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Date: 20131206

Dossier : IMM-1446-12

Référence : 2013 CF 1229

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

ASHOR BAKHTIARI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur dans la présente affaire sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 5 novembre 2011 par laquelle un agent des visas au Haut-commissariat du Canada à Islamabad (Pakistan) a rejeté la demande de résidence permanente qu’il a présentée dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou dans la catégorie de personnes de pays d’accueil au titre des articles 145 et 147 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande doit être rejetée, car j’ai conclu que l’agent a correctement appliqué les principes juridiques pertinents et n’a pas mal compris ou mal interprété la preuve.

 

LES FAITS

[3]               Le demandeur, son épouse et deux personnes à charge, sont des ressortissants afghans membres de la communauté ethnique et religieuse chiite ismaélienne hazara qui vivent actuellement au Pakistan. Ils ont fui Kaboul et se sont rendus au Pakistan parce qu’ils craignaient un homme du nom de Janagha, et sa famille, qui étaient membres du parti politique Jamiat-e-Islami, un parti politique très puissant qui est actif en Afghanistan. Janagha et le demandeur ont été voisins pendant longtemps. En 1996, environ 15 jours après avoir pris Kaboul, les talibans ont fouillé la boutique du demandeur et ont trouvé de l’alcool artisanal. Ils ont dit au demandeur qu’il n’était pas un véritable musulman. Le demandeur et son fils ont été arrêtés et ont été sauvagement battus. Le fils du demandeur, craignant pour la vie de son père, a révélé aux talibans que c’était le fils de Janagha, Sheeragha, qui avait apporté l’alcool et que son père n’était pas au courant. Les talibans ont arrêté Sheeragha et l’ont battu avec un câble jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Ils ont ensuite commencé à battre le fils du demandeur, mais le demandeur s’est tiré par dessus lui et a supplié les talibans de cesser de le battre sinon il mourrait. Les talibans ont ensuite amené le demandeur dans une autre cellule. Six jours plus tard, pendant que le demandeur se trouvait toujours en détention, il a été informé par d’autres détenus que les talibans avaient tué son fils et Sheeragha.

 

[4]               Le demandeur a été placé en détention pendant 10 jours et a été libéré parce que sa femme a vendu le contenu de leur boutique et a donné une somme d’argent aux talibans en échange de sa liberté. Sa femme lui a dit que le père et l’oncle de Sheeragha l’avaient menacée en disant que toute sa famille serait tuée si Sheeragha mourait. Le lendemain matin, le demandeur et le reste de sa famille se sont enfuis au Pakistan. Ils ne sont pas retournés en Afghanistan depuis ce temps.

 

[5]               En 2008, le demandeur et sa famille ont présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou dans la catégorie de personnes de pays d’accueil, sous le parrainage de l’Association Éducative Transculturelle, un organisme québécois. Le demandeur et sa famille ont été interrogés au Haut-Commissariat du Canada à Islamabad le 27 septembre 2011, et leur demande a été refusée par lettre datée du 5 novembre 2011.

 

[6]               Dans sa demande de résidence permanente, le demandeur a fait état des problèmes qu’il avait eus avec les talibans et la famille de Janagha. Il a expliqué que les membres de la communauté ethnique et religieuse chiite ismaélienne hazara étaient persécutés par les talibans en Afghanistan et que rien n’est fait dans ce pays pour assurer la sécurité des gens ou pour protéger leurs vies. Il a également expliqué que, au Pakistan, les membres de sa famille ne peuvent obtenir aucun permis de travail, ne peuvent pas aller à l’école publique et sont victimes de harcèlement de la part de la police parce qu’ils travaillent illégalement.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[7]               L'agent des visas a conclu que le demandeur n'avait pas répondu aux exigences prévues pour immigrer au Canada. Après avoir cité les dispositions législatives pertinentes et après avoir soigneusement évalué l’ensemble des facteurs relatifs à la demande, l’agent, au vu des motifs qui lui ont été soumis lors de l’entrevue et qu’il a inscrits dans ses notes, s’est dit non convaincu que le demandeur appartenait à l’une ou l’autre des catégories prévues.

