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Date : 20131218


Dossier :

IMM-11654-12

 

Référence : 2013 CF 1261

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

JAMES MOBWANO KAMANZI

 

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

1.  Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 25 octobre 2013, par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu que le demandeur n’était, aux fins de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

2. Faits pertinents

[3]               M. Kamanzi est un citoyen de la République démocratique du Congo [la RDC] d’ethnie tutsi. Il est né et a passé sa jeunesse à Bukavu, en RDC.

 

[4]               M. Kamanzi déclare qu’il a terminé ses études à 19 ans et qu’il est resté pendant une année et demie sans travail, dans l’attente des résultats obtenus aux examens d’État. En novembre 1996, alors qu’il était âgé de 21 ans (il est né le 29 octobre 1975), Anselme Masasu Nindaga [M. Masasu ou M. Nindaga], un dirigeant de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo [l’AFDL], l’a recruté en tant qu’agent de renseignement. Il ne s’agissait pas d’un poste salarié; en échange de ses services, le demandeur recevait plutôt périodiquement de la nourriture, de l’essence et de l’argent. Le demandeur devait vérifier des renseignements sur des affaires locales à Bukavu. Il n’a reçu aucune formation et il n’est pas devenu membre de l’AFDL.

 

[5]               M. Masasu a été arrêté en 1997. Il s’est enfui de prison en 1998, pour être de nouveau arrêté peu après. Il est resté en prison jusqu’à sa remise en liberté en 2000. La même année, il a été assassiné. De 1997 à 1999, le demandeur a continué à travailler pour le compte de M. Masasu. Il vendait aussi des voitures d’occasion. En 1999, il a obtenu à Kinshasa un emploi mieux rémunéré comme agent de renseignement auprès d’Azarias Ruberwa Manywa [M. Ruberwa], alors vice‑président de la RDC. Le demandeur prenait le pouls de l’opinion locale et recueillait de l’information sur des choses telles que le prix des marchandises et la fourniture d’électricité. Il ne s’agissait pas non plus d’un poste salarié. M. Ruberwa rencontrait le demandeur une fois ou deux par mois pour discuter avec lui de l’information recueillie, puis il lui remettait des enveloppes renfermant diverses sommes d’argent.

 

[6]               Le demandeur a vécu deux années sans statut au Rwanda. Il est finalement arrivé au Canada le 18 juin 2008, muni d’un faux passeport, et a demandé l’asile en août 2008.

 

[7]               À l’ouverture de l’audience le 29 juin 2012, le commissaire a indiqué qu’il allait notamment se pencher sur l’exclusion éventuelle du demandeur pour complicité à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité en raison du rôle de ce dernier comme agent de renseignement auprès d’Anselme Masasu Nindaga, l’un des principaux dirigeants et commandants militaires de l’AFDL. En 1996 et 1997, M. Masasu a recruté 10 000 enfants soldats.

 

[8]               Pendant l’audience relative à sa demande d’asile, le demandeur a nié être membre du mouvement de M. Masasu ou de tout autre parti politique en RDC, mais il a admis avoir travaillé pour M. Masasu à la fin d’octobre 1996. Le demandeur a déclaré que sa famille et celle de M. Masasu se connaissaient, puis il a fait le récit du rôle militaire et de dirigeant joué dans le passé par M. Masasu, pendant la première guerre du Congo. Ce récit concordait avec ce que relatait la preuve documentaire. Selon le témoignage du demandeur, M. Masasu était parti lutter pour la libération des Tutsis au Rwanda dans les années 1990, mais il était revenu au Congo à titre de « deuxième commandant » des troupes rwandaises, après la chute de Bukavu aux mains des rebelles à la fin d’octobre 1996.

 

[9]               Le demandeur a décrit comment M. Masasu l’avait recruté à la cathédrale de Bukavu, en lui offrant de travailler directement pour lui afin de dissiper les craintes de sa mère qu’il n’aille joindre les rangs de l’armée. M. Masasu a offert d’enseigner au demandeur le travail de renseignement et lui a proposé d’être directement sous ses ordres. Le demandeur a déclaré avoir fréquemment rencontré M. Masasu par la suite. Il a également expliqué qu’il était en mesure de recueillir des renseignements parce qu’il était né et avait grandi à Bukavu et qu’il y connaissait donc beaucoup de personnes, alors que M. Masasu avait été élevé au Rwanda et avait besoin que quelqu’un vérifie les renseignements obtenus sur les affaires locales.

