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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20131129

Dossier : IMM-9790-12

Référence : 2013 CF 1205

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2013

 

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

 

MOHSIN IRSHAD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

intimé

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision en date du 28 août 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est citoyen pakistanais. Il est arrivé au Canada au mois d’avril 2010 en possession d’un visa d’étudiant. Il a brièvement étudié à Toronto, de mai à juillet 2010, mais il a abandonné ses études pour cause de stress. Il a présenté sa demande d’asile au mois de novembre 2010; la SPR l’a entendue le 23 août 2012, assistée d’un interprète urdu-anglais, et elle l’a rejetée cinq jours plus tard, le 28 août 2012, la jugeant non crédible.

 

[3]               Le demandeur dit avoir été menacé et agressé par une organisation religieuse extrémiste au Pakistan, le Sepah-E-Sehaba (SSP), après avoir noué une relation amoureuse avec la fille d’un des chefs de l’organisation, prénommée Faiza. Il affirme qu’il serait en danger de mort s’il était renvoyé au Pakistan.

 

[4]               Le demandeur explique qu’en raison de différences religieuses il n’était pas considéré comme un prétendant acceptable pour Faiza, mais qu’il était amoureux et ne voulait pas mettre fin à la relation. Après que Faiza a informé sa mère de leur relation, les deux amoureux, ainsi que la famille du demandeur, ont reçu des menaces et ont été en butte à la violence. Il affirme que le père de Faiza l’a battue violemment le 8 juillet 2009, puis encore à la fin septembre, lui cassant la jambe. Il dit que le 15 juillet 2009, au retour de la prière du matin, des hommes armés ont tiré sur son père et lui, tuant son père. Des membres du SSP auraient proféré des menaces de mort contre lui et l’auraient battu le 12 février 2010, après quoi il se serait caché jusqu’à ce qu’il obtienne son visa d’étudiant et s’enfuie au Canada au mois d’avril 2010. Enfin, au mois de novembre 2010, alors qu’il était déjà au Canada, des membres du SSP qui étaient à sa recherche ont tiré des coups de feu sur la maison familiale et y ont mis le feu. Le demandeur soutient que le SSP continue de le menacer parce que Faiza refuse d’épouser un autre prétendant choisi par son père. Il indique que des membres du SSP sont allés à la maison familiale au mois de février 2011 et ont proféré des menaces contre lui, et que Faiza l’a informé, lors de leur dernière conversation, au mois de juillet 2012, que le SSP représentait toujours un danger pour lui.

 

[5]               Le demandeur affirme également qu’il a été brutalement battu par des membres éloignés de sa propre famille pour avoir refusé d’épouser une cousine à laquelle on l’avait fiancé contre son gré au mois de décembre 2008 sur les instances des membres âgés de la famille. Lorsque le demandeur a rompu ses fiançailles avec sa cousine à cause de sa relation avec Faiza, le père et les frères de sa cousine ainsi que des amis à eux l’ont agressé au mois de mai 2009 à cause de la honte qu’il leur avait causée. Son oncle continuerait de menacer de le tuer, devant sa mère, la dernière fois étant en mars 2012.

 

DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[6]               En rejetant la demande d’asile, la SPR a indiqué que la question déterminante était celle de la crédibilité et a signalé des contradictions et des points faibles dans la preuve du demandeur. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas éprouvé les problèmes qu’il avait décrits, aux mains de sa famille, de la famille de Faiza et du SSP.

 

[7]               La SPR a signalé que l’exposé circonstancié du formulaire de renseignements personnels [FRP] du demandeur mentionnait qu’il avait [traduction] « été poursuivi » par des hommes armés le matin du 15 juillet 2009, jour où son père a été tué, mais que le demandeur avait témoigné à l’audience que les hommes étaient sortis soudainement d’une auto et avaient commencé à tirer, que son père avait été touché et s’était écroulé sur lui, qui était demeuré à terre sous son père pendant que les hommes s’enfuyaient. Elle a estimé que, compte tenu du témoignage du demandeur, « il n’y a eu aucune poursuite, parce que le demandeur d’asile est demeuré là où il était, son père gisant sur lui ». Elle n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle les hommes étaient « arrivés derrière lui ». Le rapport de police concernant l’incident créait une contradiction analogue, parce qu’il mentionne que le demandeur [traduction] « a sauvé sa vie en courant ». La SPR a écarté l’explication selon laquelle il a été désorienté lorsque son père est tombé sur lui, il [traduction] « l’a repoussé et a bougé un peu et est alors [..] lui‑même tombé ». Elle a jugé que « bouger un peu n’est pas la même chose que de s’enfuir », et elle a conclu que la preuve du demandeur au sujet de ces événements importants n’était pas cohérente et qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable lorsqu’il avait été questionné à propos des contradictions, ce qui portait atteinte à sa crédibilité.

 

[8]               La SPR a aussi estimé que la preuve du demandeur au sujet du nombre de fois qu’il avait fait appel à la police au Pakistan manquait de cohérence. Dans son FRP, il a indiqué qu’il avait appelé la police le 10 mai et le 13 février 2009, mais n’a pas mentionné le 15 juillet 2009, jour du meurtre de son père. À l’audience, il a déclaré avoir demandé l’aide de la police à trois reprises, dont le 15 juillet 2009. La SPR n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait pas mentionné avoir personnellement appelé la police, dans le FRP, parce qu’il y avait indiqué que son [traduction] « oncle était allé voir la police ». Signalant que l’incapacité et l’absence de volonté de la police de le protéger constituaient un élément important de la demande d’asile et que les demandeurs d’asile reçoivent instruction, dans le FRP, de préciser les efforts qu’ils ont déployés pour se prévaloir de la protection de l’État et les résultats obtenus, la SPR a conclu qu’il s’agissait d’une « omission notable » qui minait la crédibilité du demandeur.

