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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20131210

Dossier : T-1851-12

Référence : 2013 CF 1234

Ottawa (Ontario), ce 10e jour de décembre 2013

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

JULIE GRANT

Demanderesse

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Julie Grant, une employée de l’Agence du revenu du Canada, s’est prévalue des dispositions de l’article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, ch P-21 (la Loi) pour obtenir auprès de son employeur des renseignements personnels la concernant. Le paragraphe 12(1) se lit de la façon suivante :

  12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande :

a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels;

 

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problème sérieux.

 

  12. (1) Subject to this Act, every individual who is a Canadian citizen or a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act has a right to and shall, on request, be given access to

(a) any personal information about the individual contained in a personal information bank; and

 

(b) any other personal information about the individual under the control of a government institution with respect to which the individual is able to provide sufficiently specific information on the location of the information as to render it reasonably retrievable by the government institution.

 

 

[2]          La demande d’accès originale, faite le 8 novembre 2010, était libellée de la façon suivante :

Une copie des documents et renseignements me concernant, incluant mais ne se limitant pas à tous les documents et renseignements relatifs à mon dossier fiscal et tous les rapports d’enquête me concernant directement ou indirectement, correspondances, notes, photographies, films, enregistrements sonores, magnétoscopiques ou informatisés, courriels etc. 

 

 

Cette demande initiale a, pour ainsi dire, été amendée le 7 mars 2011 pour, à toutes fins utiles, étendre la période du 8 novembre 2010 au 7 mars. Le texte de cette demande amendée se lit de la façon suivante :

Une copie des documents et renseignements me concernant, incluant mais ne se limitant pas à tous les documents et renseignements relatifs à mon dossier fiscal et tous les rapports d’enquête me concernant directement ou indirectement, correspondances, notes, photographies, films, enregistrements sonores, magnétoscopiques ou informatisés, courriels etc. pour la période débutant le 8 novembre 2010 à aujourd’hui.

 

 

[3]          L’Agence du revenu du Canada (ci-après l’ARC) a considéré que la date de réception de la demande était le 7 mars 2011 aux fins de computation des délais.

 

[4]          Le 5 avril 2011, l’ARC a prorogé son délai de traitement de la demande d’accès pour une période supplémentaire de 30 jours. Malgré cette prorogation, les délais n’ont pas été respectés et, ultimement, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le Commissariat) aura conclu à l’absence de respect des délais prescrits par la Loi. Par ailleurs, cette question n’est pas devant cette Cour.

 

[5]          Ce qui concerne cette Cour est la plainte qui a été faite par la demanderesse le 15 mars 2012 et reçue par le Commissariat le 16 mars. La demanderesse se plaignait de l’utilisation qui a été faite par le défendeur des articles 12, 25 et 26 de la Loi de manière à soustraire des passages qui avaient été alors retrouvés.

 

[6]          Une décision a été rendue relativement à cette plainte le 27 septembre 2012. La Directrice générale des enquêtes du Commissariat concluait : « que la plainte n’est pas fondée. » On trouve au Rapport de conclusions les paragraphes suivants qui expliquent la décision rendue :

4.  Dans sa lettre datée du 15 mars 2012, la plaignante conteste l’application des articles 12(1), 25 et 26 de la Loi aux informations caviardées aux pages 25 à 37 des documents transmis par l’ARC. Elle réclame des précisions écrites quant à leur application et exige des explications relativement au délai injustifié encouru lors du traitement de sa demande et à l’impossibilité de rejoindre la représentante de l’ARC.

 

6.  Étant donné que seuls les articles 25 et 26 de la Loi ont été appliqués aux pages 25 à 37 des documents reçus par la plaignante, l’enquête s’est limitée à l’examen de la validité de l’application de ces articles.

 

8.  Après un examen approfondi des circonstances entourant le cas présent ainsi que des justifications des représentants de l’ARC et des dossiers pertinents, nous avons conclu que la plaignante n’a pas été privée d’un droit d’accès aux renseignements demandés.

 

9.  L’article 26 prescrit à une institution fédérale de refuser de communiquer des renseignements personnels sur d’autres individus, sauf dans certaines circonstances. Les renseignements personnels peuvent être communiqués lorsque ces autres individus ont donné leur consentement, si une telle divulgation est autorisée en vertu du paragraphe 8(2) de la Loi, qui autorise la communication sans consentement dans certains cas particuliers seulement, ou si les renseignements sont déjà accessibles au public.