 

[10]           On a posé plusieurs questions au demandeur sur le type de renseignements qu’il fournissait à M. Masasu. Le demandeur en a donné cinq principaux exemples :

(i)         Il a dit qu’il communiquait à M. Masasu des renseignements sur les jeunes gens de Bukavu qui cherchaient refuge dans la forêt de Kahuzi‑Biega, à l’ouest de la ville, et allaient combattre aux côtés des Maï‑Maï. M. Masasu voulait connaître le mode de recrutement des jeunes de Bukavu par les Maï‑Maï. Le demandeur est entré en contact avec des jeunes et a fait des recherches dans la cité. Il a découvert que la plupart de ceux qui s’étaient joints aux Maï‑Maï l’avaient fait volontairement, sans qu’il n’ait été nécessaire de les recruter.

 

(ii)               Il a dit avoir renseigné M. Masasu sur des soulèvements militaires locaux contre les troupes rwandaises à Bukavu. Il a également fourni des renseignements sur des civils dont les troupes rwandaises avaient pillé et occupé les maisons, et sur les arrestations arbitraires d’adultes et d’enfants. Le demandeur recueillait ces renseignements pour en faire part à M. Masasu, qui s’occupait des problèmes ainsi signalés.

 

(iii)             Le demandeur a dit avoir agi comme un intermédiaire auprès des chefs coutumiers locaux. Ces derniers souhaitaient que M. Masasu – un militaire – mette en place un bureau doté de personnel avec lequel ils puissent communiquer. Le demandeur a facilité les discussions et la mise sur pied du premier bureau de M. Masasu.

 

(iv)             Le demandeur a également déclaré qu’il tenait M. Masasu informé des familles de Bukavu qui s’opposaient à l’enrôlement de leurs enfants dans l’armée de libération de l’AFDL. Ces familles tenaient des réunions dans la cité en vue d’empêcher leurs enfants de se joindre aux troupes. Elles mettaient en garde leurs enfants et toute la population parce qu’il s’agissait d’occupants rwandais et qu’il ne fallait pas combattre Mobutu. Les familles organisaient des séances locales d’information à l’intention des jeunes. Le demandeur a informé M. Masasu de l’existence de ce type de mouvement visant à empêcher ou empêchant que des gens se joignent aux rebelles. Cela a conduit M. Masasu à parler à la radio pour inciter les parents à permettre à leurs enfants d’aller combattre le régime de Mobutu. Le demandeur a ajouté que les renseignements qu’il communiquait aidaient M. Masasu à décider de la meilleure manière d’« intervenir » devant ces situations.

 

(v)               En 1997, le demandeur a également participé aux négociations engagées entre M. Masasu et les milices Maï‑Maï, en rébellion à l’époque contre les troupes rwandaises à Bukavu. M. Masasu a fait participer le demandeur aux discussions parce qu’il connaissait personnellement deux dirigeants des Maï‑Maï, aux côtés desquels, avant la guerre, il avait grandi à Bukavu. Tout cela s’est déroulé trois semaines avant l’arrestation de M. Masasu.

 

[11]           Le demandeur a expliqué qu’il avait commencé à travailler pour M. Masasu immédiatement après l’avoir rencontré à la fin d’octobre 1996, qu’il avait alors déménagé de Bukavu à Kinshasa, puis enfin qu’il avait démissionné et était retourné à Bukavu en décembre 1999. Le demandeur a déclaré qu’il avait continué de travailler pour M. Masasu après l’arrestation de ce dernier en novembre 1997, malgré la cessation des activités de son réseau et de son bureau, et qu’il croyait bien être le seul agent de renseignement à avoir ainsi poursuivi son travail. Le demandeur s’est défini en fin de compte comme l’homme de confiance de M. Masasu.