 

[9]               La SPR a relevé une autre contradiction, concernant les personnes visées par le rapport de police ou PRI (pour premier rapport d’information) du 15 juillet 2009. Le demandeur a indiqué dans le FRP que la dénonciation visait [traduction] « le SSP », alors qu’en fait le PRI mentionnait [traduction] « des inconnus ». La SPR a rejeté l’explication fournie à l’audience par le demandeur, selon laquelle l’oncle [traduction] « a fait dresser le rapport contre des inconnus, mais je savais que c’étaient eux les responsables ».

 

[10]           La preuve concernant le moment auquel Faiza a eu la jambe fracturée était également contradictoire, selon la SPR. Bien qu’un affidavit souscrit par une amie de Faiza déclare que c’est arrivé en juillet 2009, le demandeur a témoigné que cela s’était produit à la fin septembre 2009. Signalant que le demandeur avait fourni cet affidavit de sa propre initiative, la SPR a indiqué qu’« [i]l n’est pas logique que ses éléments de preuve oraux et écrits ne concordent pas en ce qui concerne cet incident ».

 

[11]           Une autre contradiction dans la preuve, relevée par la SPR, concernait les personnes présentes lorsque le père du demandeur a été tué. Le FRP relate que le demandeur et son beau-père sont allés marcher ce matin-là, mais le demandeur a dit dans son témoignage que son père, son oncle et lui étaient ensemble. Le demandeur a expliqué que son [traduction] « oncle était derrière parce qu’il est un peu obèse et il marche lentement », mais la SPR a écarté cette explication, signalant que « [s]i le tribunal acceptait cette explication, cela signifierait que nous ne pouvons considérer que les personnes sont allées se promener ensemble que si elles marchent côte à côte ».

 

[12]           Selon la SPR, la preuve concernant la façon dont les parents de Faiza avaient appris l’existence de sa relation avec le demandeur était également contradictoire. Suivant le FRP, le demandeur a [traduction] « souvent incité Faiza à parler de sa relation amoureuse à ses parents, mais elle avait peur à cause du caractère obstiné de son père »; le demandeur ajoute [traduction] « [s]on père a appris d’une manière ou d’une autre qu’elle m’aimait ». À l’audience, le demandeur a témoigné que Faiza avait, sur ses instances, informé sa mère de leur relation et que sa mère l’avait dit à son père. Lorsque la contradiction lui a été signalée, le demandeur a simplement répondu que Faiza avait parlé à sa mère parce qu’il avait insisté et parce qu’elle était proche de sa mère, et que cette dernière avait dit qu’elle parlerait à son père.

 

[13]           La SPR a relevé une contradiction touchant le nombre de fois où le demandeur serait sorti de l’endroit où il se cachait après avoir été agressé par des membres du SSP en février 2010. Le demandeur a témoigné qu’après avoir été soigné, le jour de l’agression, il est allé se cacher chez l’oncle d’un ami à Defence, à environ une heure de route de l’endroit où il avait été attaqué. Plus tard au cours de l’audience, en répondant à la question de savoir s’il lui était arrivé de quitter la maison de l’oncle avant de partir du Pakistan le 27 avril 2010, il a indiqué qu’il était uniquement rendu au bureau de poste pour expédier sa demande de permis d’études au Canada et en prendre livraison. Il avait pourtant témoigné auparavant que, le lendemain de l’attaque, il était allé faire une déclaration à la police dans le district où elle se serait produite. La SPR a vu là une contradiction, et elle a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle son ami l’avait amené faire une déclaration à la police le lendemain matin et que [traduction] « c’était pendant la journée où je m’installais ... ». La SPR a jugé que le demandeur avait changé son témoignage concernant la question de savoir s’il était sorti de chez l’oncle de son ami pour aller au poste de police.

 

[14]           La SPR a vu une contradiction dans l’omission du demandeur d’indiquer dans le FRP que des policiers lui avaient dit, après la présumée attaque de février 2010, avoir reçu l’ordre de leurs supérieurs de ne pas établir de rapport contre le SSP. Le demandeur a déclaré à l’audience que la police avait refusé d’établir un PRI [traduction] « [p]arce qu’ils ont dit que je n’avais pas de preuve [...] [e]t ils ont dit que des ordres d’en haut [...] leur interdisaient d’établir [...] des PRI contre cette organisation ». Il avait écrit dans le FRP que [traduction] « le policier a trouvé un prétexte pour ne pas dresser de PRI contre le SSP » en ajoutant à la main la mention [traduction] « je n’avais pas de preuve ». Selon la SPR, l’omission du demandeur de mentionner que la police avait refusé d’établir un PRI parce qu’elle avait ordre d’agir ainsi, alors que sa demande d’asile reposait en grande partie sur l’absence de volonté de protection de l’État, était une omission importante qui minait sa crédibilité.

 

[15]           Il y avait aussi une contradiction, selon la SPR, au sujet des événements survenus le 11 novembre 2010, lorsque la maison familiale aurait été incendiée. Le FRP indique uniquement que [traduction] « des fanatiques du SSP sont venus, ont essayé de savoir où je me trouvais et ont tiré des coups de feu sur la maison pour me tuer », sans mentionner d’incendie. La SPR a rejeté l’explication du demandeur fondée sur sa mauvaise connaissance de l’anglais, selon laquelle il avait voulu dire qu’il y avait eu à la fois des coups de feu et un incendie. La SPR a fait remarquer que le demandeur avait l’aide d’un conseil, qu’il pouvait recourir à un interprète pour remplir son FRP et qu’il avait déclaré par écrit au début de l’audience que son FRP était « complet, véridique et exact ».