 

[8]               L’agent a notamment conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères applicables à la « catégorie de personnes de pays d’accueil (RA) » au sens de l’article 147 du RIPR et n’a pas été convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était une personne sur qui une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles. L’agent souligne que, selon le Manuel OP 5, l’expression « conséquences graves et personnelles » désigne la violation systématique d’un droit fondamental ».

 

[9]               En ce qui concerne la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, l’agent n’a pas été convaincu qu’il y a une possibilité raisonnable que le demandeur ou des membres de sa famille soient persécutés s’ils retournaient dans leur pays d’origine ou qu’ils ont de bons motifs de croire qu’ils seraient persécutés s’ils y retournaient. 

 

[10]           Les notes d’entrevue révèlent que l’agent a interrogé le demandeur au sujet de son emploi de vendeur de fruits au Pakistan et sur son logement dans ce pays et que celui-ci semblait être préoccupé par la cohérence des renseignements donnés quant au logement; toutefois, rien ne donne à penser que ces préoccupations étaient pertinentes.

 

[11]           L’agent a demandé aux membres de la famille s’ils se rendraient en visite en Afghanistan si leur demande était accueillie et ils ont répondu non parce qu’ils y ont des ennemis et qu’ils craignent que le demandeur ou un autre membre de la famille soit tué.

 

[12]           L’agent a demandé au demandeur pourquoi lui et sa famille avaient décidé de quitter l’Afghanistan. Il a expliqué les circonstances entourant sa détention par les talibans et les menaces reçues de la part de la famille de Janagha.

 

[13]           L’agent a également demandé au demandeur si lui et sa famille pouvaient aller [traduction] « ailleurs en Afghanistan ». Le demandeur a déclaré qu’ils ne pouvaient pas parce qu’ils avaient peur de la famille de Janagha, et ce, même au Pakistan, et qu’ils ne seraient pas en sécurité en Afghanistan en raison de l’allégeance politique de la famille envers le parti Jamiat et le pouvoir connexe.

 

[14]           Comme il ressort des notes, l’agent a demandé aux membres de la famille si leur crainte de la famille de Janagha était la seule raison pour laquelle ils ne pouvaient pas retourner en Afghanistan et le demandeur a répondu par l’affirmative.

 

[15]           Dans son évaluation, l’agent a conclu que le demandeur était crédible. L’agent a affirmé que le demandeur s’est enfui de Kaboul [traduction] « en raison d’une animosité personnelle envers une famille qui pourrait être puissante/influente », et il a expliqué entre parenthèses que [traduction] « cette description de personnes hostiles a été faite par tous les demandeurs » [sic]. L’agent souligne que le demandeur [traduction] « a clairement dit que sa crainte est fondée sur les menaces de vengeance faites par ces personnes [sic] pour avoir livré son fils ».

 

[16]           L’agent souligne que le demandeur est demeuré à Kaboul même lorsque la famille de sa femme a quitté en raison des troubles civils qui ont eu lieu avant que les talibans ne prennent le pouvoir et il déclare que [traduction] « [a]près maintes questions, le DP démontre qu’il n’y a aucune autre raison pour laquelle il a quitté ou pour laquelle il craint de retourner ». Bien que l’agent comprenne la situation du demandeur et de sa famille, les motifs pour lesquels ils ont demandé l’asile ne correspondent pas aux catégories pertinentes.

 

[17]           L’agent a examiné le cas des autres membres afin d’établir pourquoi ils craignaient de retourner en Afghanistan. L’agent a informé la famille que les inimitiés personnelles ne sont pas une raison pour accorder l’asile. L’agent n’était pas convaincu qu’ils ne disposeraient pas d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) ou qu’ils ne pourraient pas se prévaloir de la protection de l’État. L’épouse du demandeur a expliqué que parce qu’ils sont membres de la communauté religieuse chiite ismaélienne hazara, ils ne pouvaient vivre qu’à Kaboul et non pas dans une autre province.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[18]           Le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur de droit en rejetant sa demande d’asile en prétendant qu’elle découlait d’une animosité personnelle. Le demandeur prétend que lui et sa famille sont exposés à des risques en raison de leurs liens familiaux avec son fils et que les liens familiaux constituent un groupe social valide pour demander l’asile lorsque la famille elle‑même, à titre de groupe, fait l’objet de représailles et de vengeance.

