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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20131211

Dossier : IMM-1753-13

Référence : 2013 CF 1242

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

 

FITO ALCIN, ROSIANIE ALCIME, FRISNEL ALCIN, OWENSLAY ALCIN, NAJIKA ALCIN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

         MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) visant la décision, datée du 15 février 2013, rendue par Lina Ly, une agente de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente de CIC), décision rejetant la demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

II.        Faits

[2]               Fito Alcin (le demandeur principal) et son épouse Rosianie Alcime sont des citoyens de Haïti et ils ont trois enfants qui sont des citoyens des États‑Unis : Frisnel Alcin, né le 6 juin 2002; Najika Alcin, née le 17 juillet 2003; Owenslay Alcin, né le 16 juin 2005 (les demandeurs).

 

[3]               Le demandeur principal et son épouse se sont enfuis de Haïti en 2002 et se sont rendus aux États‑Unis d’Amérique (les É.‑U.), où leurs enfants sont nés.

 

[4]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 2 juillet 2008 et ont présenté une demande d’asile qui a été rejetée le 25 juin 2010.

 

[5]               Le 25 octobre 2010, les demandeurs ont présenté leur demande CH.

 

[6]               Les demandeurs font l’objet d’une mesure de renvoi, mais une suspension temporaire des renvois (la STR) vers Haïti est en vigueur au Canada jusqu’à nouvel ordre.

 

III.       Décision soumise au contrôle

[7]               L’agente de CIC a été convaincue de l’identité et de la citoyenneté de chacun des demandeurs.

 

[8]               Dès le début de la décision, l’agente de CIC a décrit le caractère exceptionnel de la demande CH et a déclaré qu’il incombait aux demandeurs d’établir qu’ils feraient face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente par la voie normale, c’est-à-dire de l’étranger.

 

[9]               La demande CH était fondée sur trois motifs, à savoir : le degré d’établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants et la situation dans le pays d’origine. Que ces trois motifs soient pris séparément ou ensemble, ils ne justifient pas une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

[10]           Premièrement, en ce qui a trait au niveau d’établissement au Canada, l’agente de CIC a examiné la situation d’emploi ainsi que les antécédents d’emploi du demandeur principal et de son épouse, tant au Canada qu’aux É.‑U., et a conclu qu’ils n’avaient pas établi de façon adéquate la raison pour laquelle ils ne seraient pas en mesure de trouver du travail en Haïti s’ils devaient y retourner, étant donné leurs expériences professionnelles. En outre, ils n’ont pas démontré leur autonomie financière et la façon dont le fait de perdre leur emploi ici, en raison de l’obligation de présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger, mènerait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[11]           L’agente de CIC a aussi pris en compte d’autres arguments avancés par les demandeurs relativement à leur établissement au Canada, en particulier les piètres perspectives d’emploi en Haïti et le fait que les demandeurs apportent du soutien financier aux membres de leur famille en Haïti, lesquels ont subi les dévastations du tremblement de terre de 2010. Néanmoins, l’agente de CIC a noté qu’une STR était en vigueur en raison de l’instabilité actuelle en Haïti, ce qui signifie que les demandeurs pouvaient demeurer et travailler au Canada entre-temps, et continuer à soutenir leur famille jusqu’à ce que la STR soit levée. Enfin, l’agente de CIC a conclu que les demandeurs n’avaient pas suffisamment démontré le caractère adéquat du niveau de leur établissement et de leur intégration au Canada et la façon dont la rupture des liens avec le Canada résulterait en des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[12]           Deuxièmement, l’agente de CIC a examiné l’intérêt supérieur des enfants et a commencé par l’observation que les trois enfants sont des citoyens américains. L’agente de CIC a examiné une lettre d’une organisation dénommée La Maisonnée, services d’aide et de liaison pour immigrants, dans laquelle il était souligné que la situation en Haïti était difficile et que les enfants étaient établis au Canada. L’agente de CIC a relevé que cette lettre était le seul élément de preuve produit relativement à l’intérêt supérieur des enfants et elle a conclu que les demandeurs, auxquels incombait de fournir une preuve suffisante, n’avaient pas démontré que leurs enfants étaient bien établis et intégrés au Canada.

