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Date : 20131211


Dossier : T-1786-08

 

Référence : 2013 CF 1237

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

demanderesse

 

et

 

TAKEDA CANADA INC.

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PHELAN

 

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une affaire fondée sur l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), relativement au calcul d’une perte pour laquelle Apotex a droit à une indemnité aux termes du Règlement.

 

[2]               La responsabilité en dommages-intérêts découle d’une décision que la juge Gauthier, qui siégeait à l’époque à la Cour fédérale, a rendue dans l’affaire Solvay Pharma Inc c Apotex Inc, 2008 CF 308, 323 FTR 1, dans laquelle elle a conclu qu’Apotex avait traité avec succès de chacun des brevets en litige. La juge Gauthier a rejeté les avis de demande de Takeda le 3 mars 2008 et elle a rendu les motifs publics de son jugement le 6 mars 2008. Apotex a droit à une indemnité pour la période où on l’a empêchée de lancer sur le marché son médicament, l’Apo-Pantoprazole.

 

[3]               À ce stade-ci, il n’est pas demandé à la Cour de calculer le montant de la perte, mais de trancher certaines questions en litige, ce qui, croient les parties, leur permettra de déterminer le montant de l’indemnité. À défaut d’une entente, il est possible que la Cour ait à en fixer le montant exact.

 

[4]               Les dispositions applicables du Règlement sont :

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

 

 

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

 

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

 

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

 

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

(6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

 

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

 

(i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

 

 

(ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

 

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

 

 

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

 

(4) If a court orders a first person to compensate a second person under subsection (1), the court may, in respect of any loss referred to in that subsection, make any order for relief by way of damages that the circumstances require.

 

 

 

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

 

(6) The Minister is not liable for damages under this section.

[5]               Le cadre analytique qui régit la question des dommages-intérêts visée à l’article 8 a été énoncé dans la décision Sanofi-Aventis Canada Inc c Teva Canada Ltée, 2012 CF 552, 410 FTR 1 (Teva-Ramipril) ainsi que dans la décision Apotex Inc c Merck Canada Inc, 2012 CF 1235, 105 CPR (4th) 399 (Alendronate 2012).

J’adopte ce cadre et les étapes qu’il contient. Sont énoncées ci-après les étapes en question, et les questions en litige qu’il reste à régler sont indiquées en caractères gras.

 

[6]               Les étapes à suivre et les questions à trancher sont :

1.                  le fardeau de la preuve (la première question);

2.                  la période pertinente pour ce qui est de la détermination de la perte : les parties conviennent que cette période s’étend du 9 mars 2007 au 5 mars 2008 (la période pertinente);

3.                  la taille du marché total du pantoprazole au cours de la période pertinente : les parties conviennent que le marché total du pantoprazole est la quantité du pantoprazole de marque vendue au cours de la période pertinente, soit 184 329 100 comprimés de 40 mg (ce qui inclut les ventes aux hôpitaux) et 896 000 comprimés de 20 mg;

4.                  la taille du segment générique total du marché du pantoprazole au cours de la période pertinente : les parties souscrivent à ce qui se passe dans le monde réel lors de l’entrée d’un médicament générique sur le marché; de ce fait, la période du 3 mars 2008 jusqu’à 2009, appliquée rétroactivement d’un an à la période pertinente, constitue le fondement de la taille du marché des médicaments génériques au sein de l’ensemble du marché du pantoprazole;

5.                  la part du segment générique du marché du pantoprazole que détient Apotex au cours de la période pertinente :

a)                  le nombre et l’identité des arrivants sur le marché des médicaments génériques (la deuxième question);

b)                  si Apotex est seule sur le marché : les parties conviennent qu’Apotex détiendrait 100 % du marché des médicaments génériques;

c)                  si Apotex a des concurrents – le pourcentage que représente la part du marché que détient Apotex (la troisième question);

d)                 la capacité de production d’Apotex : les parties en conviennent;

e)                  le moment de l’inscription dans le formulaire des médicaments : les parties en conviennent;

6.                  la perte de revenus d’Apotex :

a)le prix (la quatrième question);

b)                  le rajustement des stocks (la cinquième question);

c)la double transition (la sixième question);

7.                  la déduction de la perte des ventes d’Apotex :

a)les ristournes (la septième question);

b)                  l’escompte pour paiement rapide : les parties conviennent d’un pourcentage de 1,755 % des revenus perdus d’Apotex;

c)le coût des ventes : les parties conviennent d’un montant de 0,0745 $ par comprimé;

d)                 la commission sur les ventes : les parties conviennent d’un pourcentage de 0,22 % des revenus perdus d’Apotex;

e)les frais de transport et de distribution : les parties conviennent d’un montant de 0,001 $ par comprimé;

8.                  les intérêts (la huitième question);

9.                  le pouvoir discrétionnaire de réduire le montant accordé en fonction de l’inconduite d’Apotex (la neuvième question).

 

II.                LES FAITS GÉNÉRAUX

[7]               Le médicament de marque qui est en litige dans la présente affaire et que vend Takeda (anciennement Nycomed Canada Inc.) porte le nom de Pantoloc. Le Pantoloc est un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) dont le pantoprazole est le principe actif; il est disponible en comprimés de 20 mg et de 40 mg.

 

[8]               Le pantoprazole était visé par cinq brevets inscrits au registre des brevets que tient le ministre de la Santé : les brevets portant les nos 2,109,697 (le brevet 697), 2,310,585 (le brevet 585), 2,092,694 (le brevet 694) et 2,089,748 (le brevet 748). Le cinquième, le no 1,254,215 (le brevet 215), était le brevet de substance pour le pantoprazole et il a expiré le 16 mai 2006. Apotex n’a pas contesté le brevet 215 et, de ce fait, l’avis de conformité (l’AC) autorisant Apotex à lancer sur le marché sa version du pantoprazole ne pouvait être délivré qu’après le 16 mai 2006.

 

[9]               Apotex a signifié trois avis d’allégation (AA) : le 26 octobre 2005, en rapport avec le brevet 585, le 18 janvier 2006, en rapport avec les brevets 694 et 748, ainsi que le 30 janvier 2006, en rapport avec le brevet 697.

Apotex a signifié deux AA antérieurs à Takeda en rapport avec les brevets 694 et 748, qui ont été retirés.

 

[10]           Takeda a déposé un avis de demande à l’encontre de l’AA du 18 janvier 2006 concernant les brevets 694 et 748 (dossier T‑427‑06). Elle n’a pas déposé d’avis de demande à l’encontre des autres AA.

 

[11]           Le ministre de la Santé a attesté que l’examen de l’Apo-Pantoprazole avait pris fin le 9 mars 2007. En vertu du Règlement, l’Apo-Pantoprazole a été mis en état d’« attente de brevet » et l’AC correspondant ne serait pas délivré avant que les conditions énoncées dans le Règlement aient été remplies.

 

[12]           Les parties ont convenu qu’Apotex aurait reçu l’AC le 9 mars 2007 « en l’absence du présent règlement » (alinéa 8(1)a)). La Cour accepte l’entente des parties sur cette question, comme elle le fait pour toutes les autres questions faisant l’objet d’une entente.

 

[13]           La juge Gauthier a rejeté l’avis de demande de Takeda le 3 mars 2008, et elle a rendu ses motifs publics le 6 mars 2008. Pour ce qui est du calcul de la perte d’Apotex, les parties ont convenu que, dans la présente affaire, la fin de la période pertinente était le 5 mars 2008.

 

[14]           La question qui est soumise à la Cour en l’espèce, laquelle reflète la manière dont la juge Snider a décrit la tâche à exécuter pour évaluer le montant de l’indemnité à accorder (voir Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2012 CF 553, 410 FTR 78 (Apo-Ramipril) au paragraphe 6) est la suivante :

Que se serait-il passé si Takeda n’avait pas déposé une demande d’interdiction?

La tâche est complexe et théorique, et elle revient à revoir ce qui s’est passé en changeant quelques faits et en prévoyant l’issue – une forme d’analyse « hypothétique ».

 

III.             ANALYSE

A.                La première question – le fardeau de la preuve

[15]           Pour ce qui est du fardeau de la preuve, les parties ont soulevé deux aspects qui sont traités de manière différente. Le premier consiste à déterminer quelle est la partie qui supporte le fardeau de quelle question en litige. Par souci de commodité, la Cour a généralement traité de la question du fardeau au début de l’analyse de chaque question en litige, au cas par cas.

 

[16]           Le second aspect concerne le poids de ce fardeau. En général, d’après Apotex, un poids exprimé en pourcentage peut être une option appropriée : la Cour devrait envisager une probabilité en pourcentage et répartir ensuite le montant à déduire des dommages-intérêts en fonction de ce pourcentage.

 

[17]           Le juge Hughes a fait mention de l’option du pourcentage dans la décision Alendronate 2012, aux paragraphes 37 et 38, en faisant référence à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Athey c Leonati, [1996] 3 RCS 458 :

37        Les deux parties ont également invoqué les paragraphes 26 et 27 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Athey c Leonati, [1996] 3 RCS 458, ci-après reproduits :

 

26 Les intimés ont plaidé que l’évaluation par le juge de première instance des causes probables est semblable à l’évaluation des probabilités que font régulièrement les tribunaux quand ils rajustent les dommages-intérêts pour tenir compte des aléas. Cet argument fait abstraction de la distinction fondamentale entre la façon dont les tribunaux considèrent les faits passés allégués et les événements futurs ou hypothétiques susceptibles de survenir.

 

27 Des événements hypothétiques (par exemple la vie qu’aurait menée le demandeur sans le préjudice délictuel subi) ou futurs n’ont pas à être prouvés selon la prépondérance des probabilités. Au contraire, on leur accorde simplement un certain poids en fonction de leur probabilité relative : Mallett c. McMonagle, [1970] A.C. 166 (H.L.); Malec c. J. C. Hutton Proprietary Ltd. (1990), 169 C.L.R. 638 (H.C. Austr.); Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146. Par exemple, s’il y a 30 pour 100 de chances que le préjudice subi par le demandeur s’aggrave, le montant de l’indemnité peut être augmenté de 30 pour 100 des dommages-intérêts supplémentaires prévus pour refléter ce risque. Une possibilité future ou hypothétique est prise en considération à la condition qu’il s’agisse d’une possibilité réelle et substantielle et non d’une pure conjecture : Schrump c. Koot (1977), 18 O.R. (2d) 337 (C.A.); Graham c. Rourke (1990), 74 D.L.R. (4th) 1 (C.A. Ont.).

 

38 Je souligne la dernière phrase de cette décision; l’hypothèse doit être réelle et substantielle, et non tenir à une pure conjecture. En d’autres termes, la possibilité doit être réaliste, et non dénoter un simple espoir.

[18]           Le juge Hughes n’a formulé ses propos que dans le contexte de la fixation des prix. Il n’a pas appliqué l’option du pourcentage dans cette affaire.

 

[19]           La juge Gauthier, qui siégeait à l’époque à la Cour fédérale, a rejeté l’option du pourcentage dans la décision Eli Lilly & Co c Apotex Inc, 2009 CF 991, aux paragraphes 760 et 761, conf. par 2010 CAF 240, parce qu’elle n’était utile que pour l’appréciation d’événements potentiels ou hypothétiques en vue de déterminer le montant des dommages-intérêts à imposer dans une affaire de blessures corporelles.

 

[20]           À l’instar des juges Hughes et Gauthier, je ne recourrai pas à cette option. Aucun argument n’a été invoqué au sujet de sa portée, et Apotex n’a pas insisté avec vigueur sur ce point. Cette option ajoute un degré supplémentaire et inutile de complexité hypothétique à un processus qui est lui-même déjà hypothétique – et dans le cadre duquel la question qui se pose est : « que se serait-il passé si l’on n’avait pas empêché Apotex d’entrer sur le marché? » C’est aussi ce qu’on appelle de temps à autre le « monde hypothétique », tant dans la présente affaire que dans d’autres.

 

[21]           La meilleure option consiste à reproduire le plus possible les circonstances du monde réel – à utiliser ce qui s’est passé comme base pour le calcul du monde hypothétique. Dans le cas présent, les parties partent de la prémisse que des faits réalistes, survenus après l’AC d’Apotex, constituent le fondement à partir duquel il est ensuite possible de déterminer ce qui se serait vraisemblablement produit si l’on n’avait pas empêché Apotex d’agir pendant une période d’environ un an.

 

[22]           La norme de preuve qui s’applique à n’importe quelle thèse formulée doit être la norme civile de la prépondérance des probabilités que cette thèse se concrétise. C’est donc dire que l’option que propose Apotex à l’égard de cet aspect-là du fardeau (dans la mesure où elle continue de la faire valoir) est rejetée.

 

B.                 La deuxième question – le nombre et l’identité des arrivants sur le marché des médicaments génériques

[23]           Cette question a trait au moment où Apotex entrerait en concurrence avec des fabricants de médicaments génériques, ainsi qu’à l’identité de ceux-ci. C’est Takeda qui soutient qu’une telle concurrence aurait lieu. C’est donc elle qui a le fardeau d’établir qui auraient été ces concurrents, ainsi que le moment où ils seraient entrés sur le marché.

Dans la décision Apotex Inc c AstraZeneca Canada, 2012 CF 559, 410 FTR 559, au paragraphe 35, le juge Hughes a fort bien résumé le principe directeur applicable :

35        En bref, on peut dire que la partie qui a présenté une preuve suffisante pour « mettre en jeu » une question doit, pour obtenir gain de cause sur cette question, présenter une preuve suffisante pour que, selon la prépondérance des probabilités, les faits pertinents soient considérés par le tribunal comme étant avérés. Ainsi, Apotex doit mettre en jeu et par la suite établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits nécessaires pour démontrer son droit à une indemnité. Quant à AstraZeneca, elle doit mettre en jeu et prouver par la suite les faits qui, selon ce qu’elle affirme, font en sorte que la demande d’indemnité d’Apotex n’est pas admissible ou doit être diminuée ou refusée.