 

[19]           Le demandeur prétend de plus que l’agent a mal appliqué l’alinéa 147b) du RIPR et a conclu à tort qu’il n’y aurait pas de conséquences graves pour lui et sa famille s’ils retournaient en Afghanistan après avoir accepté qu’il avait été torturé et que son fils avait été tué par les talibans et que la famille de Janagha avait menacé de les tuer.

 

[20]           Enfin, le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en concluant que le lui et sa famille pouvaient aller n’importe où ailleurs en Afghanistan et n’a pas tenu compte du témoignage de son épouse selon lequel ils appartenaient à la minorité hazara et qu’ils ne peuvent pas aller dans les provinces où les Pachtounes et les talibans règnent. Le demandeur prétend également que l’agent a omis d’examiner des documents publics portant sur la situation en Afghanistan afin d’évaluer l’accessibilité et le caractère raisonnable de la PRI en l’espèce.

 

[21]           Dans les remarques qui suivent, je vais examiner chacun de ces arguments.

 

ANALYSE

[22]           Avant d’examiner les arguments du demandeur, il faut déterminer quelle norme de contrôle il convient d’appliquer. La décision d’un agent des visas quant à savoir si un demandeur appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil a été jugée comme étant une question mixte de fait et droit et est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable (voir, p. ex., Azali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 517, aux paragraphes 11 et 12; Quarizada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1310, au paragraphe 15; Kamara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785, au paragraphe 19; Alakozai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 266, aux paragraphes 18 à 20; Ismailzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 67, au paragraphe 8.

 

[23]           Par conséquent, dans l'examen de la décision de l'agent, la Cour doit s'intéresser « à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[24]           Les deux catégories pertinentes sont décrites aux paragraphes 145 et 147 du RIPR :

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

 

[25]           Dans les deux cas, les demandeurs doivent également se conformer à l’article 139 du RIPR. L’alinéa 139(1)d) prévoit notamment ce qui suit :

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

 

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

 

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

 

 

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

 

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

 

 

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

 

            a) L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la crainte du demandeur n’est pas fondé sur un motif visé par la Convention?

[26]           Il n’est pas contesté que les liens familiaux peuvent constituer un « groupe social » au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Toutefois, il est également de droit constant que le simple fait qu’un demandeur soit ciblé en raison de ses liens familiaux ne suffit pas à faire relever la persécution de cette catégorie. Le défendeur affirme avec raison que les thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de l’antidiscrimination qui constituent le fondement du régime international de protection des réfugiés doivent être pris en compte lorsqu’on interprète la notion de « groupe social » qui figure dans la LIPR. C’est dans ce contexte que la Cour a toujours conclu que les victimes d’actes criminels ne sont pas, de ce simple fait, membres d’un groupe social. Cela étant, les liens familiaux ne constitueront pas un « groupe social » lorsque la victime principale est ciblée à des fins de rétribution ou à des fins criminelles. En d’autres mots, le fait qu’une personne prétende être persécutée parce qu’elle est membre de la famille d’une autre personne qui craint d’être persécutée n’est pas suffisant, en soi, pour justifier une demande d’asile. La victime principale doit être persécutée pour un motif valable prévu dans la Convention; le fait qu’un demandeur soit un membre d’une famille dont l’un des membres a été menacé de mort, n’a pas pour conséquence que le demandeur appartient à un groupe social lorsque la menace est liée à des motifs de rétribution de nature criminelle. La juge Dawson a formulé à cet égard, dans Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 345, les explications suivantes au paragraphe 16 :

Conclure autrement reviendrait à conclure qu'un acte de persécution contre des membres de la famille qui ne serait nullement lié à un motif de discrimination ou à des droits humains fondamentaux donnerait ouverture à la protection de la Convention. Par exemple, si des enfants étaient victimes d'un acte de persécution parce qu'un de leurs parents n'a pas renoncé à une occasion d'affaire ou à tricher lors d'un événement sportif, je ne crois pas qu'on avait prévu de s'en remettre à la Convention pour assurer la protection des enfants. Cela ne veut pas dire qu'aucune protection ne devrait être consentie ou qu'on ne consentirait pas à une telle protection, mais simplement que la Convention ne devrait pas en constituer le fondement.

