Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20131219

Dossier : IMM-1814-13

Référence : 2013 CF 1269

Montréal (Québec), le 19 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

 

CEDRIC JOHAN OSSETE NGOUABI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] qui vise l’annulation de la décision du 14 février 2013 par laquelle une agente d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a refusé la demande de résidence permanente [DRP] parrainée présentée par le demandeur à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

II.        Faits

[2]               Le demandeur est citoyen de la République démocratique du Congo.

[3]               Il est arrivé au Canada en juin 2008 et a présenté une demande d’asile, qui fut refusée en décembre 2011. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de cette décision négative, mais sa demande fut, elle aussi, refusée le 21 mars 2012.

[4]               Le 27 juin 2012, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Cette demande était parrainée par Madame Simane Moussa, sa garante, devenue son épouse le 25 novembre 2011.

[5]               Le 14 février 2013, l’agente d’immigration a rencontré le demandeur et son épouse et les a questionnés dans le but de vérifier l’authenticité de leur union.

[6]               Le 21 février 2013, l’agente d’immigration a rejeté la DRP en indiquant ne pas avoir été convaincue de l’authenticité du mariage. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.       Décision contestée

[7]               La décision refusant la DRP a été signée le 14 février 2013, mais transmise au demandeur le 21 février 2013. Elle est constituée de deux documents distincts : une lettre résumant la décision et un compte-rendu de l’entrevue du 14 février 2013.

[8]               Dans la lettre, l’agente d’immigration rappelle le cadre législatif applicable à la DRP du demandeur et conclut qu’elle n’a pas été convaincue que le mariage était authentique et ne visait pas simplement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

[9]               Le compte-rendu de l’entrevue du 14 février reprend les questions posées au demandeur et à son épouse et énonce leurs réponses respectives. Dans le compte-rendu, l’agente d’immigration précise avoir confronté le demandeur et son épouse au sujet des contradictions dans leurs réponses, mais elle conclut ne pas avoir été convaincue par leurs explications. Par conséquent, elle a rejeté la DRP du demandeur, s’appuyant principalement sur les quatre contradictions suivantes, relevées parmi toutes les divergences identifiées au cours de l’entrevue :

1.      Le demandeur a déclaré être orphelin, tandis que son épouse a déclaré qu’il parlait régulièrement à sa mère au téléphone. Le demandeur a expliqué qu’il s’agissait de sa tante qu’il appelle « maman ».

2.      Le demandeur a déclaré que son père a été assassiné, tandis que son épouse a déclaré que celui-ci était décédé d’un cancer.

3.      Le demandeur a déclaré qu’ils habitaient dans un 2 ½, tandis que son épouse a déclaré qu’ils habitaient dans un 4 ½. Le demandeur a expliqué que les pièces étaient petites et que pour lui c’était un 2 ½.

4.      Le demandeur a déclaré que son épouse travaillait dans une friperie, tandis que celle-ci a déclaré travailler dans un entrepôt de vêtements griffés.

IV.       Arguments du demandeur

[10]           L’agente d’immigration n’a pas respecté les critères établis dans la jurisprudence pour la détermination d’une relation conjugale et d’un mariage authentique. L’agente d’immigration aurait dû faire preuve de souplesse dans son évaluation de l’authenticité du couple. De plus, la décision est fondée sur des conjectures, et les quatre prétendues contradictions sur lesquelles repose la décision concernent des éléments qui ne sont pas pertinents ou fondamentaux au point de remettre en question l’authenticité de leur mariage.

[11]           Tout au long de l’entrevue, le demandeur et son épouse ont prouvé qu’ils vivent leur quotidien ensemble et qu’ils partagent un amour véritable. Ils se prêtent mutuellement assistance, ils sont interdépendants sur le plan financier, ils entretiennent une relation sexuelle exclusive et ils démontrent une volonté permanente de vivre ensemble. Toutefois, l’agente d’immigration n’accorde aucune importance à ces éléments positifs.

V.        Arguments du défendeur

[12]           Les nombreuses contradictions relevées au cours de l’entrevue ne portent pas sur des éléments banals de la vie du demandeur et de son épouse, mais bien sur des éléments importants de leur vie familiale et de leur vie commune. Entre autres, le sort des parents d’un conjoint n’est pas un élément négligeable, surtout considérant que le demandeur a présenté sa demande d’asile initiale au motif que son père a été assassiné.

[13]           La jurisprudence a établi que le manque de connaissance des familles respectives peut être considéré dans l’évaluation de l’authenticité d’une union sans qu’il s’agisse d’une analyse microscopique.

[14]           Enfin, dans son mémoire, le demandeur ne fait qu’exprimer son désaccord quant à la décision rendue à son égard. Toutefois, il revenait à l’agente d’immigration de prendre cette décision puisque c’est elle qui possédait l’expertise nécessaire pour décider de la question factuelle de l’authenticité d’un mariage et qui a questionné le demandeur et son épouse. Ainsi, comme la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, l’intervention de la présente Cour n’est pas justifiée.

VI.       Question en litige

[15]           Les parties ont relevé sensiblement la même question en litige : la décision de l’agente d’immigration refusant la DRP du demandeur à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est-elle raisonnable?

VII.     Norme de contrôle

[16]           Les conclusions de fait d’un agent d’immigration quant à l’authenticité d’un mariage doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable et commandent la déférence (voir Corona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 174 au para 13, [2012] ACF no 200 et Chimnere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 691 au para 9, [2012] ACF no 658).