 

[16]           Au sujet de ce même incident, la SPR a relevé que la coupure de presse relative à l’incendie soumise en preuve par le demandeur ne mentionnait pas le SSP, et elle a rejeté l’explication de ce dernier que c’était parce que [traduction] « les gens ordinaires ne savent pas qui ils sont ».

 

[17]           La SPR a considéré que le demandeur s’est contredit, dans son témoignage, au sujet de sa connaissance d’autres personnes qui avaient reçu des menaces du SSP. Il avait d’abord témoigné que les médias avaient fait état de telles menaces, mais qu’il ne connaissait lui-même personne qui ait été menacé. Toutefois, un affidavit souscrit par un ami renferme une déclaration selon laquelle l’aide qu’il avait apportée au demandeur lui avait valu des menaces du SSP. Interrogé au sujet de cette contradiction, le demandeur a répondu qu’il croyait que le commissaire avait [traduction] « posé une question générale », réponse que la SPR n’a pas jugé satisfaisante.

 

[18]           La SPR a également mis en doute l’authenticité de plusieurs documents fournis par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile. Citant des éléments de preuve objectifs établissant que les documents frauduleux sont courants au Pakistan (cartable national de documentation (CND) sur le Pakistan (4 juin 2012), point 3.3) tout en reconnaissant que les documents du demandeur n’étaient pas nécessairement faux pour autant, la SPR a indiqué que la vigilance était justifiée et exprimé des doutes au sujet de l’authenticité de plusieurs documents soumis en preuve, notamment : des affidavits qui auraient été souscrits au Pakistan, le certificat de décès de son père et le rapport l’accompagnant, les billets de médecin relatifs aux soins reçus par le demandeur après qu’il aurait été battu et les billets se rapportant aux soins donnés à sa mère et sa sœur par suite de la présumée agression perpétrée en novembre 2010 à la maison familiale. Relativement aux billets et rapports médicaux, la SPR a également indiqué qu’ils ne mentionnaient ni les circonstances dans lesquelles les blessures avaient été infligées ni qui les avaient infligées. Pour ce qui est d’établir la véracité des allégations du demandeur, la SPR n’a donc attribué « aucun poids » à ces documents. S’agissant des coupures de presse soumises par le demandeur au sujet de la mort de son père et de l’incendie de la maison familiale, la SPR a indiqué qu’elles présentaient des « irrégularités importantes à première vue », notamment du texte et des photos mal alignés ou se chevauchant, et que le demandeur avait été incapable de fournir une explication. Bien qu’elle n’ait pas expressément conclu que les coupures étaient frauduleuses, la SPR a cité une décision de notre Cour (Farooqi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1396, au para 10 [Farooqi]) affirmant que « [l]a Commission ne devrait pas être traitée comme une école de formation où les faussaires peuvent exercer leur métier », et elle n’a accordé aucun poids aux documents.

 

[19]           La SPR a aussi conclu que le comportement du demandeur, qui avait attendu quatre mois après avoir cessé d’étudier pour faire une demande d’asile, ne concordait pas avec la crainte subjective qu’il disait éprouver pour sa vie et sa sécurité. Signalant qu’on peut s’attendre à ce qu’une crainte véritable incite à présenter une demande l’asile à la première occasion, elle a jugé déraisonnable, compte tenu de la gravité des incidents décrits, l’explication du demandeur selon laquelle il pensait que les choses s’amélioreraient et qu’il pourrait retourner au Pakistan.

 

[20]           L’effet cumulatif de ces doutes en matière de crédibilité a amené la SPR à conclure qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté au Pakistan ni qu’il y soit personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture.

 

QUESTION EN LITIGE

[21]           La question qui se pose en l’espèce est de savoir si la SPR a rendu une décision raisonnable, compte tenu de ses conclusions en matière de crédibilité, de son appréciation de la preuve documentaire et de ses conclusions relatives à la crainte subjective.

 

NORME DE CONTRÔLE

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à l’analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme applicable à une question particulière est bien établie, la cour de révision peut l’adopter. L’examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle n’intervient que lorsqu’aucune norme établie n’est applicable ou que la jurisprudence semble être devenue incompatible avec les principes de common law régissant le contrôle judiciaire tels qu’ils ont évolué : Agraira c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, au para 48 [Agraira].

 

[23]           Les parties conviennent que la norme qui s’applique à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord.

 

[24]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse se rapporte à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, au sens où elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[25]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

ARGUMENTS

Le demandeur

[26]           Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable. Selon lui, la conclusion de la SPR selon laquelle sa demande d’asile manque de crédibilité procède d’un zèle exagéré ainsi que d’un examen à la loupe des allégations faites à l’appui de la demande et d’une comparaison tout aussi tatillonne entre son témoignage et l’exposé circonstancié du FRP, en dépit de la mise en garde de notre Cour à l’encontre d’une telle démarche : Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au para 69; Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694. La SPR a déraisonnablement rejeté tous les documents soumis à l’appui de la demande d’asile en se fondant sur de simples suppositions et sans disposer de preuve permettant de douter de leur authenticité. En outre, elle a soulevé la question du retard à demander asile au Canada, alors qu’elle avait [traduction] « sèchement » expédié cette question à l’audience et que le demandeur pouvait fournir une explication raisonnable et plausible.