 

[12]           La Commission a posé diverses questions au demandeur sur ce qu’il savait du recrutement d’enfants soldats. Il a expliqué qu’on avait recruté des enfants soldats dès le début de la guerre, et que MM. Kabila et Kisase Ngandu (les chefs militaires de l’AFDL à ce moment‑là) avaient demandé aux gens de faire participer leurs enfants à la lutte contre Mobutu. On a demandé au demandeur si le recrutement d’enfants soldats lui posait problème, et pourquoi il avait maintenu ses liens avec M. Masasu alors qu’il savait qu’on recourait à cette pratique. Le demandeur a continué à nier la responsabilité de M. Masasu en déclarant que le recrutement d’enfants soldats était une pratique « officielle », et que c’était « l’AFDL, le président Kabila et Kisase Ngandu » qui y avaient recours.

 

3.  Décision contestée

[13]           Il est fait état, dans la décision, de l’exclusion du demandeur en application de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fa) de la Convention. La Commission a souligné que le recrutement d’enfants soldats était un crime de guerre selon l’article 5 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

 

[14]           La Commission a recouru aux facteurs du critère de la complicité énoncés par le juge Shore dans la décision Ishaku c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 44 [Ishaku], au paragraphe 70. Ce critère, fondé sur la jurisprudence alors applicable, était celui de la complicité par association, concept décrit comme suit : la complicité dépend de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que l’individu en cause a de la commission des crimes. En fonction de ce critère, le commissaire a tiré les conclusions de fait suivantes (d’après leur traduction en anglais figurant dans le mémoire du défendeur) au regard des différents facteurs mentionnés dans la décision Ishaku:

(i)         Méthode de recrutement – Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait rencontré, à la cathédrale de Bukavu (la capitale de la province du Sud‑ Kivu, dans l’est de la RDC), M. Nindaga, qui lui avait offert un poste militaire, mais que sa mère s’y était opposée. Le demandeur a fini par accepter de travailler pour M. Nindaga comme agent de renseignement; la Commission a conclu qu’il s’agissait d’une association purement volontaire.

 

(ii)        Poste et rang – De novembre 1996 à la fin de 1999, le demandeur a travaillé comme agent de renseignement pour M. Nindaga. Il a décrit ses fonctions comme consistant à faciliter la tenue de rencontres et l’échange de renseignements entre M. Nindaga et les dirigeants locaux, à signaler les arrestations dites arbitraires de jeunes gens et à participer à une réunion avec les dirigeants militaires (de la milice locale) des Maï‑Maï aux côtés de M. Nindaga, parce qu’il connaissait ces dirigeants.

 

            La Commission a conclu que, sans occuper un poste militaire, le demandeur avait un poste de confiance, et qu’ainsi il avait facilité le travail de M. Nindaga au sein de l’AFDL.

 

(iii)             Connaissance des crimes commis – La Commission a demandé au demandeur s’il disposait d’éléments de preuve objectifs quelconques indiquant qu’aucun crime de guerre n’était imputable à M. Nindaga. Le demandeur a répondu qu’il n’en avait pas. La Commission a conclu, sur la foi de la preuve documentaire, que M. Nindaga était responsable de crimes de guerre.

 

Le demandeur a déclaré qu’il était conscient du recrutement d’enfants soldats parce qu’il s’effectuait entre autres par des émissions diffusées à la télévision. La Commission a conclu que le demandeur était au courant du recrutement d’enfants par l’AFDL, dont M. Nindaga faisait partie.

 

(iv)             Nature de l’organisation – Fondée en 1996, l’AFDL était constituée de plusieurs groupes, dont le MRLZ de M. Nindaga. Selon Amnistie Internationale, M. Nindaga, en tant que dirigeant d’un groupe politique armé, a recruté un grand nombre de jeunes hommes et d’enfants soldats pour qu’ils participent, à titre de combattants et d’agents de sécurité, au conflit de 1996 qui a entraîné la chute de Mobutu Sese Seko. La direction des recherches de la Commission a également fait état du rôle central de M. Nindaga dans le recrutement et l’entraînement d’enfants soldats, 10 000 d’entre eux ayant été recrutés et utilisés par l’AFDL en 1996 et en 1997.

