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Date : 20120411


Dossier : T-564-10

Référence : 2012 CF 410

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

ALCON CANADA INC.

ALCON RESEARCH, LTD. ET

KYOWA HAKKO KIRIN CO., LTD.

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Alcon Canada Inc., Alcon Research, Ltd. et Kyowa Hakko Kirin Co., Ltd. (ci-après désignées collectivement comme Alcon) sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Alcon sollicite une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. (Apotex) avant l’expiration du brevet canadien no 2 195 094 (le brevet 094). 

 

Contexte

[2]               Selon Alcon, le brevet 094 renferme des revendications relatives à une utilisation et une composition nouvelles pour une solution ophtalmique topique contenant de l’olopatadine et destinée au traitement des maladies oculaires allergiques grâce à son rôle de stabilisateur de membrane dans l’œil humain, rôle qui, jusqu’ici, n’était pas reconnu. Au Canada, Alcon commercialise l’olopatadine sous la marque nominative Patanol dans une formulation contenant 0,1 % de chlorhydrate d’olopatadine. 

 

[3]               Apotex a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle dans laquelle elle demande au ministre de lui délivrer un avis de conformité à l’égard d’une solution ophtalmique à usage topique contenant 0,1 % de chlorhydrate d’olopatadine pour le traitement de la conjonctivite allergique (une affection oculaire courante chez l’humain).

 

[4]               Alcon a présenté sa demande en réponse à un avis d’allégation signifié par Apotex, par lettre datée du 24 février 2010. Apotex y alléguait que son produit générique ne constituerait pas une contrefaçon du brevet 094 et qu’en tout état de cause, le brevet 094 était invalide pour cause d’antériorité, d’évidence, de double brevet, de revendications de portée plus large que l’invention, ou de l’absence d’un objet brevetable, et enfin, de l’absence d’une utilité établie ou prédite. 

 

[5]               Dans le dossier qui m’a été soumis, aucune question sérieuse ne se pose en matière de contrefaçon. Si le brevet 094 est valide, il s’ensuit que le produit d’Apotex en contrefait les revendications. 

 

            L’olopatadine et le traitement des maladies oculaires chez l’humain tel qu’il était connu en 1995

[6]               Il n’y a pas de désaccord fondamental entre les témoins quant à la nature et à la physiologie des maladies oculaires allergiques chez l’humain et aux méthodes connues pour les traiter en temps opportun. 

 

[7]               Dans l’ensemble, les parties s’entendent également sur le profil de la personne pouvant être considérée comme « versée dans le domaine ». Il pourrait s’agir, entre autres, d’un pharmacologue, d’un ophtalmologiste, d’un immunologiste ou d’un médecin ayant une bonne connaissance des processus allergiques chez l’humain et du traitement des réactions allergiques, doublée d’un intérêt pour la mise au point de nouveaux traitements. La personne versée dans le domaine doit interpréter le brevet 094 et ses revendications à la date de sa délivrance, ce qui, en l’espèce, correspond au 12 décembre 1996 : voir Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, aux paragraphes 55 à 56, [2000] 2 RCS 1067 [Whirpool].

 

[8]               Les maladies oculaires allergiques sont des troubles courants qui touchent environ 10 % de la population. Elles comprennent la conjonctivite allergique (CA), la conjonctivite papillaire géante (CPG), la conjonctivite saisonnière (CS), la kératoconjonctivite saisonnière (KCS) et la kératoconjonctivite atopique (KCA). Ces maladies se manifestent par une réaction aberrante du système immunitaire qui s’attaque à un allergène perçu à tort comme un envahisseur afin de le détruire ou de l’expulser. 

 

[9]               L’allergie oculaire est la réaction immunitaire que provoque l’exposition à un allergène, ou antigène, chez un individu qui y est déjà sensibilisé et qui, par le fait même, aura déjà formé des anticorps qui se seront fixés aux récepteurs situés sur les mastocytes de l’œil. Ainsi sensibilisés, les mastocytes perdront leurs granules lors d’expositions subséquentes à l’allergène. Ce processus de dégranulation entraîne la libération de divers médiateurs chimiques, dont l’histamine. Ce sont ces médiateurs qui sont à l’origine des symptômes allergiques : démangeaisons, rougeurs, enflure des paupières, larmoiements, etc. 

 

[10]           Bien que l’histamine ne soit qu’un des nombreux médiateurs libérés par les mastocytes (parmi lesquels il faut compter, notamment, plusieurs protéases neutres, chimioattractants et interleukines), elle est une cause majeure des symptômes allergiques de l’œil. 

 

[11]           L’histamine agit en se fixant aux récepteurs de l’histamine. En se fixant lui-même à ces récepteurs, l’antihistaminique bloque les effets de l’histamine. Par analogie, le phénomène est parfois décrit comme consistant à insérer la mauvaise clé dans une serrure. Les antihistaminiques sont une forme utile de traitement des réactions allergiques, mais ils agissent après la libération des médiateurs par les mastocytes et ils bloquent les effets d’un seul médiateur : l’histamine. 

 

[12]           Les maladies allergiques peuvent également être traitées par inhibition de la dégranulation des mastocytes. Ce mode de traitement consiste à administrer un agent de stabilisation de la membrane. Les stabilisateurs de membrane (dont fait partie l’olopatadine) agissent en empêchant la libération de médiateurs par les mastocytes. L’histamine n’est pas le seul médiateur dont la libération est bloquée par cette forme de traitement. Pour certaines maladies, il semblerait que les stabilisateurs de membrane soient plus efficaces qu’un antihistaminique. 

 

[13]           En 1995, l’action de l’acide cromoglicique comme stabilisateur de membrane a été reconnue à partir d’essais sur des animaux, mais on mettait en doute son efficacité chez l’humain. À l’époque, on considérait que les modèles animaux pouvaient servir à prédire l’efficacité des antihistaminiques chez l’humain, mais non celle des stabilisateurs de membrane. On attribuait cette incapacité de prédire les effets de stabilisation de membrane à partir d’essais sur des animaux à un problème d’hétérogénéité des mastocytes, en ce sens que les mastocytes appartenant à des espèces différentes ainsi que ceux trouvés dans des tissus différents d’une même espèce comportaient suffisamment de différences pour qu’un composé soit efficace dans un cas et pas dans l’autre.

 

[14]           Pendant plusieurs années et jusqu’en 1995, il y avait un réel besoin de trouver un stabilisateur de membranes pour le traitement de certaines formes d’allergies oculaires. Alcon s’est donc lancée dans des recherches afin de mettre au point un composé qui serait à la fois un stabilisateur de membrane et un antihistaminique. En 1995, les inventeurs du brevet 094 et d’autres acteurs œuvrant dans ce domaine croyaient que les antihistaminiques n’étaient vraisemblablement d’aucune utilité en tant que stabilisateurs de membrane, car, lors d’essais in vitro effectués à des concentrations plus élevées, on avait observé qu’ils provoquaient la rupture de la membrane cellulaire, ce qui entraînait la libération indésirable de médiateurs (l’effet biphasique), un résultat contraire à l’effet stabilisateur recherché. 