 

[27]           Le demandeur fait valoir que la demande d’asile reposait directement sur la question du rapport entre les relations amoureuses et les croyances religieuses, l’honneur et la culture au Pakistan, et que la SPR ne s’est pas montrée sensible aux différences culturelles touchant [traduction] « les façons dont les choses se passent au Pakistan, par rapport au Canada ». Des éléments de preuve et des allégations pouvant paraître tout à fait improbables et non crédibles en contexte canadien peuvent être très plausibles et crédibles en contexte pakistanais : Ye c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 584 (CA); Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481 (CA); Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] CFPI 653.

 

[28]           En outre, la SPR a déraisonnablement omis de tenir compte de facteurs étayant la crédibilité du demandeur et de leur attribuer le poids qu’il fallait : Gjergo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 303; Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155 [Aguilar Zacarias]. La Cour a statué qu’il est possible de tirer des conclusions favorables en matière de crédibilité même en présence d’incohérences, d’omissions et de contradictions, autrement il ne serait guère utile de tenir une audience : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Chen, 2004 CF 1403. En l’espèce, le demandeur a témoigné de façon franche et spontanée, avec l’attitude et le comportement de quelqu’un qui témoignait d’incidents réels, notamment une grande émotivité lorsqu’il a été question de la mort de son père, et il a réuni des éléments de preuve documentaire à l’appui de la plus grande partie, voire la totalité, de ses principales allégations.

 

[29]           Les demandeurs sont présumés dire la vérité et, en l’absence de preuve contredisant leurs allégations, on ne peut attaquer leur crédibilité en arguant de l’omission de fournir des éléments de preuve corroborante sur un point donné : Triana Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, au para 15; Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 705, au para 45. Selon le demandeur, l’accent mis par la SPR sur son omission de fournir des documents indique qu’elle s’est irrégulièrement fondée sur l’absence de documents corroborants pour tirer des conclusions négatives sur sa crédibilité.

 

[30]           La crédibilité des documents eux‑mêmes ne peut non plus être mise en doute sans raison valable. Les documents [traduction] « de nature officielle » sont présumés authentiques à moins qu’une preuve contraire permette de douter de leur crédibilité : Masongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 39, aux para 8 et 11-12; Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 10 (QL); Sitoo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1513. En l’espèce, la SPR a mis en doute la crédibilité de rapports de police et de rapports médicaux et celle des affidavits les accompagnant, sans disposer de preuves lui permettant de le faire. L’affirmation de la SPR que les affidavits ne présentent pas de « caractéristique de sécurité » et qu’il est impossible d’en connaître l’origine n’est que pure supposition. En outre, la SPR s’est appuyée à tort et de façon déraisonnable sur la décision Farooqi, précitée, pour étayer sa conclusion au sujet des documents frauduleux. Dans cette affaire les documents du demandeur d’asile avaient été transmis pour analyse et vérification à l’ASFC, et l’analyse avait démontré qu’ils avaient été nettoyés et modifiés grâce à un procédé chimique et qu’il y avait eu du couper/coller, notamment l’insertion de nouvelles photos et signatures, alors qu’ici la SPR s’est éloignée de la preuve qui lui a été présentée et s’est aventurée sur le terrain des suppositions en formulant injustement, au sujet de la crédibilité et de la plausibilité, des doutes tout simplement dépourvus de validité : Numbi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1037.

 

[31]           Selon le demandeur, il n’y a pas de contradiction réelle ou importante dans les disparités relevées par la SPR. Au sujet de la façon dont le père de Faiza a eu connaissance de leur relation, il fait valoir que, si la déclaration qu’il l’a appris [traduction] « d’une manière ou d’une autre » est un peu imprécise, l’audience visait justement à lui permettre d’étoffer les principales allégations écrites et à le confronter à des questions plus détaillées. L’essentiel de l’allégation – la relation, la connaissance qu’en ont eue les parents de Faiza et les menaces et agressions subséquentes – était exposé dans le FRP et a été mentionné à l’audience.

 

[32]           Quant à la relation des faits survenus le matin où le père du demandeur a été tué, même en faisant abstraction de l’explication raisonnable et plausible selon laquelle plusieurs mots ou expressions peuvent correspondre, en urdu, au verbe [traduction] « poursuivre » [chase, en anglais], elle est exacte même en fonction du verbe anglais. Peu de gens contesteraient qu’on puisse se sentir poursuivi quand on se fait tirer dessus par des individus arrivant par derrière en auto alors qu’on retourne à pied à la maison.

 

[33]           Le demandeur soutient que la SPR a abusivement mis l’accent sur une omission, dans le FRP, concernant les démarches qu’il a faites pour obtenir la protection de la police. Les incidents du 15 juillet 2009 étaient décrits dans le FRP, et le rapport de police initial (ou PRI) s’y rapportant a été déposé. Le demandeur a indiqué dans le FRP que son oncle avait déclaré les incidents à la police, ce que confirme le PRI et, bien qu’il ait omis de mentionner qu’il avait personnellement cherché à obtenir la protection de la police à ce moment, il ne s’agit pas là d’une omission importante : Bingrou Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), ordonnance du 4 mars 2011, dossier IMM-4394-10 (juge Crampton, à présent juge en chef); Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm LR (2d) 199 (CAF) [Hilo]. Les omissions ne sont pas toutes déterminantes pour la crédibilité; il faut plutôt examiner leur nature ainsi que le contexte dans lequel sont présentés les nouveaux renseignements : Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249. La totalité de ce qui s’est passé se dégageait de l’ensemble de la preuve présentée à la SPR, et il était abusif et déraisonnable de fonder sur cette omission une conclusion négative quant à la crédibilité.