 

10.  Notre examen des renseignements a permis de confirmer que les renseignements retenus ne concernent pas la plaignante et aucune des exceptions invoquées par cette disposition ne s’applique dans le cas présent.

 

 

 

[7]          La demanderesse se prévaut de l’article 41 de la Loi afin de chercher à obtenir la révision judiciaire de la décision de refus. L’article 41 est libellé de la façon suivante :

  41. L’individu qui s’est vu refuser la communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger et en autoriser la prorogation.

 

  41. Any individual who has been refused access to personal information requested under subsection 12(1) may, if a complaint has been made to the Privacy Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Privacy Commissioner are reported to the complainant under subsection 35(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

 

 

[8]          La question en litige a été présentée par la demanderesse comme étant de savoir si l’application des articles 25 et 26 de la Loi, par le défendeur, a été faite correctement. Or, le défendeur ne s’appuie plus sur l’article 25 et se limite à invoquer l’article 26 aux pages qui concernent la demanderesse. C’est donc uniquement l’application de cet article 26 qui fait l’objet de cette révision judiciaire.

 

[9]          La nature même de l’article 26 fait en sorte qu’il n’est pas possible à la demanderesse d’en contrôler l’utilisation en examinant elle-même l’objet des caviardages. Cet article se lit de la façon suivante :

  26. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des rensei-gnements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l’article 8.

 

  26. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) about an individual other than the individual who made the request, and shall refuse to disclose such information where the disclosure is prohibited under section 8.

 

 

[10]      Ainsi, le défendeur a obtenu la permission de cette Cour de produire un affidavit confidentiel et un mémoire des faits et du droit tout aussi confidentiel. C’est par ordonnance de Monsieur le protonotaire Morneau, du 25 janvier 2013, que telle permission a été accordée. Appliquant l’article 46 de la Loi, le protonotaire a donné l’autorisation demandée par le défendeur.

 

[11]      L’effet de cette ordonnance est de permettre à la Cour de prendre connaissance des documents non caviardés sans la présence de la demanderesse. De plus, il découle bien sûr de cette première ordonnance que le défendeur peut présenter à la Cour des arguments en l’absence de la demanderesse, ex parte et à huis clos. La demanderesse n’a pas accès ni aux caviardages, ni aux arguments précis présentés en soutien aux caviardages. Il en résulte évidemment que le juge saisi de la demande de contrôle doit être particulièrement vigilant afin de protéger les droits de la demanderesse, étant donné la position dans laquelle elle est mise.

 

[12]      J’ai examiné les 167 pages qui ont été répertoriées par l’ARC en réponse à la demande amendée de la demanderesse. En ce qui a trait aux pages 38 à 167, il ne fait aucun doute qu’elles ne sont pas visées par la demande amendée qui a été faite et la demanderesse ne cherchait pas de toute manière à y avoir accès. Il serait évidemment inapproprié de décrire en quoi ces documents ne sont pas visés autrement que de dire qu’ils ne constituent aucun des items qui sont précisés dans la demande amendée. Il convient de rappeler que la Loi prévoit spécifiquement que le droit de se faire communiquer sur demande ne vaut que pour les renseignements personnels concernant la demanderesse. La demanderesse ne souhaite pas contester la décision au sujet de ces pages.

 

[13]      Quant aux 37 autres pages, elles n’ont fait l’objet de caviardage qu’en quelques endroits. À cet égard, le défendeur prétend n’avoir exclu que les renseignements qui portent sur un autre individu que la demanderesse. De fait, le défendeur a retiré des caviardages aux pages 26, 28, 32 et 36 le matin de l’audition. Il a été expliqué à l’audience que cette information qui, à n’en pas douter serait de l’information à exclure aux termes de l’article 26, ne doit plus être exclue puisqu’elle se retrouve maintenant dans le domaine public. Il ne reste plus donc que quelques caviardages.

