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Date : 20131121

Dossier : T‑1764‑12

Référence : 2013 CF 1179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

V.I. FABRIKANT

 

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, déposée par M. Fabrikant (le demandeur) en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [LCF], de la décision, en date du 3 août 2012, par laquelle le Service correctionnel du Canada [SCC] a refusé de fournir un deuxième anorak au demandeur (la décision).

 

[2]               La décision faisant l’objet du présent contrôle est une réponse, au troisième palier de la procédure de règlement des griefs des délinquants, concernant les commodités de l’Établissement Drummond (voir le 5e paragraphe de la page 7 du dossier de requête du demandeur déposé le 11 janvier 2013). Dans son grief au troisième palier, le demandeur faisait grief à l’Établissement Drummond de refuser de lui fournir des vêtements d’hiver adéquats, alléguant qu’il avait reçu deux anoraks dans tous les autres établissements où il avait été incarcéré dans le passé. Le demandeur alléguait également des droits acquis au soutien de sa revendication du droit à deux anoraks.

 

[3]               La réponse au troisième palier de la procédure de règlement des griefs des délinquants rejette les griefs du demandeur au motif que son argument concernant des droits acquis est sans fondement et que la Procédure régionale 885 de la région du Québec [Procédure régionale 885], annexe A, prévoit qu’un anorak est donné à chaque détenu tous les trois ans.

 

II.                Les faits

 

[4]               Le demandeur est actuellement incarcéré à l’Établissement Archambault, un pénitencier fédéral, où il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il a déposé deux griefs contre le SCC à l’époque où il était incarcéré à l’Établissement Drummond, en conformité avec l’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC], en vue de faire contrôler les décisions lui refusant un deuxième anorak.

 

[5]               Le demandeur affirme qu’il a toujours reçu deux anoraks à l’hiver et qu’il a besoin d’un anorak additionnel parce qu’il est âgé de 72 ans et souffre de problèmes cardiaques. Il soutient qu’en hiver, les personnes âgées ont besoin de plus de vêtements que les individus plus jeunes et en meilleure santé.

 

[6]               Le 18 octobre 2012, le demandeur a déposé une requête en injonction interlocutoire afin d’obtenir immédiatement un deuxième anorak. Cette requête a été rejetée le 30 octobre 2012.

 

[7]               Le 27 novembre 2012, le demandeur a déposé une deuxième requête en injonction interlocutoire afin d’obtenir un deuxième anorak, en précisant cette fois qu’il voulait cet anorak uniquement pour le porter à l’extérieur. Cette requête a été rejetée le 19 décembre 2012. Le demandeur a interjeté appel de cette décision. Son appel a été rejeté avec dépens le 12 septembre 2013.

 

III.             Les dispositions législatives

 

[8]               Les dispositions applicables de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, précitée, du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le RSCMLC], des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les RCF] et de la Procédure régionale 885, précitée, sont reproduites en annexe de la présente décision.

 

IV.             La question en litige

 

[9]               La présente demande soulève une seule question :

 

Le refus de fournir un deuxième anorak au demandeur était‑il raisonnable?

 

V.                La norme de contrôle

 

[10]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable parce que la décision dont il est ici question repose notamment sur une interprétation, par l’agent des griefs au troisième palier, des procédures et politiques du SCC, dont l’agent est bien au fait. Le défendeur invoque au soutien de cette prétention l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissionner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654 au paragraphe 30.

 

[11]           Le demandeur ne l’a pas fait valoir dans ses observations écrites, mais, à l’audience, il a allégué que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision correcte parce que les agents qui ont rendu la décision statuant sur ses griefs ne sont pas très instruits et ne peuvent donc pas interpréter correctement les dispositions législatives, les politiques et les procédures applicables.

 

[12]           La Cour rejette la prétention du demandeur et se rallie à l’opinion du défendeur. La Cour fédérale a examiné la question de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues en vertu de la LSCMLC, et elle a statué que la norme applicable était celle de la décision raisonnable (voir Crawshaw c Canada (Procureur général), 2011 CF 133 aux paragraphes 24 à 26) lorsqu’il s’agit d’appliquer des principes juridiques à des faits et à des conclusions de fait. La Cour doit donc se demander si la décision faisant l’objet du présent contrôle « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

 

[13]           La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit au paragraphe 57 de l’arrêt Dunsmuir :

Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Là encore, la jurisprudence peut permettre de cerner certaines des questions qui appellent généralement l’application de la norme de la décision correcte (Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672, 2004 CSC 26). En clair, l’analyse requise est réputée avoir déjà eu lieu et ne pas devoir être reprise.