[24]           À cet égard, la Cour a entendu un certain nombre de témoins de l’industrie et des parties :

                     Bernard Sherman, président, Apotex

                     Gordon Fahner, vice-président, Opérations commerciales et finances, Apotex

                     Peter Hardwick, vice-président principal, Ventes et marketing, Apotex

                     Frank Murphy, vice-président, Finances et opérations de TI, Takeda

                     Michel Robidoux, président-directeur général de Sandoz Canada Inc.

                     William David Boughner, directeur des initiatives stratégiques, Teva

                     C. Benjamin Gray, vice-président, Affaires juridiques et conseiller général, Mylan Pharmaceuticals

                     James Erb, entrepreneur, GRX Healthcare

                     Ajay Vashisht, vice-président, Opérations commerciales, Ranbaxy

 

[25]           Pour ce qui est du degré de concurrence, les deux parties ont mis de l’avant des scénarios différents pour la période pertinente :

                     le scénario no 1 d’Apotex présume que cette dernière était le seul fabricant de médicaments génériques au cours de la période pertinente;

                     le scénario no 2 d’Apotex (il s’agit aussi du scénario no 3 de Takeda), c’est-à-dire le [traduction] « scénario commun », selon lequel Apotex a été le seul fabricant de médicaments génériques pendant trois mois, après quoi Ranbaxy est entrée sur le marché. Ce scénario a été qualifié de [traduction] « commun » non pas parce qu’il s’agit d’un scénario convenu, mais parce que c’est le seul dont les deux parties ont évalué entièrement le coût;

                     le scénario no 1 de Takeda tient pour acquis que Teva et Ranbaxy ont été les premiers arrivants, et que les autres fabricants de médicaments génériques ont emboîté le pas six mois plus tard;

                     selon le scénario no 2 de Takeda, Apotex a été le seul fabricant de médicaments génériques pendant un mois, après quoi Ranbaxy est entrée sur le marché, suivie deux mois plus tard de Teva et, trois mois plus tard, d’une série d’autres fabricants de médicaments génériques.

 

[26]           Comme nous le verrons dans les présents motifs, la Cour a dû tirer ses propres conclusions plutôt que de souscrire à un scénario en particulier. Le fait d’employer plusieurs scénarios souligne le caractère hypothétique des positions des parties et, en général, ils sont de peu d’utilité.

 

[27]           Takeda admet que, n’eût été sa demande d’interdiction, Apotex aurait reçu le 9 mars 2007 un AC pour les comprimés de 20 mg et de 40 mg d’Apo-Pantoprazole et qu’Apotex disposait – et dispose – d’une motivation et d’une capacité de fabrication suffisantes pour entrer sur le marché.

 

[28]           Takeda est également d’avis qu’il y aurait eu sur le marché trois fabricants de médicaments génériques sans lien de dépendance au moment du dépôt de leurs AC respectifs et que, dans le monde hypothétique, les dates d’entrée correspondent aux dates d’entrée dans le « monde réel ». Takeda dit donc que, pour ces fabricants de médicaments génériques, les dates des AC auraient été les suivantes : Teva le 1er septembre 2006, Mylan le 21 septembre 2007 et Sandoz le 19 octobre 2007.

 

[29]           En ce qui concerne son fabricant de médicaments génériques autorisés (MGA), soit Ranbaxy, Takeda soutient qu’elle aurait consenti à la présence de cette dernière sur le marché et que Ranbaxy y serait entrée en même temps que Teva.

 

[30]           Takeda arrive à cette position, en partie du moins, en concluant que le Règlement n’entre pas en ligne de compte dans le monde hypothétique, relativement à tous les arrivants possibles. À son avis, les mots « […] aurait été délivré en l’absence du présent règlement » à l’alinéa 8(1)a) visent n’importe quel fabricant de médicaments génériques ayant demandé un AC, plutôt qu’uniquement le fabricant de médicaments génériques ayant obtenu gain de cause (Apotex, en l’occurrence).

 

[31]           La position de Takeda à propos du nombre de fabricants de médicaments génériques entrant sur le marché du pantoprazole, ainsi que du moment de leur entrée, repose sur les thèses suivantes :

                     Ranbaxy serait entrée sur le marché des médicaments génériques et aurait lancé en même temps, à titre de premier arrivant, le pantoprazole générique;

                     Takeda aurait été avertie tôt de l’entrée imminente d’Apotex sur le marché du pantoprazole;

                     vu la manière dont Takeda interprète le Règlement, d’autres fabricants de médicaments génériques doivent être ajoutés au marché dans le monde hypothétique, et ce, aux dates de mise en attente de brevet les concernant;

                     il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de Takeda pour entrer sur le marché des médicaments génériques dans le monde hypothétique;

                     si la Cour conclut que cette autorisation était nécessaire, Takeda l’aurait donnée à la date du lancement d’Apotex ou par la suite.

 

[32]           La position d’Apotex est, en résumé, la suivante :

                     Apotex serait entrée sur le marché du pantoprazole le 9 mars 2007 et Takeda n’y aurait pas lancé son MGA (par Ranbaxy, dans le cas présent) dans le monde hypothétique. Cette thèse repose sur la présomption que le lancement d’Apotex en 2007 aurait été une surprise; Takeda n’aurait pas été en mesure de lancer immédiatement un médicament générique et, sans le lancement simultané de ce dernier avec Apotex, Ranbaxy ne serait pas entrée sur le marché;

                     dans le monde hypothétique, il n’y a pas d’autres fabricants de médicaments génériques, parce que Takeda n’en aurait pas autorisé d’autres sur le marché. Cela oblige à examiner quatre scénarios mis au point par Takeda sur ce qui serait arrivé – ou aurait pu arriver.

 

[33]           Un aspect critique de cette deuxième question est la façon dont on applique le Règlement dans le monde hypothétique, car cela a une incidence sur l’entrée sur le marché d’autres fabricants de médicaments génériques. Soit on autoriserait ces derniers à entrer sur le marché à la date de mise en attente de brevet les concernant (un résultat favorable à Takeda), soit ils seraient contraints d’intenter une poursuite ou de recevoir de Takeda l’autorisation d’entrer sur le marché (un résultat favorable à Apotex).

 

[34]           Dans la décision Apo-Ramipril, la Cour a conclu que, dans le monde hypothétique, un avis n’aurait pas été signifié. Sous-tend cette conclusion la prémisse selon laquelle cet avis fait partie d’un ensemble d’avantages étroitement liés qui reviennent à la première personne aux termes du Règlement; les autres avantages étant le droit de déposer une demande d’interdiction ainsi que la période de suspension de 24 mois.

 

[35]           La décision Apo-Ramipril est actuellement en appel, mais, tant que la Cour d’appel ne sera pas arrivée à une conclusion différente, pour interpréter le monde hypothétique, je conclus qu’Apotex n’aurait pas signifié son AA. La décision que la Cour d’appel a rendue dans Apotex Inc c Merck & Co, 2011 CAF 329, n’aide pas la cause de Takeda, car cette décision peut être distinguée de la présente affaire en ce sens qu’elle avait trait à une demande d’interdiction ainsi qu’à une demande préliminaire, et non à des dommages-intérêts au titre de l’article 8 (voir les paragraphes 74 et 75 de cet arrêt).

 

[36]           Dans le cas où Apotex n’aurait pas signifié son AA le 18 janvier 2006 (ce qui donnerait à penser que Takeda aurait été surprise par l’entrée d’Apotex sur le marché et qu’il lui aurait fallu un certain temps pour réagir au changement concurrentiel), d’autres AA en jeu viennent compliquer la situation.

 

[37]           Premièrement, Apotex a déposé des AA le 15 août 2005 en rapport avec les brevets en litige ainsi qu’avec le brevet 585 et le brevet 697, mais elle les a retirés. Elle a ensuite déposé de nouveau les AA pertinents, sur lesquels porte la décision de la juge Gauthier. Par suite de la décision Apo-Ramipril, ces avis ne sont donc pas considérés comme faisant partie de la matrice factuelle du monde hypothétique. Ces AA n’auraient pas averti Takeda de l’intention qu’avait Apotex d’entrer sur le marché.

 

[38]           De plus, dans le monde réel qui existait au dernier trimestre de 2006, le siège social de Takeda a décidé de ne pas procéder au lancement de son médicament générique, bien qu’Apotex et Teva aient toutes deux déposé un AA. Takeda n’était pas prête à lancer son propre médicament générique, même si elle était prévenue que d’autres fabricants étaient prêts à lancer le leur.

 

[39]           Au vu des faits entourant ces AA, je suis arrivé à la conclusion que, alors que Takeda n’aurait pas nécessairement été tout à fait prise par surprise par l’entrée d’Apotex sur le marché, la véritable question qui se pose est de savoir si Takeda était prête, ou à tout le moins suffisamment prête, à concurrencer le médicament générique d’Apotex, et quelle aurait été sa stratégie.

 

[40]           Je conclus que, dans le monde hypothétique, Apotex agit sans être soumise aux obligations et aux limites qu’impose le Règlement. Je conclus également que, bien qu’elle ait été prévenue d’une entrée imminente, Takeda n’a pas décidé d’appliquer une stratégie de lancement d’un médicament générique avant le lancement d’Apotex et que, dans un monde hypothétique, elle ne l’aurait donc pas fait.

 

[41]           La question suivante est de savoir si Takeda aurait lancé un médicament générique en vue de concurrencer Apotex après le lancement de son propre médicament, ainsi que le moment où elle l’aurait fait.

 

[42]           Takeda a résumé cinq facteurs dont il faut tenir compte à cet égard. La liste, bien qu’elle ne soit pas exhaustive ou minime, suffit pour les besoins de la présente affaire :

1.                  l’importance du médicament pour la société de marque – un facteur important;

2.                  si un médicament générique était bel et bien autorisé;

3.                  l’intérêt financier que représente, pour la société de marque, l’introduction d’un MGA;

4.                  les ententes commerciales dans le cadre desquelles le médicament est vendu, ainsi que la viabilité financière du MGA;

5.                  si la société de marque avait envisagé la possibilité de l’entrée de fabricants de médicaments génériques sur le marché ainsi que celle du lancement d’un MGA.

 

[43]           Je conclus que, pour Takeda, le Pantoloc était fort important, car il s’agissait presque de son seul médicament sur le marché canadien et il représentait de 96 % à 98 % de ses ventes. Comme l’a expliqué Frank Murphy, vice-président, Finances et opérations de TI de Takeda, vers 2002, la société de marque a commencé à examiner de quelles façons elle pouvait développer et défendre cette marque.

Le médicament était important pour Takeda au Canada, mais il paraissait l’être moins pour le siège social en Europe. Ce dernier n’a pas manifesté le degré d’appui que la filiale canadienne semblait exiger.

 

[44]           En ce qui concerne le deuxième facteur, un fabricant de MGA – Ranbaxy – a obtenu en fin de compte l’autorisation de Takeda. Apotex soutient qu’il s’agissait là d’une autorisation intéressée, visant à minimiser les dommages-intérêts au titre de l’article 8. Même si c’était le cas, le fabricant de MGA a été autorisé et c’était un facteur réel sur le marché. Il s’agissait plus que d’une [traduction] « coquille » ou d’un [traduction] « paravent ».

 

[45]           C’est en rapport avec le troisième facteur que la situation de Takeda devient problématique (pour cette dernière du moins). L’intérêt financier que représentait pour elle l’introduction d’un MGA comporte des problèmes liés à la détermination de la stratégie à appliquer et à l’obtention de l’appui du siège social de la société.

 

[46]           À une réunion tenue en novembre 2005, les dirigeants de Takeda ont présenté au siège social de la société un document intitulé [traduction] « Priorités ». Ce document exposait trois stratégies : 1) défendre la propriété intellectuelle; 2) lancer le Pantoloc M, fabriqué avec un nouveau sel en vue de prolonger la durée du brevet; 3) lancer un MGA.

 

[47]           Murphy a déclaré que ces priorités n’avaient pas d’ordre hiérarchique, mais il a toutefois reconnu qu’elles avaient été énumérées par ordre d’importance des revenus.

 

[48]           Ce document est une preuve cruciale, car il expose les stratégies qui ont été examinées pour faire face à l’entrée d’Apotex sur le marché. Il montre que cette entrée n’était pas une surprise, mais il fait également état de préparatifs restreints pour faire face à la concurrence de fabricants de médicaments génériques. Il traite également du cinquième facteur, à savoir que Takeda avait envisagé de lancer un MGA.

 

[49]           La Cour doit décider si Takeda aurait lancé un MGA de toute façon (et à quel moment), ou si elle aurait poursuivi l’une des deux autres stratégies. La position de Takeda selon laquelle elle aurait lancé un MGA, et ce, immédiatement, est affaiblie par la décision prise par le siège social de mettre en suspens l’idée du MGA en attendant de régler l’épineux problème des prix de transfert. Vient aussi affaiblir cette position l’absence d’explications sérieuses concernant l’abandon de la [traduction] « première priorité », qui consistait à défendre la propriété intellectuelle, et le fait de s’orienter vers la [traduction] « troisième priorité ».