 

[14]      J’ai examiné toutes et chacune des 37 pages. Je partage l’avis du Commissariat selon lequel les caviardages étaient autorisés en vertu de l’article 26; à mon sens, ils étaient nécessaires. L’article 8 de la Loi, qui permet en certaines circonstances de divulguer à un demandeur des informations qui seraient par ailleurs exclues, ne trouve aucunement application pour ce qui est des caviardages restants et, en particulier, je ne puis concevoir quelles raisons d’intérêt public pourraient justifier une telle violation de la vie privée ou en quoi les personnes concernées pourraient tirer quelque avantage de la divulgation si elle devait être faite.

 

[15]      La demanderesse, qui n’est pas représentée par avocat, a soumis un excellent mémoire des faits et du droit. Elle y exprime des réserves quant à l’utilisation du pouvoir par le défendeur invoquant en particulier une absence de bonne foi. Elle fait la concession, au paragraphe 46 de ce mémoire, qu’elle « ne conteste pas le fait que l’ARC ait supprimé certains passages lorsque ceux-ci constituaient des renseignements personnels concernant un autre individu ». La même concession a été faite tout aussi élégamment à l’audience. Mon examen des 37 pages me fait conclure que les caviardages qui ont été faits sont de cet acabit.

 

[16]      Après examen des documents, je dois donc conclure comme l’a fait la Directrice générale des enquêtes du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada que les renseignements qui n’ont pas été divulgués ne concernent aucunement la demanderesse. De même, j’ai constaté que les exceptions se trouvant à l’article 8 de la Loi ne trouvent pas application en l’espèce.

 

[17]      La demanderesse semble avoir été perturbée par les pages 33 à 37 qui ont toutes été caviardées en entier, à l’exception du milieu de la page 36 qui concerne directement la demanderesse. L’affidavit public et le mémoire des faits et du droit soumis par le défendeur donnent tous les deux la raison de ce caviardage. On peut y lire : “CRA internal document that refers to incident relating to different employees”.

 

[18]      J’ai évidemment porté une attention toute particulière à ces pages et je suis tout à fait satisfait qu’il s’agit bien d’information relative à d’autres individus.

 

[19]      Les parties ont soumis à la Cour diverses autorités. Étant donné que, comme le Commissariat, j’ai conclu qu’il était particulièrement clair que les caviardages étaient requis en vertu de la Loi, je ne juge pas nécessaire de réviser ces autorités.

 

[20]      Les parties ont de part et d’autre demandé que les dépens leur soient accordés. La demanderesse n’a pas eu l’avantage de voir les renseignements qui ont été exclus et on peut comprendre qu’elle ait des soupçons.

 

[21]      Ainsi, elle s’est demandée pourquoi des sections entières ne lui ont pas été communiquées, particulièrement aux pages 33 à 37. Quant à elle, « le fait de se voir refuser la communication de pages entières, aux motifs que celles-ci ne la concernent pas, alors que la demande initiale visait spécifiquement l’obtention de renseignements personnels la concernant » (paragraphe 49 du mémoire) alimente ses soupçons.

 

[22]      De la même manière, elle se questionnait sur l’application de l’article 25 de la Loi.

 

[23]      Comme on l’a vu, le défendeur se réclamait tant des articles 25 et 26 de la Loi, originalement, mais a mis de l’avant uniquement l’application de l’article 26 dans le cadre du contrôle judiciaire.

 

[24]      À mon avis, la facture particulière de ce dossier permettait à la demanderesse d’entretenir des soupçons qui n’étaient pas déraisonnables. Il serait malheureux, me semble-t-il, si des dépens étaient ordonnés contre la demanderesse qui n’a pu se satisfaire par elle-même de l’utilisation de l’article 26 dans un contexte où on peut comprendre, du moins en partie, les soupçons qui l’animaient. Même si sa demande devant cette Cour doit échoir, elle n’était pas frivole à sa face même. D’autre part, il ne s’agit pas de l’un de ces cas rares où des dépens devraient être adjugés malgré l’issue de la cause. En fin de compte, je conclus qu’il ne s’agit pas d’un cas où des dépens devraient être ordonnés contre la partie qui a échoué.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de révision en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, ch P-21, est rejetée. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1851-12

 

INTITULÉ :                                      JULIE GRANT c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 2 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 décembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Julie Grant

 

LA DEMANDERESSE EN SON PROPRE NOM

 

Me Tamara Thermitus

Me Sébastien Gagné

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

LA DEMANDERESSE EN SON PROPRE NOM

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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