 

Voir également : Forbes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 270, au paragraphe 4-6; Alassouli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 998, au paragraphe 24.

 

 

[27]           En l’espèce, les craintes du demandeur sont fondées sur des menaces de recours à la violence en guise de représailles pour des actions commises par son fils. Ayant été menacé de mort, le demandeur est victime d’un acte criminel. Toutefois, le fait que l’acte criminel découle d’actions commises par un membre de la famille et que les menaces visent la famille d’une manière générale ne rattache pas les actes de persécution à un « groupe social ». Le demandeur fait mention, dans sa demande de résidence permanente, de la persécution dont lui et sa famille ont été victimes en Afghanistan parce qu’ils sont hazaras. Même si l’agent a accepté son témoignage selon lequel son fils a été tué et qu’il a été détenu et torturé par les talibans qui lui ont dit qu’ils n’étaient pas de « véritables musulmans », il ressort clairement de l’entrevue que l’animosité envers la famille de Janagha était le seul motif pour lequel le demandeur et sa famille craignaient de retourner en Afghanistan. L’agent n’a commis aucune erreur en concluant qu’une crainte d’être victime de violence en raison d’une vendetta entre deux familles ne constitue pas un des motifs prévus à la Convention. 

 

            b) L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur n’appartient pas à la catégorie de personnes de pays d’accueil?

[28]           Le point de vue du demandeur concernant la conclusion tirée par l’agent quant à son appartenance à la catégorie de personnes de pays d’accueil n’est pas tout à fait clair. Le demandeur a prétendu qu’il n’était pas loisible à l’agent de conclure que lui et sa famille ne subiraient pas des conséquences graves s’ils retournaient en Afghanistan tout en acceptant que la famille de Janagha eût menacé de tuer toute la famille du demandeur et que les talibans eussent tué le fils du demandeur et eussent torturé le demandeur.

 

[29]           Les membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil n’ont pas à remplir les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention, ni donc à prouver qu’ils craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques. Ils doivent en revanche prouver qu’ils ont été déplacés hors du pays dont ils ont la nationalité et dans lequel ils avaient leur résidence habituelle, qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux et qu’aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à leur égard, réalisable ailleurs dans un délai raisonnable. 

 

[30]           Il est vrai que, dans sa demande écrite de résidence permanente, le demandeur a mentionné ce qui suit : [traduction] « […] nous ne sommes pas en sécurité [en Afghanistan], il y a toujours des enlèvements, des attentats à la bombe. Il n’y a aucune protection de la vie humaine […] » (Dossier du tribunal, p. 71). Or, au cours de l’entrevue, le demandeur a parlé exclusivement de la situation engendrée par l’hostilité personnelle envers la famille de Janagha, laquelle, selon le demandeur, était une famille très puissante en raison de ses liens avec le parti Jamiat. L’épouse et les deux enfants du demandeur ont tous confirmé qu’il s’agissait du fondement de leur crainte. De plus, l’agent a noté que le demandeur n’avait pas quitté l’Afghanistan lorsque les autres membres de la famille l’avaient fait à la suite des troubles civils qui ont lieu avant le régime des talibans. Enfin, on a également noté que le demandeur a déclaré qu’il pourrait vivre à Kaboul si ce n’était de l’animosité personnelle.

 

[31]           Dans ces circonstances, j’estime que la conclusion de l’agent quant à l’admissibilité du demandeur à la catégorie de personnes de pays d’accueil est raisonnable même s’il n’a pas effectué une analyse approfondie de la situation de l’appelant à cet égard. Contrairement aux situations dans Saifee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 589 et Ismailzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 67, l’agent n’a pas omis de tirer une conclusion quant à la catégorie de personnes de pays d’accueil et n’a pas confondu les éléments des deux critères. L’agent était conscient que le demandeur était inquiet en raison de son statut de chiite ismaélien hazara. Toutefois, ces inquiétudes n’existaient qu’en raison de la crainte de la famille de Janagha et qu’en raison du fait que, selon le demandeur, lui et sa famille ne pouvaient pas aller vivre ailleurs en Afghanistan afin d’éviter la famille de Janagha. L’origine ethnique et la religion du demandeur n’ont pas été présentées comme motifs de risque distincts. Dans ces circonstances, il était donc raisonnablement loisible à l’agent de conclure que le demandeur ne s’est pas acquitté de l’obligation qu’il avait d’établir que le conflit armé ou la violation massive des droits de la personne en Afghanistan auraient des conséquences graves et personnelles pour lui. 