 

[50]           Takeda a établi que le bureau canadien était allé assez loin sur la voie de la création d’un MGA. Malgré l’opposition du siège social, la filiale canadienne a conservé la stratégie du MGA comme solution de repli, en vue d’être en mesure d’effectuer un lancement, le cas échéant.

 

[51]           La filiale canadienne avait pris plusieurs mesures – un partenaire générique avait été choisi, et des articles d’accord et des ententes de confidentialité avaient été établis. Cependant, tant Takeda que Ranbaxy avaient besoin de l’accord de leur siège social respectif.

 

[52]           Dans le monde réel, Takeda a reçu l’autorisation de lancer un MGA environ un an plus tard, au cours de l’automne de 2007. Dans le monde hypothétique, la question est de savoir la rapidité avec laquelle Takeda pouvait agir. Ranbaxy Canada avait besoin de l’autorisation de son bureau aux États-Unis ainsi que de son bureau en Inde; cela pouvait se faire en même temps. Aucun délai n’a été avancé à l’égard de ces autorisations. Il était nécessaire d’obtenir un renvoi de Santé Canada, un processus qui dure de deux à quatre semaines.

 

[53]           Même si Takeda souhaitait agir rapidement, il ressort de la preuve que son siège social ne souscrivait pas tout à fait à la stratégie de sa filiale canadienne, soit le lancement d’un MGA, que ses dirigeants canadiens agissaient jusqu’à un certain point à contre-courant du siège social et que le règlement des questions de prix de transfert était une affaire importante et complexe. Il semble toutefois que la stratégie de lancement d’un MGA soit la meilleure option disponible.

 

[54]           Takeda allègue qu’elle aurait lancé un MGA en vue de réagir à l’entrée d’Apotex sur le marché le 9 mars 2007, mais Ranbaxy n’aurait pas été prête à agir aussi rapidement que Takeda l’allègue, à cause des autorisations qu’il fallait obtenir à cette fin de la société, du peu d’enthousiasme du siège social de Takeda ainsi que des problèmes internes connexes.

 

[55]           En conséquence, je conclus qu’en ce qui concerne le lancement de Ranbaxy dans le monde hypothétique, le délai le plus raisonnable est de trois mois (9 juin 2007) après l’entrée d’Apotex sur le marché. Il s’agit là de la date estimée dans le troisième scénario (ou le scénario commun) que les parties ont examiné.

 

[56]           Quant à l’entrée d’autres fabricants de médicaments génériques, le même genre de facteurs est pris en compte. Comme il a été mentionné plus tôt, la question de savoir si, dans le monde hypothétique d’Apotex, les autres fabricants de médicaments génériques sont assujettis au Règlement a été réglée dans la décision Apo-Ramipril. Lorsqu’on examine l’entrée de Teva et d’autres fabricants de médicaments génériques dans le monde hypothétique, ces sociétés sont assujetties au Règlement, et Takeda ne bénéficie pas de l’avantage de prétendre qu’étant donné qu’Apotex a eu gain de cause, tous les autres fabricants de médicaments génériques sont, pour les besoins de l’analyse relative au monde hypothétique, libres d’entrer sur le marché.

 

[57]           Takeda a également évoqué la question suivante : étant donné que d’autres fabricants de médicaments génériques pourraient présenter des demandes fondées sur l’article 8, il pourrait y avoir, à son encontre, de multiples recouvrements qui dépasseraient le total des pertes réelles.

 

[58]           Il y a plusieurs moyens d’atténuer ce problème, mais, en fin de compte, il s’agit là du risque auquel s’expose la partie perdante. Dans la décision Teva-Ramipril, la juge Snider a laissé entendre que le juge aurait le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte de multiples recouvrements en vertu du paragraphe 8(5). De plus, la Cour tente de faire en sorte que ce soit le même juge qui instruise les demandes de dommages-intérêts fondées sur l’article 8, comme cela a été prévu pour le médicament dont il est question en l’espèce (cependant, l’autre affaire concernant l’octroi de dommages-intérêts au titre de l’article 8 a été réglée dans le cadre d’une entente confidentielle). La meilleure solution est qu’une défenderesse mette de l’avant un monde hypothétique convaincant, qui reflète de manière exacte les résultats d’autres demandes.

En fin de compte, il n’est pas nécessaire que la Cour règle le problème des recouvrements multiples, car ce n’est pas cette question-là qui lui est soumise.

 

[59]           Pour déterminer si d’autres fabricants de médicaments génériques entreraient sur le marché, dans la décision Alendronate 2012, le juge Hughes a exposé trois facteurs pertinents :

                     la date à laquelle le fabricant en question aurait reçu son AC;

                     si le fabricant avait la capacité voulue pour fabriquer ou acquérir le produit au cours de la période pertinente;

                     si le fabricant était motivé ou a été dissuadé d’entrer sur le marché au cours de la période pertinente.

 

[60]           La position principale de Takeda est qu’elle aurait autorisé d’autres fabricants de médicaments génériques – Teva (alors appelée Novopharm), Sandoz, Mylan (alors appelée Genpharm) et Cobalt – à entrer sur le marché à la date de mise en attente de brevet les concernant dans le monde hypothétique, au sein duquel Apotex a fait son entrée le 9 mars 2007. Takeda va jusqu’à dire qu’elle aurait autorisé Teva à entrer sur le marché, soit le 1er septembre 2006, soit le 20 octobre 2006 – six mois avant Apotex.

 

[61]           La date à laquelle il y aurait eu – dans le monde hypothétique – des fabricants de MGA qui feraient concurrence à Apotex est importante, et ce, pour un certain nombre de raisons. Non seulement cette concurrence influence-t-elle sur les calculs relatifs à la taille et à la part du marché des médicaments génériques, mais elle se répercute aussi sur le prix de vente des comprimés, en particulier si Apotex était le seul fabricant de médicaments génériques.

 

[62]           Takeda invoque la décision Alendronate 2012 à l’appui de sa position selon laquelle il faudrait inclure Teva sur le marché à compter de la date de mise en attente de brevet la concernant, soit six mois après l’entrée présumée d’Apotex. Dans cette décision, le juge Hughes a inclus Teva sur le marché à la date à laquelle celle-ci aurait été mise en état d’attente de brevet.

 

[63]           Cependant, les faits dont il était question dans l’affaire Alendronate 2012 diffèrent nettement de ceux dont il est question en l’espèce. Dans Alendronate 2012, les parties avaient laissé les fabricants de médicaments génériques entrer sur le marché dans le monde réel, et donc dans le monde hypothétique. Dans le cas présent, Takeda a résisté constamment aux divers fabricants de médicaments génériques, à Teva surtout.

 

[64]           Les gestes que Takeda a posés dans le monde réel contredisent sa position, à savoir qu’elle aurait consenti à l’entrée de Teva dans un monde hypothétique. En résumé, quand Takeda a perdu son monopole, elle a continué de faire obstacle à l’entrée d’autres fabricants de médicaments génériques sur le marché, notamment en poursuivant les demandes en cours contre Teva, Cobalt, Sandoz et Mylan, en refusant les demandes d’entrée sur le marché de fabricants de médicaments génériques, en contestant les requêtes présentées par les fabricants de médicaments génériques au titre de l’alinéa 6(5)a) pour que les demandes d’interdiction soient rejetées, et en déposant une requête en réexamen quand Teva est parvenue à faire échec à la demande de Takeda.

 

[65]           Il n’existe aucune preuve crédible que, dans un monde hypothétique, Takeda aurait permis que Teva entre sur le marché avant Apotex. En fait, la meilleure preuve est que, même après l’entrée d’Apotex sur le marché hypothétique, Takeda se serait défendue bec et ongles contre Teva.

Par conséquent, je conclus que, dans le monde hypothétique, Teva serait entrée sur le marché à la date de l’audition de sa demande relative à un AC, soit en septembre 2008.

 

[66]           Pour ce qui est des autres fabricants de médicaments génériques, Takeda a négocié en vue d’autoriser l’entrée sur le marché de Cobalt, de Mylan et de Sandoz en échange d’une renonciation à des dommages-intérêts au titre de l’article 8. Elle dit qu’elle en aurait fait de même dans le monde hypothétique, parce qu’Apotex avait débloqué le brevet.

 

[67]           Dans le cas où, dans le monde hypothétique, il n’y aurait pas eu de déblocage de brevet de la part d’Apotex, parce qu’il n’y aurait eu aucune instance d’interdiction, il est vraisemblable qu’en ce qui concerne ces fabricants de médicaments génériques de petite taille, Takeda aurait autorisé leur entrée à leurs dates de mise en attente de brevet respectives.

 

[68]           En conclusion, j’ai déterminé que Ranbaxy ne serait entrée sur le marché que trois mois après Apotex. Un troisième fabricant de médicaments génériques – Teva – serait entré sur le marché à la date de l’audition relative à son AC, et d’autres fabricants de médicaments génériques y seraient entrés à leurs dates de mise en attente de brevet respectives.

 

C.                 La troisième question – la part du marché des médicaments génériques que détient Apotex

[69]           Cette question est une demande affirmative d’Apotex, et celle-ci a donc le fardeau d’établir quelle aurait été sa part du marché des médicaments génériques dans le monde hypothétique.

 

[70]           On tranche en grande partie cette question en recourant aux preuves d’expert concernant divers scénarios (décrits plus tôt) que les parties ont présentés et qui ont présumé l’existence de certaines situations de concurrence.

 

[71]           Les experts qui ont témoigné sur cette question ont été :

Pour Apotex

Andrew Harington, qui a été reconnu à titre de comptable agréé, d’évaluateur d’entreprise agréé et d’analyse financier agréé, ayant une spécialisation en comptabilité d’enquête et en juricomptabilité, en évaluation d’entreprise et en quantification des pertes dans le cadre de litiges de nature commerciale et en matière de propriété intellectuelle.

Andrew Tepperman, un expert en organisation industrielle et en économie, ayant une spécialisation particulière dans les marchés pharmaceutiques ainsi qu’en matière de concurrence au sein de ces marchés.

Pour Takeda

Paul Grootendorst, un expert en économie, ayant une spécialisation particulière dans les marchés pharmaceutiques.

 

[72]           Tant M. Grootendorst que M. Tepperman ont eu recours à des modèles économétriques dans le cadre de leurs calculs. Le témoignage de M. Harington a été fondé sur des données auxquelles il a appliqué son appréciation commerciale en vue de déterminer les parts de marché.

 

[73]           Bien qu’il y ait des différences de démarche, de méthodologie et de résultats entre les experts, chacun était très qualifié, honnête, franc et crédible. Ils se sont acquittés de leurs obligations à titre d’expert. Si la Cour privilégie un expert par rapport à un autre, c’est parce qu’elle juge que la démarche qu’il a suivie et les résultats qu’il a obtenus sont plus convaincants dans le contexte de la totalité des preuves, et non en raison de problèmes d’intégrité ou d’honnêteté.

 

[74]           Il existe de nettes différences dans les parts de marché que M. Harington et M. Grootendorst ont calculées :

                     M. Harington a conclu que Ranbaxy acquerrait une part de marché au cours des trois premiers mois de présence sur le marché avant d’atteindre un [traduction] « état d’équilibre » (du point de vue conceptuel, une forme de situation de maturité sur le marché);

                     M. Grootendorst a laissé entendre que Ranbaxy atteindrait cet état d’équilibre au moment de son entrée sur le marché;

                     les deux experts sont arrivés à des conclusions semblables au sujet des parts de marché d’Apotex et de Ranbaxy après un délai de trois mois.

 

[75]           M. Harington s’est servi de données de ventes concernant cinq molécules, dont deux IPP, et il a calculé la part de marché moyenne pour ces cinq molécules par province et par mois. Après avoir fait ces calculs, M. Harington a appliqué son appréciation commerciale à ces derniers en vue de déterminer la valeur des parts de marché, en faisant abstraction des chiffres incongrus concernant les parts de marché dans certaines provinces.

 

[76]           M. Grootendorst s’est livré à une analyse économétrique en se servant des données relatives à 23 molécules de comparaison. Dans son modèle, il s’est ensuite servi, à titre de variables, du nombre de concurrents, du nombre de mois pendant lesquels Apotex avait précédé le deuxième arrivant sur le marché des médicaments génériques ainsi que du nombre de mois pendant lesquels le produit d’Apotex avait été présent sur le marché. Plusieurs autres variables ont été employées, mais l’équation n’a jamais été formulée dans le rapport de l’expert.

 

[77]           Je conclus que les premiers résultats de la période de trois mois du scénario du monde hypothétique constituent la différence cruciale entre ces deux experts et que les résultats des huit mois restants qui ont été modélisés sont essentiellement les mêmes.

 

[78]           Le troisième expert, M. Tepperman, a été appelé principalement pour réfuter et critiquer le modèle économétrique de M. Grootendorst. Cependant, les deux parties étaient essentiellement à l’aise avec sa démarche, qui a été suivie pour les scénarios Takeda 1 et 2. M. Tepperman n’a jamais analysé le scénario commun, celui que la Cour a retenu en grande partie.

 

[79]           La modélisation de M. Grootendorst a souffert du fait qu’elle faisait appel à des molécules dont les chiffres de vente étaient faibles, ce qui déformait leur utilité en tant qu’élément de comparaison. Le modèle utilisait des molécules de comparaison au moment où le deuxième fabricant de médicaments génériques entrait sur le marché plus de dix mois après le premier fabricant de médicaments génériques et des molécules ayant une entrée simultanée, ce qui faussait donc l’élément temporel de comparaison. Il incluait aussi des scénarios comptant plus de trois participants sur le marché.

