activités des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET], participation qui lui avait valu la détention et la torture aux mains de l’armée sri-lankaise. Nous devons préciser qu’il « semble » en être ainsi parce que la décision favorable ne figure pas au dossier et qu’il n’est pas certain qu’elle pourrait être mise à notre disposition. Le statut de réfugié lui a été accordé le 2 décembre 1998. Cependant, le demandeur n’a jamais obtenu la résidence permanente; sa demande a été rejetée le 1er juin 2006 parce qu’il avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité. Pour les strictes fins de la présente demande de sursis, il suffit de signaler que les activités criminelles du demandeur s’inscrivent dans les paramètres de l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

 

[3]               L’article 115 de la Loi s’applique en l’espèce, et notamment les paragraphes  (1) et (2).

  115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

  (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

 (2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

 

[4]               Les motifs de la décision prise dans cette affaire en conformité des alinéas 115(2)a) et b) ont été rédigés par le représentant du ministre le 14 novembre 2013. La décision compte 27 pages. C’est de cette décision, par laquelle il a été conclu que le demandeur pouvait être renvoyé au Sri Lanka en dépit du fait que l’asile lui avait été accordé il y a une quinzaine d’années, que le demandeur sollicite le contrôle judiciaire en application de l’article 72 de la Loi. La requête en sursis d’exécution est accessoire à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre. Si la requête est accueillie, l’affaire pourra être entendue sur le fond.

 

[5]               Il n’est pas contesté que c’est le critère à trois volets énoncé dans les arrêts RJR MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, et Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF), qui s’applique en l’espèce. Aussi la Cour doit‑elle être convaincue qu’il existe une question sérieuse  à trancher avant d’autoriser le contrôle judiciaire, que le demandeur subira un tort irréparable s’il était expulsé et que la prépondérance des inconvénients est en faveur du sursis. Le défaut du demandeur de remplir l’une ou l’autre des conditions du critère entraînera le rejet de sa demande.  

 

[6]               Les parties conviennent que, s’agissant du volet de la question sérieuse, il incombe au demandeur de montrer que la question soulevée n’est ni futile ni vexatoire. Cet élément du critère n’est pas très exigeant.

 

[7]               Essentiellement, le demandeur soutient qu’il a été arrêté et torturé au Sri Lanka il y a plus de 15 ans par suite de son association avec les TLET. Il fait aussi valoir qu’il y avait un lien entre les TLET et les activités criminelles au Canada pour lesquelles il est interdit de territoire et qui, selon le ministre, représentent un danger pour la population canadienne.  

 

[8]               Nous avons ici affaire à un cas d’espèce. Si le demandeur peut montrer que les autorités sri‑lankaises le considéraient comme une personne d’intérêt vers le milieu des années quatre‑vingt‑dix plutôt que comme un simple spectateur qui a été mêlé à d’autres, il pourrait soutenir qu’il demeure une personne d’intérêt de nombreuses années plus tard. Tout dépend de l’intérêt qu’il présentait à l’époque.

 

[9]               Par ailleurs, l’avocat du demandeur avance (plus qu’il ne peut véritablement le prouver), que les activités illicites auxquelles s’est livré le demandeur au Canada depuis qu’il a été autorisé à rester peuvent avoir servi les intérêts des TLET d’une manière ou d’une autre. Si cela s’avère, il faudra peut-être en conclure que, encore aujourd’hui, le demandeur pourrait être une personne d’intérêt pour les autorités du Sri Lanka.

 

[10]           Cependant, le litige réside dans la question de savoir si les faits de l’espèce sont tels que le demandeur est toujours une personne d’intérêt. Ma propre analyse de la preuve et des arguments ne me permet pas de conclure que ces allégations peuvent être prouvées ou corroborées à ce stade‑ci. Mais là n’est pas le critère; nous devons déterminer si la question soulevée est futile ou vexatoire.

 

[11]           Mieux le demandeur pourra établir que ses activités passées et actuelles ont servi les intérêts des TLET ou qu’elles leur étaient associées, et plus il sera possible d’inférer que le demandeur serait exposé à un risque sérieux d’agression et de torture s’il devait retourner dans son pays. Le représentant du ministre semble d’ailleurs l’avoir concédé :

[traduction]

La preuve documentaire appuie de façon accablante la conclusion voulant que les personnes détenues par l’armée sri-lankaise ou le Service des enquêtes sur le terrorisme [Terrorist Investigation Department – TID) sont soumises à de mauvais traitements qui vont du déni du droit à un procès équitable et du déni d’autres droits fondamentaux des personnes détenues jusqu’à la torture. En ce qui concerne la torture, la preuve au dossier révèle que la torture est systémique et qu’il règne un sentiment d’impunité qui permet d’infliger des mauvais traitements et des actes de torture aux personnes détenues sont courants et impunis. Dans son rapport intitulé Out of the Silence: New Evidence of Ongoing Torture in Sri Lanka 2009 – 2011, l’organisme Freedom from Torture a tiré des données de 35 rapports médico-légaux de demandeurs d’asile d’origine sri-lankaise et conclu que « parmi les personnes les plus exposées au risque de torture figurent les Tamils qui ont des liens réels ou présumés avec les Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (TLET) »38.