 

[15]           L’un des inventeurs du brevet 094, John Yanni, et un collègue d’Alcon ont mis au point la première méthode d’essai permettant d’évaluer les propriétés de stabilisation d’un médicament sur les mastocytes de la conjonctive humaine (l’essai MCH). Plus tard, soit le 8 octobre 1993, une demande de brevet a été déposée aux États-Unis pour l’essai MCH. 

 

[16]           Grâce à l’essai MCH, M. Yanni a pu effectuer des tests sur quelque 150 composés. Alcon a obtenu un grand nombre de ces composés d’autres sociétés en vertu d’accords de transfert et ces composés étaient connus pour leur profil antiallergique. C’est ainsi qu’en 1991, Alcon a obtenu de Kyowa Hakko Kirin Co., Ltd. (Kyowa) l’olopatadine, que l’on savait être un antihistaminique utile dans le traitement des allergies oculaires chez l’humain. M. Yanni considérait l’olopatadine comme un antihistaminique et il craignait un éventuel effet biphasique. Après l’avoir mise à l’épreuve, il a constaté qu’à certaines doses, elle avait des propriétés stabilisantes sur la membrane et que ces propriétés étaient fonction du dosage. À des doses thérapeutiques, on a conclu que l’olopatadine n’avait pas d’effet biphasique.

 

[17]           En 1997, Alcon a lancé l’olopatadine sur le marché sous la marque Patanol et le produit a remporté un succès commercial considérable pour le traitement des allergies oculaires. 

 

Analyse

[18]           L’issue de la présente demande dépend de l’interprétation des revendications. C’est une question de droit que la Cour doit trancher, mais avec l’aide de témoins experts : voir Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, paragraphe 39, [2007] ACF n767 (QL).

 

[19]           La question du fardeau de la preuve dans les instances relatives à des avis de conformité est désormais chose jugée, et je souscris à l’analyse suivante, à laquelle a procédé le juge Roger Hughes dans la décision Eli Lilly Canada Inc c. Apotex Inc, 2009 CF 320, aux paragraphes 37 à 40, 346 FTR 78 :

37     Je croyais que la question de savoir qui supporte le fardeau de la preuve dans les instances relatives aux avis de conformité, relativement à la validité ou à la contrefaçon d’un brevet, était aujourd’hui réglée, mais les parties persistent à en débattre. Il semble que la décision que j’ai récemment rendue dans l’affaire Brystol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, ait procuré des munitions fraîches à ceux qui souhaitent constamment ramener la question sur le tapis. Je tiens à dire que, dans Brystol-Myers, mon intention n’était pas d’appliquer un fardeau différent de celui dont j’avais fait état dans des décisions antérieures.

 

38     Pour être tout à fait clair, pour ce qui est du fardeau relatif à l’invalidité, j’ai passé en revue le droit, et en particulier des arrêts récents de la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2008), 69 C.P.R. (4th) 191, 2008 CF 11, et je suis arrivé à la conclusion suivante au paragraphe 32 :

 

32        À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2007] A.C.F. no 971, 2007 CF 971 (paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :

 

1. La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité;

 

2. La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs;

 

3. La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation;

 

4. La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.

 

5. La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.

 

6. Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.

 

39     J’ai exposé la question d’une manière plus succincte dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 500, au paragraphe 12 :

 

12        La seule question qui se pose en l’espèce est la validité. Pharmascience a soulevé trois arguments à cet égard. Pfizer et Pharmascience ont toutes deux présenté des éléments de preuve et fait des observations sur ces points. Au bout du compte, il me faut trancher l’affaire selon la prépondérance de la preuve, en me fondant sur les éléments de preuve dont je dispose et sur le droit actuellement en vigueur. Si, au vu des éléments de preuve, je conclus que l’affaire s’équilibre, il me faudra conclure que Pfizer n’a pas établi que l’allégation de Pharmascience est injustifiée.

 

40     Selon moi, les décisions qui précèdent énoncent correctement le droit qui s’applique au fardeau de la preuve dans les instances relatives aux avis de conformité, pour ce qui est de la question de l’invalidité.

 

[Les italiques figurent dans le texte original.]

 

 

[20]           Alcon ne fait valoir que deux des 25 revendications du brevet 094, soit la revendication 8 (une revendication d’utilisation) et la revendication 20 (une revendication de composition), mais comme il s’agit de revendications subordonnées, elle admet qu’elles doivent être interprétées en fonction de l’ensemble des revendications dont elles dépendent (à savoir, les revendications 1 et 13, respectivement). Par souci de commodité, je reproduis ici en entier les revendications du brevet 094 :

[traduction]

 

REVENDICATIONS :

 

1.         Utilisation d’une composition ophtalmique pour usage topique contenant une quantité thérapeutiquement efficace d’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, en association avec un excipient pharmaceutiquement acceptable, pour le traitement des allergies oculaires.

 

2.         L’utilisation de la revendication 1, où la composition est une solution dont la teneur en acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est de 0,0001 % à environ 5 % (poids/volume). 

 

3.         L’utilisation de la revendication 2, où la teneur en acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,001 % à environ 0,2 % (poids/volume).

 

4.         L’utilisation de la revendication 3, où la teneur en acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,1 % (poids/volume).

 

5.         L’utilisation de la revendication 1, où l’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est l’acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique, essentiellement exempt d’acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique.

 

6.         L’utilisation de la revendication 5, où la teneur en acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est de 0,0001 % à environ 5 % (poids/volume).

 

7.         L’utilisation de la revendication 6, où la teneur en acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,001 % à environ 0.2% (poids/volume). 

 

8.         L’utilisation de la revendication 7, où la teneur en acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est de 0,1 % (poids/volume).

 

9.         L’utilisation de la revendication 1, où l’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est l’acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique, essentiellement exempt d’acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique.

 

10.       L’utilisation de la revendication 9, où la teneur en acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,0001 % à environ 5 % (poids/volume).

 

11.       L’utilisation de la revendication 10, où la teneur en acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,001 % à environ 0,2 % (poids/volume).

 

12.       L’utilisation de la revendication 11, où la teneur en acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,1 % (poids/volume).

 

13.       Une composition ophtalmique pour usage topique pour le traitement des allergies oculaires contenant une quantité thérapeutiquement efficace d’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, en association avec un excipient pharmaceutiquement acceptable.

 

14.       La composition de la revendication 13, où la teneur en acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,0001 % à environ 5 % (poids/volume).

 

15.       La composition de la revendication 14, où la teneur en acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,001 % à environ 0,2 % (poids/volume).

 

16.       La composition de la revendication 15, où la teneur en acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,1 % (poids/volume).

 

17.       La composition de la revendication 13, où l’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est l’acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique, essentiellement exempt d’acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique.

 

18.       La composition de la revendication 17, où la teneur en acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,0001 % à environ 5 % (poids/volume).

 

19.       La composition de la revendication 18, où la teneur en acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,001 % à environ 0,2 % (poids/volume).

 

20.       La composition de la revendication 19, où la teneur en acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,1 % (poids/volume).

 

21.       La composition de la revendication 13, où l’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est l’acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique, essentiellement exempt d’acide (Z)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique.

 

22.       La composition de la revendication 21, où la teneur en acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz [b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,0001 % à environ 5 % (poids/volume).

 

23.       La composition de la revendication 22, où la teneur en acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,001 % à environ 0,2 % (poids/volume).