 

[80]           Je conclus que l’analyse de M. Grootendorst n’est pas un fondement fiable pour prévoir la part de marché d’Apotex, car elle est inutilement compliquée et obscure par rapport au travail de M. Harington ou de M. Tepperman; il est arrivé à une conclusion déraisonnable, à savoir que l’état d’équilibre aurait lieu instantanément, ses éléments de comparaison étaient viciés, aucun compte n’a été tenu de l’avantage que procurent les [traduction] « premiers pas », et les résultats contenaient de nombreuses incohérences ainsi que des erreurs de prévision.

 

[81]           L’analyse que M. Harington a effectuée ne s’est pas déroulée sans problème. Il a suivi une démarche plus classique pour son analyse du marché, se fondant sur des chiffres réels et recourant à son appréciation commerciale – qui sont là les caractéristiques très courantes d’une preuve d’opinion. Cependant, bien des calculs étaient subjectifs et n’ont pas été particulièrement bien expliqués. Comme l’a fait remarquer M. Tepperman, M. Harington n’a pas dit de quelle façon il avait choisi précisément divers pourcentages.

 

[82]           Cependant, une preuve d’opinion contient toujours des éléments subjectifs, des choix éclairés, même dans un modèle purement mathématique. Entre M. Harington et M. Grootendorst, la Cour privilégie le premier, parce que la démarche suivie est plus réaliste et correspond plus étroitement en fin de compte aux autres faits entourant la présente affaire. Le fait que M. Tepperman ait soutenu de façon générale la démarche que M. Harington avait suivie (malgré quelques réserves) est important. Il n’y a pas de magie ni forcément aucune raison convaincante d’utiliser un modèle économétrique dans le cadre du scénario courant.

 

[83]           Bien que M. Tepperman n’ait pas évalué le scénario courant, la Cour signale qu’il a été particulièrement convaincant lors de son témoignage. Son modèle faisait appel à un nombre élevé d’observations, il était objectif, la démarche qu’il a suivie était équilibrée, il a été le témoin le moins critiqué et même M. Grootendorst a reconnu que son modèle était bon.

 

[84]           Dans un « monde parfait », M. Tepperman aurait analysé le scénario commun. Cependant, bien qu’Apotex ait suggéré que la Cour ordonne à M. Tepperman de déterminer les quantités qu’elle avait perdues et bien que M. Tepperman ait reconnu que, d’un point de vue technique, cela serait raisonnablement simple à faire, il a formulé une importante mise en garde :

[traduction]


Q : D’accord. Et l’ayant modélisé pour le scénario 1, qui mettait en cause Teva, Ranbaxy et trois autres fabricants de médicaments génériques, donc six, ainsi que pour le scénario 2 et, constatant vos résultats, vous avez utilisé l’expression « inférence d’économiste ». Tirez-vous une inférence quelconque à propos de son applicabilité au scénario 3?

 

R : Eh bien, on ne m’a pas demandé d’analyser le scénario 3, ce qui fait que je ne m’en suis pas servi pour analyser ce scénario. Si on me demandait d’examiner le scénario 3 à l’aide d’un modèle économétrique, je crois qu’il y a un certain nombre de points auxquels je voudrais réfléchir avant d’appliquer mécaniquement ce modèle au scénario 3. Ce scénario est assez différent. Dans le scénario 3, Apotex est l’un de deux fabricants, et le seul autre participant sur le marché est un fabricant de médicaments génériques autorisés d’une taille nettement plus petite. Et, dans les scénarios 1 et 2, Apotex fait partie d’un groupe de six fabricants. La situation est nettement différente.

(Transcription de l’audience, aux pages 855 et 856).

[85]           Le fait de renvoyer l’affaire à M. Tepperman n’est pas simplement un exercice mathématique, mais la création d’un rapport d’expert tout à fait nouveau et différent, sans connaître ou accepter à l’avance les présomptions ou d’autres circonstances menant aux calculs.

 

[86]           Sans le consentement des parties à la création d’un rapport d’expert nouveau et indépendant, la Cour doit se prononcer sur la présente affaire en prenant pour base les meilleurs éléments de preuve présentés. À cet égard, elle doit accepter le rapport de M. Harington comme base du calcul de la part du marché des médicaments génériques détenu par Apotex, dans le monde hypothétique, que la Cour a accepté.

 

D.                La quatrième question – la perte des revenus/la fixation des prix d’Apotex

[87]           Apotex accepte le fait qu’elle a le fardeau de prouver les ventes qu’elle a perdues ainsi que les éléments à en déduire.

 

[88]           La question à trancher dans cette section-ci est le prix auquel on vendrait l’Apo‑Pantoprazole d’Apotex dans le cadre des régimes des formulaires de médicaments autorisés des provinces. Je conviens avec Apotex que ses prix sont subordonnés au fait de savoir si elle aurait été présente sur le marché en tant que source unique de médicaments génériques ou si elle aurait eu des concurrents. La Cour a déjà fixé la période de temps pendant laquelle Apotex aurait été la seule source de médicaments génériques.

 

[89]           Le principal porte-parole d’Apotex à cet égard est son fondateur et président, Bernard Sherman. Ce dernier était soutenu par MM. Fahner et Hardwick.

La Cour a également entendu les dirigeants provinciaux ainsi que les témoins experts suivants :

                     Brent Fraser, directeur, Services liés aux programmes de médicaments, Bureau des programmes publics des médicaments de l’Ontario, ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario;

                     Lucie Robitaille, vice-présidente, Gouvernance et administration, Institut national d’excellence en santé et en services sociaux;

                     Glenn Monteith, agent principal des livraisons, Santé Alberta;

                     Neil Palmer, témoin expert de Takeda – un consultant de l’industrie pharmaceutique ayant une expertise dans l’inscription de produits dans les formulaires et des régimes de fixation des prix de l’industrie pharmaceutique canadienne;

                     Ross Hamilton, témoin expert d’Apotex – un comptable agréé désigné comme spécialiste dans les domaines de la comptabilité d’enquête et de la juricomptabilité, et expert en quantification des dommages dans le cadre de litiges de nature commerciale et en matière de propriété intellectuelle, y compris au sein du marché pharmaceutique canadien.

 

[90]           Apotex a exprimé l’avis que les fabricants de médicaments génériques maximisaient activement leurs profits lorsqu’ils constituaient l’unique source de médicaments génériques, parce que les prix – et donc les profits – sont nettement inférieurs dans un contexte concurrentiel.

Apotex soutient également que le fabricant de médicaments génériques a de solides raisons pour tenter d’obtenir le prix le plus élevé lorsqu’il s’expose au risque d’une éventuelle réclamation pour contrefaçon de brevet de la part du fabricant de marque (c’est ce que l’on appelle être [traduction] « à risque »).

 

[91]           Selon M. Sherman, Apotex aurait tenté d’obtenir le pourcentage le plus élevé possible du prix du médicament de marque dans tous les scénarios de marché et dans toutes les provinces pendant qu’elle était la seule fabricante de médicaments génériques sur le marché. Se fondant sur le fait d’avoir obtenu des prix élevés dans le passé, Apotex a soutenu que son prix serait de 80 % à 90 % du prix du médicament de marque au cours de la période où elle serait le seul fabricant de médicaments génériques.

 

[92]           Apotex a soutenu que, au sein d’un marché de médicaments génériques concurrentiel, en Ontario, au Québec et à Terre-Neuve le prix prescrit par le formulaire tomberait à 50 % du prix du médicament de marque en raison de la réglementation provinciale. M. Sherman a émis l’hypothèse que, dans le reste du Canada, en l’absence d’une réglementation provinciale, et même en ayant en place un second fabricant de médicaments génériques, les deux fabricants tiendraient le prix au niveau le plus élevé possible. À cet égard, la thèse de M. Sherman a été soutenue par un représentant de Sandoz, qui a déclaré que celle-ci fixerait le même prix qu’Apotex. C’est sur le plan des ristournes, et non sur celui du prix, que se livrerait la concurrence entre les fabricants de médicaments génériques.

 

[93]           La position fondamentale de Takeda était qu’Apotex n’aurait jamais été la source unique de médicaments génériques et que, dans un marché concurrentiel, le prix d’Apotex équivaudrait à environ 63 % du prix du médicament de marque. Takeda soutient que, dans un contexte de source unique, le prix d’Apotex n’équivaudrait qu’à 75 % (et non à 90 %) du prix du médicament de marque.

 

[94]           Au lieu de réitérer ici les positions hypothétiques et intéressées des parties, la Cour a pu compter sur des témoins de fait très crédibles, rattachés aux formulaires provinciaux. Ces témoins, M. Fraser, Mme Robitaille et M. Monteith, n’avaient aucun intérêt personnel ou professionnel dans la présente affaire. Ils étaient bien informés et chevronnés, et ils ont fait part d’informations claires et convaincantes à l’appui de leur opinion sur ce qui se serait vraisemblablement passé dans le monde hypothétique. Même M. Palmer a admis que, dans les cas où son témoignage était en conflit avec le leur, c’était sur leur témoignage que la Cour devait se fonder. Enfin, les témoins représentaient en tout 80 % du marché canadien et, à proprement parler, ils étaient les clients et ils savaient ce qu’ils étaient prêts à payer, soutenus en cela par la réglementation provinciale. La Cour préfère très nettement leur témoignage et elle y souscrit.

 

[95]           Pour ce qui est de l’Ontario, malgré la prétention d’Apotex selon laquelle elle obtiendrait des prix représentant 90 % du prix du médicament de marque, la province était régie par le projet de loi 102 à l’époque où Apotex serait théoriquement entrée sur le marché. La législation et la réglementation avaient fixé un prix plancher équivalant à 50 % du prix du médicament de marque, mais elles prévoyaient quand même des exemptions. M. Fraser a reconnu qu’il était [traduction] « vraisemblable » qu’au départ, on accorderait quelques exemptions à Apotex.

 

[96]           M. Fraser a fait référence à des situations dans lesquelles il avait eu affaire à des demandes d’exemption différentes, dans le cadre desquelles 40 % des exemptions avaient un prix fixé à 76 % du prix du médicament de marque ou plus et de 30 % à 35 % des exemptions étaient fixées à un prix équivalant à un niveau de 50 % à 75 % du prix du médicament de marque.

 

[97]           Par exemple, dans le cas de l’Apo-pantoprazole, un produit de la même catégorie thérapeutique (quoique présenté sous forme de gélules, et non de comprimés), ce médicament était inscrit à un niveau équivalant à 75 % du prix du médicament de marque.

 

[98]           Compte tenu de la preuve concernant les politiques et les pratiques de l’Ontario, je conclus que, dans cette province, au cours de la période où Apotex était la seule source de médicaments génériques, on aurait accordé à cette dernière une exemption équivalant à 75 % du prix du médicament de marque.

 

[99]           Même si Apotex a fait valoir que l’Apo-Pantoprazole était « à risque » pendant la période où elle était la seule source de médicaments génériques et que cela aurait donné lieu à une exemption de prix supérieure, M. Fraser a clairement indiqué que l’Ontario n’avait pas envisagé le risque de poursuite. Je souscris à cette explication, malgré la preuve que la portée des exemptions disponibles était suffisamment large pour que l’on envisage un tel risque.

 

[100]       Au Québec, on applique un système appelé le traitement de la « nation la plus favorisée » (la NPF). Dans la pratique, cela signifie que le Québec paie au fabricant de médicaments génériques le prix le plus bas du médicament de marque qui a été négocié ailleurs au Canada.

 

[101]       Comme les témoins et les avocats ont souvent indiqué que le prix du médicament générique équivalait à 50 % du prix du médicament de marque, il est important de préciser qu’au Québec, la clause de la NPF est fondée sur le prix fixé pour le médicament de marque, et non sur un pourcentage du prix de ce médicament. Tant Mme Robitaille que M. Palmer ont témoigné à ce sujet, et j’accepte que leurs déclarations sont le témoignage crédible le plus objectif dont on dispose.

 

[102]       Mme Robitaille a déclaré que le prix maximal dont on disposait pour un médicament générique de source unique équivalait à 60 % du prix du médicament de marque, sous réserve du pouvoir discrétionnaire qu’a l’Institut de le majorer. Il y a cinq facteurs à examiner dans un tel cas, mais le fait d’être « à risque » n’en est pas un.

 

[103]       Mme Robitaille a confirmé qu’il serait fort peu probable qu’Apotex reçoive l’autorisation de fixer le prix de l’Apo-Pantoprazole à un niveau équivalant à 90 % du prix du médicament de marque pendant la période où elle était la seule fabricante du médicament générique. Les tentatives qu’Apotex a faites pour montrer qu’il aurait été justifié d’accorder une exemption à la règle habituelle des 60 % ont été vaines. Il y a eu des cas où une exemption se situant dans la fourchette de 70 % à 80 % ou 90 % a été accordée pour certains médicaments, mais il ne s’agissait pas là d’une preuve suffisante pour contrer l’opinion de Mme Robitaille ou pour établir qu’une exemption aurait vraisemblablement été accordée.

 

[104]       Par conséquent, pour le Québec, au cours de la période où elle aurait été la seule source, Apotex aurait été remboursée à hauteur de 60 % du prix de marque ou, si le prix fixé à 75 % de celui du médicament de marque en Ontario était inférieur à ce pourcentage de 60 %, elle aurait été assujettie au traitement de la NPF et aurait obtenu ce prix inférieur.

 

[105]       Apotex a fait valoir que, dans les autres provinces, au cours de la période où elle aurait été le seul fabricant du médicament générique, elle aurait demandé et obtenu 90 % du prix du médicament de marque. À part Terre-Neuve qui appliquait un système de NPF, les autres provinces n’avaient pas de système de réglementation comme l’Ontario.