 

[34]           Les conclusions négatives de la SPR en matière de crédibilité découlant d’autres divergences dans la preuve du demandeur sont elles aussi déraisonnables. L’explication du demandeur selon laquelle, le matin où son père a été assassiné, son oncle traînait derrière eux à cause de son obésité était raisonnable. Le demandeur a également expliqué de façon raisonnable que, même si son FRP n’indiquait pas qu’il avait appris de la police, en février 2010, qu’elle avait ordre de ne pas faire de rapport au sujet du SSP, le refus de la police d’en dresser un y était bel et bien mentionné.

 

[35]           Le demandeur soutient qu’on ne peut raisonnablement lui demander de dissiper de prétendues contradictions résultant de souvenirs inexacts ou d’actes d’autres personnes. Le PRI établi le 15 juillet 2009 ne mentionnait pas expressément le SSP, mais ce n’est pas le demandeur qui a déposé la plainte, et son oncle n’était pas à l’audience pour témoigner de ce qu’il avait dit à la police. La SPR ne peut s’attendre à ce que le demandeur explique pourquoi le PRI a été rédigé de cette manière ni pourquoi certains termes ont été employés : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] CFPI 776. Il en va de même pour la déclaration portant que Faiza a eu la jambe fracturée en juillet 2009 figurant dans l’affidavit souscrit par une tierce personne, alors que, selon les souvenirs du demandeur, c’était en septembre 2009.

 

[36]           Il fait valoir en outre qu’une demande d’asile tardive n’est pas en soi indicative d’absence de crainte subjective ou de non‑crédibilité de la demande d’asile, et qu’il faut donner aux demandeurs d’asile la possibilité d’expliquer le retard : Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 271 (CAF); Sinnathurai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 515; Adul Jabar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 602; Gavrushenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1209 (1re inst.). En l’espèce, le demandeur s’est fait poser une question au sujet du retard, et il a fourni une explication raisonnable : il espérait que sa situation s’améliorerait au Pakistan et qu’il pourrait simplement retourner chez lui; en attendant, il disposait d’un visa d’étudiant valide, et rien n’indiquait que l’Agence des services frontaliers du Canada serait vite au courant qu’il avait cessé d’étudier et prendrait une mesure de renvoi.

 

[37]           Le demandeur affirme que ces erreurs de raisonnement de la SPR constituent un manquement à l’obligation de fournir des motifs répondant aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité (Nintawat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 66, au para 27), et que l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], n’a pas pour effet d’éliminer cette obligation.

 

Le défendeur

[38]           Selon le défendeur, la décision de rejeter la demande d’asile pour absence de crédibilité était raisonnable : le témoignage du demandeur, tant oral qu’écrit, comportait de nombreuses omissions ou contradictions concernant des faits importants. Sa preuve documentaire n’étayait pas ses allégations et, parfois même, les contredisait.

 

[39]           Le défendeur souligne que les décisions en matière de crédibilité relèvent de l’expertise de la SPR, laquelle a eu la possibilité d’observer directement le demandeur et se trouvait donc la mieux placée pour évaluer sa crédibilité ou la plausibilité de ses déclarations. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la SPR, relativement à la crédibilité, même s’il est possible de tirer une conclusion différente : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), au para 4 [Aguebor]. La SPR peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la raison (Araya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 626, au para 6), et la présomption qu’un témoignage sous serment est véridique peut être repoussée s’il y a des motifs de douter de sa véracité : Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114; Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302; Hilo, précité. En l’espèce, il existait des raisons de douter de la véracité du demandeur, et la SPR a exposé ses conclusions relatives à la crédibilité en termes clairs et explicites, en se fondant sur de nombreuses contradictions entre le témoignage et la preuve documentaire du demandeur. Le demandeur prétend que les faits permettaient de tirer d’autres conclusions, mais la possibilité d’interpréter autrement la preuve n’indique pas en soi qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise : Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au para 11; Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 262, au para 7; Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417, au para 28 [Ma].

 

[40]           La grande émotivité manifestée par le demandeur lors de son témoignage au sujet de la mort de son père ne contribue pas à établir sa crédibilité. Au contraire, le « comportement », s’entendant des hésitations ou incertitudes dans les réponses aux questions, peut entrer en ligne de compte et fonder des conclusions défavorables lorsqu’un témoin peine à donner des réponses directes et adéquates, des conclusions exagérément subjectives fondées sur la manière d’être ou sur la perception d’une attitude « n’ont pas leur place dans l’évaluation de la crédibilité » : Aguilar Zacarias, précité, au para 24.

 

[41]           Les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité se rapportaient aux éléments fondamentaux de la demande d’asile. La SPR a raisonnablement conclu, par exemple, que le demandeur n’a pas toujours décrit la mort de son père de la même façon. Il y a une grande différence entre fuir (être [traduction] « poursuivi » et être étendu au sol, inconscient, sous le corps d’une autre personne. Le rejet des raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi la présence de l’oncle lors de cet important événement n’est pas mentionnée au FRP est également raisonnable. Que trois personnes apparentées revenant de la prière du matin ne soient pas considérées comme cheminant ensemble simplement parce que l’une d’entre elles marche plus lentement n’a tout bonnement aucun sens.