 

[13]           L’agente de CIC a aussi conclu que l’unité familiale ne serait pas compromise si les demandeurs devaient retourner en Haïti pour présenter leur demande de résidence permanente. Étant donné que les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils ne seraient pas en mesure de travailler dans leur pays d’origine, l’agente de CIC a conclu qu’ils n’avaient pas non plus établi que leurs enfants ne pouvaient pas bien s’y adapter et qu’ils seraient privés du soutien émotionnel, physique et matériel de leurs parents en Haïti. L’agente de CIC a aussi relevé que, malgré le fait que le fardeau de la preuve pesait sur eux, les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve documentaire relativement à leur allégation selon laquelle le système d’éducation en Haïti était d’une qualité moindre. Cela étant dit, l’agente de CIC a consulté la documentation objective et publique relative à la situation difficile actuelle du système d’éducation haïtien, mais elle a néanmoins conclu que, jusqu’à ce que la STR pour Haïti soit levée, les demandeurs pouvaient demeurer au Canada et leurs enfants pouvaient continuer à bénéficier du système d’éducation canadien. Bien qu’elle se soit déclarée sensible et réceptive aux intérêts supérieurs de l’enfant, l’agente de CIC a maintenu que ce facteur n’était pas plus important que les autres intérêts au point d’entraîner une présomption prima facie selon laquelle il devrait toujours prévaloir. Les demandeurs n’ont simplement pas avancé de preuve suffisante à l’appui de leurs allégations.

 

[14]           Troisièmement, en ce qui concerne la situation dans le pays d’origine, l’agente de CIC a rappelé que sous le régime de la nouvelle loi, le ministre « ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face ».

 

[15]           Selon l’agente de CIC, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve documentaire objective relative à la situation généralement difficile dans leur pays d’origine, à l’exception d’un certain nombre de lettres non signées de membres de leur famille. L’agente de CIC a néanmoins de sa propre initiative entrepris d’examiner la preuve objective et publique, et elle a reconnu que la situation en Haïti était en réalité difficile, en particulier depuis le tremblement de terre de 2010. Toutefois, elle a noté que cette situation difficile et ces conditions de vie précaires touchaient l’ensemble de la population haïtienne, et non pas seulement les demandeurs. L’agente de CIC a fait référence à la STR en vigueur pour Haïti, elle a ajouté que cette mesure est une conséquence directe d’un risque généralisé et non pas d’un risque personnalisé, et elle a relevé que, malgré la STR, les demandeurs ne s’étaient pas déchargés du fardeau de prouver que, dans leur situation précise, ils feraient face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger, une fois que la STR serait levée.

 

[16]           L’agente de CIC a conclu par la déclaration selon laquelle les demandeurs qui bénéficient encore de la STR pouvaient continuer leur intégration au Canada et présenter ultérieurement une autre demande CH.

 

IV.       Observations des demandeurs

[17]           Les demandeurs soutiennent que l’agente de CIC a conclu de façon erronée qu’ils feraient face à un risque généralisé en Haïti, et que cette conclusion viciait le reste de la décision. Ils présentent trois arguments principaux : 1) l’agente de CIC a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans son appréciation des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, lorsqu’elle a conclu que la situation actuelle en Haïti présentait un risque généralisé et non pas un risque personnalisé, 2) l’agente de CIC a erronément fondé son raisonnement sur l’existence d’une STR pour Haïti, 3) l’agente de CIC a minimisé l’intérêt supérieur des enfants.

 

[18]           Les demandeurs avancent en premier lieu l’argument selon lequel l’agente de CIC a commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, lorsqu’elle a conclu que la situation actuelle en Haïti s’élevait au niveau d’un risque généralisé. En fait, ils allèguent que ce faisant, l’agente de CIC a mal compris le critère applicable et a appliqué une norme trop stricte – on s’attendait à ce que les demandeurs prouvent qu’ils étaient exposés à un risque personnalisé. La Cour a récemment accueilli une demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle a conclu que l’agent avait commis une erreur quand il a fondé son analyse sur le risque et non pas sur le préjudice. Aussi, comme la Cour l’a confirmé à maintes reprises, les motifs auraient dû être centrés sur les difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives auxquelles les demandeurs étaient exposés et non pas sur les risques futurs, lesquels sont applicables à une demande d’asile ou à un examen des risques avant renvoi.