 

[106]       Comme l’a déclaré M. Monteith au sujet de l’Alberta, Apotex aurait bien pu essayer de faire approuver un prix de 90 %, mais le gouvernement albertain ne l’aurait pas accepté. L’Alberta a pour politique de limiter le prix, dans cette situation-là, à 75 % du prix du médicament de marque. J’accepte le fait que, selon la prépondérance des probabilités, comme M. Monteith l’a expliqué, Apotex aurait obtenu un prix équivalant à 75 % du prix du médicament de marque en Alberta.

 

[107]       La preuve relative aux autres provinces (hormis l’Ontario, le Québec et l’Alberta) n’a pas été particulièrement convaincante pour l’une ou l’autre des deux parties. Je préfère toutefois le témoignage de M. Palmer par rapport à celui de M. Sherman. Comme M. Palmer l’a expliqué, Terre-Neuve applique la règle de la NPF et paye aux fabricants de médicaments génériques le prix le plus bas du médicament de marque qui a été négocié ailleurs au Canada. Il a aussi expliqué que les autres provinces appliquaient l’ancienne règle de l’Ontario, soit celle des 70-90 (parfois appelée 70-63). Cette règle signifiait que le premier fabricant de médicaments génériques recevait 70 % et que, par la suite, le prix était fixé à 90 % de ces 70 % (soit 63 %).

Toutes les provinces s’orientaient vers la règle des 50 % au cours de la période pertinente, mais c’était la règle des 70-90 (70-63) qui était en vigueur ailleurs qu’en Ontario, au Québec, en Alberta et à Terre-Neuve.

 

[108]       En résumé, pour la période où elle aurait été la seule fabricante du médicament générique, Apotex aurait eu :

                     une inscription à 75 % en Ontario;

                     une inscription à 60 % au Québec (sauf si le prix en Ontario était inférieur à 60 % du prix du médicament de marque au Québec);

                     75 % en Alberta;

                     70 % dans les provinces restantes.

 

[109]       Ayant conclu qu’il y aurait eu plusieurs sources sur le marché, la Cour estime que les prix auraient été, par la suite, les suivants :

                     50 % en Ontario et au Québec (chiffre accepté par Apotex). Le Québec aurait peut-être été légèrement différent à cause de la clause de la NPF, mais la Cour n’est pas en mesure de déterminer ce montant;

                     63 % en Alberta et dans les autres provinces, à l’exception de Terre-Neuve qui, conformément à la règle de la NPF, aurait appliqué le prix en vigueur en Ontario.

 

E.                 La cinquième question – le rajustement des stocks

[110]       Les deux parties ont convenu qu’un retard est survenu dans le système de déclaration. Le moyen de remédier à ce retard exige un rajustement de stocks (appelé « garnissage »). La responsabilité d’établir le garnissage incombe à Apotex.

 

[111]       Les aspects logistiques et le système de déclaration sont les suivants :

                     les ventes d’un fabricant de médicaments génériques sont enregistrées dans son système de comptabilité. Elles sont qualifiées de ventes « à l’usine »;

                     les ventes à l’usine se composent habituellement : (i) des ventes à un grossiste, lequel distribue ensuite le produit à des pharmacies de petite taille, (ii) des ventes à une chaîne, qui peut agir comme son propre grossiste, et (iii) des ventes directes à une pharmacie au détail;

                     les stocks que reçoivent les pharmacies sont suivis par IMS et appelés [traduction] « Données sur les hôpitaux et les médicaments canadiens », ou « données sur les HMC »;

                     une fois qu’un produit est lancé sur le marché, les informations sur les ventes à l’usine correspondent approximativement aux données sur les HMC, sous réserve de différences de temps et d’une sous-évaluation systémique de la part des pharmacies, parce qu’IMS ne reçoit pas les données pour toutes les ventes de stocks qui sont faites aux pharmacies;

                     avant qu’un produit soit établi, les ventes à l’usine seront supérieures au montant enregistré dans les données sur les HMC, et ce, jusqu’à ce que les pharmacies aient accumulé des niveaux de stocks normalisés ou atteint un état d’équilibre.

En résumé, les données sur les HMC n’enregistrent pas le « garnissage » initial qui a eu lieu dans le monde réel; un rajustement est donc fait pour tenir compte de cet écart sur le plan de la déclaration.

 

[112]       Le témoignage d’expert à cet égard a été fait par Ross Hamilton et Andrew Harington, dont les titres de compétence ont déjà été décrits.

 

[113]       Ces experts conviennent que le calcul du rajustement de stocks approprié exige que l’on analyse le moment où les ventes atteignent un « état d’équilibre ». Cela survient lorsque les données sur les HMC font état de ventes [traduction] « normalisées ».

 

[114]       Les experts ne s’entendent pas sur le moment où l’état d’équilibre a été atteint. L’expert de Takeda, M. Hamilton, a estimé que l’état d’équilibre avait été atteint après une période d’environ quatre mois, ce qui nécessitait un rajustement de stock de 0,9 mois. L’expert d’Apotex, M. Harington, a estimé quant à lui que l’état d’équilibre avait été atteint en sept mois, ce qui nécessitait un rajustement de stock de six semaines. En fin de compte, il y avait entre les experts une différence de deux semaines au chapitre du rajustement des stocks.

 

[115]       Au cœur du litige est la méthode que les experts ont employée. M. Harington a considéré que tous les marchés étaient d’une taille égale, et c’est sur cette base qu’il a fait ses calculs. En revanche, M. Hamilton a pondéré les différents marchés, en tenant compte du fait que, sur les marchés de petite taille (C.-B./Manitoba), on atteignait l’état d’équilibre plus tard que sur les marchés de grande taille (Alberta, Ontario, Québec). M. Hamilton a eu recours à son appréciation commerciale dans le cadre de son exercice de pondération.

 

[116]       La Cour n’est pas une spécialiste de cet exercice et ne peut en traiter que de manière très générale – en analysant la question [traduction] « à grands traits », comme l’a suggéré l’avocat d’Apotex. Il semble qu’il soit plus sensé de tenir compte de tailles de marché différentes que de considérer les marchés comme égaux. La méthode de M. Hamilton est donc plus logique.

 

[117]       Cependant, les chiffres de M. Hamilton posent un problème – un problème dont il a lui‑même reconnu l’existence. Il a admis que le Québec aurait dû atteindre l’état d’équilibre après six mois plutôt que quatre, comme le conclut son rapport. Il y a eu des problèmes semblables dans le cas du Manitoba et de la Colombie-Britannique.

 

[118]       Ayant reconnu que la méthode de M. Hamilton était plus sensée, la Cour adopte la suggestion qu’a formulée M. Radomski en vue de régler les problèmes que présente le rapport de M. Hamilton. La Cour se prononce en faveur de la méthode de M. Hamilton, mais elle ordonne à Takeda de demander à M. Hamilton de refaire son analyse en tenant compte des calculs exacts concernant le Québec, le Manitoba et la Colombie-Britannique.

 

[119]       Le dernier point à régler dans le cadre de cette question concernant le rajustement des stocks est le calcul de la quantité qui ferait partie des stocks. M. Hamilton a conclu qu’au vu de la différence entre les ventes d’Apotex et les ventes d’IMS après avoir atteint l’état d’équilibre, il était nécessaire d’effectuer un rajustement à la baisse de 13,2 % aux ventes totales menant à un état d’équilibre.

 

[120]       M. Harington a adopté un point de vue moins précis, mais il a souscrit à la méthode de M. Hamilton sur cette question. Il semble que le rajustement serait de l’ordre de 11 % à 13 % et que cela peut être précisé dans le travail qu’effectuera M. Hamilton.

 

F.                  La sixième question – la double transition

[121]       La question de la double transition a trait aux revenus qu’Apotex aurait gagnés et aux dépenses qu’elle aurait effectuées en commençant à vendre l’Apo-Pantoprazole. Cela étant, le fardeau pèse sur les épaules d’Apotex.

 

[122]       La « double transition » est la période initiale au cours de laquelle le médicament générique doit être fabriqué ou acquis, les commandes sont reçues des clients et les médicaments commandés leur sont expédiés. Cette période couvre celle qui précède le moment où les ventes de l’Apo-Pantoprazole atteignent un état d’équilibre.

 

[123]       Dans le monde réel, Apotex a subi une période de transition après avoir résisté avec succès à la tentative de Takeda pour obtenir une ordonnance d’interdiction, et cette période a duré jusqu’à l’atteinte d’un état d’équilibre.

 

[124]       Dans le monde hypothétique, le calcul de la perte d’Apotex reflétait cette période de transition subie au cours de la période pertinente.

 

[125]       L’effet du calcul est qu’Apotex subit la répercussion de la transition dans le monde hypothétique, ce qui donne lieu à une déduction par rapport à ce qui constituerait les revenus gagnés en état d’équilibre et, ensuite, dans le monde réel, elle subit les mêmes répercussions liées à la transition. Il s’agit là d’une double comptabilisation pour une situation identique; un désavantage pour Apotex et un avantage pour Takeda.

 

[126]       Il ressort de la preuve que, lorsque le médicament générique est mis en état d’attente de brevet et, plus particulièrement dans le cas présent, où Takeda (et la société l’ayant précédée) faisait preuve d’agressivité et était disposée à lutter contre n’importe fabricant de médicaments génériques entrant sur le marché, Apotex a été empêchée pendant la période pertinente d’agir pour atténuer ou amoindrir l’effet de cette transition. Elle serait peut-être en mesure de constituer des stocks du produit, mais elle ne peut pas vraiment agir de façon à atteindre un état d’équilibre presque aussitôt après avoir reçu son AC.

 

[127]       Cette transition est prise en compte dans le monde hypothétique au moment d’évaluer la période pertinente. Apotex subit ensuite une seconde transition dans le monde réel, pendant qu’elle se dirige vers un état d’équilibre, qui survient après la période pertinente.

 

[128]       Les affaires qui, à ce jour, traitent de cette double transition portent principalement sur les conséquences de la deuxième transition. Elles ne mettent pas l’accent sur la perte économique qu’occasionne le fait d’être incapable d’améliorer la transition qui survient au cours de la période pertinente.

 

[129]       Au sein de la Cour fédérale, se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Apotex Inc c Merck & Co, 2009 CAF 187, [2010] 2 RCF 389 (Alendronate – CAF), la juge Snider, dans la décision Ramipril, a conclu qu’Apotex ne pouvait pas réclamer la perte due à la période de transition postérieure à la réception de son AC, parce qu’elle se trouverait à réclamer une forme de perte de revenus « survenue » en dehors de la période du sursis prévue par la loi.

 

[130]       Dans la décision Alendronate 2012, le juge Hughes a manifestement considéré que la Cour d’appel, dans Alendronate – CAF, n’avait pas à l’esprit la situation d’une double transition quand elle a refusé d’accorder une indemnité pour la perte de revenus futurs et de part de marché subie en dehors de cette période pertinente particulière. Néanmoins, « dans l’intérêt de la courtoisie et l’expectative d’un inévitable appel contre [sa] décision », le juge Hughes a adopté le point de vue de la juge Snider et n’a pas accordé d’indemnité pour double transition.

 

[131]       En toute déférence, je ne considère pas que, en l’espèce, la question de la « double transition » puisse être réglée en fonction de la règle de la courtoisie judiciaire, ni qu’il s’agit d’une question qui, peut-on présumer, sera finalement réglée en appel.

 

[132]       Les arguments qui m’ont été soumis ont été mis au point après que la juge Snider a instruit l’affaire. Les aspects et les facteurs dont la Cour doit tenir compte sont quelque peu différents de ceux qui ont été soumis aux juges Snider et Hughes.

 

[133]       Pour régler l’épineux problème de la double transition, il est utile de revenir à quelques concepts fondamentaux. L’article 8 du Règlement doit être interprété et appliqué d’une manière conforme à l’article 11 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21 – de façon à lui accorder l’interprétation équitable et libérale la plus propre à atteindre son objectif :

11. L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions.

11. The expression “shall” is to be construed as imperative and the expression “may” as permissive.

[134]       La Loi sur les brevets et, en particulier, l’article 8 du Règlement ne sont pas des outils qui visent à pénaliser les fabricants de médicaments génériques ayant eu gain de cause contre un fabricant de médicaments de marque.

 

[135]       L’article 8 reflète les règles normales qui, dans un litige civil, régissent l’application d’injonctions interlocutoires. La suspension prescrite au paragraphe 8(1) est assimilable à l’injonction. Les mots « […] la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période […] » (la période de suspension) sont assimilables à l’engagement que prend la partie sollicitant l’interdiction à payer les dommages-intérêts réclamés pour les pertes subies pendant la période que dure l’injonction. L’intention que vise le Règlement, à l’instar des règles relatives aux injonctions, est de remettre la partie visée par l’interdiction dans la position où elle se trouverait si l’injonction ou la suspension n’avait pas été accordée (en présumant que cette partie obtient finalement gain de cause).

 

[136]       Dans Alendronate – CAF, la Cour d’appel était saisie d’une affaire à plusieurs facettes, portant sur diverses questions de nature constitutionnelle et sur une demande de restitution des bénéfices. Pour ce qui est de la question plus étroite à laquelle ont fait référence les juges Snider et Hughes, la Cour d’appel avait à trancher la demande d’Apotex pour perte de ventes et de part de marché bien au-delà de la période pertinente applicable. Le juge du procès a qualifié les demandes de réclamation pour pertes futures.