 

24.       La composition de la revendication 23, où la teneur en acide (E)-11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique est d’environ 0,1 % (poids/volume).

 

25.       L’utilisation d’une composition définie dans l’une ou l’autre des revendications 13 à 24 dans la préparation d’un médicament pour le traitement des allergies oculaires.

 

 

[21]           Ce sont les énoncés des revendications 1 et 13 qui font l’objet d’un litige entre les parties, en particulier, les mots « traitement » et « allergies oculaires ». 

 

[22]           Du fait que l’olopatadine était un antihistaminique dont on connaissait déjà l’utilité dans le traitement des allergies oculaires chez l’humain, Apotex soutient qu’il est évident, à la seule lecture du brevet 094, que celui‑ci revendique un monopole sur un composé connu pour un ancien usage. Alcon concède que si cette interprétation est retenue, il faudrait conclure à l’invalidité du brevet 094 pour cause d’évidence. 

 

[23]           Alcon prétend que le brevet 094 renferme une revendication d’utilisation nouvelle de l’olopatadine pour le traitement des allergies oculaires grâce à la découverte de ses propriétés d’agent de stabilisation de la membrane oculaire chez l’humain, propriétés qui ne lui étaient pas reconnues jusque‑là. Alcon préconise une interprétation contextuelle des termes « traitement » et « allergies oculaires » qui aurait pour effet d’introduire dans le texte des revendications 1 et 13 une restriction concernant la découverte de l’utilité de l’olopatadine en tant que stabilisateur de membrane et d’antihistaminique pour le traitement des maladies oculaires de l’humain faisant intervenir une dégranulation mastocytaire. Alcon prétend qu’une telle interprétation respecte l’esprit de ce qui est divulgué dans le brevet 094. Par conséquent, Alcon propose d’interpréter les revendications 8 et 20 comme suit :

                  [traduction]

 

1)         une composition adaptée à une utilisation dans le milieu oculaire et à appliquer à la surface de l’œil;

 

2)         contenant de l’olopatadine (ou l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables);

 

3)         avec une présence d’isomères trans de l’olopatadine inférieure à 2 % ;

 

4)        dont la concentration en olopatadine est de 0,1 % (poids/volume);

 

5)         ayant sur les MCH une action stabilisatrice et antihistaminique (une « double action ») pertinente du point de vue clinique pour la prévention et le traitement des allergies oculaires chez l’humain, où la dégranulation des mastocytes contribue au développement de l’état pathologique (tel que la CA, la CS, la KCA et la CPG).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Résumé de l’argumentation de la demanderesse – Interprétation, paragraphe 53.

 

 

[24]           Bien que les parties s’entendent pour dire que l’interprétation des revendications d’un brevet  doit se faire selon une analyse téléologique et conforme aux principes énoncés dans les arrêts Whirlpool et Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024 [Free World], leurs points de vue divergent pour ce qui est de savoir jusqu’à quel point il est possible d’interpréter le libellé d’une revendication en se fondant sur des renseignements figurant uniquement dans les documents divulgués. Alcon prétend qu’un lecteur versé dans le domaine doit dégager le sens du brevet à partir de son contexte global. Apotex affirme qu’une interprétation contextuelle et téléologique ne va pas jusqu’à autoriser la reformulation de revendications pour y inclure des éléments essentiels manquants. 

 

[25]           Le libellé des revendications est un élément essentiel de l’avis public exigé, et le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, en souligne l’importance :

27. (4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

 

 

[26]           La Cour suprême du Canada souligne l’utilité et l’importance d’exiger que les revendications des brevets soient rédigées de façon claire dans l’arrêt Free World, précité, aux paragraphes 14, 15 et 42 :

14     Les revendications d’un brevet sont souvent comparées à des « clôtures » et à des « frontières » qui délimiteraient clairement les « champs » faisant l’objet du monopole. Ainsi, dans la décision Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines, Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, le président Thorson s’exprime dans les termes suivants, à la p. 352 :

 

[traduction]  En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.

 

15     En réalité, les « clôtures » sont souvent constituées d’une superposition complexe de définitions de différents éléments (ou « composants » ou « caractéristiques » ou « parties intégrantes ») dont la complexité, l’interchangeabilité et l’ingéniosité sont variables. Un ensemble de mots et d’expressions définit le monopole, met le public en garde et piège le contrefacteur. Dans certains cas, les éléments précis de la « clôture » peuvent être cruciaux ou « essentiels » au fonctionnement de l’invention revendiquée; dans d’autres, l’inventeur peut envisager que des variantes puissent aisément être employées ou substituées sans que cela ne modifie substantiellement le fonctionnement de l’invention, et la personne versée dans l’art qui prend connaissance de la teneur de la revendication peut le constater. Il incombe au tribunal appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non–essentiel et d’accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide.

 

42     Le régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général. La réalisation de ces objectifs est cependant compromise lorsqu’un concurrent craint de marcher dans les plates‑bandes du titulaire d’un brevet dont la portée n’est pas raisonnablement précise et certaine. Le brevet dont la portée est incertaine devient [traduction] « une nuisance publique » (R.C.A. Photophone, Ld. c. Gaumont–British Picture Corp. (1936), 53 R.P.C. 167 (C.A. Angl.), à la p. 195). Les concurrents éventuels sont dissuadés d’œuvrer dans des domaines qui, en fait, échappent à la portée du brevet même lorsque, à l’issue d’une longue et coûteuse instance (les frais de justice en la matière pouvant effectivement être très élevés, et la procédure très longue), un tribunal pourrait confirmer que ce qu’un concurrent projette de faire est parfaitement licite. Les sommes qui auraient pu être investies sont perdues ou affectées à autre chose. La concurrence est « gelée ». Le breveté jouit d’un monopole plus grand que celui que l’État a voulu lui accorder. L’incertitude se double d’un grave préjudice économique, et il convient que le droit des brevets s’efforce de réduire le plus possible ce préjudice.

 

 

[27]           Nonobstant les mises en garde susmentionnées, il est bien établi en droit que l’interprétation téléologique exige de la Cour qu’elle examine le libellé des revendications en fonction du sens que le breveté aurait normalement prêté aux termes utilisés, et non pas à travers le prisme de la littéralité stricte. Même un terme qui semble clair et non ambigu peut, lorsqu’il est lu en contexte, raisonnablement avoir un sens différent. L’arrêt Whirlpool, précité, invite également à ne pas examiner les mots du point de vue du grammairien, mais plutôt à la lumière des connaissances usuelles du travailleur moyennement versé dans le domaine auquel le brevet a trait. Il est donc admissible d’examiner la description du brevet afin de s’assurer du sens technique des termes utilisés dans les revendications.

 

[28]           Je n’ai aucune peine à admettre que l’interprétation téléologique puisse élargir ou limiter un texte interprété au sens littéral : voir l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 49. Il me semble cependant juridiquement hasardeux d’établir les caractéristiques essentielles de l’invention dont font état les revendications en se servant de la description, en particulier si la description ne définit pas clairement la portée de l’invention. Autrement dit, même si une personne a recours à la description pour interpréter les revendications, « la portée exacte et précise de la propriété et du privilège exclusifs revendiqués » doit toujours être claire : voir Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, au paragraphe 26, 122 DLR (3d) 203. 