 

[19]           De plus, l’agente de CIC a fait référence à une décision rendue avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, laquelle a écarté l’application des articles 96 et 97 dans la décision relative à une demande CH. Dans le nouveau régime législatif, le guide IP 5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (le guide IP 5) a été modifié pour donner l’ordre explicite aux agents de CIC de ne pas tenir compte des critères applicables au titre des articles 96 et 97 de la LIPR, et de se concentrer sur les « difficultés auxquelles l’étranger fait face » notamment, les « conditions défavorables dans le pays qui ont une incidence néfaste directe sur le demandeur ». Toutefois, en l’espèce et contrairement à cette directive, l’agente de CIC a appliqué le critère qui faisait partie de l’article 97, lorsqu’elle a déclaré que la situation actuelle en Haïti touchait l’ensemble de la population et constituait donc un risque généralisé et non pas un risque personnalisé. Toutefois, les demandeurs avaient présenté la preuve de « l’incidence néfaste directe » subie et l’agente de CIC a elle-même identifié dans la preuve documentaire plusieurs éléments qui établissaient des conditions défavorables dans la situation générale en Haïti.

 

[20]           En guise de deuxième argument, les demandeurs allèguent que l’agente de CIC a erronément fondé son raisonnement sur l’existence d’une STR pour Haïti. Bien qu’il soit vrai que l’existence d’une STR pour un pays particulier ne justifierait pas une issue favorable pour toute demande CH présentée relativement à ce pays, elle ne peut très certainement pas systématiquement mener à une issue défavorable. Selon le guide IP 5, précité, l’existence d’une STR peut être prise en compte dans l’appréciation de l’établissement d’un demandeur au Canada. Toutefois, à de nombreuses occasions dans la présente affaire, l’agente de CIC a simplement comblé les lacunes de son analyse par la déclaration selon laquelle, quelle que soit l’issue de sa décision, les demandeurs demeureraient au Canada.

 

[21]           Le troisième et dernier argument avancé par les demandeurs a trait à l’appréciation faite par l’agente de CIC de l’intérêt supérieur des enfants. Ils avancent que l’agente de CIC a minimisé la preuve existant à cet égard. Selon la jurisprudence et le guide IP 5, l’agent doit « toujours être vigilant et sensible à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant ». En l’espèce, l’agente de CIC a conclu à l’absence de preuve quant à l’intégration des enfants au Canada, après avoir rejeté la lettre de l’organisation La Maisonnée, service d’aide et de liaison pour les immigrants, mais elle n’a pas expliqué pourquoi elle a rejeté cette lettre. En outre, l’agente de CIC n’a jamais examiné le fait que les enfants sont des citoyens américains et qu’ils n’ont aucun lien avec Haïti. Toutefois, les demandeurs soutiennent que, dans leur affidavit, ils ont présenté une série d’éléments qui indiquent que les enfants sont dans une bien meilleure position au Canada qu’ils ne le seraient jamais en Haïti.

 

[22]           En outre, bien que les demandeurs n’aient pas présenté un large éventail de preuves, l’agente de CIC a néanmoins examiné la documentation et a reconnu l’existence de conditions défavorables dans ce pays en ce qui a trait aux enfants, mais elle a déclaré que l’existence d’une STR protégeait en quelque sorte les demandeurs. Une fois de plus, l’agente de CIC a comblé les lacunes de son analyse en se fondant sur l’existence de la STR. Enfin, les demandeurs soutiennent que le processus adopté par l’agente de CIC pour l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants ne prenait pas en compte les décisions récentes de la Cour.

 

[23]           Par conséquent, parce que l’agente de CIC a appliqué le mauvais critère dans son appréciation des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, parce qu’elle a accordé trop d’importance à l’existence d’une STR pour Haïti et parce qu’elle a minimisé l’intérêt supérieur des enfants, sa décision ne peut pas être maintenue.

 

V.        Observations du défendeur

[24]           Le défendeur soutient que la décision de l’agente de CIC était raisonnable et devrait être maintenue principalement parce qu’elle a fondé sa décision sur le fait que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuves objectives suffisantes, et parce que la décision était hautement discrétionnaire et résultait d’une appréciation purement factuelle de l’affaire.

 