 

[14]           Par conséquent, puisque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante quelle était la norme de contrôle applicable, la Cour appliquera la norme de la décision raisonnable.

 

Requête préliminaire

 

[15]           Au début de l’audience, le demandeur a présenté une requête verbale afin d’être autorisé à témoigner pour présenter des éléments de preuve reliés à cinq événements précis survenus au cours des derniers mois. Trois de ces événements ou rencontres ont eu lieu au mois de mars dernier, un autre a eu lieu le 26 août, et le dernier a eu lieu le 23 octobre, et l’agent des griefs au troisième palier ne disposait pas de ces éléments de preuve. Certains de ces événements avaient déjà fait l’objet d’une requête, déposée conformément à l’article 312 des RCF, que la protonotaire Tabib a rejetée aux termes d’une décision rendue le 1er novembre 2013. Le demandeur a tenté de déposer une requête auprès de la Cour afin d’interjeter appel de la décision de la protonotaire, mais le dossier de requête n’a pas été mis en état à temps.

 

[16]           Après avoir entendu le demandeur et le défendeur, la Cour a rejeté la requête verbale du demandeur au motif que les éléments de preuve que le demandeur voulait présenter en témoignant de vive voix ne faisaient pas partie du dossier dont disposait l’agent des griefs au troisième palier et ces éléments de preuve ne sont pas déterminants au regard de la question en litige, puisqu’ils se rapportent tous à des événements survenus après le dépôt du grief et que le défendeur n’est pas en mesure d’y répondre à ce stade tardif. En somme, le demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour que les faits allégués justifiaient l’exception demandée.

 

VI.             Les positions des parties

 

A.                La position du demandeur

 

[17]           Le demandeur soutient que le défendeur a contrevenu à l’article 83 du RSCMLC, précité, qui crée l’obligation de veiller à ce que les détenus soient habillés et nourris convenablement (voir l’alinéa 83(2)a)).

 

[18]           Le demandeur soutient que, chaque hiver, il a toujours reçu deux anoraks, sauf lors de son séjour à l’Établissement Drummond. Il allègue qu’initialement, lorsqu’il a été transféré au pénitencier Archambault en avril 2011, il avait deux anoraks, mais un anorak lui a été retiré au motif que la Procédure régionale 885 confère aux détenus le droit de recevoir un seul anorak.

 

[19]           Le demandeur reconnaît que cette politique a [traduction] « toujours existé », mais il soutient qu’il a néanmoins toujours reçu deux anoraks.

 

[20]           À l’audience, le demandeur a réfuté l’argument de droits acquis du défendeur et a soutenu que sa demande se fondait plutôt sur des attentes légitimes. Puisque le défendeur a toujours fourni un deuxième anorak au demandeur dans le passé, ce dernier peut légitimement prétendre avoir le droit de recevoir un anorak additionnel. 

 

[21]           Le demandeur dit souffrir de problèmes cardiaques qui le rendent plus frileux que d’autres détenus. Il allègue qu’un médecin lui a prescrit un deuxième anorak dans le passé mais qu’il ne parvient pas à retrouver l’ordonnance originale.

 

[22]           Le demandeur soutient que la Procédure régionale 885 alloue un oreiller et deux couvertures à chaque prisonnier, mais que cela n’a jamais empêché le demandeur de recevoir davantage de couvertures et d’oreillers; par conséquent, la même souplesse devrait s’appliquer en ce qui a trait aux anoraks.

 

[23]           Le demandeur a également produit la pièce 2, qui comporte des articles scientifiques étayant ses arguments selon lesquels, d’une part, les personnes âgées ont besoin de plus de vêtements l’hiver que [traduction] « les individus plus jeunes et en meilleure santé » et, d’autre part, l’exercice en plein air est bon pour la santé à plusieurs égards. Le demandeur soutient que s’il a froid, c’est parce qu’il n’est pas habillé adéquatement, et le défendeur contrevient donc à l’article 83 du RSCMLC.