 

(v)               Durée de la participation aux activités de l’organisation et (vi) possibilité de la quitter – Le demandeur s’est associé à M. Nindaga en novembre 1996, et cette association s’est poursuivie pendant la période de recrutement d’enfants soldats. Le demandeur a continué à travailler comme agent de renseignement pour M. Nindaga jusqu’à la fin de 1999, quand il a cherché à obtenir un poste mieux rémunéré. La Commission a conclu que, s’il l’avait souhaité, le demandeur aurait pu couper ses liens avec M. Nindaga bien avant la fin de 1999.

 

[15]           Après avoir tiré les conclusions susmentionnées, la Commission a conclu qu’il existait des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur était complice des crimes de guerre attribuables à M. Masasu, contrairement à l’article 98 de la LIPR et aux instruments internationaux visant ce type de crimes. Le commissaire a par conséquent rejeté la demande.

 

[16]           Après que cette décision a été rendue, la Cour suprême a modifié le critère en matière de complicité dans l’arrêt Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola], de manière à ce qu’il doive désormais « exister des raisons sérieuses de penser [que le demandeur d’asile] a volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation » (au paragraphe 84).

 

4.  Question en litige

[17]           Il s’agit de savoir si, vu le nouveau critère relatif à la complicité prescrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola, il y a lieu d’annuler la décision de la Commission.

 

5.  Norme de contrôle

[18]           Dans la décision Nsika c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1026, aux paragraphes 14 et 15, la juge Gleason a statué, en se fondant sur les motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ezokola, 2011 CAF 224, que l’établissement du critère relatif à la complicité appelait la norme de la décision correcte, tandis que l’application du critère aux faits appelait plutôt la norme de la décision raisonnable. La seule question en jeu dans la présente affaire a trait à l’application du critère.

 

6.  Analyse

[19]           Le demandeur se fonde sur une décision récente, Mudiyanselage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1076 [Mudiyanselage], où la juge Campbell a statué que, comme le critère appliqué par la SPR était éteint en droit, il convenait que l’affaire fasse l’objet d’une nouvelle décision. Je reproduis les passages de la décision Mudiyanselage pertinents pour nos fins :

[6]     À mon avis, la volonté de la Cour suprême du Canada de clarifier la notion de complicité aux fins de l’application de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention vient remettre en question la décision de la SPR. Il en est ainsi parce que le critère juridique appliqué par la SPR a été effectivement éteint en droit.

 

[7]     Néanmoins, le conseil du ministre fait valoir l’argument suivant

 

[traduction]

Bien que la SPR n’a pas eu l’avantage de prendre connaissance de l’arrêt Ezokola de la Cour suprême du Canada, les conséquences sur la décision finale sont minimes parce que, dans les faits, la SPR a conclu que le demandeur avait volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes et au dessein criminel des forces policières sri‑lankaises (SLPF).

 

(Exposé des arguments du défendeur, 20 septembre 2013).

 

Selon moi, l’argument n’a aucun poids parce qu’il vise une demande particulière à laquelle je ne peux acquiescer : rendre une décision concernant la demande d’asile du demandeur en appliquant la preuve du dossier dont disposait la SPR au nouveau critère énoncé par la Cour suprême du Canada. À mon avis, il revient uniquement à la SPR de rendre une nouvelle décision à l’égard de la présente demande. Je conclus qu’un redressement juste et équitable en l’espèce exige que la SPR assume sa responsabilité.

 

[20]           En réponse à l’argument du demandeur, le défendeur soutient qu’il s’agit ici d’un des rares cas où il y aurait lieu d’appliquer la « doctrine de la futilité », énoncée pour la première fois par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 [Mobil Oil], appliquée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, puisqu’advenant le renvoi de l’affaire pour nouvelle décision, on en arriverait au même résultat. Le défendeur a renvoyé tout particulièrement aux paragraphes 32 et 33 de ce dernier arrêt :

32     Je reconnais d’emblée que dans Mobil Oil, supra, il s’agissait d’un cas de manquement à la justice naturelle et d’une affaire où la réponse à la question de droit en litige était « inéluctable » (à la page 228) quand bien même la partie aurait eu l’occasion de se faire entendre.