[25]           Premièrement, le défendeur allègue que l’agente de CIC n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son appréciation des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, lorsqu’elle a conclu que la situation actuelle en Haïti présentait un risque généralisé par opposition à un risque personnalisé. En fait, les demandeurs n’ont présenté aucune preuve objective de la situation actuelle dans le pays, et ils n’ont pratiquement avancé aucune allégation quant à leur possible situation future en Haïti. De plus, bien que l’agente de CIC ait en fait déclaré que les demandeurs seraient dans la même situation que le reste de la population haïtienne, elle a clairement énoncé qu’ils n’avaient pas démontré comment cette situation mènerait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pour eux. Ce fardeau incombait aux demandeurs. Le demandeur principal a produit un affidavit décrivant les difficultés auxquelles sa famille serait exposée en Haïti, mais cet affidavit n’a pas été soumis à l’agente de CIC et les renseignements qui y étaient contenus ne devraient pas être pris en compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[26]           En outre, en ce qui a trait à la situation actuelle en Haïti, le défendeur soutient que la situation difficile générale dans ce pays ne suffit pas à octroyer une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[27]           Deuxièmement, en ce qui a trait à l’argument des demandeurs selon lequel l’agente de CIC s’est erronément fondée sur l’existence d’une STR pour Haïti, le défendeur rappelle à la Cour que l’existence d’une STR ne justifie pas automatiquement de faire droit à une demande CH. Bien que l’agente de CIC ait tenu compte du fait que les demandeurs demeureront au Canada jusqu’à ce que la STR soit levée, cet élément ne constituait en rien le fondement de la décision, il s’agissait simplement d’un commentaire supplémentaire, étant donné que la décision de l’agente de CIC était fondée sur le fait que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuves suffisantes à l’appui de leurs allégations.

 

[28]           De plus, en ce qui concerne l’établissement des demandeurs au Canada, l’agente de CIC a tenu compte des circonstances de l’affaire et a conclu que l’établissement des demandeurs au Canada ne constituait pas un motif suffisant. Cette décision était raisonnable puisqu’il incombait aux demandeurs de prouver leurs allégations et ils ne l’ont pas fait. Le défendeur soutient en outre que la question de l’intégration au Canada n’est pas en soi suffisante pour prouver l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives auxquelles une partie pourrait faire face, si on lui demandait de présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[29]           Troisièmement, en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, une fois de plus les demandeurs n’ont simplement pas produit de preuve documentaire suffisante relative en particulier à l’intégration des enfants au Canada, aux raisons pour lesquelles ils ne pouvaient pas bénéficier du soutien de leurs parents en Haïti, et aux allégations selon lesquelles les enfants ne pouvaient pas se prévaloir d’une éducation d’une qualité similaire à celle qu’ils ont au Canada. Ils n’ont pratiquement présenté aucune preuve selon laquelle l’intérêt des enfants serait compromis, s’ils étaient déplacés en Haïti. En fait, l’agente de CIC a tenu compte du peu de preuve présentée par les demandeurs – et a explicitement reconnu la lettre en cause de La Maisonnée, services d’aide et de liaison pour immigrants – et, une fois de plus, elle a de sa propre initiative entrepris d’examiner la documentation générale. En définitive, elle a raisonnablement conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agente de CIC n’a en rien minimisé l’intérêt supérieur des enfants : l’appréciation de cette question doit être faite dans la prise en compte plus générale quant à savoir si, eu égard à toutes les circonstances, notamment l’intérêt supérieur des enfants, les demandeurs feraient face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[30]           Le défendeur soutient aussi que les demandeurs sollicitent de la Cour qu’elle réexamine la preuve qui était soumise à l’agente de CIC relativement à l’intérêt supérieur des enfants, parce qu’ils ne sont pas satisfaits de la décision que l’agente de CIC a raisonnablement rendue. Toutefois, l’appréciation de la preuve était tâche de l’agente de CIC et non pas celle de la Cour.

 

VI.       Réponse des demandeurs

[31]           Dans leur réponse aux arguments du défendeur, les demandeurs font référence à des paragraphes précis de leurs observations originales, et ainsi, ils ne présentent aucun autre argument.

 

[32]           Toutefois, ils invitent la Cour à prendre en compte la nouvelle jurisprudence qui clarifie davantage la nature des difficultés subies et l’importance de s’en tenir à une analyse des difficultés dans le cadre d’une demande CH, plutôt que de procéder à une appréciation du risque personnalisé.

 

VII.     Questions en litige

[33]           Le présent litige soulève les deux questions suivantes :

1.      L’agente de CIC a-t-elle appliqué le bon critère juridique au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR comme il est lié à l’appréciation de la situation actuelle en Haïti pour déterminer l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives?

 

2.      L’agente de CIC a-t-elle adéquatement apprécié les considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, plus précisément en ce qu’elles ont trait à l’appréciation de la situation actuelle en Haïti pour déterminer l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, à la mention de la STR en vigueur en Haïti et à la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants?