 

[137]       La difficulté que pose la demande pour pertes futures d’Apotex était qu’elle revenait à évaluer dans le présent des pertes futures et à intégrer le montant dans la période de suspension. Il semble artificiel de laisser entendre que ces pertes, étalées sur plusieurs années, ont été « subies » au cours de la période pertinente. C’est ce caractère artificiel qui semble avoir amené la Cour d’appel à mettre de côté ces pertes futures.

 

[138]       Les faits dont il était question dans Alendronate – CAF sont nettement différents de ceux dont il est question en l’espèce. Dans la présente affaire, une perte de revenus est comptée deux fois à l’encontre de la partie ayant eu gain de cause. La partie responsable, Takeda, se voit ainsi accorder un gain fortuit.

 

[139]       Selon moi, l’arrêt Alendronate – CAF n’étaye pas l’idée que les calculs relatifs aux dommages-intérêts visés à l’article 8 doivent faire abstraction d’une double comptabilisation. Même si l’on peut distinguer cet arrêt des faits de la présente espèce pour ce seul motif, je ne relève pas non plus, dans l’arrêt de la Cour d’appel, de conclusion raisonnée qui appuie une double comptabilisation.

 

[140]       Je signale que, dans la présente affaire, les témoignages d’expert (notamment celui de M. Harington, pour Apotex, et celui de M. Hamilton, pour Takeda) confirment bel et bien qu’une perte liée à une transition ne devrait être comptée qu’une seule fois.

 

[141]       Pour calculer « […] toute perte subie au cours de la période […] », les tribunaux, en recourant à l’opinion d’experts, créent un monde hypothétique – une tentative pour reproduire ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu de suspension et pour accorder des dommages-intérêts en se fondant sur ce que la partie ayant eu gain de cause aurait par ailleurs gagné. Mais cet exercice hypothétique n’est pas prescrit par la loi; il s’agit d’un moyen utile de tenter de fixer une indemnité appropriée. Il ne s’agit pas d’une formule, pas que plus qu’on ne doit l’appliquer de manière rigide.

 

[142]       Le paragraphe 8(5) du Règlement confère à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire : « [p]our déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin […] » :

8. (5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

8. (5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

[143]       La disposition mentionne que « le tribunal tient compte des facteurs » – sans distinction aucune – qu’il juge pertinents pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder. Elle ne limite pas la Cour aux questions liées à la conduite d’une partie ou à des questions semblables.

 

[144]       Il y a toutefois lieu d’exercer ce pouvoir discrétionnaire d’une manière qui concorde avec l’objet de l’article 8 et du Règlement, de même qu’avec la disposition considérée dans son ensemble.

 

[145]       La question de savoir si une question est comptée en double est pertinente pour ce qui est de déterminer le montant de l’indemnité à accorder. L’article 8 a pour objet d’accorder une indemnité appropriée.

 

[146]       Il n’y a rien en droit, et certes rien en equity, qui oblige la Cour à faire abstraction du facteur de la double comptabilisation et à rajuster l’indemnité en ce sens.

 

[147]       M. Harington a tenté de tenir compte de ce phénomène de double transition et, sous réserve des rajustements qu’il peut être nécessaire de faire lors d’une comptabilisation finale, ses calculs sont acceptés.

 

[148]       Je conclus que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de manière appropriée en n’incluant pas le phénomène de la « transition » au cours de la période pertinente quand cette « transition » a été subie dans le monde réel.

 

G.                La septième question – les ristournes

[149]       Comme il a été mentionné plus tôt, la concurrence exercée sur le plan de la distribution des produits pharmaceutiques s’articule non seulement autour des prix, mais aussi autour des ristournes que l’on accorderait aux acheteurs en vue de mousser les ventes, tant dans le présent qu’à l’avenir. Dans Alendronate 2012, le juge Hughes a décrit de manière assez juste la pratique des ristournes et les problèmes qu’elle présente :

94        Cette pratique paraît nébuleuse. Le montant des ristournes ne semble pas fixé à l’avance, et une ristourne précise ne s’applique pas nécessairement, ou inévitablement, à un produit particulier. Il s’avère que les ristournes s’appliquent collectivement à une gamme de produits et qu’elles varient dans le temps. Tout cela dépend grandement du pouvoir de négociation du fournisseur, comme Apotex par exemple, et de l’acheteur, qui peut être une chaîne de pharmacies ou un groupe d’achats. L’exclusivité d’un produit place le fournisseur en meilleure position tandis que la non-exclusivité profite à l’acheteur. Même dans le premier cas, un fournisseur peut accorder une ristourne pour faire connaître son produit ou en échange d’un bon traitement en d’autres matières. Un acheteur qui n’obtient pas une ristourne favorable tentera peut‑être d’exercer des représailles autrement, ou plus tard. Nous n’avons pas affaire à une science exacte.

[150]       Il incombe essentiellement à Apotex de montrer les niveaux de ristourne qu’elle aurait payés, car les deux parties ont reconnu qu’il était nécessaire d’en traiter. À part les experts Harington et Hamilton, qui ont parlé des niveaux de ristourne, la preuve d’Apotex a été présentée par M. Sherman, M. Fahrer (vice-président, Opérations commerciales et finances) et M. Hardwick (vice‑président principal, Ventes et marketing). Takeda s’est fondée sur son expert et sur Mme Virginia Cirocco, autrefois au service de la chaîne Shoppers Drug Mart, ainsi que sur M. Michael Blacker, un pharmacien de Windsor (Ontario).

 

[151]       Il y a deux questions qui se posent dans le contexte des ristournes. La première consiste à savoir quelles ristournes auraient été accordées dans la situation où il n’y aurait eu qu’un seul fabricant de médicaments génériques, ainsi que dans celle où il y en aurait eu plusieurs. La seconde question est de savoir quelle ristourne on aurait accordée à chaque type d’acheteur : pharmacies indépendantes, pharmacies de grand magasin et [traduction] « bannières » (assimilables à un groupe d’achats).

 

[152]       La position fondamentale d’Apotex est que, comme dans le cas de la fixation des prix, au cours de la période où elle aurait été la seule source, la question du risque de poursuite l’aurait préoccupée et elle aurait offert peu ou pas de ristournes. M. Sherman a déclaré qu’il n’en aurait pas autorisé.

 

[153]       Je considère que son témoignage sur cette question ainsi que sur celle de la fixation des prix est excessif. L’idée qu’Apotex [traduction] « soutirerait » un prix de vente maximal à ses clients du moment et ne leur offrirait aucune ristourne pendant une courte période tout en sachant que des concurrents s’en venaient sur le marché, semble être peu clairvoyante et constituer une stratégie contre-productive. Vu le succès qu’obtient Apotex en général et les talents commerciaux évidents de M. Sherman, je fais quelque peu abstraction de ce témoignage intéressé.

 

[154]       La position fondamentale de Takeda était que les fabricants de médicaments génériques accordent toujours des ristournes et qu’Apotex aurait accordé le même niveau de ristourne lorsqu’elle était la seule fabricante de médicaments génériques que celui qu’elle aurait accordé au sein d’un marché comprenant plusieurs sources. Takeda soutient également que la distinction entre les trois types d’acheteurs importe peu, et que la preuve d’Apotex, même de la part de son expert Harington, est contradictoire.

 

[155]       Les chiffres qu’avancent les parties font nettement contraste. Apotex dit que son niveau de ristourne, à titre de seul fabricant de médicaments génériques, est de 0 % et que, dans un marché concurrentiel, il s’agirait d’une ristourne de 44,7 % accordée aux grands magasins et d’une ristourne de 0 % à 10 % accordée au marché des indépendants (elle a considéré que les bannières étaient en réalité des clients indépendants, parce que les ristournes seraient fixées avec chaque magasin séparément).

Takeda est d’avis que les ristournes d’Apotex auraient été en tout temps les mêmes que celles qu’elle aurait accordées au cours de la période où il y aurait plusieurs sources sur le marché – 44,7 %, à cause des préoccupations d’Apotex au sujet de la présence prochaine de concurrents.

 

[156]       Pour ce qui est de déterminer quelles seraient les ristournes, la situation que représente la présence de différents types d’acheteurs rend l’analyse plus difficile. Le concept d’une chaîne est celui d’une entreprise dont le siège social prend des décisions pour les pharmacies et négocie des ristournes. Shoppers Drug Mart en est un exemple. Les indépendants sont des magasins à propriétaire unique qui négocient séparément pour leur entreprise avec les représentants des sociétés pharmaceutiques. Les bannières sont semblables à des groupes d’achat formés d’organisations indépendantes. Il n’est souvent pas clair si une entreprise est une chaîne ou une bannière, parce qu’il est possible que des éléments des deux descriptions puissent s’appliquer à cette entreprise. Il n’est pas clair non plus si une bannière obtiendrait des ristournes qui se rapprocheraient davantage de celles accordées à une chaîne ou à un indépendant.

 

[157]       Pour ce qui est de la preuve, Mme Cirocco a fourni à peu près les mêmes informations qu’elle avait présentées dans Alendronate 2012, où le juge Hughes a conclu que cette personne manquait de franchise et faisait montre d’une tendance à vouloir jouer au plus fin. Cependant, je n’ai moi-même relevé aucun de ces traits et, hormis une certaine contrariété face au fait d’être tenue de comparaître et d’interrompre ses vacances, elle a témoigné de manière franche et directe. Cependant, son témoignage n’a pas été particulièrement utile, parce que la connaissance qu’elle avait du taux de ristourne d’Apotex était celle d’un taux combiné pour tous les produits. Elle n’était pas au courant du taux de ristourne qu’Apotex accordait à l’interne pour un produit donné.

 

[158]       En ce qui concerne le témoignage de M. Blacker, celui-ci a déclaré qu’il recevait une ristourne d’au moins 20 % sur les produits de source unique, que les taux de ristourne fluctuaient et qu’il bénéficiait d’un taux de 20 % pour l’Apo-Pantoprazole dans un contexte concurrentiel. Son témoignage a été nettement local et anecdotique, et il est difficile d’en tirer des principes généraux à propos des niveaux de ristourne.

 

[159]       Apotex fait valoir qu’il ne faudrait pas autoriser Takeda à invoquer des éléments de preuve à l’appui de la thèse selon laquelle Apotex aurait offert une ristourne de 60 %. Elle se plaint que Takeda a enfreint la règle énoncée dans Brown c Dunn en ne confrontant pas M. Sherman ou M. Hardwick à cette preuve en contre-interrogatoire.

 

[160]       La règle énoncée dans Brown c Dunn n’est pas, à strictement parler, une règle. Il s’agit d’un principe fondé sur l’équité, et elle peut faire l’objet d’exceptions et être soumise au pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Dans la présente affaire, le démon de l’iniquité que vise Brown c Dunn est tout à fait compensé par le droit qu’a Apotex, en tant que demanderesse, d’appeler en réponse l’un ou l’autre de ces témoins, ou les deux, pour traiter de la suggestion de Takeda. Apotex ne l’a pas fait. La preuve de Takeda est recevable, mais elle n’est pas particulièrement convaincante.

 

[161]       Pour ce qui est des ristournes accordées dans un marché à source unique, je retiens la preuve selon laquelle l’absence de pression exercée par la concurrence et la caractéristique « à risque » garderaient le taux à un niveau peu élevé. Le taux de M. Harington était de 3,9 % tandis que celui de M. Hamilton était de 28,3 %; ni l’un ni l’autre ne semblent raisonnables dans les circonstances. La preuve la plus convaincante a été l’exemple d’une molécule obtenue auprès d’une source unique, mais « à risque », ce qui donnait lieu à un taux de 8,9 % (selon M. Sherman).

 

[162]       Ce taux de ristourne de 8,9 % n’est pas de minimus, pas plus qu’il n’est proche du taux concurrentiel (selon M. Hamilton). Il s’agit du taux de ristourne le plus raisonnable qui a été invoqué en l’espèce dans la situation où il n’existe qu’un seul fabricant de médicaments génériques.

 

[163]       Dans le contexte d’un marché concurrentiel ou à plusieurs sources, les parties admettent que les taux de ristourne seraient supérieurs. Apotex préconise un taux de 44,7 %, qui est fondé sur une concurrence exercée dans le monde réel, où Apotex faisait concurrence à Teva dans tout le Canada et où l’effectif de vente de ces deux entreprises était nombreux et concurrentiel.

 

[164]       Dans les circonstances de l’espèce, où Apotex fait concurrence à Ranbaxy, il ressort de la preuve que l’effectif de vente de Ranbaxy est nettement plus restreint (tout comme l’entreprise elle-même) que celui d’Apotex. J’accepte la logique selon laquelle Ranbaxy mettrait l’accent sur les clients de grande taille, c’est-à-dire les chaînes, parce qu’il est rentable de faire de la mise en marché auprès d’entreprises de grande taille ayant une demande importante. Ranbaxy aurait donc poursuivi avec moins d’ardeur les indépendants et les bannières.

 

[165]       Pour calculer l’effet des ristournes sur les dommages qu’Apotex aurait subis dans le monde hypothétique, il est nécessaire de déterminer la taille du marché qu’occupent les divers types d’acheteurs. La preuve à cet égard est diversifiée et dispersée, et elle a montré que les chaînes occupaient de 55 % à 84 % du marché.

 

[166]       Cependant, le calcul d’une part de marché de 55 % pour les chaînes et de 45 % pour les indépendants et les bannières, des chiffres qu’Apotex a avancés, était une moyenne que la plupart des témoins, même certains appelés par Takeda, appuyaient.