 

[24]           Le demandeur soutient que plusieurs paragraphes de l’affidavit modifié du défendeur sont non pertinents et que l’auteur de l’affidavit n’avait aucune connaissance personnelle des faits y allégués. À cet égard, le demandeur s’est reporté à la transcription de l’interrogatoire de M. Charland. Il a attiré l’attention de la Cour sur les paragraphes 6 et 7 de l’affidavit de M. Charland, où il est question de la température dans la cellule du demandeur. Le demandeur a souligné que ces faits étaient non pertinents puisque le demandeur souhaite obtenir un deuxième anorak uniquement pour pouvoir le porter à l’extérieur. Le demandeur a également souligné les contradictions apparentes entre le paragraphe 14 de l’affidavit et l’affirmation de M. Charland à la page 43, ligne 23, où ce dernier a admis qu’il n’avait aucune preuve que le demandeur avait pris son deuxième anorak d’un autre détenu. L’attention de la Cour a également été attirée sur le paragraphe 16, où M. Charland mentionne un subterfuge pour obtenir un deuxième anorak, que le demandeur confronte aux réponses données par M. Charland aux pages 55 et 57 de la transcription, où M. Charland a admis qu’il n’avait pas vérifié auprès de M. Provençal si le demandeur avait reçu un deuxième anorak dans le passé.

 

[25]           Enfin, le demandeur a souligné ce qu’il croit être une contradiction entre le paragraphe 10 de l’affidavit de M. Charland, où celui‑ci affirme que le demandeur s’est vu refuser une ordonnance lui prescrivant un deuxième anorak, et la réponse de M. Charland à une question du demandeur à la page 55, où M. Charland confirme ne pas avoir vérifié auprès du médecin pourquoi la demande d’ordonnance prescrivant un deuxième anorak avait été refusée.

 

[26]           Le demandeur a également souligné que la décision au troisième palier n’avait jamais mis en doute le fait que le demandeur avait effectivement reçu un deuxième anorak.

 

[27]           Le demandeur affirme également, dans ses observations écrites, que c’est l’avocat de l’auteur de l’affidavit qui a tapé le texte de l’affidavit et que la Cour devrait en inférer une contravention à l’article 82 des RCF.

 

[28]           Le demandeur réfute les prétentions du défendeur selon lesquelles le demandeur n’a pas besoin de se promener dehors en hiver pour améliorer ou préserver sa santé. Le demandeur invoque les articles scientifiques produits au soutien de cette prétention. Il rejette également la prétention du défendeur selon laquelle le demandeur pourrait marcher et faire de l’exercice à l’intérieur lorsqu’il fait trop froid dehors, ou tout simplement faire plusieurs sorties plus brèves, car, selon le demandeur, cette dernière solution serait malavisée pour une personne qui souffre de problèmes cardiaques.

 

[29]           Enfin, le demandeur souligne que la décision a méconnu le fait que le juge en chef Rolland avait ordonné qu’un deuxième anorak soit donné au demandeur aux fins de son transport jusqu’à la Cour lorsque le demandeur a comparu comme témoin lors d’un procès en 2011.

 

[30]           Le demandeur demande donc à la Cour d’ordonner :

a)                  que le défendeur permette au demandeur d’avoir deux anoraks en sa possession;

b)                  que le défendeur ajoute la phrase suivante à la Procédure régionale 885 : [traduction] « les normes décrites dans la présente instruction sont souples : elles peuvent être modifiées en fonction des besoins spéciaux de certains prisonniers, notamment ceux qui sont âgés et malades », avec dépens.

 

B.                 La position du défendeur

 

[31]           Le défendeur rejette l’argument du demandeur fondé sur des pratiques passées consistant à fournir deux anoraks.

 

[32]           Le défendeur invoque la définition de « droits acquis » qui figure dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien d’Hubert Reid (Montréal, Wilson & Lafleur, 2010), et il soutient que, pour qu’un tel droit soit reconnu, l’usage doit avoir été licite. Or, en l’espèce, le deuxième anorak n’a jamais été autorisé sous le régime des procédures applicables ni toléré dans la pratique. Le défendeur fait observer que le demandeur lui‑même reconnaît que la Procédure régionale 885 a toujours existé.

 

[33]           Le défendeur soutient que l’annexe A de la Procédure régionale 885 prévoit expressément un anorak par détenu, et il soutient que le demandeur n’a produit aucun élément de preuve médicale ou factuelle fiable établissant qu’il a besoin d’un deuxième anorak ou qu’il doit se promener dehors l’hiver pour améliorer sa santé.

 

[34]           Le défendeur souligne également que l’article 83 du RSCMLC ne confère pas aux détenus un droit absolu de se promener en plein air en toutes circonstances et que le SCC prend donc des mesures raisonnables à cet égard, lorsque le temps le permet.