 

VIII.    Norme de contrôle

[34]           La Cour suprême du Canada a énoncé au paragraphe 62 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9 (Dunsmuir), qu’une analyse à deux étapes de la norme de contrôle est nécessaire afin de déterminer la norme applicable à une cause précise. La première étape de cette analyse est que la cour saisie « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[35]           En ce qui concerne la première question, celle relative au critère juridique applicable, la juge Gleason de la Cour a récemment déclaré que : « il convient, selon la jurisprudence, d’appliquer la norme de la décision correcte dans l’examen de l’énoncé du critère à employer pour savoir si une demande CH est ou non recevable » (Diabate c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 129, [2013] ACF no 124, au paragraphe 25).

 

[36]           En ce qui concerne la deuxième question, celle relative à l’appréciation de la preuve présentée, au paragraphe 62 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, la Cour suprême du Canada a établi que la norme de contrôle applicable dans le cadre des contrôles judiciaires des décisions relatives aux demandes CH est la décision raisonnable. Cette norme de contrôle a été confirmée, après l’arrêt Dunsmuir, par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18, et suivie dans les décisions récentes de la Cour (voir par exemple la décision Mirza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 50, [2011] ACF n259; Daniel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 797, [2011] ACF no 1005, au paragraphe 12).

 

[37]           Par conséquent, en ce qui concerne la deuxième question, la Cour doit se demander « si la décision appar[tient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47) et doit faire preuve d’une grande retenue eu égard à la décision de l’agente de CIC (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] ACS no 3).

 

IX.       Analyse

A.   L’agente de CIC a‑t‑elle appliqué le bon critère juridique au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR comme il est lié à l’appréciation de la situation actuelle en Haïti pour déterminer l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives?

 

[38]           La première question traite de l’identification du critère que l’agente de CIC a appliqué lorsqu’elle a établi quelles étaient les considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR en l’espèce. A-t-elle examiné les facteurs pris en compte pour statuer sur les demandes présentées au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR? A‑t-elle plutôt examiné les éléments liés aux difficultés auxquelles l’étranger fait face?

 

[39]           Selon les demandeurs, l’agente de CIC a commis une erreur dans son appréciation des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives de la situation actuelle en Haïti, lorsqu’elle a conclu que la situation en Haïti s’élevait au niveau d’un risque généralisé, ce qui fait partie des facteurs pris en compte en application de l’article 97. Toutefois, je conclus que l’agente de CIC a appliqué le bon critère, à savoir, celui lié aux difficultés et ainsi, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée quant à cette question.

 

[40]           Tout d’abord, je dois reconnaître que les arguments factuels des demandeurs sont d’une certaine façon valides, parce que l’agente de CIC a en réalité fait référence, à de nombreuses reprises, à la situation générale en Haïti et a conclu qu’ils ne seraient pas exposés à des conditions différentes de celles auxquelles l’ensemble de la population haïtienne est exposée. Comme les demandeurs l’ont soutenu à bon droit, et comme l’agente de CIC l’a dûment relevé dans sa décision, à la suite de la modification du paragraphe 25(1.3) de la LIPR par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8, la preuve présentée dans les demandes CH ne doit plus être appréciée à la lumière des facteurs pertinents aux demandes présentées au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR, lesquels comprenaient une distinction entre le risque généralisé et le risque personnalisé, facteur pertinent au titre de l’article 97 (voir par exemple le paragraphe 26 de la décision Caliskan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1190, [2012] ACF no 1291).

 

[41]           Cette modification s’est reflétée dans le guide IP 5, lequel est maintenant rédigé de la façon suivante : […] « [b]ien qu’il ne puisse tenir compte des facteurs visés aux L96 et L97, le décideur doit tenir compte des éléments liés aux difficultés auxquelles l’étranger fait face », lesquels peuvent inclure « des conditions défavorables dans le pays qui ont une incidence néfaste directe sur le demandeur ». À cet égard, la conduite de l’agente de CIC montre qu’elle a pris en compte les facteurs visés aux articles 96 et 97, de même que les nouveaux critères établis et énoncés dans le guide IP 5, c’est-à-dire les difficultés auxquelles les demandeurs feraient face, s’ils devaient retourner dans leur pays d’origine. Toutefois, lorsque je lis la décision dans son ensemble, je conclus que l’agente de CIC a effectivement appliqué le bon critère juridique. De plus, même si les demandeurs avaient le fardeau d’avancer des éléments de preuve, ils ont clairement manqué à leur obligation et cela est significatif. Somme toute, il peut y avoir une apparence de confusion dans l’application du bon critère juridique, mais en définitive, lorsque la décision est prise dans son ensemble, le bon critère juridique a été appliqué.

