Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20131211


Dossier : T‑765‑13

 

Référence : 2013 CF 1244

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Campbell

 

 

 

 

ENTRE :

TERIKA DAVIS

 

demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Il convient de lire les présents motifs de l’ordonnance et ordonnance conjointement avec ceux qui ont été rendus dans la décision rendue dans le dossier T‑764‑13 pour les motifs expliqués dans l’introduction à cette décision, qui est citée dans les paragraphes qui suivent.

 

I.          Introduction

[2]               En avril 2009, Lancia Davis (DDN : 18 août 1989) et sa jeune sœur, Terika Davis (DDN : 23 décembre 1991), toutes les deux citoyennes jamaïcaines, ont été adoptées par leur grand‑mère canadienne, Ida Brown (Ida). Une fois adoptées, Lancia et Terika ont demandé la citoyenneté canadienne en juin 2009. La même agente d’immigration (l’agente) a rejeté les deux demandes pour les mêmes motifs. À la suite de quoi, Lancia et Terika ont déposé des demandes de contrôle judiciaire distinctes auprès de la Cour dans lesquelles elles contestaient ces refus (dossier T‑764‑13 pour Lancia et dossier T‑765‑13 pour Terika).

 

[3]               Étant donné que Lancia avait plus de 18 ans à la date de l’adoption, sa demande de citoyenne était régie par le paragraphe 5.1 (2) de la Loi sur la citoyenneté (L.R.C., 1985, ch. C‑29) (la Loi). Terika ayant moins de 18 ans à la date de son adoption, sa demande de citoyenneté était régie par le paragraphe 5.1 (1) de la Loi. Les paragraphes 5.1 (1) et 5.1 (2) se lisent ainsi :

 

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

    a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

 

    b) elle a créé un véritable lien affectif parent‑enfant entre l’adoptant et l’adopté;

 

    c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

 

    d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

Note marginale : Cas de personnes adoptées — adultes

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était âgée de dix‑huit ans ou plus, si les conditions suivantes sont remplies :

 

    a) il existait un véritable lien affectif parent‑enfant entre l’adoptant et l’adopté avant que celui‑ci n’atteigne l’âge de dix‑huit ans et au moment de l’adoption;

 

 

    b) l’adoption satisfait aux conditions prévues aux alinéas (1)c) et d).

5.1 (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

 

 

 

 

 

(a) was in the best interests of the child;

 

(b) created a genuine relationship of parent and child;

 

 

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

 

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

 

 

 

(2) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was at least 18 years of age if

 

 

 

(a) there was a genuine relationship of parent and child between the person and the adoptive parent before the person attained the age of 18 years and at the time of the adoption; and

 

(b) the adoption meets the requirements set out in paragraphs (1)(c) and (d).

 

[4]               Pour ce qui est des demandes de citoyenneté, l’agente a interrogé Lancia, Terika et Ida et a pris des notes au cours de chacune des entrevues. Les notes d’entrevues sont les preuves sur lesquelles chaque refus était fondé (dossier du tribunal, pages 009 à 040). Au début de chacune des décisions relatives à Lancia et Terika, l’agente a présenté un exposé des faits tiré des notes d’entrevue et qui touchait la situation de chacune de ces personnes. Les principales conclusions à laquelle l’agente en est arrivée dans les décisions sont toutefois identiques, avec de légères variations de fait : [traduction] « il n’existait pas un véritable lien affectif parent‑enfant » et l’adoption [traduction] « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatif à l’immigration ou à la citoyenneté ».

 

[5]               Par conséquent, par souci de clarté, les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance (MOO) pour chacune des demandes de contrôle judiciaire présentées par Lancia et Terika prendront la forme suivante : l’ANNEXE 1 de chacun des MOO contiendra les énoncés de fait précis de l’agente repris dans la décision prononcée et l’exposé circonstancié contenu dans chacun des MOO fournira les motifs de décision de l’agente. Compte tenu de la forte similarité du contenu des décisions examinées, mon analyse des questions que soulèvent les conclusions de fait et les motifs de la décision de l’agente sera également très semblable. Ainsi, à des fins de clarté et pour éviter des répétitions inutiles, les MOO concernant la demande de Lancia seront les motifs principaux dont certaines conclusions seront incorporées par renvoi dans les MOO concernant la demande de Terika. L’ANNEXE 2 des MOO de Lancia contient ce qui m’apparait être des preuves particulièrement pertinentes aux fins des adoptions.

 

[6]               Un aspect unique distingue la demande de Terika de l’autre, c’est l’obligation de tenir compte de son intérêt supérieur pour traiter sa demande de citoyenneté. Cet aspect sera abordé dans les MOO concernant Terika.

 

[7]               Il est admis que la norme de contrôle applicable aux décisions de refus est la raisonnabilité. L’avocat de Lancia et Terika soutient que les décisions de refus contestées sont déraisonnables. Pour les motifs qui suivent, je souscris à cet argument.