 

[42]           Les conclusions relatives à la crédibilité fondées sur d’autres omissions dans le FRP ou d’autres contradictions entre le FRP et le témoignage du demandeur étaient également raisonnables, compte tenu, plus particulièrement, de la directive suivante donnée aux demandeurs d’asile à l’article 31 du FRP : « [e]xposez dans l’ordre chronologique tous les événements importants et les raisons qui vous ont amené à demander l’asile au Canada ». L’omission du présumé incendie de la maison familiale, celle de sa démarche pour obtenir l’aide de la police le 15 juillet 2009 et la contradiction concernant la façon dont les parents de Faiza ont appris l’existence de leur relation permettent toutes d’étayer raisonnablement les conclusions négatives au sujet de sa crédibilité. Il en va de même pour la contradiction au sujet du moment et de l’endroit où le demandeur a signalé l’agression de février 2010 à la police et pour l’absence, dans le FRP, de toute mention du fait que la police avait alors refusé de dresser un rapport contre le SSP pour obéir à un ordre de la direction. Compte tenu du contexte, l’omission de mentionner ce dernier fait dans le FRP n’a pas de sens.

 

[43]           Le défendeur rappelle à la Cour que les contradictions ne sont pas le seul fondement possible d’une conclusion défavorable en matière de crédibilité; la SPR peut également fonder une telle conclusion sur l’omission de présenter dès le départ des renseignements cruciaux pour une demande d’asile. La SPR a le droit d’examiner si un demandeur d’asile embellit des faits importants ou en ajoute pour étayer l’allégation de crainte de persécution : Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, au para 18; Gimenez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1114, au para 6; Khalifa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 369, au para 18. En outre, la SPR n’est généralement pas tenue de faire état de ses conclusions sur la crédibilité globale de la preuve : Dehghani-Ashkenzari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 809.

 

[44]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, la SPR n’a pas conclu hâtivement que les documents étaient frauduleux; elle les a examinés avec la minutie voulue, a relevé que les caractéristiques de sécurité faisaient défaut, constaté les contradictions dans la preuve du demandeur et, compte tenu de cette preuve dans son ensemble, elle a raisonnablement décidé de n’attribuer aucun poids aux documents pour ce qui d’établir le bien-fondé de la demande d’asile. Au soutien de la conclusion de la SPR au sujet des coupures de presse, le défendeur fait remarquer que l’article relatif à la mort du père du demandeur reprend presque mot à mot le rapport de police : Newfoundland Nurses, précité, au para 16.

 

[45]           À l’argument voulant que la SPR aurait pu demander que les documents soient authentifiés, le défendeur oppose que c’est au demandeur qu’il incombe de présenter des éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande d’asile : Pepa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 581.

 

[46]           Selon le défendeur, il était également raisonnable pour la SPR de conclure que la présentation tardive de la demande d’asile dénotait une absence de crainte subjective. Le retard à demander asile est un facteur important que la SPR est admise à prendre en compte : Heer c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 330 (CA). Il indique une absence de crainte subjective de persécution, parce qu’on peut logiquement penser qu’une personne en proie à une véritable crainte demandera asile à la première occasion : Hernandez Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au para 16; Llorens Farfan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 123, aux para 14 et 16. Étant donné la gravité des événements relatés par le demandeur et la précarité inhérente de son statut au Canada (son visa l’obligeant à étudier à plein temps), il était raisonnable que la SPR conclue que le demandeur aurait dû demander asile à la première occasion et rejette les raisons qu’il a invoquées pour expliquer son défaut de le faire. L’argument que la conclusion est erronée parce qu’une seule question a été posée au demandeur à ce sujet est sans fondement, le demandeur n’ayant cité aucune décision posant qu’un nombre minimal de questions doit être posé pour que la SPR parvienne à la conviction qu’elle peut formuler une conclusion sur un point donné.

 

ANALYSE

[47]           La Cour est souvent appelée à contrôle des décisions de ce genre, où de « nombreux problèmes soulevés quant à la crédibilité », pris cumulativement, amènent la SPR à conclure à l’inexistence du risque invoqué à l’appui de la demande d’asile.

 

[48]           Comme il est d’usage, en de tels cas, le demandeur allègue que la décision est déraisonnable parce que la SPR a procédé à un examen à la loupe de la preuve, a rejeté les explications raisonnables qu’il a fournies à l’égard des contradictions relevées dans la preuve, a tiré des conclusions conjecturales sans fondement probatoire, n’a pas été sensible au contexte culturel en cause et n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve que le demandeur a rassemblée à l’appui des aspects fondamentaux de sa demande d’asile.

 

[49]           Le demandeur soutient que sa preuve fournissait un compte rendu cohérent de ses [traduction] « allégations de fond », étayé par une abondante documentation dont la SPR a fait abstraction lorsqu’elle s’est mise à disséquer [traduction] « des formulations particulières employées dans des éléments de preuve testimoniale ou documentaire ».

 

[50]           Dans ce genre de demande, la Cour doit elle aussi examiner à la loupe chacune des conclusions pour déterminer si elles présentent des erreurs suffisantes pour être déclarées déraisonnables. Par beaucoup d’aspects, cette démarche constitue une invitation à revoir et réévaluer la preuve de façon à produire une issue favorable au demandeur.

 

[51]           Des principes bien établis doivent être présents à l’esprit lorsqu’on entreprend une telle démarche.

 

[52]           Premièrement, la SPR est la mieux placée pour évaluer la crédibilité, et la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions en cette matière; elle ne peut simplement substituer son appréciation à celle de la SPR, même s’il était possible de tirer une conclusion différente. Voir Aguebor, précité.

 

[53]           La Cour doit également garder à l’esprit que la possibilité de tirer d’autres conclusions raisonnables des faits ne rend pas en soi la décision de la SPR déraisonnable. Voir, par exemple, Ma, précité, au paragraphe 28.

 

[54]           Les conclusions en matière de plausibilité appellent une déférence moindre mais, encore là, la SPR peut formuler des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la raison, et elle peut rejeter des éléments de preuve qui ne concordent pas avec les probabilités se dégageant de l’affaire dans son ensemble. Voir Aguebor, précité, au paragraphe  4.