 

B.  L’agente de CIC a-t-elle adéquatement apprécié les considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, plus précisément en ce qu’elles ont trait à l’appréciation de la situation actuelle en Haïti pour déterminer l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, à la mention de la STR en vigueur en Haïti, et à la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants?

 

[42]           La Cour conclut que la décision rendue par l’agente de CIC, bien qu’elle soit imparfaite, est néanmoins raisonnable, principalement parce que les demandeurs n’ont pas produit de preuve suffisante à l’appui de leurs allégations.

 

[43]           En fait, eu égard aux trois facteurs, je conclus que les demandeurs sollicitent simplement de la Cour qu’elle soupèse à nouveau le peu de preuve qu’ils avaient présentée à l’agente de CIC dans leur demande CH. Toutefois, la tâche d’apprécier et de soupeser cette preuve ressort de la responsabilité du décideur et non pas de celle de la Cour, étant donné que la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 7 de la décision Nsongi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1291, [2010] ACF n1670 :

 

[7]        Il est bien établi que la décision prise par un délégué du ministre d’accueillir une demande CH est une décision exceptionnelle et discrétionnaire (Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker); Legault c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 125; Garcia De Leiva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 717; Herrera Rivera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 570). De plus, le délégué du ministre qui est saisi d’une demande CH a la responsabilité d’examiner la preuve et de lui accorder le poids approprié : ce n’est pas le rôle du tribunal d’instance supérieure (Suresh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 1; Legault c Canada (Citoyenneté et Immigration), précité). [...]

 

[44]           Il convient aussi de noter que, dans les demandes CH, il incombe aux demandeurs de fournir les preuves à l’appui de leurs allégations :

 

[5]     […] De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée. (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5, [2004] ACF no 158 (Owusu)).

 

En fait, la Cour d’appel fédérale a réitéré cette déclaration au paragraphe 35 de l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713 (Kisana), lorsqu’elle a conclu ainsi : « Il est incontestable qu’il incombait aux appelants d’établir le bien-fondé des allégations contenues dans leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire ». Par conséquent, les demandeurs doivent toujours prouver qu’ils feraient face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[45]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour conclut que, en dehors de l’analyse qu’elle a entreprise pour chacune des allégations, l’agente de CIC a principalement rejeté la demande CH des demandeurs parce qu’ils ne se sont pas déchargés du fardeau de la preuve, ce qui rend donc la décision soumise au contrôle raisonnable.

 

1. Situation actuelle en Haïti

[46]           Comme énoncé précédemment, bien que l’agente de CIC fasse référence au fait que les demandeurs auraient été dans la même situation difficile que le reste de la population haïtienne, je conclus qu’elle n’a pas fondé son refus uniquement sur ce raisonnement. La Cour conclut que l’agente de CIC a d’abord et avant tout rejeté la demande CH parce que les demandeurs n’ont pas fourni de preuves suffisantes à l’appui de leurs allégations. En fait, ils ont fourni très peu d’éléments à l’agente de CIC pour que celle-ci puisse faire son travail : leur demande CH contenait seulement des allégations étayées par des lettres non signées de membres de leur famille ou de leurs connaissances vivant en Haïti. Ils n’ont fourni absolument aucune preuve documentaire objective reflétant les difficultés auxquelles ils feraient face en Haïti, ou comme l’agente de CIC l’a déclaré « les demandeurs n’ont toutefois pas soumis de preuves documentaires objectives sur la situation générale dans le pays ». Dans la décision, l’agente de CIC a estimé que le peu d’éléments de preuve produits par les demandeurs, qu’elle a réellement examinés et appréciés, n’étaient pas suffisants. Cela suffisait à rejeter la demande CH parce que le fardeau pesait sur les demandeurs. Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau cette preuve.

 

[47]           De plus, après avoir conclu qu’on ne lui avait pas présenté de preuve pouvant aider les demandeurs, l’agente de CIC a de sa propre initiative entrepris d’examiner la preuve documentaire publique et objective, même si elle n’avait pas à le faire. Si elle ne l’avait pas fait, l’agente de CIC n’aurait rien eu à examiner relativement à la situation générale en Haïti, et, compte tenu de sa conclusion précitée, la demande CH aurait certainement été rejetée, simplement parce que les demandeurs n’ont pratiquement fourni aucune preuve à l’appui de leurs observations. La question de savoir si cette preuve a été interprétée eu égard au risque personnalisé pour les demandeurs ou eu égard à un risque généralisé pour l’ensemble de la population haïtienne importe peu – étant donné que les demandeurs n’ont pour ainsi dire présenté aucune preuve relative à la situation actuelle en Haïti et que cela suffit à rejeter leur demande, l’agente de CIC ne peut certainement pas être prise en défaut pour son appréciation de la preuve qu’elle a dû produire elle-même!