 

33     Je ne vois pas pour autant d’obstacles à ce que le principe qui se dégage de Mobil Oil soit appliqué à d’autres types de situation. Le juge doit, bien sûr, agir avec une prudence extrême, pour éviter que le processus de contrôle de la légalité d’une décision ne se transforme en un processus de contrôle de son bien‑fondé. Il me semble, cependant, que s’il est permis au juge d’ignorer un manquement à la justice naturelle quand le résultat est inévitable, il doit a fortiori lui être permis d’ignorer une erreur de droit quand elle n’est pas déterminante ou quand il est satisfait que si le tribunal avait adopté le bon critère, il en serait venu à la même conclusion. Je note que cette Cour a appliqué Mobil Oil à deux reprises au moins, dans Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (F.C.A.), où le juge Stone a appliqué le principe de la futilité en expliquant que « Les paramètres à l’intérieur desquels la distinction proposée par le professeur Wade devrait s’appliquer doivent encore être déterminés » (au paragraphe 10), et dans Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 288 N.R. 48 (C.A.F.), où le juge Evans a rejeté une demande de contrôle judiciaire parce que « l’erreur commise par l’agente des visas a été sans conséquence sur le résultat de la demande de visa » (au paragraphe 6). Le juge Rothstein y a aussi fait référence, au paragraphe 88 de sa dissidence dans Magen David Adom canadien pour Israël c. M.R.N., 2002 CAF 323; [2002] A.C.F. no 1260 (C.A.) (QL).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           Dans Sivakumar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 433 (CAF) [Sivakumar], la Cour d’appel fédérale a appliqué la doctrine de la futilité dans un contexte de  crimes de guerre, en déclarant que, même s’il n’appartenait pas à la Cour de revoir le dossier ni de tirer des conclusions sur les faits, si aucun tribunal correctement instruit n’aurait pu parvenir à une conclusion différente, la décision rendue peut être confirmée. Je reproduis les paragraphes 32 à 35 de la décision Sivakumar :

32     Cependant, si tant est que le tribunal ait documenté les actes des LTTE, de même que la connaissance qu’en avait l’appelant et son intention de partager les fins poursuivies au moyen de ces actes, et qu’il ait examiné si ces actes constituaient des crimes contre l’humanité, il n’y a en réalité que de vagues assertions au sujet des “atrocités” et des tactiques “répugnantes” de toutes les parties dans la guerre civile au Sri Lanka (dossier d’appel, aux pages 9 et 10).

 

33     On ne saurait sous‑estimer l’importance qu’il y a à articuler les conclusions sur les faits, c’est‑à‑dire sur les crimes contre l’humanité spécifiques que le demandeur aurait commis dans un cas comme celui‑ci, où la section du statut a reconnu que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté par les autorités sri‑lankaises. Par exemple, le rapport de 1989 d’Amnistie Internationale indique que le gouvernement du Sri Lanka est responsable d’arrestations et de détentions arbitraires sans inculpation ni condamnation, de “disparitions”, de tortures, de morts durant la détention et d’exécutions extrajudiciaires. Vu la gravité des conséquences éventuelles du rejet, fondé sur la section Fa) de l’article premier de la Convention, de la revendication de l’appelant et la norme de preuve relativement peu rigoureuse à laquelle doit satisfaire le ministre, il est crucial que la section du statut rapporte dans ses motifs de décision les crimes contre l’humanité dont elle a des raisons sérieuses de penser que le demandeur les a commis. On peut dire que faute d’avoir tiré les conclusions nécessaires sur les faits, la section du statut a commis une erreur de droit.

 

34     Dans certains cas, l’insuffisance des conclusions tirées par la section du statut est telle que l’affaire doit lui être renvoyée pour nouvelle instruction. Cependant, comme le juge MacGuigan l’a fait remarquer dans Ramirez, supra, cette Cour peut confirmer la décision de la section du statut, malgré les erreurs commises par le tribunal, si "aucun tribunal correctement instruit, utilisant la méthode d’interprétation appropriée, n’aurait pu parvenir à une conclusion différente" (pages 323 et 324). Je conclus, à la lumière de la norme énoncée dans cet arrêt, qu’il n’est pas nécessaire de renvoyer l’affaire à la section du statut pour nouvelle instruction, par ce motif qu’aucun tribunal correctement instruit ne pourrait manquer de conclure qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que l’appelant avait commis des crimes contre l’humanité.