 

[35]           Le défendeur soutient que les articles scientifiques que le demandeur a produits constituent des éléments de preuve nouveaux puisqu’ils n’ont jamais fait partie du dossier à l’époque où l’agent des griefs au troisième palier a rendu sa décision. Par conséquent, le défendeur allègue que la Cour devrait rejeter ces documents; autrement, elle transformera le présent contrôle judiciaire en un appel de novo (voir Ordre des architectes de l’Ontario c Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2001] 1 CF 577, 2002 CAF 218).

 

[36]           Le défendeur soutient également que le demandeur invoque [traduction] « une preuve claire dans le dossier médical du demandeur », mais que cette preuve n’existe pas.

 

[37]           Le défendeur conteste les prétentions du demandeur selon lesquelles, d’une part, un médecin aurait déjà prescrit un deuxième anorak au demandeur et, d’autre part, il existerait une pratique officieuse consistant à fournir au demandeur un deuxième anorak. Le défendeur soutient que le demandeur n’a jamais obtenu officiellement un deuxième anorak et qu’il n’a jamais été autorisé à en avoir un en sa possession.

 

[38]           Pour ce qui concerne la prétention du demandeur selon laquelle le défendeur aurait contrevenu à l’article 82 des RCF, le défendeur invoque la décision récente de la juge Gleason dans laquelle celle‑ci a affirmé qu’il est de pratique courante que les avocats rédigent des affidavits et qu’il n’y a rien à redire à cela (voir Fabrikant c Canada, 2012 CF 1496 au paragraphe 6 [Fabrikant]).

 

[39]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas réussi à démontrer la nécessité que la Cour s’écarte de son rôle de cour de révision pour renvoyer l’affaire à l’office fédéral qui a rendu la décision si la Cour conclut que cette décision était déraisonnable (voir Brychka c Canada (Procureur général) (1998), 141 FTR 258 au paragraphe 27).

 

[40]           Par conséquent, le défendeur soutient que la Cour devrait rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

VII.          Analyse

 

Le refus de fournir un deuxième anorak au demandeur était‑il raisonnable?

 

[41]           La Cour conclut que le refus de fournir un deuxième anorak au demandeur était raisonnable pour les motifs suivants.

 

[42]           La Cour n’est pas d’accord avec la prétention du demandeur selon laquelle celui‑ci a des droits acquis ou des attentes légitimes, comme il l’a expliqué au cours de l’audience, quant à l’obtention d’un deuxième anorak sur le fondement d’une pratique passée. La Cour convient avec le défendeur qu’il n’incombait pas au défendeur de vérifier auprès de chaque pénitencier où le demandeur a été détenu si celui‑ci avait reçu ou non un deuxième anorak. Le fardeau de produire une telle preuve incombe au demandeur en l’espèce.

 

[43]           La Cour suprême du Canada a clarifié le concept de droits acquis dans l’arrêt Dikranian c Québec (Procureur général), 2005 CSC 73 aux paragraphes 37 et 39 :

37. Peu d’auteurs ont tenté de définir le concept de « droit acquis ». L’appelant cite le professeur Côté à l’appui de ses prétentions. Cet auteur soutient que le justiciable doit satisfaire à deux critères pour avoir un droit acquis : (1) sa situation juridique est individualisée et concrète, et non générale et abstraite, et (2) sa situation juridique était constituée au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi (Côté, p. 201‑202). [Non souligné dans l’original]

[...]

39. Un tribunal ne peut donc conclure à l’existence d’un droit acquis lorsque la situation juridique considérée n’est pas individualisée, concrète, singulière. La seule possibilité de se prévaloir d’une loi ne saurait fonder une prétention de droits acquis.

 

[44]           Le demandeur n’a jamais été dans une situation juridique lui permettant de prétendre à l’existence d’un droit acquis. La Procédure régionale 885 prévoit toujours, comme dans le passé, un anorak par détenu, et le demandeur ne peut pas prétendre avoir un droit acquis à un deuxième anorak.

 

[45]           Pour ce qui est des attentes légitimes, le concept s’applique uniquement aux questions d’ordre procédural, comme la Cour suprême du Canada le réitérait récemment dans l’arrêt Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 97; par conséquent, ce concept ne peut pas créer de droits matériels.