 

[167]       Dans un marché à sources multiples, un taux de ristourne de 44,7 % appliqué aux chaînes (55 % du marché) est raisonnable. Cependant, pour ce qui est des indépendants et des bannières, le taux de 0 % à 10 % qu’Apotex a suggéré est trop bas, eu égard surtout au taux de 8,9 % qui, a‑t‑il été conclu, s’appliquerait dans la situation où il n’y aurait qu’une seule source de médicaments génériques. Le taux de M. Blacker est trop insuffisant comme niveau de référence pour qu’on puisse l’appliquer à l’ensemble du marché. Un taux de 15 % est plus raisonnable et, si l’on applique l’approche de l’analyse « à grands traits », il s’agit du taux à appliquer dans le calcul des dommages-intérêts.

 

H.                La huitième question – les intérêts antérieurs au jugement

[168]       La question en litige a trait à deux questions connexes : le montant des intérêts et la date à laquelle ceux-ci commencent à courir. Il est admis qu’il y a lieu d’appliquer l’article 127 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, LRO 1990, c C43 :

127. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 128 et 129.

 

« date de l’ordonnance » Date à laquelle est rendue l’ordonnance, même si elle n’est pas inscrite ou exécutoire ce jour-là, ou si elle est modifiée en appel, et dans le cas d’une ordonnance de renvoi, la date à laquelle le rapport sur le renvoi est confirmé. («date of the order»)

 

«taux d’escompte» Le taux minimal exigé par la Banque du Canada sur les prêts à court terme qu’elle accorde aux banques mentionnées à l’annexe I de la Loi sur les banques (Canada). («bank rate»)

 

«taux d’intérêt antérieur au jugement» Le taux d’escompte à la fin du premier jour du dernier mois du trimestre précédant le trimestre au cours duquel l’instance a été introduite, arrondi au dixième près d’un point de pourcentage. («prejudgment interest rate»)

 

«taux d’intérêt postérieur au jugement» Le taux d’escompte à la fin du premier jour du dernier mois du trimestre précédant le trimestre au cours duquel se situe la date de l’ordonnance, arrondi au nombre entier supérieur si le taux comprend une fraction, plus 1 pour cent. («postjudgment interest rate»)

 

«trimestre» Les périodes de trois mois se terminant respectivement le 31 mars, le 30 juin, le 30 septembre et le 31 décembre. («quarter»)

 

 

 

Calcul et publication des taux d’intérêt

 

(2) Après le premier jour du dernier mois de chaque trimestre, la personne désignée par le sous-procureur général, sans délai :

 

a) établit les taux d’intérêt antérieur et postérieur au jugement pour le trimestre qui suit;

 

b) publie selon le mode prescrit un tableau des taux d’intérêt établis aux termes de l’alinéa a) pour le trimestre qui suit et des taux établis aux termes de l’alinéa a) ou d’une disposition qu’il remplace pour tous les trimestres des 10 dernières années.

 

 

Règlements

 

(3) Le procureur général peut, par règlement, prescrire le mode de publication du tableau décrit à l’alinéa (2)b).

127. (1) In this section and in sections 128 and 129,

 

“bank rate” means the bank rate established by the Bank of Canada as the minimum rate at which the Bank of Canada makes short-term advances to banks listed in Schedule I to the Bank Act (Canada); (“taux d’escompte”)

 

“date of the order” means the date the order is made, even if the order is not entered or enforceable on that date, or the order is varied on appeal, and in the case of an order directing a reference, the date the report on the reference is confirmed; (“date de l’ordonnance”)

 

“postjudgment interest rate” means the bank rate at the end of the first day of the last month of the quarter preceding the quarter in which the date of the order falls, rounded to the next higher whole number where the bank rate includes a fraction, plus 1 per cent; (“taux d’intérêt postérieur au jugement”)

 

“prejudgment interest rate” means the bank rate at the end of the first day of the last month of the quarter preceding the quarter in which the proceeding was commenced, rounded to the nearest tenth of a percentage point; (“taux d’intérêt antérieur au jugement”)

 

“quarter” means the three-month period ending with the 31st day of March, 30th day of June, 30th day of September or 31st day of December. (“trimestre”)

 

 

 

 

Calculation and publication of interest rates

 

(2) After the first day of the last month of each quarter, a person designated by the Deputy Attorney General shall forthwith,

 

(a) determine the prejudgment and postjudgment interest rate for the next quarter; and

 

(b) publish in the prescribed manner a table showing the rate determined under clause (a) for the next quarter and the rates determined under clause (a) or under a predecessor of that clause for all the previous quarters during the preceding 10 years.

 

Regulations

 

(3) The Attorney General may, by regulation, prescribe the manner in which the table described in clause (2)(b) is to be published.

 

[169]       Apotex est d’avis que les intérêts antérieurs au jugement devraient courir à compter de la date où elle aurait commencé à vendre son produit dans le monde hypothétique – le 3 mars 2007. Takeda fait valoir que la date du début des intérêts antérieurs au jugement est celle à laquelle sa demande d’interdiction a été rejetée.

 

[170]       Apotex plaide en faveur d’un taux de 4,5 %, qui était en vigueur en mars 2007; d’après Takeda, le taux est de 3,3 %, soit celui qui était en vigueur au trimestre précédant la date de la déclaration d’Apotex.

 

[171]       La définition du « taux d’intérêt antérieur au jugement » est la suivante : « le taux d’escompte à la fin du premier jour du dernier mois du trimestre précédent au cours duquel l’instance a été introduite » [non souligné dans l’original].

 

[172]       La déclaration d’Apotex était datée du 18 novembre 2008. Le trimestre précédant cette date a pris fin le 30 septembre 2008. Le taux d’intérêt en vigueur à cette époque était de 3,3 %, et c’est ce taux qu’il faut utiliser en l’espèce.

 

[173]       Pour ce qui est de la date à partir de laquelle courent les intérêts antérieurs au jugement, Takeda soutient qu’il s’agit de celle à laquelle la juge Gauthier a rejeté sa demande d’interdiction. Cependant, le paragraphe 128(1) fait mention des intérêts « calculés […] depuis la date à laquelle la cause d’action a pris naissance jusqu’à la date de l’ordonnance » [non souligné dans l’original] – et non depuis la date à laquelle une partie aurait pu engager une action.

 

[174]       À mon avis, la cause d’action a pris naissance au moment où la période de responsabilité a débuté – la date de mise en attente de brevet d’Apotex. Dans Ramipril, la juge Snider semble avoir été du même avis.

 

[175]       En conséquence, le taux d’intérêt antérieur au jugement est fixé à 3,3 %, à compter de la date de mise en attente de brevet.

 

I.                   La neuvième question – le pouvoir discrétionnaire de réduire les dommages-intérêts

[176]       Cette question repose sur quatre piliers :

1)                  Apotex s’est engagée auprès de la juge Gauthier, dans le cadre de l’instance d’interdiction, à ne pas mettre en marché ou promouvoir l’Apo-Pantoprazole en combinaison avec un ou plusieurs agents antimicrobiens inhibiteurs de la bactérie Helicobacter pour le traitement des maladies causées par H. pylori (trithérapie), se mettant ainsi à l’abri de l’allégation selon laquelle elle contreferait le brevet 748;

2)                  la juge Gauthier s’est fondée sur cet engagement pour conclure que Takeda n’avait pas établi l’existence d’une contrefaçon;

3)                  Apotex a contrevenu à cet engagement en mettant en marché et en faisant la promotion auprès des pharmaciens de l’Apo-Pantoprazole pour usage dans le cadre d’une trithérapie, lesquelles activités de mise en marché et de promotion auraient eu lieu au cours de la période pertinente et ont bel et bien eu lieu après cette dernière;

4)                  la Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 8(5) du Règlement pour refuser d’accorder à Apotex des dommages‑intérêts auxquels celle-ci pourrait par ailleurs avoir droit.

 

[177]       Il est juste de dire qu’étant donné la gravité de l’allégation, les parties ont suivi toutes les avenues concevables d’attaque et de défense. Je conviens que l’allégation est grave – elle est assimilable à une forme d’outrage, soit pour avoir induit la Cour en erreur, soit pour avoir enfreint une condition imposée par la Cour dans le cadre du règlement de l’affaire.

 

[178]       Apotex a déposé son AA en janvier 2006. Ce dernier indique :

[traduction]

 

Nos comprimés de pantoprazole sodique seront fabriqués, utilisés et vendus d’une manière conforme aux indications, aux usages cliniques et aux schémas posologiques indiqués dans le projet de monographie du produit susmentionné.

 

Chacune des revendications du brevet 748 inclut, à titre d’élément essentiel, un agent antimicrobien inhibiteur de la bactérie Helicobacter. Nos comprimés de pantoprazole sodique ne contiendront pas cet agent, au sens où ce terme est interprété conformément aux revendications du brevet 748, pas plus qu’ils ne feront l’objet d’activités de mise en marché ou de promotion auprès de médecins, de pharmaciens ou d’autres personnes en vue de leur utilisation en combinaison avec un agent antimicrobien inhibiteur de la bactérie Helicobacter ou dans le cadre d’une combinaison de médicaments comprenant cet agent. Cela étant, nos comprimés ne contreferont aucune des revendications du brevet 748.

 

Advenant que les expressions [traduction] « régulation de troubles gastro‑intestinaux », [traduction] « traitement d’un ulcère duodénal ou gastrique récidivant » et [traduction] « régulateur de troubles gastro‑intestinaux », tel qu’elles figurent dans les revendications, doivent être interprétées de telle façon qu’elles se limitent aux troubles gastro-intestinaux ou aux ulcères duodénaux ou gastriques récidivants qui sont causés ou exacerbés par une infection à Helicobacter et la sécrétion d’acide gastrique, nous alléguons que les revendications ne seront pas contrefaites, car nos comprimés ne feront pas l’objet d’activités de mise en marché ou de promotion auprès de médecins, de pharmaciens ou d’autres personnes en vue d’être utilisés d’une manière quelconque contre une infection à Helicobacter ou contre un trouble gastro-intestinal causé ou exacerbé par une infection à Helicobacter et la sécrétion d’acide gastrique.

 

Nous alléguons de plus que les seules compositions pharmaceutiques contenant du pantoprazole sodique et un agent antimicrobien inhibiteur de la bactérie Helicobacter qui sont soumises à une autorisation délivrée par Santé Canada sont les deux combinaisons trithérapeutiques qui suivent :

 

(i)         pantoprazole sodique (40 mg)/ clarithromycine/amoxicilline;

(ii)        pantoprazole sodique (40 mg)/ clarithromycine/métronidazole;

 

lorsque utilisées pour le traitement d’un ulcère duodénal associé à Helicobacter-pylori qui inclut l’éradication de cette bactérie. Les cachets de 20 mg de pantoprazole sodique ne sont pas approuvés par Santé Canada pour être utilisés dans le cadre des combinaisons trithérapeutiques susmentionnées ou pour d’autres usages lorsqu’ils sont utilisés en combinaison avec un agent antimicrobien inhibiteur de la bactérie Helicobacter. De plus, lorsque les trithérapies mentionnées sont utilisées, le pantoprazole sodique et les agents antimicrobiens inhibiteurs de la bactérie Helicobacter (clarithromycine, amoxicilline et métronidazole) ne sont pas administrés à intervalles de moins de 24 heures. Cela étant, comme les indications, les usages cliniques et les schémas posologiques de nos comprimés, tel qu’ils sont indiqués dans notre projet de monographie du produit [document d’Apotex no 11], sont distincts des trithérapies susmentionnées, nos cachets de 20 mg ou de 40 mg ne contreferont aucune revendication qui n’inclut pas dans sa portée les combinaisons trithérapeutiques approuvées ou l’utilisation approuvée de ces combinaisons. Nous ne pourrions pas non plus contrefaire une revendication qui inclut la régulation d’un trouble gastro-intestinal ou un régulateur de troubles gastro-intestinaux, car les mots « régulation » et « régulateur » ont un sens autre qu’une élimination ou une éradication.

[179]       Au paragraphe 157 de la décision relative à l’AA (Solvay Pharma Inc c Apotex Inc, 2008 CF 308, 323 FTR 1), la juge Gauthier résume la manière dont elle comprend la position d’Apotex dans son AA :

Dans la présente affaire, Apotex allègue dans son avis d’allégation qu’elle ne fabriquera pas, ni n’utilisera ou vendra ses comprimés de pantoprazole sodique dans le cadre de la trithérapie, dont l’utilisation est revendiquée dans le brevet 748. Apotex allègue également que les revendications 15 et 16 du brevet 748 ne seront pas contrefaites, puisque ses comprimés d’Apo‑Pantoprazole ne seront pas commercialisés ni annoncés auprès des médecins, pharmaciens ou autres professionnels en vue d’une utilisation en association avec un AAMIH, ou dans le cadre d’une combinaison de médicaments comprenant ledit agent. En outre, étant donné que les indications, les utilisations cliniques et les schémas posologiques énoncés dans la version préliminaire de la monographie du produit d’Apotex sont distincts de ceux qui sont indiqués relativement à la trithérapie par le pantoprazole, ses comprimés de 20 mg et de 40 mg ne contrefont aucune des revendications du brevet 748.

[180]       Plus loin, en faisant référence aux efforts qu’Apotex a faits pour « débarrasser » de sa monographie concernant l’Apo-Pantoprazole toute mention de la bactérie H. pylori en association avec des antibiotiques, la Cour a conclu que Takeda ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir que les « allégations d’absence de contrefaçon relatives à ces revendications ne sont pas fondées » (l’emploi de doubles négations semble être une plaie dans les litiges de ce type) :

201      En fin de compte, la Cour ne saurait conclure sur le fondement de la preuve dont elle dispose qu’Apotex a l’intention de commercialiser ses comprimés pour qu’ils soient employés dans le cadre d’une trithérapie. Altana n’a pas par ailleurs établi quelque lien de causalité que ce soit entre les actions d’Apotex (et sa monographie proposée) et la contrefaçon directe dont la Cour a été invitée à supposer l’existence.