 

[48]           À partir de cette conclusion raisonnable, et compte tenu de l’indubitable manque de preuve dans la présente affaire en ce qui concerne la situation actuelle en Haïti, le fait de renvoyer l’affaire à l’agente de CIC sur cette seule question serait un exercice théorique.

 

[49]           Par conséquent, bien que la décision de l’agente de CIC ne soit pas parfaite, la Cour conclut que l’agente de CIC n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son appréciation des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives auxquelles les demandeurs feraient face, puisqu’ils n’ont produit aucune preuve objective de telles difficultés malgré le fait qu’il leur incombait de convaincre l’agente de CIC du bien-fondé de leurs allégations.

 

2. Intérêt supérieur des enfants

[50]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel l’agente de CIC a minimisé l’intérêt supérieur des enfants, le raisonnement de la Cour sera très semblable à celui appliqué au premier argument des demandeurs.

 

[51]           Ici, encore une fois, les demandeurs n’ont simplement pas fourni de preuve suffisante. En fait, ils ont produit une lettre de l’organisation La Maisonnée, services d’aide et de liaison pour immigrants, lettre que l’agente de CIC a prise en compte et qu’elle a explicitement admise dans sa décision, mais elle a raisonnablement conclu qu’il s’agissait d’une preuve insuffisante pour établir l’intégration des enfants au Canada. Comme mentionné ci-dessus, il incombait aux demandeurs de produire des éléments de preuve suffisants à l’appui de leurs allégations. À de nombreuses occasions, l’agente de CIC a expliqué qu’ils n’ont pas présenté de preuve suffisante établissant la situation difficile à laquelle les enfants feraient face en Haïti ni le fait que les enfants ne pourraient bénéficier du soutien émotionnel, physique et matériel de leurs parents en Haïti.

 

[52]           Une fois de plus, en présence d’un grand manque de preuve, l’agente de CIC a décidé, de sa propre initiative, d’examiner les documents publics et objectifs relatifs à la situation des enfants dans le pays d’origine. Comme cela était le cas pour le premier argument des demandeurs et comme énoncé ci-dessus, ce manque de preuve aurait été suffisant pour rejeter la demande CH, parce que si l’agente n’avait pas examiné d’autres documents, elle n’aurait pratiquement rien eu pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants.

 

[53]           Toutefois, l’agente de CIC a en quelque sorte évalué l’intérêt supérieur des enfants et, comme mentionné ci-dessus, elle ne peut pas être prise en défaut pour son appréciation de la preuve qu’elle a elle-même avancée, en raison du défaut des demandeurs de le faire. Étant donné que les demandeurs n’ont pour ainsi dire pas présenté de preuve à l’appui de leurs allégations, la seule façon selon laquelle l’agente de CIC pouvait prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants était au moyen de l’examen de la preuve documentaire qu’elle avait produit de sa propre initiative. Ainsi, cet argument ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

3. Mention de la STR en vigueur pour Haïti

 

[54]           Enfin, les demandeurs allèguent que l’agente de CIC a erronément fondé son raisonnement sur l’existence d’une STR pour Haïti, afin de combler les nombreuses lacunes de sa décision. Je conclus que cet argument ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[55]           Pour plus de clarté, je dois commencer par préciser qu’une suspension temporaire des renvois est une mesure gouvernementale symptomatique d’un risque généralisé pour la population dans un pays précis et que, dans le contexte d’une demande CH, l’existence d’une STR relativement à un pays particulier ne peut pas automatiquement mener à une issue précise, qu’elle soit favorable ou défavorable. Ainsi, le fait qu’une STR soit en vigueur pour Haïti n’interdisait pas à l’agente de CIC de rejeter la demande CH (Nkitabungi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 331, [2007] ACF no 449, au paragraphe 17).

 

[56]           De manière similaire à la conclusion relative au premier argument des demandeurs, la Cour conclut que l’agente de CIC n’a pas fondé son raisonnement uniquement sur la STR, mais principalement sur le fait que les demandeurs n’ont pas fourni de preuve suffisante à l’appui de toutes leurs allégations. Comme énoncé précédemment, il incombait aux demandeurs de prouver qu’ils feraient face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[57]           La Cour a déjà conclu qu’en réalité, les demandeurs n’avaient pas produit de preuve suffisante en ce qui a trait à la situation actuelle en Haïti et à l’intérêt supérieur des enfants. Il ne reste donc que l’analyse de la preuve présentée relativement à l’autre allégation contenue dans la demande CH : l’établissement des demandeurs au Canada.