 

[29]           Dans l’arrêt BVD Co c Canadian Celanese Ltd, [1937] RCS 441, [1937] 3 DLR 449 [arrêt BVD], la Cour a refusé de voir dans une revendication de brevet une caractéristique « essentielle » d’une invention et a invalidé le brevet parce que les revendications, telles qu’elles étaient rédigées, dépassaient la portée de l’invention. Je reconnais, comme le rappelle Alcon, que cette décision est antérieure aux arrêts Whirlpool et Free World, précités, et à leur élaboration des principes de l’interprétation téléologique. Néanmoins, l’arrêt BVD n’a pas été infirmé et continue de souligner l’importance de veiller à ce qu’un brevet délimite clairement l’objet de l’invention et l’importance du libellé des revendications pour établir cette délimitation : voir aussi Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, paragraphe 77, [2008] 3 RCS 265; Amfac Foods Inc c Irving Pulp & Paper, Ltd, [1986] ACF n659 (QL), 72 NR 290 (CA). 

 

[30]           Je retiens de ces précédents que le recours à la description est admissible, mais seulement pour comprendre le sens de mots ou d’expressions utilisés dans les revendications. L’information essentielle qui est contenue dans la description, mais qui n’a pas d’utilité pour la recherche du sens du libellé des revendications, ne peut pas être importée implicitement pour nuancer les revendications : voir Janssen-Ortho Inc c Canada (Santé), 2010 CF 42, paragraphe 119, 361 FTR 268 [décision Janssen-Ortho]. Il ne convient pas non plus d’attribuer un sens à des mots des revendications en s’appuyant sur des phrases prises ici et là dans la description : voir Electric & Musical Industries, Ltd c Lissen Ltd (1939), 56 RPC 23, page 41. 

 

[31]           La première étape dans une instance relative à un brevet consiste à interpréter les revendications sans égard à la validité ni à la contrefaçon : voir l’arrêt Whirlpool, précité, paragraphe 43. Lorsqu’un doute surgit au sujet du sens des revendications, il faut d’abord en examiner le libellé, puis se reporter à la description, si nécessaire : voir la décision Janssen-Ortho, précitée, paragraphe 116.

 

[32]           Alcon prétend qu’une personne versée dans le domaine aurait compris, à l’époque pertinente, que le brevet 094 revendique une nouvelle utilisation de l’olopatadine dans le traitement des allergies oculaires en raison de la découverte de son action stabilisante sur la membrane, conjuguée à son utilité déjà connue comme antihistaminique. 

 

[33]           Alcon reconnaît qu’une simple lecture permet de constater que des revendications en cause relatives à l’utilisation de l’olopatadine dans le traitement des allergies oculaires excèdent la portée de son invention. En ayant recours à la divulgation, Alcon cherche à donner à ce libellé extensif une interprétation atténuée et à limiter les revendications à cette [traduction] « action stabilisatrice et antihistaminique (une « double action ») pertinente du point de vue clinique pour la prévention et le traitement des allergies oculaires chez l’humain, où la dégranulation des mastocytes contribue au développement de l’état pathologique (tel que la CA, la CS, la KCA et la CPG) »: Résumé de l’argumentation de la demanderesse – Interprétation, paragraphe 53. 

 

[34]           Voici quelques‑uns des passages de la divulgation du brevet 094 sur lesquels s’appuient les témoins d’Alcon pour atténuer l’interprétation du libellé des revendications :

[traduction]

 

La présente invention a trait à des formulations ophtalmiques topiques utilisées pour le traitement des allergies oculaires, telles que la conjonctivite allergique, la conjonctivite saisonnière, la kératoconjonctivite saisonnière et la conjonctivite papillaire géante. Plus particulièrement, la présente invention a trait à un usage topique de l’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique à des fins thérapeutiques et prophylactiques pour le traitement et/ou la prévention des allergies oculaires.

 

[…]

 

            Les formulations ophtalmiques topiques qui contiennent des médicaments ayant une activité au niveau des mastocytes du tissu conjonctif peuvent n’être appliquées que toutes les 12 à 24 heures au lieu d’une fois toutes les 2 à 4 heures. L’un des inconvénients de l’utilisation ophtalmique des médicaments antiallergiques rapportés qui n’ont dans les faits aucune action stabilisante sur les mastocytes au niveau du tissu conjonctif humain est l’augmentation de la fréquence des applications. Du fait que l’efficacité des formulations ophtalmiques contenant des médicaments qui n’ont pas d’activité au niveau des mastocytes conjonctifs provient principalement d’un effet placebo, des doses plus fréquentes sont normalement nécessaires par rapport aux médicaments qui montrent une activité à ce niveau.

 

[…]

 

            Ce qui est nécessaire, ce sont des composés médicamenteux administrables topiquement qui aient une activité de stabilisation reconnue sur les mastocytes obtenus de conjonctive humaine, les cellules ciblées pour traiter les maladies oculaires allergiques. Ce qui est également nécessaire, ce sont des méthodes d’administration locales pour le traitement des allergies oculaires. 

 

[…]

 

            La présente invention offre une méthode de traitement des allergies oculaires caractérisée par l’administration à l’oeil d’une formulation ophtalmique topique contenant une quantité thérapeutiquement efficace d’acide 11-(3-diméthylaminopropylidène)-6, 11-dihydrodibenz[b,e]oxépine-2-acétique (appelé ci‑après « composé A ») ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables. 

 

[…]

 

            Le composé A a une activité stabilisante au niveau des mastocytes conjonctifs et peut être appliqué aussi peu fréquemment qu’une fois ou deux par jour dans certains cas. En plus de son activité stabilisante des mastocytes, le composé A présente également une 
activité antihistaminique significative. C’est ainsi qu’en plus d’un effet prophylactique, le composé A aura également un effet thérapeutique. 

 

[…]…

 

            Comme le Tableau 1 le montre clairement, les médicaments antiallergiques cromoglycate disodique et nédocromil n’inhibent pas de façon significative la dégranulation des mastocytes conjonctifs humains. Par contre, le composé A (isomère cis) a produit une inhibition de la dégranulation des mastocytes qui dépend de la concentration.

 

 

[35]           Alcon et ses témoins experts soutiennent que les passages qui précèdent inciteraient une personne versée dans le domaine à conclure que les revendications en question ne visent pas généralement l’utilisation de l’olopatadine pour le traitement des allergies oculaires. Les renseignements divulgués portent exclusivement sur la capacité de l’olopatadine de stabiliser les mastocytes de l’œil chez l’humain et son utilisation dans le traitement des maladies où la dégranulation mastocytaire constitue un problème. En outre, Alcon prétend que l’utilité inventive de l’olopatadine réside en partie dans le fait qu’il peut être utilisé comme agent prophylactique ayant une double action. Alcon affirme également que les renonciations relatives aux réalisations antérieures figurant dans la divulgation du brevet 094 renseignent le lecteur versé dans le domaine sur ce qui ne fait pas partie des revendications. 