 

II.        Un véritable lien affectif parent‑enfant?

[8]               L’exposé des faits concernant la situation de Lancia est cité à l’ANNEXE 1 des présents motifs. Voici les motifs de la décision de l’agente, en ce qui concerne Ida :

[traduction]

En me fondant sur les renseignements fournis dans la demande de Terika et au cours des entrevues, je conclus que Terika ne respecte pas les conditions des alinéas 5.1(1)b) et 5.1(1)d) de la Loi sur la citoyenneté. J’en suis venu à cette conclusion en tenant compte de l’ensemble des preuves et des facteurs exposés à l’alinéa 5.1(3)a) du Règlement sur la citoyenneté.

 

Je ne suis pas convaincu que l’adoption ait créé un véritable lien affectif parent‑enfant. Je fais remarquer que Terika avait 17½ ans au moment de l’adoption et qu’elle avait vécu avec son père naturel depuis son adoption. Les preuves indiquent que le lien qui existe entre Terika et ses parents naturels est demeuré identique; elle a des contacts réguliers avec eux et son père naturel continue à lui fournir des conseils et un certain soutien financier.

 

Pendant votre entrevue, vous avez mentionné que le père naturel de Terika avait une situation financière stable, et qu’il occupait un emploi rémunéré en Jamaïque. Les preuves indiquent que le lien qui existe entre Terika et son père naturel était un lien affectif parent‑enfant habituel, avant l’adoption.

 

Il est admis que vous vous êtes occupée de Terika depuis le 22 juillet 2008; il semble cependant que votre lien avec elle soit un lien affectif grand‑parent‑petit‑enfant. C’est pourquoi je ne suis pas convaincu que l’adoption ait créé un véritable lien parent‑enfant.

 

[9]               Sur cette question de l’existence d’un véritable lien affectif, par les présentes, j’incorpore par renvoi les conclusions et l’exposé qui se trouvent dans la décision Lancia. Je le fais en indiquant qu’il existe toutefois une différence au sujet de la référence qu’a faite l’agent à la Loi sur la citoyenneté et au Règlement sur la citoyenneté, étant donné que Terika avait moins de 18 ans au moment où elle a été adoptée:

[traduction]
En me fondant sur les renseignements fournis dans la demande de Terika et au cours des entrevues, je conclus que Terika ne respecte pas les conditions des alinéas 5.1(2)a) et 5.1(1)d) de la Loi sur la citoyenneté. J’en suis venu à cette conclusion en tenant compte de l’ensemble des preuves et des facteurs exposés à l’alinéa 5.1(3)a) du Règlement sur la citoyenneté.

 

 

[10]           Cette différence ne touche pas la nature des conclusions telles qu’exposées dans la décision Lancia au sujet de la question du lien affectif, si ce n’est qu’elle ajoute une autre raison importante pour conclure que le rejet par l’agente de la demande de citoyenneté de Terika est déraisonnable.

 

[11]           Aux termes de l’alinéa 5.1(1)a) de la Loi, l’agente était tenue de tenir compte de l’intérêt supérieur de Terika et de prendre une décision à ce sujet. J’estime que l’omission de la part de l’agente de le faire a rendu la décision contestée déraisonnable.

 

III.       L’adoption visait‑elle l’acquisition d’un statut ou d’un

privilège relatif à l’immigration ou à la citoyenneté?

 

[12]           Au sujet de cette question, l’agente a formulé la constatation suivante qui visait également Ida :

[traduction]
Je ne suis pas non plus convaincue que l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatif à l’immigration ou à la citoyenneté.

 

Les motifs que vous et Terika avez fournis sur les raisons de cette adoption étaient que l’on voulait ainsi vous donner une meilleure éducation, une meilleure situation économique, renforcer les liens familiaux et avoir une meilleure qualité de vie au Canada.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Sur cette question, j’incorpore également par renvoi l’exposé des conclusions que l’on retrouve dans la décision Lancia, y compris le contenu de l’ANNEXE 2.

 

IV.       Résultat

[14]           Pour les motifs fournis, il y a lieu d’infirmer la décision contestée.

 


ANNEXE 1

Mme Ida Rebbica BROWN

106 ‑ 177, rue Pendrith, Toronto (Ontario)  M6G 1S1

 

22 mars 2013

 

Madame,

 

J’ai terminé le traitement de la demande de citoyenneté canadienne présentée par Terika Anna‑Stacia Davis, à titre de personne adoptée par un citoyen canadien (le 1er janvier 1947 ou par la suite). La présente lettre a pour but de vous informer que sa demande a été refusée pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

Vous et Terika étiez présentes avec votre conseil juridique, Nathan Higgins, dans mon bureau, le 22 janvier 2013 et je vous ai interrogées. Pendant vos entrevues, vous m’avez fourni les données suivantes que j’ai prises en considération avant de rendre ma décision :

 

Vous avez déclaré que vous aviez décidé d’adopter Terika pour aider votre frère, Oral Conrad Davis, le père naturel de Terika, qui réside en Jamaïque. Vous avez continué en déclarant que votre frère n’était plus en mesure d’assurer un environnement sécuritaire à Terika, et que c’était la raison pour laquelle vous avez pensé qu’il serait préférable qu’elle rejoigne sa famille étendue au Canada. Au cours de sa visite au Canada, Terika vous a informé qu’elle aimerait demeurer au Canada de façon permanente et vous avez demandé à votre frère s’il accepterait que vous l’adoptiez.