 

[58]           Les demandeurs soutiennent que l’agente de CIC s’est fondée sur l’existence d’une STR pour Haïti afin de combler les lacunes de son analyse portant sur leur établissement au Canada et sur l’intérêt supérieur des enfants. Dans son analyse de l’établissement des demandeurs au Canada, l’agente de CIC a tenu compte du peu d’éléments de preuve présentés par les demandeurs, et cette appréciation de la preuve repose sur son expertise et sa compétence. Elle a pris en compte leurs antécédents d’emploi et a ajouté que : « […] aucun autre document n’a été déposé au dossier afin de démontrer leur autonomie financière […] ». Les demandeurs avancent en outre que la situation de l’emploi est difficile en Haïti, mais comme mentionné ci-dessus, ils n’ont présenté aucune preuve objective de la situation dans le pays. Les demandeurs avancent aussi l’argument selon lequel ils apportent du soutien financier aux membres de leur famille en Haïti, mais ils n’ont pas produit de preuve documentaire pour l’établir, comme un relevé de dépôt bancaire.

 

[59]           De plus, après avoir pris en compte et soupesé la preuve, l’agente de CIC a raisonnablement conclu que l’établissement des demandeurs au Canada n’est pas un motif suffisant pour faire droit à une demande CH, comme la Cour l’a déclaré au paragraphe 43 de la décision Lynch c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 615, [2009] ACF no 795 :

 

[43]      Selon la jurisprudence, le niveau d’établissement au Canada n’est pas déterminant à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. De même, les difficultés inhérentes à l’obligation de partir après avoir passé plusieurs années au Canada ne sont habituellement pas suffisantes pour justifier une dispense. Encore une fois, l’article 25 de la LIPR est destiné à offrir une dispense exceptionnelle en présence de difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives (Singh, précitée, aux paragraphes 51 et 52; Wazid, précitée, aux paragraphes 14 et 16; Monteiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1322, 166 A.C.W.S. (3d) 556, aux paragraphes 18 à 20; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 368, 167 A.C.W.S. (3d) 161, au paragraphe 2; Souici c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 66, 308 F.T.R. 111, aux paragraphes 9 et 10 et 36 à 40).

 

 

[60]           Comme énoncé précédemment, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve appréciée par l’agente de CIC.

 

[61]           Ainsi, bien que l’agente de CIC ait mentionné à de nombreuses reprises que les demandeurs, tant les adultes que les enfants, pouvaient rester au Canada en raison de la STR en vigueur pour Haïti, et donc continuer à bénéficier des avantages dus au fait de vivre au Canada, la Cour conclut que ces mentions de la STR sont de simples remarques de l’agente de CIC, ce qui ne les rend pas inadmissibles. Comme énoncé précédemment, elles n’ont pas été utilisées pour décider de l’issue de la cause. Au contraire, le facteur déterminant était le manque de preuve.

 

            4. Conclusion

[62]           En fait, je conclus que, comme l’agente de CIC l’a justement relevé, les demandeurs n’ont pas produit de preuve suffisante à l’appui de leurs allégations, malgré le fait qu’ils avaient le fardeau de prouver qu’ils feraient face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger. Je conclus aussi que l’agente de CIC a raisonnablement apprécié le peu de preuve qui lui a été soumise et elle est même allée plus loin que ce qui était attendu d’elle, lorsqu’elle a consulté de sa propre initiative des documents publics et objectifs. Bien que la décision soumise au contrôle soit loin d’être irréprochable, compte tenu du fait que le manque absolu de preuve présenté par les demandeurs suffit à rejeter la demande CH, la décision de l’agente de CIC appartient indubitablement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et elle doit donc être maintenue.

 

[63]           Les parties ont été invitées à présenter des questions aux fins de certification, mais aucune question n’a été proposée.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                    « Simon Noël »

                                                                                    ___________________________

                                                                                                            Juge

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1753-13

 

INTITULÉ :                                                  ALCIN ET Autres

c

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 5 décembre 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  Le juge Noël

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                       Le 11 décembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Goldberg

POUR LES DEMANDEURS

 

Sherry Rafai Far

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Blanshay Goldberg Berger

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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