 

[36]           Alcon exhorte la Cour à donner au mot « traitement » figurant dans la revendication 1 une interprétation qui cadre avec le fait qu’elle qualifie l’action stabilisante de l’olopatadine sur les mastocytes de nouvel usage médical. Selon elle, le lecteur versé dans le domaine comprendrait que si on l’interprète dans son contexte, le mot « traitement » n’est pas employé au sens général et qu’il doit impliquer autre chose que l’utilisation de l’olopatadine comme antihistaminique. Alcon prétend également que l’utilisation de l’olopatadine comme stabilisateur de membrane pour le traitement des allergies oculaires ne s’accompagne pas forcément d’un traitement antihistaminique étant donné l’absence de chevauchement entre les gammes de doses propres à chaque méthode de traitement. Par conséquent, il y a lieu d’établir une distinction entre l’utilisation de l’olopatadine pour le traitement préventif des allergies oculaires et son utilité en tant qu’antihistaminique. 

 

[37]           Dans le même ordre d’idées, Alcon invite la Cour à adopter une interprétation restrictive du terme « allergies oculaires », lesquelles ne comprennent pas, selon ses dires, les affections qui ne peuvent être traitées au moyen d’un stabilisateur de membrane. Cette exclusion serait évidente pour la personne versée dans le domaine, car le mémoire descriptif ne donne que quatre exemples de maladies oculaires qu’il est possible de traiter et que chacune d’elle implique, du moins dans une certaine mesure, une dégranulation des mastocytes. Par conséquent, Alcon soutient qu’il y a lieu de considérer cette caractéristique commune comme faisant partie des revendications pertinentes malgré qu’il n’en soit pas fait mention. 

 

[38]           D’entrée de jeu, il importe de souligner que les revendications ne font nulle part mention d’une découverte d’une utilisation nouvelle et inventive de l’olopatadine. De même, on n’y trouve aucune allusion à quelque activité particulière ou à une double activité susceptible de restreindre l’utilisation revendiquée de l’olopatadine. Bien que les caractéristiques de ce profil d’activité soient décrites dans la divulgation et qu’elles soient quantifiées au regard des propriétés stabilisatrices de l’olopatadine sur la membrane, ces données ne sont pas non plus reliées à quelque forme nouvelle d’utilisation clinique. En fait, le résumé de l’invention parle d’une méthode de traitement et non d’une utilisation, ce qui semble conforme au brevet prioritaire américain, qui revendiquait une méthode de traitement médical faisant appel aux propriétés stabilisatrices de l’olopatadine sur la membrane. Et même si l’argumentation d’Alcon accorde une importance considérable au fait que l’olopatadine ait une double action et à l’élimination de l’effet biphasique, rien dans le mémoire descriptif ne permet de croire que ces caractéristiques font partie de la promesse inventive du brevet 094. 

 

[39]           Par ailleurs, les passages de la divulgation invoqués par Alcon ne précisent ni la nature ni la portée de l’invention. On n’y trouve aucune mention distincte et explicite de l’objet de l’invention, que ce soit sous la forme d’une nouvelle utilisation ou une autre forme. Malgré des allusions à l’utilisation prophylactique de l’olopatadine, à la fréquence d’administration des doses et à l’activité de stabilisation présentée à des concentrations spécifiques, aucune de ces caractéristiques n’est clairement désignée comme faisant partie de l’idée originale et leur libellé n’est d’aucune aide pour ce qui est de cerner avec précision le sens des termes litigieux des revendications 1 et 13. 

 

[40]           De plus, en ce qui concerne la distinction entre usages prophylactique et thérapeutique, malgré l’importance qu’y accorde Alcon, les termes choisis sont d’une remarquable imprécision. À titre d’exemple, dans certains passages de la divulgation, une distinction est établie entre les utilisations thérapeutique et prophylactique de l’olopatadine : on peut y lire que l’utilisation thérapeutique sert au traitement et l’utilisation prophylactique, à la prévention. Toutefois, ailleurs dans le texte, le mot « traitement » est employé dans son acception générale sans qu’une distinction soit faite quant aux moyens d’obtenir ce résultat clinique, et le mot « thérapeutique » renvoie à un dosage (voir la revendication 1 et la revendication 13). 

 

[41]           Cette absence d’uniformité dans l’utilisation des termes se reflète dans la preuve. Aux dires des propres témoins d’Alcon, d’un point de vue clinique, aucune ligne de démarcation nette ne circonscrit l’utilisation de l’olopatadine en tant que thérapie préventive[1]

 

[42]           Selon le sens ordinaire de la revendication 1, il semble que l’olopatadine puisse servir à traiter un éventail d’allergies oculaires qui ne se limite pas aux quatre exemples donnés dans la divulgation et, naturellement, il n’est déclaré nulle part dans le brevet, en termes explicites, que les revendications ne portent que sur le traitement d’affections comportant la dégranulation des mastocytes. Sur cet aspect, la divulgation ne pose aucune limite. 

 

[43]           Les déclarations faites par les témoins d’Alcon au sujet du libellé des revendications en litige ne sont pas d’une grande utilité puisqu’elles reposent sur des passages imprécis de la divulgation. Ces témoins ont évité toute allusion aux passages dont le contenu s’écartait de leur point de vue en plus d’attribuer au mot « traitement » une signification boiteuse qui semble cadrer davantage avec les intérêts d’Alcon sur le plan juridique qu’avec l’appréciation objective d’un lecteur versé dans le domaine. 

 

[44]           Sur ces questions d’interprétation, M. Church a souscrit un affidavit dans lequel il déclare ce qui suit :

[traduction]

 

62.       Après examen de l’ensemble du brevet 094, la personne versée dans le domaine saisirait immédiatement le sens de l’expression « traitement des allergies oculaires » employée dans les revendications du brevet 094. Comme nous l’avons vu précédemment, il est fait référence, à la page 4 du brevet, lignes 11 à 13, au « traitement des allergies oculaires » en apportant une aide aux cellules cibles, c’est‑à‑dire les mastocytes de la conjonctive chez l’humain. Ce passage fait état de la nécessité de disposer d’un médicament présentant une activité stabilisante sur des mastocytes provenant d’une conjonctive humaine, lesquels constituent les cellules cibles dans le traitement des allergies oculaires. Ainsi, une personne versée dans le domaine comprendrait que le « traitement » implique de stabiliser les mastocytes de la conjonctive humaine (ou en d’autres termes, de prévenir la dégranulation des mastocytes) à un degré appréciable. Il comprendrait que l’expression « allergies oculaires » renvoie aux maladies comportant une dégranulation des mastocytes, du moins en partie. À la page 1, 11. 10 à 12 du brevet, on trouve quelques exemples de ce genre d’« allergies oculaires ». Dans ce passage, il est énoncé que « [l]a présente invention a trait à des formulations ophtalmiques topiques utilisées pour le traitement des allergies oculaires, telles que la conjonctivite allergique, la conjonctivite saisonnière, la kératoconjonctivite saisonnière et la conjonctivite papillaire géante ». Étant donné que l’une des caractéristiques communes de ces maladies est le fait qu’en décembre l996, on considérait qu’elles comportaient comme composante essentielle ou partielle une dégranulation mastocytaire, la personne versée dans le domaine aurait compris que l’expression « allergies oculaires » désignait les maladies comportant une dégranulation des mastocytes.

 

63.       Bien que la stabilisation mastocytaire ne « guérisse » pas toutes ces maladies que l’on appelle « allergies oculaires », la personne versée dans le domaine comprendrait néanmoins qu’elle « traite » ces maladies (peut-être même en tant que thérapie complémentaire).