 

[46]           Quant à la prétention du demandeur fondée sur le fait qu’il a obtenu davantage de literie malgré le libellé de la Procédure régionale 885 prévoyant un oreiller et deux couvertures par prisonnier, la Cour note que l’annexe C de la Procédure régionale 885 énonce, dans la colonne « Conditions », que ces articles sont donnés « au besoin ». Par conséquent, la réglementation prévoit un certain pouvoir discrétionnaire quant à la literie. En revanche, comme il convient de le noter, le libellé employé à l’annexe A au sujet des anoraks ne confère aucun pouvoir discrétionnaire.

 

[47]           La Cour estime également que le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve provenant d’une autorité médicale et démontrant que ses troubles cardiaques justifient que le demandeur soit soustrait à l’application de la Procédure régionale 885 de manière à obtenir un deuxième anorak.

 

[48]           La pièce 2 est composée d’éléments de preuve nouveaux dont l’agent des griefs au troisième palier ne disposait pas; par conséquent, ces éléments de preuve ne peuvent pas être pris en compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[49]           Pour ce qui est de la prétention du demandeur selon laquelle l’affidavit du défendeur contrevient aux articles 81 et 82 des RCF, la Cour n’est pas d’accord. La Cour a traité de la question de la « connaissance personnelle » au sens de l’article 81 dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Pierre, 2012 CF 1169, au paragraphe 23 :

23. […] Lorsqu’il faut juger de la recevabilité d’un affidavit, la Cour doit tenir compte de la « réalité des circonstances entourant l’affaire. Cela dépend notamment de la charge exercée par [l’affiant], de ses titres et qualités et de la question de savoir s’il est probable qu’une personne occupant une telle charge ou possédant de tels titres ou qualités soit au courant des faits particuliers » (voir Smith Kline and French Laboratories Ltd c Novopharm Ltd, [1984] ACF no 223).

 

[50]           M. Charland a rédigé l’affidavit en qualité d’administrateur en chef et gestionnaire des services intérimaire du Pénitencier Archambault du Service correctionnel du Canada. Il est probable que, de par ses propres connaissances, M. Charland soit au courant de la plupart des faits décrits dans son affidavit. Par conséquent, son affidavit est recevable, bien que la Cour reconnaisse que certaines des réponses données au cours de son interrogatoire contredisent effectivement en partie les affirmations faites aux paragraphes 10 et 16. Il est clair que les paragraphes 6 et 7 de l’affidavit de M. Charland sont non pertinents dans la présente instance, mais, chose plus importante, les contradictions apparentes touchant les paragraphes 14 et 16 ne modifient pas l’avis de la Cour selon lequel le demandeur n’a pas réussi à présenter des éléments de preuve concluants démontrant que la décision est déraisonnable, puisqu’il a été reconnu dans la décision au troisième palier que le demandeur avait un deuxième anorak lorsqu’il a été transféré à Archambault.

 

[51]           Pour ce qui est de la prétention du demandeur selon laquelle il y a eu contravention à l’article 82 des RCF parce que l’affidavit a été rédigé par un avocat, la Cour rejette cet argument pour les mêmes motifs que la juge Gleason dans une autre affaire concernant le demandeur (voir la décision Fabrikant, précitée, au paragraphe 6).

 

[52]           Enfin, la Cour doit rejeter la prétention du demandeur selon laquelle le défendeur a contrevenu à l’alinéa 83(2)d) du RSCMLC. L’alinéa 83(2)d) énonce que des « mesures utiles » doivent être prises pour faire en sorte que chaque détenu « ait la possibilité de faire au moins une heure d’exercice par jour, en plein air si le temps le permet ou, dans le cas contraire, à l’intérieur ». Aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que le demandeur n’avait pas cette possibilité.

 

[53]           Le demandeur n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait pour avoir gain de cause en l’espèce parce qu’il n’a produit aucun élément de preuve démontrant que le défendeur avait manqué à son obligation légale de veiller à ce que le demandeur soit habillé convenablement eu égard aux conditions climatiques. Le demandeur n’a produit aucun élément de preuve démontrant que son état de santé justifie qu’il ait un deuxième anorak ou qu’un deuxième anorak lui a déjà été prescrit dans le passé.

 

[54]           En somme, le demandeur n’a pas convaincu la Cour que la décision était déraisonnable; par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1)         la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2)         le tout avec dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


Annexe

 

 

Les articles 81, 82 et 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 sont ainsi rédigés :

 

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

 

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

 

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

 

 

 

82. Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

 

 

 

312. Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

 

312. With leave of the Court, a party may

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

 

b) effectuer des contre‑interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

(b) conduct cross‑examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

 

c) déposer un dossier complémentaire.