 

Par ailleurs, le représentant ne conteste pas que les gens dont le profil correspond à celui du demandeur, c’est‑à‑dire les demandeurs d’asile déboutés, seront aisément reconnus à leur retour au Sri Lanka :

[traduction]

Selon le haut-commissariat du Canada à Colombo, les interrogatoires sont menés par l’Unité des enquêtes criminelles [Criminal Investigation Unit – CID], laquelle contrôle également les dossiers criminels, ainsi que le Service du renseignement de l’État [State Intelligence Service – SIS] qui cherche à obtenir de l’information sur la traite de personnes et le passage de clandestins. Selon une présentation conjointe émanant de quatre parties (des organisations de défense des droits de la personne et un avocat), les demandeurs d’asile déboutés sont reconnaissables par leurs documents de voyage, sont retirés des rangs des candidats à l’immigration et sont soumis à des interrogatoires spéciaux par la police et le Service d’enquête sur le terrorisme [Terrorist Investigation Department – TID). D’après cette présentation conjointe, il pourrait se passer des heures ou encore des mois avant que les contrôles de la police et du TID soient terminés, selon qu’il est possible de joindre des membres de la famille et d’obtenir les dossiers judiciaires. Il se peut que M. Balazuntharam ait quelque difficulté à établir son identité étant donné qu’aucun membre de sa famille ne se trouve au Sri Lanka. Cependant, les renseignements au dossier me portent à conclure que la détention à l’arrivée pour fins de vérification de l’identité ou des antécédents judiciaires est habituelle, et les éléments de preuve présentés ne me permettent pas de conclure que les personnes détenues dans ces circonstances sont exposées à un risque accru de torture.

 

[12]           En dépit de ces constatations, le représentant du ministre a pris une décision défavorable à l’égard du demandeur. Au bout du compte, il s’est fondé sur la situation actuelle, et non sur le passé. L’association du demandeur aux TLET a pu suffire pour que l’asile lui soit accordé en 1998, mais ses activités criminelles au Canada depuis n’étaient pas associées aux TLET. De fait, la guerre civile est terminée depuis quatre ans et ses infractions criminelles ne suffisent pas à faire du demandeur une personne d’intérêt. Si l’argument de l’avocat ne s’applique pas au profil du demandeur, ce qui pourrait très bien être le cas selon moi, le risque auquel le demandeur serait exposé ne serait pas considérable. En conséquence, le représentant a exprimé ainsi son avis :

[traduction]

Bien que M. Balazuntharam soit soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET par le biais de l’organisation criminelle dont il faisait partie pendant son séjour au Canada, la preuve au dossier ne suffit pas pour conclure que ces soupçons sont de notoriété publique au point qu’ils auraient pu attirer l’attention des autorités sri‑lankaises. M. Balazuntharam nie toute association aux TLET, avant ou après son départ du Sri Lanka ou dans le contexte de la diaspora sri‑lankaise.

 

 

[13]           Comme j’ai essayé de l’expliquer, la Cour doit à ce stade‑ci décider si la question est futile ou vexatoire. Compte tenu du dossier, je ne puis conclure que la question soulevée est sans fondement et que la cause n’est pas défendable. En outre, l’enjeu est de taille. Comme l’a reconnu le représentant, la torture pose un véritable problème. C’est pourquoi, s’il y a un litige à trancher, les volets de la prépondérance des inconvénients et du préjudice irréparable joueraient en faveur du demandeur. 

 

[14]           Il me semble que la présente affaire mérite un contrôle judiciaire. Je ne suis pas convaincu que la décision du représentant était déraisonnable, mais ce n’est pas à moi de me prononcer.

 

[15]           Le demandeur a été détenu pendant un certain temps. Son avocat nous informe qu’il n’a pas présenté de demande de mise en liberté depuis plus d’un an. Il ne faut pas penser que ma décision sur cette requête en sursis change de quelque façon la situation à l’avance. Le risque que pose le demandeur demeure le même.

 

[16]           Je suis d’avis d’accueillir la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi prévue pour le 29 décembre 2013 en attendant que la demande de contrôle judicaire sous‑jacente soit entendue et tranchée par la Cour.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi prévue pour le 29 décembre 2013 est accueillie en attendant que la demande de contrôle judiciaire soit entendue et tranchée par la Cour.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :               

                                                                     IMM-7620-13

 

 

 

INTITULÉ :

YAZHKOVAN BALAZUNTHARAM c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            lE 19 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 23 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart

Sophie Karantonis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk

& Kingwell, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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