 

202      La Cour conclut qu’Altana ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombait d’établir que les allégations d’absence de contrefaçon relatives à ces revendications ne sont pas fondées.

[181]       La Cour a tranché l’affaire et rejeté la demande d’interdiction pour cause d’absence de contrefaçon :

Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la demande doit être rejetée avec dépens au motif qu’Altana n’a pas établi que les allégations d’absence de contrefaçon ne sont pas fondées. (paragraphe 229)

[182]       Il est possible qu’une déclaration faite dans un AA soit assimilable à un engagement sur lequel un tribunal se fondera, mais les déclarations de cette nature doivent constituer, expressément ou implicitement, un engagement clair et non équivoque. Un exemple d’une telle déclaration figure dans la décision Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CF 642, 320 FTR 48 (une décision que Takeda a invoquée), au paragraphe 6 :

Apotex affirme dans son avis d’allégation qu’elle ne contreferait pas le brevet 089 parce qu’elle ne fabriquerait pas l’Apo‑Quinapril, ne le vendrait pas et ne s’en servirait pas aux fins de l’utilisation brevetée – c’est‑à‑dire le traitement de l’hypertrophie et de l’hyperplasie cardiaques et vasculaires – et elle s’y engage à ne fabriquer, utiliser ou vendre ce produit que pour le traitement de l’hypertension. Apotex allègue aussi l’invalidité dans son avis d’allégation, mais elle n’a pas repris cette allégation, qui sera donc considérée comme abandonnée.

[183]       Un autre exemple d’engagement précis figure dans la décision Apotex c Syntex Pharmaceuticals International Ltd (1999), 166 FTR 161, 1 CPR (4th) 22, au paragraphe 4 :

En juin 1993, Apotex a déposé un avis d’allégation (l’avis de 1993) au soutien de la demande d’avis de conformité qu’elle avait présentée au ministre pour ses comprimés de naproxène à libération prolongée. Cet avis renfermait deux allégations. Dans un premier temps, Apotex affirmait que [TRADUCTION] " aucune revendication portant sur le médicament lui-même ou sur son utilisation " ne serait contrefaite par suite de la fabrication et de la vente par elle de ses comprimés de naproxène à libération prolongée parce qu’en tant que brevet portant sur une composition (formulation), le brevet 671 ne revendiquait ni le médicament lui-même ni son utilisation. En second lieu, Apotex promettait qu’aucun des comprimés qu’elle produirait et vendrait ne serait visé par la portée des revendications du brevet 671 :

 

[traduction
[...] Apotex Inc. promet par la présente que les comprimés qu’elle produira et vendra ne seront pas visés par la portée des revendications du brevet no 1 204 671, de sorte qu’aucune revendication ne serait contrefaite.

[184]       Il est possible d’inférer l’existence d’un engagement lorsque ce dernier est explicite, comme dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 RCS 193, au paragraphe 14 :

Le juge Simpson a donc accueilli la demande en raison du caractère prématuré de l’allégation. Même si, en conséquence, il n’était pas nécessaire de trancher les autres questions en litige, le juge Simpson a entrepris de les examiner à titre incident. Elle a indiqué qu’elle n’aurait pas rejeté l’ADA simplement parce qu’il ne mentionnait pas les restrictions légales auxquelles était assujettie la licence obligatoire de Novopharm, vu qu’en réalité il en divulguait l’existence lorsqu’il précisait que la licence n’avait pas été annulée. Elle a, en outre, considéré que l’engagement d’Apotex, dans l’ADA, de n’acheter la norfloxacine qu’en application de la licence suffisait pour constituer un engagement à respecter les restrictions auxquelles elle était assujettie. Elle a aussi indiqué qu’elle aurait suivi la décision du juge McGillis dans Apotex no 1, précité, selon laquelle l’accord d’approvisionnement n’était pas une sous‑licence. Enfin, elle aurait statué qu’il n’y avait aucun mandat en vertu duquel Novopharm était mandataire d’Apotex. À son avis, à la p. 489, Novopharm «demeure le mandant lorsqu’elle contracte en application de [l’accord] avec un tiers pour la fabrication du médicament visé par la licence».

[185]       Dans la décision Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 2004 CF 206, 247 FTR 202, au paragraphe 4, la Cour a qualifié d’engagement une déclaration d’Apotex :

Bref, les allégations de fait qui, comme je l’ai noté, ne sont pas contestées sont les suivantes. La nizatidine était l’objet de deux avis d’allégation et de deux procédures, l’une en vue d’obtenir une interdiction, l’autre en vue d’obtenir un bref de certiorari en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Lilly allègue que, dans le cas du premier avis d’allégation, Apotex a déclaré qu’elle s’appuierait sur la licence obligatoire de Novopharm pour acquérir seulement de la nizatidine produite sous licence, de sorte qu’elle ne contreferait pas le brevet des demanderesses, et que, contrairement à son engagement, Apotex ne vendait pas en fait de la nizatidine produite sous licence.

[186]       La jurisprudence n’étaye pas la thèse selon laquelle une simple affirmation faite dans un AA constitue un engagement exécutoire. À mon sens, il doit y avoir plus que la simple allégation, à moins qu’elle soit formulée comme un engagement. Takeda n’a présenté aucune preuve indiquant que des représentants d’Apotex avaient déclaré que la société s’était engagée à ne pas faire la mise en marché ou la promotion d’une trithérapie. Il n’existe aucune preuve qu’à l’époque où la juge Gauthier a instruit l’affaire, Apotex avait eu l’intention d’exécuter des activités de mise en marché et de promotion d’une manière contraire à ce qu’elle alléguait.

 

[187]       Si la juge Gauthier avait clairement à l’esprit l’existence d’un engagement ou si un engagement revêtait une importance cruciale pour sa décision, elle l’aurait indiqué. Je ne puis croire qu’une juge aussi compétente et chevronnée n’aurait pas déclaré que sa décision était fondée sur un engagement si c’est ce qui était envisagé.

 

[188]       En conséquence, je conclus que Takeda n’a pas établi l’existence d’un engagement exécutoire à ne pas mettre en marché ou promouvoir l’Apo-Pantoprazole à utiliser dans le cadre d’une trithérapie.

 

J.                   Le manquement à un engagement

[189]       En présumant qu’un engagement a été pris, voyons maintenant s’il y a eu manquement à ce dernier et quelles devraient en être les conséquences.

 

[190]       Ce faisant, je signale qu’un grand nombre des actes permettant de prouver l’existence d’un manquement sont des actes qui concordent avec l’absence d’un engagement ou, du moins, avec la croyance d’Apotex qu’elle n’avait pas pris un tel engagement. Les activités de mise en marché et de promotion étaient si visibles, si transparentes et si généralisées au sein du groupe des acheteurs (les pharmaciens) que les actes d’Apotex concordent davantage avec ceux d’une personne qui croyait qu’aucun engagement n’avait été pris. Il n’y a rien de dissimulé, de subreptice ou de caché dans les activités de mise en marché et de promotion. La question de savoir si Apotex est responsable est une autre affaire.

 

[191]       Takeda allègue l’existence de deux actes qui ont causé un manquement à l’« engagement ». Le premier a été commis en faisant la promotion de l’Apo-Pantoprazole pour H. pylori par l’intermédiaire d’une plateforme d’affichage informatique appelée « iPharmacist ». Le second a été commis en demandant que le produit soit inscrit comme étant interchangeable avec Pantoloc et en ne différenciant pas le produit Apo-Pantoprazole.

 

[192]       La plateforme iPharmacist (une solution d’affaires pharmaceutique) est une plateforme logicielle contenant une série d’outils informatiques fournis gratuitement à certains pharmaciens canadiens, dont des outils de développement d’entreprise, des outils d’efficacité opérationnelle ainsi que des outils de services pharmaceutiques.

 

[193]       Pour les besoins de la présente affaire, l’outil pertinent dont se plaint Takeda est l’« appli » appelée « iPharmacist Mobile ». Il s’agit d’un ensemble de 25 applications de référence destinées aux pharmaciens, et regroupées en une seule application utilisable sur iPhone/iPad (elle était autrefois utilisée dans un Palm Pilot-PDA). Les applications offertes comprennent des outils cliniques, des documents de référence cliniques ainsi que des documents de référence sur les médicaments.

 

[194]       Fountainhead Mobile Solutions (FMS), de pair avec une société sœur, a créé, possède et tient à jour le logiciel iPharmacist Mobile. Apotex permet à ses clients d’avoir accès à ce logiciel dans le cadre d’un programme de fidélisation de la clientèle. FMS a obtenu sous licence le contenu d’iPharmacist Mobile auprès de tierces parties.

Apotex possède environ 10 % de FMS, mais elle n’exerce aucun contrôle.

 

[195]       L’application iPharmacist Mobile contient une « appli » appelée « Drugs mobile », qui contient des données sur 3 000 médicaments différents offerts en Amérique du Nord. Ces données sont fournies à un tiers fournisseur de renseignements sur les médicaments – Lexi‑Comp.

 

[196]       La preuve de l’existence d’un manquement à l’engagement comprenait une série d’instantanés d’écrans de page extraits de l’application iPharmacist Mobile. En utilisant la fonction d’affichage, un pharmacien découvrirait que l’Apo-Pantoprazole est inscrit pour usage dans l’éradication de Helicobacter Pylori en combinaison avec deux autres antibiotiques – il s’agit là d’une trithérapie classique. Le produit est décrit comme un [traduction] « usage non étiqueté » – une expression désignant l’utilisation d’un médicament d’une manière non approuvée par les autorités sanitaires.

 

[197]       Le rôle joué par Apotex auprès d’iPharmacist n’était pas seulement celui d’un petit actionnaire minoritaire à titre de détenteur d’une liste passive de médicaments. Dès 2002, Apotex s’occupait, en compagnie du prédécesseur de FMS, du lancement et de la distribution de la plateforme iPharmacist; le logiciel a été établi en collaboration avec Apotex; elle possède la marque de commerce iPharmacist; elle possède, tient et contrôle le contenu du site Web d’iPharmacist. Les sites Web d’Apotex et d’iPharmacist sont reliés entre eux, Apotex est la seule entreprise inscrite comme centre de ressources d’iPharmacist et le service de conciergerie d’iPharmacist est appelé « Apotex iPharmacist Concierge Service » (Service de conciergerie Apotex iPharmacist).

 

[198]       Une indication de l’association étroite et de l’influence d’Apotex est que cette dernière contrôle la [traduction] « clé » ou le code d’accès menant à la version actuelle d’iPharmacist qu’il est possible d’obtenir auprès d’Apple.

 

[199]       Les témoins d’Apotex qui ont tenté d’établir l’existence d’un degré élevé de séparation entre Apotex et iPharmacist et le contenu d’iPharmacist n’ont pas été convaincants.

 

[200]       Apotex a peut-être eu peu d’influence sur les informations de Lexi-Comp, mais elle n’a pris aucune mesure (même infructueuse) pour limiter ou empêcher le fait que l’on identifie l’Apo-Pantoprazole à une trithérapie. Elle n’a donné aucun avertissement à son propre personnel ou aux pharmaciens, même si elle ne pouvait pas insérer une mise en garde dans sa monographie de produit.

 

[201]       Vu la relation entre Apotex et iPharmacist, l’utilisation que les pharmaciens pouvaient faire des informations diffusées par la plateforme, l’intention de la remettre (surtout l’application iPharmacist Mobile) aux pharmaciens dans le cadre du programme de fidélisation de la clientèle d’Apotex, ainsi que l’identification de l’Apo-Pantoprazole avec une trithérapie, je conclus qu’Apotex n’a rien fait pour empêcher la mise en marché et la promotion de l’Apo-Pantoprazole pour le traitement de Helicobacter Pylori dans le cadre d’une trithérapie.

 

[202]       Il serait des plus conjecturaux à ce stade-ci de conclure de quelle façon la Cour exercerait son pouvoir discrétionnaire. Les parties n’ont pas réellement traité des autres circonstances que la Cour a établies – qu’Apotex a fait preuve de témérité, ainsi que d’aveuglement volontaire face à un manquement à un engagement (dont les conditions ne sont pas claires), et qu’elle a omis d’intervenir de quelque façon pour atténuer l’effet du contenu d’un tiers (même si elle n’exerçait pas de contrôle sur ce contenu).

Cependant, il importe de signaler qu’il s’agit là d’une conclusion subsidiaire. La principale question est qu’Apotex n’a pas pris l’engagement auquel, d’après Takeda, il y a eu manquement.

 

[203]       Outre les questions de calcul du montant des dommages-intérêts, il est loisible aux parties de demander si elles peuvent présenter des observations sur cette conclusion subsidiaire.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 11 décembre 2013

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1786-08

INTITULÉ :                                                  APOTEX INC c TAKEDA CANADA INC

LIEU DE L’AUDIENCE :                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :                         DU 18 AU 22 ET DU 25 AU 28 FÉVRIER 2013; LES 1ER, 4, 5 ET 7 MARS 2013; DU 21 AU 23 MAI 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                 LE 11 DÉCEMBRE 2013

 

COMPARUTIONS :

H.B. Radomski

Jerry Topolski

Daniel Cappe

Kenneth Crofoot

Ben Hackett

David Lederman

Michael Yasskin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neil Belmore

Lindsay Neidrauer

Afif Hamid

Frederic Lussier

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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