 

35     Il n’appartient certes pas à la Cour de revoir le dossier ni de tirer des conclusions sur les faits des documents et témoignages produits devant le tribunal, mais pareille mesure n’est pas nécessaire dans cet appel. Il est indiscutable que l’appelant était au courant des crimes contre l’humanité commis par les LTTE. L’appelant a témoigné devant la section du statut qu’il savait que les LTTE interrogeaient et tuaient des gens accusés de trahison (dossier d’appel, aux pages 113 à 115). Selon l’appelant, il a dit à Prabaharan, le chef des LTTE, que tuer des civils ne servait pas les intérêts de l’organisation après que celle‑ci eut été accusée de meurtres de civils (dossier d’appel, à la page 123). L’appelant a également fait savoir que s’il n’avait jamais autorisé à tuer des civils, il avait assisté aux exécutions de ce genre par les LTTE ou en avait été informé après coup (dossier d’appel, à la page 124). Par surcroît, il a témoigné qu’il était au courant de l’exécution à la mitraillette d’une quarantaine de membres d’organisations tamoules rivales par un membre des LTTE, Aruna.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Dans l’affaire Mudiyanselage, il ne semble pas qu’on ait présenté à la Cour des observations fondées sur la « doctrine de la futilité ». Comme la Cour d’appel fédérale a adopté cette doctrine, notamment en l’appliquant dans une affaire de crimes de guerre afin de confirmer la décision de la SPR, je conclus que, « si aucun tribunal correctement instruit, utilisant la méthode d’interprétation appropriée [en l’espèce le critère énoncé par la Cour suprême dans Ezokola], n’aurait pu parvenir à une conclusion différente » (arrêt Sivakumar, précité, au paragraphe 34), la décision de la SPR devrait être confirmée.

 

[23]           Aux termes de l’alinéa 5(1)c) et du sous‑alinéa 8(2)b)(xxvi) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, « [l]e fait de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités » constitue un crime de guerre.

 

[24]           L’actus reus du crime de guerre en cause est la participation à la conscription d’enfants soldats afin qu’ils prennent part à des hostilités. L’intimidation ou l’usage de la force pour conscrire des enfants n’est pas requis; la simple participation à un programme de conscription volontaire suffit pour qu’il y ait crime de guerre.

 

[25]           J’estime que les réponses du demandeur aux questions précédemment exposées (voir au paragraphe 10) démontrent de manière amplement suffisante et convaincante que, si l’on renvoyait l’affaire à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision, en lui enjoignant d’appliquer le critère de la participation active et consciente énoncé par la Cour suprême au regard du concept de complicité, la Commission conclurait qu’il y a des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur a participé de manière volontaire et consciente à la conscription d’enfants soldats.

 

[26]           En particulier, le paragraphe 10 des présents motifs, au point (iv), décrit la participation active et consciente du demandeur à l’obtention de renseignements auprès de familles opposées à l’enrôlement de leurs enfants dans l’armée, et à la communication de ces renseignements à M. Masasu pour l’aider à décider du mode d’« intervention » approprié. J’estime comme le défendeur qu’il se dégage du dossier que le demandeur a communiqué directement à M. Masasu des renseignements importants sur les opposants au recrutement des enfants soldats, et que M. Masasu s’est fondé sur ces renseignements pour agir. Le demandeur a donc facilité par son propre travail la perpétration de ce terrible crime.

 

[27]           Je rejette par conséquent la demande, car je suis convaincu qu’il serait futile de renvoyer l’affaire à la Commission – qui a tenu compte des bons éléments – pour qu’elle rende une nouvelle décision, parce qu’elle conclurait encore une fois qu’il convient de rejeter la demande du demandeur en raison de la participation de ce dernier à un crime de guerre, soit la conscription d’enfants soldats.

 

7. Conclusion

[28]           Pour les motifs susmentionnés, la demande est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-11654-12

 

INTITULÉ :

JAMES MOBWANO KAMANZI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            12 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 18 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Anthony Kako

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anthony Kako

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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