 

[55]           En l’espèce, la SPR a fait état de nombreux doutes en matière de crédibilité découlant de contradictions entre le témoignage, le FRP et la preuve documentaire du demandeur et se rapportant à des aspects fondamentaux de sa demande. Dans le présent contrôle judiciaire, le demandeur invite la Cour à examiner tour à tour chacune des conclusions de la SPR et, en fait, à réévaluer toute sa preuve en fonction de son contexte culturel et déclarer chaque conclusion déraisonnable.

 

[56]           J’ai examiné chaque point et, pour la plupart d’entre eux, je crois devoir conclure que, bien qu’il soit possible de ne pas partager l’avis de la SPR, on ne peut dire que ses conclusions ne font pas parties des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La SPR a suivi la démarche usuelle, consistant à confronter le témoignage du demandeur au FRP et aux autres éléments de preuve et documents afin de déterminer s’il existe des contradictions et à donner ensuite au demandeur la possibilité d’expliquer les contradictions relevées. Cette démarche d’appréciation de la crédibilité a maintes fois reçu l’approbation de la Cour, et je ne vois rien dans le raisonnement de la SPR qui indique qu’elle n’aurait pas tenu compte du contexte culturel ou des conditions existant dans le pays d’origine du demandeur avec l’attention ou la sensibilité voulues.

 

[57]           Il existait d’importantes contradictions concrètes à l’égard des points suivants :

(a)                Le témoignage du demandeur au sujet de l’agression du SSP contre son père et lui ne concordait pas avec le FRP et le rapport de police soumis en preuve, et le demandeur n’a pu expliquer adéquatement les disparités; le rejet de l’explication par la SPR n’était pas déraisonnable.

(b)               Le demandeur n’a pu expliquer adéquatement pourquoi l’incendie de la maison familiale par le SSP dont il a parlé dans son témoignage n’avait pas été mentionné dans le FRP. Comme dans de nombreuses autres affaires où le FRP comportait d’importantes omissions, celle de ce fait important dans le FRP, censé comprendre « tous les événements importants et les raisons » ayant mené à la demande d’asile, suscite en l’espèce des doutes au sujet de la crédibilité.

(c)                La mention, dans le FRP, que les parents de Faiza avaient appris l’existence de la relation [traduction] « d’une manière ou d’une autre » était nettement en contradiction avec le témoignage subséquent du demandeur selon lequel il avait insisté auprès de Faiza pour qu’elle en parle à sa mère, laquelle en avait fait part à son père. La contradiction n’a pas été raisonnablement expliquée.

(d)               Le demandeur n’a pas non plus été cohérent au sujet du nombre de fois où il a fait appel à la police, et le rejet de son explication était raisonnable.

 

[58]           La SPR a relevé de nombreux autres points qu’elle a signalés au demandeur et que celui‑ci n’a pas expliqués de façon satisfaisante selon elle. Il n’est pas nécessaire de tous les énumérer ici, car il ressort de mon examen de la décision, de la transcription et du dossier que, bien qu’il eût été possible de tirer d’autres conclusions raisonnables, on ne peut dire que celles que la SPR a formulées s’écartaient, individuellement ou collectivement, de la norme établie dans Dunsmuir. Il est possible de ne pas partager l’avis que la SPR sur ces questions, mais la jurisprudence établit clairement qu’à moins de juger que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité ne font pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour ne peut intervenir, même si elle diverge d’opinion et qu’elle aurait formulé d’autres conclusions. C’est là le sens de la déférence. J’aurais pu donner le bénéfice du doute au demandeur pour chacune des questions soulevées, mais il ne s’ensuit pas que la SPR a eu tort de les faire jouer contre lui et de conclure, en bout de ligne, que les allégations manquaient de crédibilité. Dans ce type d’affaires, il est particulièrement important de garder à l’esprit que la Cour n’a pas eu la possibilité d’observer le demandeur lors de son témoignage.

 

[59]           Un exemple illustrera toutefois ce qui pose problème, de façon générale, dans la façon dont le demandeur aborde le présent contrôle judiciaire. Le demandeur a soumis à la SPR un affidavit souscrit par une amie d’enfance de Faiza, contredisant sa propre déclaration au sujet de la date à laquelle Faiza aurait eu la jambe fracturée. Selon le demandeur, ce serait en septembre, mais l’amie de Faiza a déclaré que Faiza avait déjà la jambe fracturée en juillet. Prié d’expliquer cet écart, le demandeur a simplement réitéré que Faiza n’avait pas la jambe fracturée en juillet. La SPR a traité de cette contradiction dans sa décision :

[22]      Le demandeur d’asile a déclaré que le père de Faiza a battu cette dernière et lui a fracturé la jambe à la fin de septembre 2009 en raison de sa relation avec lui et de son refus d’épouser quelqu’un d’autre. Il a affirmé avoir constaté qu’elle avait une fracture à la jambe lorsqu’il l’a vue le 4 octobre 2009, et il pouvait voir le plâtre et les marques sur sa jambe cassée. Il a ajouté que Faiza l’a informé que son père lui avait cassé la jambe et qu’elle n’avait jamais eu de fracture à la jambe auparavant.