 

Terika et vous avez déclaré que Terika avait résidé avec ses parents naturels et sa sœur, Lancia Lesette Davis, depuis sa naissance jusqu’à ce qu’elle ait atteint l’âge de 6 ans environ, à peu près l’époque à laquelle les parents de Terika se sont séparés. À l’époque, Terika a commencé à résider seule avec sa mère naturelle et sa sœur dans la maison de ses grands‑parents, Maye et Nathan Ellis. Vers l’âge de 11 ans, Terika est allée résider avec son père naturel, sa belle‑mère (conjointe de fait) et sa sœur dans leur maison familiale.

 

Vous avez également déclaré que le père naturel de Terika avait continué à soutenir financièrement Terika et sa sœur après la séparation de leurs parents naturels et au moment où elles vivaient avec leur mère naturelle et leurs grands‑parents.

 

Vous avez toutes les deux déclaré que Terika entretenait une bonne relation avec son père naturel et que le problème venait de sa belle mère, Shelly‑Ann Earle. Vous avez toutes les deux déclaré que la belle‑mère de Terika l’agressait verbalement. Cela a finalement amené Terika à déménager et à vivre dans une maison d’une chambre que son père naturel avait construite. Terika avait environ 14 ans lorsqu’elle et sa sœur ont aménagé dans ce nouveau logement.

 

Vous avez toutes les deux déclaré que le père naturel de Terika payait les frais associés à la fréquentation d’une école primaire privée et qu’il travaillait beaucoup pour subvenir aux besoins de la famille. Vous l’avez toutes les deux décrit comme étant une personne simple, aimante et bonne. Vous avez toutes les deux déclaré que le père naturel de Terika était un « bon père » et qu’il avait toujours subvenu aux besoins de sa famille et qu’il continuait à fournir à Terika un soutien financier, affectif et parental.

 

Vous avez déclaré que vous étiez très inquiète au sujet de la sécurité de Terika en Jamaïque en raison du comportement agressif de sa belle‑mère et aussi parce que quelques jeunes filles avaient été violées derrière la maison de leur père naturel. Vous avez également déclaré être préoccupée par le bien‑être de Terika et de sa sœur qui vivaient seules dans une maison d’une chambre qui comprenait une cuisine, mais pas de salle de bain. C’est la raison pour laquelle vous avez suggéré que Terika et sa sœur viennent vous voir au Canada. Le 22 juillet 2008, Terika et sa sœur sont arrivées au Canada en qualité de visiteurs. Au cours du séjour, Terika vous a informée qu’elle ne voulait pas retourner en Jamaïque et qu’elle souhaitait rester au Canada. Après avoir pris connaissance de cette demande, vous et vos deux filles, Deon et Marsha, ont décidé d’appeler le bureau d’immigration et de demander s’il serait possible que Terika demeure au Canada de façon permanente. Vous avez déclaré que l’agent d’immigration vous avait conseillé d’adopter Terika puisque ses parents naturels n’étaient pas citoyens canadiens. À l’époque, vous avez contacté un conseil juridique du West Toronto Community Legal Services. À son retour, cet organisme vous a référé à un avocat spécialisé en adoption qui a démarré le processus d’adoption.

 

Au cours des entrevues, vous avez toutes les deux déclaré que la relation que vous entreteniez entre vous n’avait pas changé après l’adoption.

 

En outre, vous et Terika m’avez toutes les deux informée du fait que les relations de Terika avec ses parents naturels n’avaient pas changé depuis l’adoption et qu’elle était régulièrement en contact avec son père naturel grâce à des messages et des conversations téléphoniques ainsi qu’avec sa mère naturelle par l’intermédiaire de messages et de Facebook. Vous avez en outre déclaré toutes les deux que le père naturel de Terika continuait à participer aux décisions qui la concernait et qu’il lui envoyait de l’argent et des cadeaux chaque fois qu’il était en mesure de le faire.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux directives suivantes :

 

1.         La nouvelle décision sera rendue conformément aux motifs de la décision fournis dans les présentes;

 

2.         L’avocat de la demanderesse aura le droit de présenter de nouvelles observations.

 

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :                                          T‑765‑13

 

 

 

INTITULÉ :

TERIKA DAVIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 3 DÉCEMBRE 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :   LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                     LE 11 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Nathan Higgins

POUR LA DEMANDERESSE

Modupe Oluyomi

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

West Toronto Legal Services

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.