 

[32]           Tout comme l’agent, la Cour est sensible à la situation de la famille, mais elle est incapable de conclure que l’agent a commis une erreur en concluant que les motifs invoqués pour avoir demandé l’asile ne correspondent pas à la définition d’appartenance à la catégorie de personnes de pays d’accueil qui figure à l’article 147 du RIPR. En effet, la présente situation est semblable à la situation décrite dans l’affaire Qarizada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1310, au paragraphe 28 :

La demande dont l'agente était saisie n'était pas fondée sur la situation générale en Afghanistan après plusieurs décennies d'insurrection et de guerre civile, mais plutôt sur la prétendue animosité du commandeur Khan envers le demandeur principal, découlant du refus de ce dernier de permettre au commandeur d'épouser sa sœur. L'agente n'avait pas l'obligation d'effectuer une recherche et de mentionner des preuves sur la situation du pays pour traiter des questions qui n'avaient pas été soulevées et qui n'étaient pas fondées dans la preuve.

 

[33]           Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il faut rejeter ce deuxième argument invoqué par le demandeur à l’appui de sa prétention selon laquelle la décision contestée doit être annulée.

 

            c) L’agent a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne disposait pas d’une PRI viable?

[34]           Le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que lui et sa famille pouvaient aller vivre n’importe où ailleurs en Afghanistan où leurs vies ne seraient pas menacées par la famille de Janagha. Le demandeur affirme en outre que l’agent a commis une erreur en ne précisant pas exactement où en Afghanistan il y aurait une PRI, et en ne tenant pas compte du témoignage de son épouse selon lequel ils ne pouvaient pas vivre en sécurité parmi les Pachtounes. Enfin, le demandeur ajoute que l’agent n’a tenu compte d’aucun document concernant la situation qui existe actuellement en Afghanistan. 

 

[35]           Bien que je souscrive aux principes généraux énoncés par le demandeur, ils ne sont d’aucune utilité dans les circonstances particulières de l’espèce pour la simple raison qu’il ressort clairement de la lecture de l’ensemble de la décision et des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) que l’agent n’a pas rejeté la demande en se fondant sur une PRI. En effet, il n’est aucunement fait mention d’une PRI dans la décision rendue le 5 novembre 2011.

 

[36]           Les notes révèlent que l’agent a bel et bien vérifié si le demandeur pouvait aller vivre dans une autre province de l’Afghanistan et l’épouse du demandeur a répondu à cet égard qu’ils ne pouvaient pas vivre à l’extérieur de Kaboul en raison de leur religion et de leur origine ethnique. L’agent disposait donc de cette preuve avant de rendre sa décision. Toutefois, la décision de l’agent n’était pas fondée sur la possibilité d’aller vivre ailleurs. Comme il est souligné dans les motifs, l’agent s’est plutôt fié à la déclaration du demandeur selon laquelle il pourrait vivre à Kaboul. Ce n’était qu’en raison de ses problèmes personnels avec la famille de Janagha que le demandeur ne pouvait pas retourner à Kaboul et, comme l’agent l’a raisonnablement conclu, ce motif ne pouvait pas servir de fondement à une demande d’asile à titre de réfugié au sens de la Convention ou à titre de membre de la catégorie de personnes de pays d’accueil. 

 

CONCLUSION

[37]           Pour tous les motifs qui précèdent, les conclusions de l’agent étaient raisonnables et il convient de faire preuve de déférence à leur égard. Il n’y a donc aucun motif qui justifie la révision de la décision et la demande est rejetée. Aucune question n’est proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1446-12

 

INTITULÉ :                                      ASHOR BAKHTIARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (ON)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 décembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Zahra Khedri

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Zahra Khedri

Avocate

East York (ON)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ON)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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