[17]           Par conséquent, la présente Cour n’interviendra que si les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité ne sont pas respectés, c’est-à-dire si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

VIII.    Analyse

[18]           La décision de l’agente d’immigration refusant la DRP du demandeur à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est raisonnable pour les motifs énoncés ci-dessous. Toutefois, avant d’entreprendre l’analyse de la question, il conviendrait d’offrir un bref exposé du contexte législatif entourant une telle demande.

[19]           Le paragraphe 12(1) de la LIPR édicte la façon dont sont choisis les étrangers pour les procédures de regroupement familial :

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Regroupement familial

 

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

[Non souligné dans l’original.]

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

 

Family reunification

 

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

 

[Emphasis mine.]

 

[20]           Par conséquent, pour vérifier si une personne se qualifie à titre de conjoint de fait, il faut se rapporter à l’article 124 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] :

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Qualité

 

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

 

 

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

 

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

Immigration and Refugee Protection Regulations,

SOR/2002-227

 

Member

 

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

 

 

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

 

(b) have temporary resident status in Canada; and

 

(c) are the subject of a sponsorship application.

 

[21]           Comme l’a souligné le défendeur dans son mémoire des faits et du droit, l’article ci-dessus doit être lu dans le contexte du paragraphe 4(1) du RIPR, qui parle de la mauvaise foi :

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Mauvaise foi

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

Immigration and Refugee Protection Regulations,

SOR/2002-227

 

Bad faith

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

[22]           De plus, il faut rappeler qu’il incombait au demandeur de convaincre l’agente d’immigration de l’authenticité de son mariage avec son épouse (Chimnere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 691 au para 17, [2012] ACF no 658).

[23]           C’est donc dans ce contexte juridique que l’agente d’immigration a été saisie de la DRP du demandeur à titre de membre de la catégorie époux ou conjoints de fait au Canada.

[24]           L’entrevue du 14 février 2013 révèle un certain nombre de contradictions dont certaines sont très importantes quand vient le temps d’examiner le quotidien d’un couple. Les contradictions rapportées par l’agente d’immigration dans la conclusion de son compte-rendu sont tout à fait pertinentes et se rapportent directement à la vie de couple du demandeur et de son épouse, et je suis d’avis qu’il était tout à fait raisonnable pour l’agente d’immigration de leur avoir accordé autant d’importance. En effet, il est raisonnable de penser que des personnes mariées qui cohabitent depuis quelques années devraient savoir où leur conjoint travaille et ce en quoi consiste leur emploi, et qu’elles devraient également savoir si la mère de leur conjoint est décédée ou non et si le père décédé de leur conjoint est mort assassiné ou des suites d’un cancer. De plus, contrairement à ce que prétend le demandeur, le fait pour lui et son épouse de ne pas avoir donné la même réponse au sujet de la grandeur de leur appartement est loin d’être banal puisque c’est dans ce logement qu’ils partagent, selon leurs dires, leur vie commune. Chose certaine, il était raisonnable pour l’agente d’immigration de douter de l’authenticité du couple en raison de telles incohérences.

[25]           De surcroît, le compte-rendu de l’entrevue du 14 février 2013 permet de constater que le demandeur et son épouse ont formulé des réponses divergentes au sujet d’autres éléments : le nombre d’invités à leur mariage (il a dit 15 personnes, elle a dit 5 personnes), l’identité de la personne qui a fait la demande en mariage (les deux ont affirmé avoir demandé la main de l’autre en mariage), le nombre d’enfants que l’un et l’autre veulent (il a déclaré vouloir deux enfants et que son épouse ne veut qu’une fille, elle a dit vouloir cinq enfants, mais que le demandeur ne veut qu’un garçon), et l’arrivée du demandeur au Canada (il a déclaré être arrivé en 2008, elle a dit qu’il est arrivé en 2004 ou 2005).

[26]           La célébration du mariage constitue sans doute un élément important dans la vie d’un couple marié, et l’écart entre les deux réponses en l’espèce est marqué, en d’autres mots, un écart de 10 invités dans le dénombrement d’un mariage de 150 invités est moins important que pour un mariage à 15 invités. La question de savoir qui a fait la demande en mariage est elle aussi suffisamment marquante dans la vie d’un couple pour y accorder de l’importance. Le nombre d’enfants que les conjoints souhaitent avoir fait également partie des enjeux fondamentaux du quotidien d’un couple et de leur vision de la vie à long terme. Pour ce qui est de l’année d’arrivée du demandeur au Canada, il est raisonnable de croire que l’agente ait pu être d’avis qu’il s’agit d’un élément suffisamment important dans la vie du demandeur – et dans sa demande d’asile initiale – pour s’attendre à ce que son épouse le sache. En somme, toutes ces divergences, qui s’ajoutent aux contradictions abordées précédemment, ont certainement influencé l’agente d’immigration dans sa décision.

[27]           L’entrevue eut une durée de près de trois heures et elle révèle donc au moins huit contradictions ou divergences importantes entre les réponses données respectivement par les membres du couple. Dans une telle situation, une cour de révision doit évaluer le travail de l’agente d’immigration avec déférence.

[28]           Par conséquent, je suis d’avis qu’il était loisible à l’agente d’immigration de refuser la DRP du demandeur à titre de membre de la catégorie époux ou conjoints de fait au Canada au motif que son mariage avec son épouse n’était pas authentique aux termes du paragraphe 4(1) du RIPR, et je conclus que cette décision s’inscrit dans les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au para 47). La décision est donc raisonnable et l’intervention de la présente Cour n’est pas justifiée.

[29]           Les parties ont été invitées à présenter une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut présentée.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1814-13

 

INTITULÉ :                                      CEDRIC JOHAN OSSETE NGOUABI

                                                            c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 décembre 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 décembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Eyouck

POUR LE DEMANDEUR

 

Simone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Paul Eyouck

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.