(c) file a supplementary record.

 

 

 

 

L’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 est ainsi rédigé :

 

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

 

 

 

L’article 83 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 est ainsi rédigé :

 

Conditions de détention

 

Conditions matérielles

 

Living Conditions

 

Physical Conditions

 

83. (1) Pour assurer un milieu pénitentiaire sain et sécuritaire, le Service doit veiller à ce que chaque pénitencier soit conforme aux exigences des lois fédérales applicables en matière de santé, de sécurité, d’hygiène et de prévention des incendies et qu’il soit inspecté régulièrement par les responsables de l’application de ces lois.

 

83. (1) The Service shall, to ensure a safe and healthful penitentiary environment, ensure that all applicable federal health, safety, sanitation and fire laws are complied with in each penitentiary and that every penitentiary is inspected regularly by the persons responsible for enforcing those laws.

 

(2) Le Service doit prendre toutes les mesures utiles pour que la sécurité de chaque détenu soit garantie et que chaque détenu :

 

(2) The Service shall take all reasonable steps to ensure the safety of every inmate and that every inmate is

 

a) soit habillé et nourri convenablement;

 

(a) adequately clothed and fed;

 

b) reçoive une literie convenable;

(b) provided with adequate bedding;

 

c) reçoive des articles de toilette et tous autres objets nécessaires à la propreté et à l’hygiène personnelles;

(c) provided with toilet articles and all other articles necessary for personal health and cleanliness; and

 

d) ait la possibilité de faire au moins une heure d’exercice par jour, en plein air si le temps le permet ou, dans le cas contraire, à l’intérieur.

(d) given the opportunity to exercise for at least one hour every day outdoors, weather permitting, or indoors where the weather does not permit exercising outdoors.

 

 

 

Procédure régionale 885 (région du Québec)

 

ANNEXE « A »

 

PLAN DE DISTRIBUTION DES

ARTICLES VESTIMENTAIRES POUR

TOUS LES NIVEAUX DE SÉCURITÉ

 

ANNEX « A »

 

SCALE OF ISSUE OF CLOTHING

ARTICLES FOR ALL LEVELS

OF SECURITY

 

ARTICLES

 

ITEM

QUANTITÉ ET FRÉQUENCE DE LA

REMISE

QUANTITY AND FREQUENCY OF ISSUE

REMARQUES

 

CONDITIONS

REMISE INITIALE

INITIAL SCALE

REMISE SUBSÉQUENTE

FREQUENCY

Anorak (vert)

Anorak (green)

1

3 ans

3 years

 

Bas de toilette ou de laine

Dress socks or Wool socks

5

3 paires par année

3 pairs/year

 

Blouson demi‑saison

Jacket

1

2 ans

2 years

 

Bottes d’hiver (*)

Winter boots (*)

1

VOIR NOTE 1

 

Bottes de sécurité (*)

Safety boots (*)

1

VOIR NOTE 1

Au besoin/si nécessaire

As required/when

necessary

[…]

 

[…]

[…]

[…]

 

 

 

 

 

ANNEXE « C »

 

LITERIE, DRAPS, SERVIETTES

 

ANNEX « C »

 

BEDDING, LINENS, TOWELS

 

ARTICLES

 

ITEM

QUANTITÉ ET FRÉQUENCE DE LA REMISE

QUANTITY AND FREQUENCY OF ISSUE

REMARQUES

 

CONDITIONS

REMISE INITIALE

INITIAL SCALE

REMISE SUBSÉQUENTE

FREQUENCY

Draps

Sheets

1 ensemble

1 set

 

Au besoin

As required

Taie d’oreiller

Pillow case

1

1

 

Au besoin

As required

Couverture thermale

Blanket thermal

2

2

 

Au besoin

As required

Serviettes de bain

Bath towels

4

4

1 an

1 year

 

Débarbouillettes

Wash cloths

3

3

1 an

1 year

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1764‑12

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                     V.I. FABRIKANT c
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

REQUÊTE ENTENDUE LE 6 NOVEMBRE 2013 PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE MONTRÉAL (QUÉBEC) ET SAINTE‑ANNE‑DES‑PLAINES (QUÉBEC)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

V. I. Fabrikant

 

POUR LE DEMANDEUR

AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

Me Pascale‑Catherine Guay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

V. I. Fabrikant

 

 

POUR LE DEMANDEUR

AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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