 

[23]      À l’appui de ses allégations, le demandeur d’asile a produit un affidavit de l’amie d’enfance de Faiza. Selon cet affidavit, lorsqu’elle a rendu visite à Faiza en juillet 2009, son père lui avait infligé des blessures physiques, notamment une fracture à la jambe. Lorsque le tribunal a signalé que cet affidavit indique que le père de Faiza a cassé la jambe de cette dernière en juillet, alors que, selon le témoignage du demandeur d’asile, Faiza s’est fracturé la jambe en septembre, le demandeur d’asile a répondu qu’elle n’avait pas la jambe fracturée en juillet. Le tribunal n’est pas convaincu par son explication. Le demandeur d’asile a fourni cet affidavit de sa propre initiative. Il n’est pas logique que ses éléments de preuve oraux et écrits ne concordent pas en ce qui concerne cet incident. Son témoignage incohérent à cet égard mine sa crédibilité.

 

[60]           Il ne s’agit là que d’une contradiction non expliquée et, à mon avis, elle n’est pas très grave. Elle pourrait difficilement justifier à elle seule de rejeter la demande d’asile pour absence de crédibilité. Toutefois, la demande d’asile a été rejetée en raison des « nombreux problèmes soulevés quant à la crédibilité », et la contradiction concernant la date à laquelle Faiza aurait eu la jambe fracturée n’est qu’un élément d’une longue série de problèmes similaires. C’est le demandeur lui‑même, ainsi que l’a indiqué la SPR, qui a déposé en preuve l’affidavit de l’amie. Il devait être au courant de la contradiction. S’il existait une explication, c’était au demandeur de trouver pourquoi l’amie parlait du mois de juillet et de le faire savoir à la SPR. Il a plutôt décidé de présenter une preuve qui n’étayait pas sa déclaration que le père de Faiza aurait fracturé la jambe de sa fille à la fin de septembre. C’était son choix. Il voudrait à présent que la Cour juge déraisonnable l’appréciation de cet élément de preuve faite par la SPR et celle qui a découlé de l’accumulation des problèmes qu’elle a relevés dans l’ensemble de sa preuve. Selon lui, la SPR aurait été trop tatillonne et se serait montrée insensible aux différences culturelles. Cependant, les dates sont toujours examinées dans les demandes d’asile et, s’agissant du moment où quelqu'un a eu la jambe fracturée, aucune incidence culturelle n’explique la différence entre juillet et septembre.

 

[61]           Je reconnais que certaines des conclusions de la SPR vont un peu trop loin. Par exemple, au sujet de la crainte subjective et de la demande d’asile tardive, la SPR a notamment indiqué :

Le tribunal reconnaît que le demandeur d’asile était titulaire d’un permis d’études. Il a cependant cessé de fréquenter l’école au Canada en juillet 2010, et l’une des conditions assorties à son permis d’études était la fréquentation d’un établissement scolaire à temps plein. Le demandeur d’asile ne respectait plus les conditions assorties à son permis d’études et aurait pu être expulsé en tout temps.

 

(Décision, au para 40)

 

[62]           Aucun élément de preuve n’étayait cette conclusion et, en aurait‑il eu, rien n’indiquait que le demandeur savait qu’il pouvait être expulsé à tout moment. Ce point n’a pas été abordé avec lui. En conséquence, la décision de la SPR sur cette question repose sur des suppositions et est déraisonnable. Toutefois, ce n’est qu’un aspect mineur de la conclusion de la SPR relative à la crainte subjective; lorsque la conclusion est considérée dans son ensemble, la question de la connaissance du demandeur du risque d’expulsion ne revêt pas beaucoup d’importance :

[41]      Le tribunal a demandé au demandeur d’asile pourquoi il n’avait pas demandé l’asile plus tôt. Il a répondu qu’il croyait que les choses s’amélioreraient pour lui. Il ne s’agit pas d’une explication raisonnable parce que le demandeur d’asile affirme qu’il avait peur de vivre au Pakistan un an avant son départ et que son père a été tué. Son explication selon laquelle les choses s’amélioreraient en quelques mois n’est pas raisonnable compte tenu de la gravité de ses allégations. Il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne ayant une crainte véritable demande l’asile à la première occasion. Lorsqu’une personne risque d’être renvoyée dans un pays où sa vie est en danger, il est raisonnable de s’attendre, peu importe les recours à sa disposition, à ce qu’elle dise aux autorités qu’elle serait en danger dans son pays si elle devait y retourner. En l’espèce, le demandeur d’asile a attendu environ quatre mois après avoir cessé de fréquenter l’école avant de demander l’asile au Canada. Ses actions à cet égard ne cadrent pas avec sa crainte.

 

[63]           Le demandeur conteste le bien‑fondé de cette conclusion, mais le retard à présenter une demande d’asile est un facteur qui intervient fréquemment dans les conclusions relatives à la crainte subjective, et le demandeur, représenté par un avocat chevronné, en était tout à fait conscient.

 

[64]           De toute manière, la décision de la SPR n’avait pas l’absence de crainte subjective pour principal fondement. Comme elle l’indique clairement au paragraphe 8, « [l]a question déterminante en l’espèce est celle de la crédibilité ». Le temps mis par le demandeur n’est qu’un facteur supplémentaire qui ne concorde pas avec les aspects essentiels de sa demande d’asile. La jurisprudence de notre Cour reconnaît la validité du raisonnement selon lequel une personne véritablement en proie à la crainte demandera asile à la première occasion. Étant donné la gravité des événements qui, selon le demandeur, avaient mené à la demande d’asile, il n’était pas déraisonnable pour la SPR, de conclure que « [s]es actions à cet égard ne cadrent pas avec sa crainte ».

 

[65]           De façon générale, je ne relève aucune erreur qui soit assez importante pour rendre la décision de la SPR déraisonnable.

 

[66]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, ce qui est également l’avis de la Cour.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9790-12

 

INTITULÉ :                                      MOHSIN IRSHAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DEST MOTIFS :                  Le 29 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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