 

64.       La personne versée dans le domaine aurait saisi que le « traitement » par stabilisation de la membrane conjonctive chez l’humain est une activité qui vient s’ajouter à l’activité antihistaminique antérieurement connue du composé A. Par conséquent, elle aurait compris que dans l’expression « traitement des allergies oculaires », le mot « traitement » désigne le traitement prophylactique et/ou thérapeutique des allergies oculaires chez l’humain par une stabilisation importante de la membrane conjonctive en plus de l’activité antihistaminique. L’idée originale des revendications réside dans le fait qu’en plus d’avoir une activité antihistaminique connue, le composé A peut être utilisé à des concentrations pertinentes du point de vue clinique pour prévenir la libération de l’histamine par les mastocytes de la conjonctive humaine .

 

Voir aussi l’affidavit de Martin K. Church, Ph. D., D. Sc. (31 mai 2011), paragraphes 5 à 7 : affidavit de Phil Lieberman (19 janvier 2011), paragraphes 81, 83 et 92 [affidavit de M. Lieberman].

 

Dans son affidavit, le M. Lieberman traite de ce même point, au paragraphe 172 : 

172.     Aux paragraphes 78, 79 et 85 de son affidavit, monsieur Buckley prétend que le brevet 094 décrit un mécanisme d’action de l’olopatadine plutôt qu’une nouvelle utilisation. Je ne suis pas d’accord. L’utilisation revendiquée dans le brevet 094 est nouvelle, car on n’y a jamais fait appel pour le traitement des allergies de l’œil ou la stabilisation de la membrane conjonctive chez l’humain. Le terme « traitement », au sens où il est employé dans les revendications, renvoie à un rôle de stabilisation importante de la membrane conjonctive, distinct du rôle antihistaminique.

 

Affidavit de M. Lieberman, paragraphe 172.

 

 

[45]           Dans ces témoignages, le mot « traitement » est assimilé au mode de fonctionnement de l’olopatadine (par exemple, [traduction] « aide aux cellules cibles », [traduction] « le "traitement" implique de stabiliser les mastocytes de la conjonctive humaine », [traduction] « la stabilisation mastocytaire […] ‘traite’ ces maladies »). Outre l’allusion à une possible utilisation prophylactique, M. Church et les autres témoins d’Alcon ne relèvent aucune nouvelle utilisation clinique de l’olopatadine découlant de la découverte de ses propriétés de stabilisateur de membrane, sauf pour ce qui est d’affirmer que si l’olopatadine n’a jamais été utilisée par le passé comme stabilisateur de membrane, il s’agit forcément d’une nouvelle utilisation, ce qui relève du sophisme. À mon sens, ce raisonnement étend abusivement le sens du mot « traitement » et la notion de découverte d’une nouvelle utilisation. L’information mise au jour par Alcon est certes utile, mais cela n’en fait pas en soi une nouvelle utilisation de l’olopatadine. Le clinicien traite un patient souffrant d’une réaction allergique de l’œil en en faisant disparaître les signes et symptômes gênants ou délétères. À moins qu’une nouvelle utilisation clinique soit proposée pour un ancien médicament, les nouvelles connaissances recueillies quant à son fonctionnement ne sont pas brevetables. Il en va de même pour le fait de découvrir que l’efficacité de l’olopatadine dans le traitement des allergies oculaires est plus importante que ce que l’on croyait (voir l’affidavit de Martin K. Church, Ph. D., D. Sc. (24 janvier 2011), paragraphes 42, 43 et 46 à 48 [l’affidavit de M. Church]), car cette efficacité accrue du médicament était une propriété inhérente à son utilité connue en tant qu’antihistaminique : voir AztraZeneca AB c Apotex Inc, 2007 CF 688, paragraphes 50 à 52 et 80 à 88, 314 FTR 177. 

 

[46]           Les témoins d’Apotex ont opiné que le mot « traitement » s’entend du soulagement thérapeutique des signes et symptômes d’allergie oculaire sans égard au mécanisme d’action, ce qui est conforme au sens ordinaire de la revendication 1 et évite une assimilation peu naturelle de ce mot à l’activité biologique de l’olopatadine comme stabilisateur de membrane. 

 

[47]           Alcon soutient qu’en contre‑interrogatoire, M. Buckley et Mme Calder sont revenus sur ce qu’ils déclaraient dans leurs affidavits respectifs en concédant que la revendication 1 englobait implicitement l’utilisation de l’olopatadine comme stabilisateur de membrane. Or, à mon sens, aucun des témoins n’a fait une concession si peu nuancée. M. Buckley a répondu à des questions se rapportant à des passages de la divulgation qui renvoyaient aux effets prophylactiques et thérapeutiques de l’olopatadine, mais après avoir été interrogé plus longuement, il a déclaré que le brevet 094 [traduction] « prétend traiter et prévenir, peut-être, mais sans revendiquer de voie ou de mécanismes pharmacologiques » : contre‑interrogatoire lors de l’interrogatoire oral de M. Roger Buckley (16 août 2011), p. 43 [contre‑interrogatoire de M. Buckley]. Dans la mesure où le DBarney a convenu que les antihistaminiques pouvaient être utilisés à titre préventif, ce témoignage n’est pas particulièrement probant. 

 

[48]           De même, le témoignage offert par Mme Calder en contre-interrogatoire n’est pas aussi limpide que ce qu’affirme Alcon. Celle‑ci s’appuie en grande partie sur des extraits du témoignage de Mme Calder qui ont trait à des énoncés tirés de la divulgation du brevet 094 et non des revendications mêmes. De plus, la grande majorité des questions portaient sur l’[traduction] « idée originale » du brevet et non sur le mot « traitement » figurant dans la revendication 1. Qu’elle semble avoir reconnu que les exemples de maladies énumérés dans la divulgation supposaient une utilisation de l’olopatadine [traduction] « autre que comme simple antihistaminique » ne change rien, à mon sens, à son témoignage selon lequel le mot « traitement », dans la revendication 1, ne doit pas être compris comme un traitement par stabilisateur de membrane ou agent ayant une double action. J’estime que les réponses qu’elle a données en contre‑interrogatoire ne sont pas incompatibles avec son affidavit, dans lequel elle affirme que la teneur des revendications 1 et 13 ne se limite pas à une utilisation de l’olopatadine comme stabilisateur de membrane ou médicament à double action. 

