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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20131213


Dossier :

T-1555-12

 

Référence : 2013 CF 1249

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2013

 

En présence de monsieur le juge Roy

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

et G.D. SEARLE & CO.

 

demanderesses

ET

APOTEX INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Les demanderesses (ci-après collectivement appelées Pfizer) portent en appel l’ordonnance en date du 14 décembre 2013 par laquelle le protonotaire Kevin R. Aalto a rejeté dans une large mesure leur requête pour autorisation de déposer deux affidavits en réplique.

[2]               Si l’autorisation était accordée, les affidavits constitueraient la cinquième série d’affidavits déposée dans une instance censée être de nature sommaire. En réponse à l’avis d’allégation de la défenderesse Apotex Inc. (Apotex), Pfizer a présenté, le 16 août 2012, un avis de demande visant à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité. Les quatre séries précédentes d’affidavits ont été présentées dans l’ordre suivant :

- 15 janvier 2013         Pfizer a signifié les affidavits des Dr Karen Seibert et Manuela Berger;

- 29 avril 2013             Apotex a signifié les affidavits des Dr Gurkirpal Singh, McCarthy et Curt Furberg (un quatrième affidavit a été signifié le même jour);

- 6 août 2013               Pfizer a signifié les affidavits des Dr Michael Brian Fennerty, Steven B. Abramson et Peter Tugwell (ainsi que deux autres affidavits sans rapport avec la question dont la Cour est saisie);

- 11 octobre 2013        une ordonnance de la Cour autorise Apotex à signifier et déposer en réponse des affidavits souscrits par les Dr Singh et Furberg.

 

[3]               Le contexte dans lequel il faut examiner la présente requête revêt de l’importance. Dans une ordonnance antérieure, le protonotaire Aalto, qui agissait en qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, déplorait la complication inutile découlant de la présentation de la preuve dans un ordre « partiellement inversé ». On peut notamment lire dans cette ordonnance du 11 octobre :

[3]     La difficulté se pose tout particulièrement dans le contexte d’une inversion partielle de la présentation de la preuve qui, en l’espèce, a semé la zizanie. La demanderesse (Pfizer) a communiqué sa preuve factuelle à l’appui du brevet en cause, la défenderesse (Apotex) a ensuite communiqué sa preuve concernant la validité, puis Pfizer a communiqué sa preuve sur la validité. La zizanie s’est installée du fait que les experts de Pfizer se fondent maintenant sur un grand nombre d’études cliniques, de monographies et d’autres documents qui, d’après Apotex, sont des éléments de preuve factuelle qui auraient dû être signalés au moment de la communication de la preuve « factuelle ».

 

[4]               Il est juste de dire que le protonotaire a vu d’un assez mauvais œil la démarche de Pfizer face à la tentative d’Apotex de faire radier des parties substantielles des trois affidavits signifiés le 6 août. L’ordonnance du 11 octobre 2013 portait sur la radiation de parties importantes des affidavits présentés au nom de Pfizer perçues comme scindant la preuve. Pfizer soutenait pour sa part que la confusion découlait de l’inversion partielle, puisqu’on voyait mal sur quoi portait la première série d’affidavits.

 

[5]               Le juge responsable de la gestion a, très judicieusement, à mon avis, refusé la plupart des radiations, tout en reconnaissant qu’il fallait trouver une solution pour permettre à Apotex de présenter une réponse, compte tenu du fait que l’essentiel de la preuve de Pfizer avait été communiqué par la deuxième série d’affidavits. La solution retenue a été d’autoriser Apotex à répondre à la deuxième série d’affidavits présentée par Pfizer.

 

[6]               Le juge responsable de la gestion a adjugé à Apotex des dépens sur une base d’indemnisation substantielle, de même que les frais de justice et débours raisonnables encourus pour la préparation et la signification de la seconde série de ses affidavits, ses affidavits en réponse.

 

[7]               C’est pour répliquer à ces affidavits, la deuxième série d’affidavits d’Apotex, que Pfizer souhaite signifier et déposer deux autres affidavits, souscrits par les Dr Fennerty et Abramson. Pfizer ne semble pas contester le refus opposé par protonotaire Aalto à la présentation de l’affidavit complémentaire du Dr Tugwell, puisqu’elle n’a pas porté ce refus en appel.

 

[8]               Le protonotaire Aalto a refusé d’autoriser le dépôt de tout l’affidavit en réplique du Dr Fennerty et des paragraphes 2 à 9 de celui du Dr Abramson, de sorte qu’un seul paragraphe de ce dernier affidavit subsistait réellement, puisque le premier paragraphe n’était qu’introductif.

 

[9]               Il est possible, sur autorisation de la Cour, de déposer des affidavits complémentaires (règle 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106). Le critère qui s’applique alors, et qui a été appliqué en l’espèce, n’est peut‑être pas des plus éclairants, mais il fournit un cadre permettant de statuer au cas par cas en cette matière. Je cite ici un passage de l’arrêt Atlantic Engraving Ltd. c Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503, 23 CPR (4th) 5 :

[8]     . . . Exceptionnellement, la règle 312 prévoit qu’une partie peut, avec l’autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires. Aux termes de cette règle, la Cour peut autoriser le dépôt d’affidavits complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

i)         Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)                  Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii)                Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse . . .

 

[9]     De plus, lorsqu’il sollicite l’autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu’il cherche à produire n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible . . .

 

                                                            (références omises)

 

 

Il est à présent établi que ce critère s’applique dans le type de situation dont nous sommes saisis (Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 984, [2007] 2 RCF 371).

 

[10]           Pour que son appel soit accueilli, Pfizer doit satisfaire à la norme de révision applicable aux appels de décisions discrétionnaires de protonotaires. Ces appels sont régis par la règle 51, et Pfizer n’aura gain de cause que si elle convainc la Cour que la question a une influence déterminante sur l’issue de la cause ou bien que l’ordonnance est « entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits » (Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425 (juge MacGuigan), modifié légèrement par Merck & Co. c Apotex Inc., [2004] 2 RCF 459).

 

[11]           Il faut également signaler que l’ordonnance portée en appel a été rendue par le juge responsable de la gestion de l’instance, auquel il convient d’accorder une « marge de manœuvre ». Ces juges sont, après tout, beaucoup plus au fait de l’instance qu’ils ont gérée qu’un juge siégeant en appel (Microfibres Inc. c Annabel Canada Inc., 2001 CFPI 1336; 16 CPR (4th) 12).

 

[12]           Pfizer ne conteste pas l’influence déterminante de l’ordonnance du protonotaire sur l’issue de la cause. Son seul argument, par conséquent, est que le protonotaire a appliqué les quatre conditions régissant le dépôt d’affidavits complémentaires en fonction d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits et que, par suite, son ordonnance est entachée d’une erreur flagrante. Le fait que Pfizer déposerait une troisième série d’affidavits si elle obtenait l’autorisation demandée n’allège pas non plus son fardeau de preuve. En effet, une partie est tenue de présenter sa meilleure preuve le plus tôt possible.

 

[13]           En toute déférence, je ne vois rien d’erroné dans l’appréciation des conditions d’application de la règle 312 faite par le protonotaire. J’ai lu la deuxième série d’affidavits déposée par Apotex, celle que Pfizer cherche à « contrer » dans trois domaines particuliers par sa troisième série. J’ai aussi pris connaissance des deux affidavits que Pfizer veut déposer. Élément plus important, j’ai lu l’ordonnance du juge responsable de la gestion, le protonotaire Aalto, dont l’analyse me paraît convaincante et, les motifs, cohérents.

 

[14]           Selon mon appréciation de la preuve, la deuxième série d’affidavits déposée par Apotex répondait aux cinq affidavits d’expert soumis par Pfizer, accompagnés de 25 documents scientifiques. Les déposants traitaient de la preuve volumineuse figurant dans les cinq affidavits et les documents les accompagnant. Il semble, globalement, que nous ayons atteint le stade où les experts cherchent à discuter entre eux et à débattre du poids à attribuer à des études ou des méthodes statistiques ou de la question de savoir si un rapport a reçu l’approbation d’un organisme de réglementation. Je ne puis conclure que le juge responsable de la gestion de l’instance a appliqué un mauvais principe ou a mal apprécié les faits. Apotex a fourni une preuve écrite en réponse et, s’agissant du type de questions soulevées par Pfizer, si l’on juge nécessaire d’élucider ou de contredire certains points, c’est au contre‑interrogatoire qu’il faut recourir, ainsi que le protonotaire l’a indiqué. Je ne suis pas convaincu que la preuve que Pfizer veut présenter dans sa troisième série d’affidavits soit nécessaire pour permettre un contre‑interrogatoire efficace.

 

[15]           Compte tenu des quatre conditions régissant l’octroi de l’autorisation prévue par la règle 312, j’estime que l’ajout d’autres affidavits à la multiplicité de ceux qui sont déjà déposés n’étant d’aucune utilité à ce stade, le dépôt des affidavits en cause ne servirait pas les intérêts de la justice, que cette preuve n’aiderait pas non plus la Cour, puisque le contre‑interrogatoire serait suffisant, ainsi que l’a conclu le juge chargé de la gestion de l’instance, et qu’il n’a pas été démontré que cette preuve n’était pas disponible ou que sa pertinence n’était pas prévisible. Le protonotaire Aalto a correctement pris en compte les facteurs pertinents, et son analyse n’est en rien erronée.

 

[16]           En conséquence, l’appel est rejeté. Les dépens suivront l’issue de l’instance.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR REND L’ORDONNANCE SUIVANTE :

 

1.      L’appel interjeté par les demanderesses à l’encontre de l’ordonnance en date du 14 décembre 2013 par laquelle le protonotaire Kevin R. Aalto a rejeté dans une large mesure leur requête pour autorisation de déposer deux affidavits en réplique est rejeté.

 

2.      Les dépens suivront l’issue de l’instance.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1555-12

 

INTITULÉ :

PFIZER CANADA INC. et G.D. SEARLE & CO. c APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 11 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

                                                            LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 13 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Andrew Shaughnessy

 

Jaro Mazzola

Jordan Scopa

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

 

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