 

[49]           Alcon soutient que l’expression « allergies oculaires » devrait également recevoir une interprétation atténuée en limitant la revendication aux maladies impliquant une dégranulation de la membrane. Je souscris à l’opinion des témoins experts d’Alcon, qui ont affirmé qu’une personne versée dans le domaine est en mesure de comprendre, sans qu’on ne lui indique, que chacune des maladies énumérées dans la divulgation implique, dans une certaine mesure, une dégranulation mastocytaire. Cela ne signifie pas pour autant que cette personne considérerait cette limitation comme faisant partie intégrante des revendications. En fait, je ne puis concevoir que le rédacteur des documents puisse omettre d’inclure quelque référence que ce soit à cet élément restrictif essentiel tant dans les revendications que dans la divulgation en laissant au lecteur le soin de tirer les conclusions qui s’imposent. En s’abstenant de définir de façon limitative le groupe de maladies susceptibles d’être traitées avec l’olopatadine, Alcon produit précisément l’effet inverse en nous poussant à conclure qu’elle revendiquait une utilisation illimitée de l’olopatadine, mise à part une référence d’ordre général au traitement des allergies oculaires. Contrairement à ce qu’on peut lire au paragraphe 47 de l’affidavit du Dr Barney, le texte remarquablement flou du brevet 094 ne permet pas de déterminer si l’intention était d’inclure la limite proposée par Alcon. Cela est particulièrement vrai pour les maladies comme la KCA, car dans son cas, la dégranulation des mastocytes ne représente qu’un aspect de la pathologie et le rôle de l’olopatadine se limiterait à une forme de thérapie auxiliaire ou complémentaire : voir le contre-interrogatoire de M. Buckley, pp. 1805 à 1808; l’affidavit de M. Church, paragraphe 63. Ce constat écarte l’idée qu’une personne versée dans le domaine conclurait que les revendications du brevet 094 se limitent au traitement des allergies oculaires impliquant une dégranulation des mastocytes. 

 

[50]           Je ne peux m’appuyer sur la preuve dont je dispose pour faire abstraction du sens ordinaire des revendications 1 et 13 et il me semble, en outre, qu’il n’est pratiquement jamais acceptable de limiter la portée du texte d’une revendication de brevet sur la foi d’une déduction qu’il faut tirer à partir de la divulgation. 

 

[51]           Il aurait pourtant été très simple de formuler la restriction proposée par Alcon et de limiter clairement le champ d’application du monopole à l’utilisation de l’olopatadine comme stabilisateur de membrane dans le traitement des maladies pour lesquelles la dégranulation de la membrane présente un intérêt clinique. Il n’est pas raisonnable d’inclure ces restrictions en se fondant sur une déduction devant être tirée à partir d’une caractéristique qui est commune aux maladies citées à titre d’exemple, mais qui n’est pas mentionnée explicitement, et ce, particulièrement au vu du fait que l’olopatadine était déjà un antihistaminique connu pouvant être utilisé isolément ou en tant que thérapie complémentaire dans le traitement de ces mêmes allergies oculaires. Cette conclusion est particulièrement évidente si l’on considère que plusieurs des revendications du brevet 094 font référence à des doses d’olopatadine qui, d’après les données expérimentales figurant dans le Tableau 1, ne produiraient aucun effet efficace de stabilisation de la membrane. Bien qu’Alcon n’invoque aucune de ces revendications problématiques en l’espèce, le lecteur avisé doit tenter d’interpréter toutes les réclamations en fonction du contexte, et non isolément. Or, compte tenu de ces doses inférieures, la conclusion à raisonnable à laquelle ce lecteur arriverait serait qu’Alcon revendiquait une utilisation de l’olopatadine autre que celle de stabilisateur de membrane. 

 

[52]           En pareil cas, l’exigence qui veut que l’objet d’une invention soit défini de manière précise et explicite n’est pas respectée. On ne doit pas permettre d’emblée à un breveté de décourager la concurrence au moyen d’une revendication d’une portée excessive puis l’autoriser à revenir sur les termes qu’il a employés dans cette revendication, lorsque celle‑ci est contestée bien des années plus tard, en s’appuyant sur des déductions et des passages de la divulgation comme ceux invoqués ici. 

 

[53]           Alcon se fonde sur les renonciations du brevet 094 pour faire valoir que ce qui est l’objet d’une renonciation ne fait pas l’objet d’une revendication : voir Virgin Atlantic Airways Ltd c Premium Aircraft Interiors UK Ltd, [2009] EWCA Civ 1062, paragraphe 21, [2010] RPC 8. 

 

[54]           Il est vrai que le brevet 094 reconnaît les enseignements provenant de deux brevets Burroughs Wellcome (BW) et d’un brevet Kyowa, mais dans le même temps, leur importance y est considérablement minimisée. Par exemple, on peut y lire que les brevets BW ont révélé l’« activité » antihistaminique de l’olopatadine ainsi que la formulation d’une solution ophtalmique, mais que les résultats des essais sur les animaux qui ont été divulgués n’établissent pas l’utilisation médicale chez l’humain qui y est revendiquée[2]. Toujours selon le brevet 094, l’affirmation contenue dans les brevets BW, selon laquelle l’olopatadine pouvait entrer dans la catégorie des stabilisateurs de membrane, n’a pas été prouvée en raison du problème de l’hétérogénéité des mastocytes. Le brevet 094 renferme des remarques similaires au sujet du brevet Kyowa, remettant ainsi en question l’utilité de l’olopatadine pour le traitement de l’œil chez l’humain. Selon Alcon, la voie était libre pour établir l’utilité de l’olopatadine comme stabilisateur de la membrane de l’œil chez l’humain. 

 

[55]           Je souscris à l’avis d’Apotex selon lequel la renonciation d’Alcon est loin d’être claire et qu’elle ne fait pas état de tout ce qui était véritablement connu au sujet de l’olopatadine. Dans son mémoire, Alcon affirme désormais que le brevet 094 ne remet pas en question l’enseignement des brevets BW, à savoir que l’olopatadine avait une [traduction] « activité » antihistaminique et qu’une personne versée dans le domaine y apprenait que l’olopatadine était un antihistaminique qui pouvait servir au traitement des allergies oculaires chez l’humain. Toutefois, cette affirmation dépasse largement la portée de ce qui est réellement reconnu dans le brevet 094 concernant les réalisations antérieures. Après une lecture de la divulgation, on a l’impression que l’utilité de l’olopatadine comme antihistaminique, du moins en ce qui concerne son utilisation chez l’humain, n’a pas été prouvée et qu’Alcon a démontré qu’elle [traduction] « présente une activité antihistaminique importante ». Le brevet 094 ne reconnaît nulle part, en termes non équivoques, que l’olopatadine était un antihistaminique connu pouvant être utilisé dans l’œil humain ou qu’on savait que les essais sur les animaux permettaient de prédire l’efficacité de l’olopatadine comme antihistaminique chez l’humain. 

 

[56]           À mon sens, une personne versée dans le domaine ne conclurait pas, à la lecture de ces renonciations incomplètes concernant les réalisations antérieures, que Alcon a voulu restreindre la portée du mot « traitement » aux utilisations qui ne peuvent être dissociées de la fonction de stabilisation de la membrane et renoncer à l’utilisation de l’olopatadine comme antihistaminique. L’absence de renonciation non équivoque concernant l’utilité de l’olopatadine en tant qu’antihistaminique donne à penser que, par la revendication 1, Alcon a tenté de revendiquer, en termes généraux, l’utilisation de l’olopatadine pour le traitement des allergies oculaires chez l’humain. 

 

[57]           Alcon affirme que l’utilité de l’olopatadine comme stabilisateur de membrane ne constitue pas un aspect intrinsèque de son utilisation comme simple antihistaminique, car ce n’est qu’à des doses dépassant largement celles requises pour une utilisation comme antihistaminique que ses effets de stabilisation de la membrane se manifestent. Or, le brevet 094 n’informe pas le lecteur de cette distinction ni ne lui indique comment s’en servir pour éviter la contrefaçon. Au contraire, la présence dans le brevet 094 de plusieurs autres revendications d’utilisation de l’olopatadine pour le traitement des allergies oculaires à des concentrations bien inférieures à 0,1 % vient miner l’interprétation d’Alcon. En outre, certains éléments de preuve concernant l’antériorité indiquent que les antihistaminiques peuvent être utilisés efficacement à des doses de l’ordre de 0,1 % : voir l’affidavit d’Ines Ferreira, pièce « B.11 », p. 668. Les témoins d’Alcon ont reconnu qu’à une telle dose, le clinicien n’avait aucun contrôle sur l’activité biologique de l’olopatadine : voir le contre‑interrogatoire de M. Martin K. Church (7 septembre 2011), p. 77, le contre‑interrogatoire du Dr Neal P. Barney (21 septembre 2011), pp. 41 à 44 [contre‑interrogatoire du Dr Barney] et le contre‑interrogatoire de Phil Lieberman (2 octobre 2011), pp. 86 à 88. 

 

[58]           Dans leurs affidavits, les témoins d’Alcon ont tenté de relier la découverte des propriétés stabilisantes de l’olopatadine sur les membranes à son utilité clinique supposément nouvelle en tant qu’agent prophylactique. Bien que la divulgation fasse allusion à l’utilisation thérapeutique et prophylactique de l’olopatadine, rien n’indique qu’il s’agissait d’une utilité nouvellement découverte et inventive. Les revendications 8 et 20 parlent plutôt d’une quantité thérapeutiquement efficace d’olopatadine et aucune des revendications ne fait référence à une utilité prophylactique. 

 

[59]           C’est sans grande conviction que les témoins d’Alcon ont affirmé que l’idée originale des revendications résidait dans l’utilisation de l’olopatadine comme agent prophylactique. Ainsi, en contre-interrogatoire, le Dr Barney a reconnu que les antihistaminiques pouvaient également être utilisés pour prévenir l’apparition des symptômes d’allergie : voir Contre-interrogatoire du Dr Barney, pp. 104 à 107. L’extrait suivant de ce contre-interrogatoire traduit bien l’inconfort qu’il éprouve à devoir insister sur les propriétés prophylactiques de l’olopatadine :

[traduction]

 

389                  Q. Laissez-moi vous montrer un article, dont je vous remets un exemplaire, ainsi qu’à Me Belmore. L’article s’intitule « Conjunctival Mast Cells in Ocular A1lergic Disease » et vous le reconnaissez, je suppose?

 

                        R. Oui.

 

390                  Q. Et reportez-vous à la page 121 de votre article, colonne de droite. Vous avez écrit : 

« Pour la majorité des personnes souffrant d’allergie oculaire, l’administration topique d’un médicament antihistaminique stabilisateur de membrane soulage efficacement les symptômes d’hypersensibilité immédiate, les rougeurs, les démangeaisons, les larmoiements, etc. »

 

Le voyez-vous?

 

                        R. Oui.

 

391                  Q. Et dans cette partie de votre article, même si vous traitez des effets de stabilisation des membranes -- même si vous traitez des médicaments stabilisateurs de membranes, vous parlez de soulagement des symptômes, êtes-vous d’accord?

 

                        R. Oui.

 

392                  Q. Et vous avez écrit dans votre article, je présume, ce que vous croyiez être exact au moment où vous l’avez écrit?

 

                        R. Oui.

 

393                  Q. Et vous connaissiez aussi les stabilisateurs de membranes, du moins vous pensiez qu’ils avaient aussi des effets prophylactiques, est-ce exact?

 

                        R. Eh bien, prophylactiques en ce sens que je croyais qu’ils avaient un effet stabilisateur sur la membrane. Je ne sais pas en quoi cela veut dire prophylactique.

 

394                  Q. Ainsi, l’emploi du terme symptomatique dans votre article n’excluait pas la possibilité que le médicament agisse comme stabilisateur de membranes, exact?

 

                        R. C’est exact.

 

[…]

 

479                                    Q. Ma question était de savoir si vous pensez que la revendication 1 englobe l’utilisation prophylactique. Oui ou non?

 

                        ME BELMORE : Il vous a donné sa réponse pour ce qui est de l’inhibition de la libération des médiateurs antihistaminiques.

 

480                  Q. Ce n’était pas là ma question. C’était une chose qu’il tenait à me dire, mais ma question était de savoir si vous interprétez ou non la revendication comme englobant les utilisations prophylactiques.

 

                        R. Elle ne parle pas de prophylaxie, et j’en déduis que [le médicament] est capable d’atténuer les signes et les symptômes d’allergie.

 

481                  Q. Et ce serait le cas de toutes les revendications du brevet? Prenez votre temps pour les examiner.

 

                        R. Toutes les revendications se rapportent à la revendication 1.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Contre-interrogatoire du Dr Barney, pages 85, 86 et 109.

 

 

[60]           Au regard de ce témoignage et de l’emploi équivoque et imprécis des termes « thérapeutique » et « prophylactique » dans la divulgation, je suis d’avis que l’on ne peut considérer que ce terme fait implicitement partie des revendications comme le soutient Alcon. 

 

Conclusion

[61]           Pour les motifs qui précèdent, l’interprétation des revendications du brevet préconisée par Alcon est rejetée. Le brevet 094 revendique un monopole sur l’olopatadine pour son utilité dans le traitement des allergies oculaires, qui est déjà connue et, de ce fait, il échoue pour cause d’évidence. Le brevet 094 est invalide et la demande présentée par Alcon en vue de l’obtention d’une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex est rejetée avec dépens. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre au sujet des dépens, je les autoriserai à me présenter des observations écrites d’au plus sept pages sur la question.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, le tout avec dépens en faveur d’Apotex. 

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-564-10

 

INTITULÉ :                                      ALCON CANADA INC. et autres c APOTEX INC. CANADA INC. et autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Du 16 au 19 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 11 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Belmore

Marian Wolanski

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Andrew Brodkin

Dino Clarizio

Sandon Shogilev

 

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC. CANADA INC.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Belmore Neidrauer s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC. CANADA INC.

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 



[1]     Le Dr Barney a reconnu que les antihistaminiques pouvaient être utilisés à titre préventif (voir le contre-interrogatoire du DNeal P. Barney (21 septembre 2011), p. 104.) et M. Church a admis que les stabilisateurs de membrane pouvaient être utilisés pour le soulagement des symptômes (voir le contre-interrogatoire de Martin K. Church, Ph. D.  (7 septembre 2011), p. 75).

[2]     En dépit de l’opinion apparemment contraire exprimée par Mme Calder, le brevet 094 est excessivement flou quant à ce que les brevets BW sont censés avoir démontré, comme l’illustre le passage suivant : [traduction]  « Bien que les deux brevets Burroughs Wellcome prétendent que les diverses formulations pharmaceutiques divulguées sont efficaces en médecine comme en médecine vétérinaire, aucun des brevets ne démontre au moyen d’un exemple que les dérivés d’acide carboxylique de la doxépine ont une activité chez l’humain. L’exemple 7 des brevets Burroughs Wellcome démontre une activité antihistaminique chez les cobayes mâles et l’exemple G démontre une activité anaphylactoïde chez les rats Wistar ». [Non souligné dans l’original.] Ce passage est immédiatement suivi d’une analyse du problème de l’hétérogénéité des mastocytes. 

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